Avec quasiment 40 points de moyenne lors de ses sept premières saisons, Wilt Chamberlain est considéré comme le meilleur scoreur de son époque. Ceux qui pensent qu’il est même le plus grand scoreur de l’Histoire sont légion. Pour eux, il est une force inarrêtable qui a dominé la NBA de la tête et des épaules et sans aucun regard pour la condition humaine. Leur point de référence principale est la saison 1961/62, ou celui qu’on surnomme The Stilt aligne 50,4 points par rencontre.
Comment ne pas être d’accord avec cela aux vues de ses statistiques vertigineuses. Que dire de son record personnel ? Bien qu’aujourd’hui tristement contesté, son match à 100 points est une marque mythique qui ne sera jamais égalée. Voilà de quoi renforcer encore le sentiment qu’il est le plus fameux joueur offensif de l’ère du Run & Gun. Cependant, comme nous l’avons déjà vue à maintes reprises, il faut se méfier de cette période où les chiffres ne sont souvent qu’illusions.
Une époque trop facile pour Wilt Chamberlain
Wilt Chamberlain arrive en NBA en 1959, après avoir passé une année à traverser le monde en compagnie des Harlem Globe Trotters. Sur le papier c’est 37 points de moyenne agrémentés de 27 rebonds. C’est le signe indéniable d’une domination sans partage. Du moins c’est que nous racontent les chiffres. Car dans la réalité, Wilt a souffert.
Suite à son élimination des playoffs par les Boston Celtics de Bill Russell, Wilt Chamberlain convoque la presse et annonce sa retraite. Il dit ceci :
Si je continue à jouer ce pourrait être mauvais pour moi et pour ma race. Si je reviens et que je marque moins que l’an dernier je devrais peut-être frapper huit ou neuf gars au visage. Je pourrais perdre mon sang froid et je ne veux pas de ça. Je veux garder mon équilibre. J’ai accompli tout ce qu’un homme peut accomplir dans le basketball.
À seulement 23 ans, et qu’il n’a encore rien gagné, Chamberlain estime avoir tout vécu. Il pense même partir en milieu de saison, mais reste, car la participation aux phases finales se confirme. Son problème ? Il a pris trop de coups, les arbitres n’ont pas sifflé assez de fautes. De toute façon, la NBA n’a, selon lui, pas l’argent pour le convaincre de revenir.
Bien sûr, il se ravise (pour un beau contrat) et rejoint les Philadelphia Warriors au début de l’exercice suivant. Mais il vient de montrer à tout le monde qu’il est un pleurnichard. Il est un jeune surdoué, qui boude quand les choses ne vont pas dans son sens. Ce comportement, il le traîne durant tout son passage en NBA ou presque. Wilt Chamberlain aime la facilité, comme lorsqu’il dominait les tournois de Philadelphie dans son adolescence ou qu’il explosait les Washington Generals avec les Globe Trotters dans des matchs d’exhibition au résultat pipé à l’avance.
Quand Wilt aura grandi il réalisera qu’il a plus besoin de la NBA que la NBA n’a besoin de Wilt Chamberlain.
Dolph Schayes
Wilt prend des coups certes, mais il n’est pas à plaindre. Bob Pettit en reçoit certainement plus que lui et le joueur de Philadelphie a tiré plus de lancers francs que n’importe qui en NBA. Dolph Schayes en porte-parole de ses contemporains avoue que tout le monde est d’accord pour dire que Wilt a été plus choyé qu’aucune star avant lui. La vedette des Celtics, Bob Cousy, en rajoute une couche en le décrivant comme le plus grand pleureur de l’histoire de la ligue. Il confie également être très contrarié de voir que Wilt accuse ses adversaires de racisme envers lui.
Le mythe du joueur dominateur prend un coup, s’entêter à croire qu’il a triomphé sans difficulté est une erreur. Tout comme penser qu’il a survolé son temps avec trop de talent pour être intimidé par qui que ce soit. Parmi ses bêtes noires, on trouve le rugueux Jungle Jim Loscutoff. Ce dernier n’hésite pas à malmener Wilt dès que l’arbitre a le dos tourné. C’est l’ambiance de l’époque, si l’on siffle volontiers certains contacts assez facilement, voir des coudes se frotter violemment aux arcades sourcilières n’est pas rare et les bagarres sont monnaie courante.
C’est ainsi que se pratique le basketball des années 50, si tous les joueurs se fréquentent et boivent des bières ensemble après les rencontres, cela n’empêche pas pour autant d’être dur sur le terrain. Ce sont eux qui peuplent la NBA au début du Run & Gun, avant même que Wilt ne fasse son apparition. Cette génération reste majoritaire dans la ligue jusqu’en 1963. Une NBA en comité restreint ou une soixantaine de joueurs seulement participent de manière régulière aux matchs.
De nouvelles cuvées de draft se succèdent, mais seuls quelques nouveaux venus parviennent à se faire une place. Les anciens de NBA (en jaune sur le graphique) qu’on associe volontiers aux années 50 sont en réalité encore actifs une bonne partie des années 60. Ils occupent pour beaucoup des positions de choix, avant de logiquement décliner ou disparaître complètement. Si ces vieux de la vieille ne se laissent pas faire, il faut toutefois convenir qu’aucun d’entre eux (hormis Bill Russell) ne peut rivaliser avec celui qui du haut de ses 2m16 est le géant de la ligue.
Johnny « Red » Kerr, un des plus illustres adversaires de Wilt au début des années 60 en témoigne, il n’a jamais été en forme de toute sa carrière. Les entraînements sont facultatifs pour la plupart des joueurs. Personne ne soulève de fonte, personne ne travaille son cardio hormis quelques rares exceptions. Chamberlain surgit dans cette NBA comme une boule dans un jeu de quilles et il va tout casser. Cependant, cela ne lui apporte pas le succès collectif.
Me, Myself and I
La domination de Chamberlain sur le terrain est indéniable. Malheureusement, son caractère de diva égoïste l’est tout autant. Le prodige n’a de cesse de se lamenter. C’est une coutume pour lui qui avait déjà trouvé de nombreuses raisons de se plaindre lorsqu’il évoluait à l’université de Kansas. Une fâcheuse tendance à être mécontent pour tout est n’importe quoi (surtout ne pas avoir la balle), ce qui nuit à son impact sur le jeu au début de sa carrière.
Pour empêcher que Wilt ne boude de trop, on se sépare du coach Neil Johnston après deux ans de cohabitation houleuse ou l’ancienne gloire des Warriors n’a pas compris comment satisfaire son poulain. Pour faire en sorte que Wilt n’arrête pas de défendre, voire de jouer alors qu’il est sur le parquet, on limoge donc son entraîneur. Son remplaçant est Frank McGuire, il fait un pacte avec la star de Philly dès son arrivée, un accord qui scelle les bases d’une saison historique.
McGuire tient à conserver son statut de coach à succès, une réputation acquise en NCAA avec St. John’s et North Carolina. Pour gagner McGuire est prêt à laisser Wilt constamment sur le terrain. Il sait pertinent qu’il a en sa possession l’arme ultime et il veut maximiser ses chances de victoire en tirant sur la corde Chamberlain autant que possible.
Les deux hommes en parlent et se mettent d’accord. Wilt a carte blanche, ticket shoot à volonté pour l’ogre de Philadelphie qui peut laisser libre cours à son appétit. La tactique de McGuire est une hérésie, même Tom Thibodeau n’oserait pas en faire autant. Le résultat, c’est 48,5 minutes de jeu pour le pivot des Warriors. Une performance inégalable, mais pas si simple à réaliser pour Wilt, qui plus tard déclare ceci :
Juste pour un match, 48 minutes c’est vraiment difficile. Mais jouer une saison entière 48 minutes par match ? Je veux dire, quand je regarde en arrière rétrospectivement. Je me dis « Qu’est-ce qu’il me faisait ?! Jésus, il y a un moment où j’aurais pu me reposer !
Une génération certes rugueuse, mais objectivement loin de pouvoir rivaliser sur le plan physique et athlétique. Un joueur à l’ego surdimensionné à qui on donne la liberté de prendre tous les tirs qu’ils souhaitent. Si on ajoute à cela un rythme infernal avec le Pace le plus élevé de l’histoire et un temps de jeu record. Voici le cocktail qui permet à Wilt Chamberlain d’afficher 50,4 points par rencontre en 1962. C’est un alignement d’événements favorable à la performance dont il est le seul à avoir pu profiter à ce point. Car personne à son époque n’a été aussi individualiste que lui et personne après lui n’a bénéficié de telles conditions.
Le portrait semble peu flatteur, mais il se doit de l’être. Wilt Chamberlain est un mythe, et un arbre qui cache une forêt. Son charisme et son talent, est indéniable. Toutefois, il y a bien des nuances à apporter à cette narration du Dieu vivant descendu au milieu des hommes pour pratiquer le basketball. Pour comprendre et découvrir le jeu de cette époque, apprécier les aptitudes de ses acteurs, il faut démystifier Wilt.
50,4 nuances de Wilt
La saison 1959/60 est historique. C’est la première fois que deux joueurs terminent leur année avec plus de 30 points de moyenne. Bien sûr, il y a Wilt Chamberlain avec ses 37 points par match. Mais, il y a aussi Jack Twyman qui aligne sa plus grosse moyenne en carrière avec 31,2 points. Suite à la blessure terrible de Maurice Stokes, les Royals ont tout à reconstruire et il se retrouve seul maître à bord avec la responsabilité de porter l’attaque de son équipe.
Jack Twyman est un arrière/ailier avec un profil particulier, mais très répandu en son temps. Pour se faire une idée, on dirait de lui aujourd’hui qu’il est un sniper. Certes, il n’y a pas de ligne à trois points, mais Twyman arrose allégrement à mi-distance. Le Spacing de l’époque étant ce qu’il est. Le nombre affolant de contre-attaques lui permet d’aller chercher des points faciles en prenant de vitesse les défenses. Cependant, il se retrouve peu sur la ligne des lancers francs, car il n’a pas dans son arsenal offensif la capacité de mettre en défaut son défenseur pour aller provoquer des fautes.
Ce n’est pas le seul à s’illustrer dans ce style, les Bostoniens Frank Ramsey et Bill Sharman sont totalement dans la même veine. Jack Twyman a allumé comme jamais pour finir avec une moyenne de 23 points par match sur 75 possessions. Les habitués de la série le savent, 75 possessions correspondent à environ 36 minutes dans la NBA moderne ou un match dure 100 possessions.
La nuance principale est là, un match de basket ne dure pas 48 minutes. Pour la saison 2023/24, un match dure en moyenne 98,5 possessions. Lors de l’exercice 1959/60, une rencontre c’est environ 125 possessions. En passant 40 minutes sur le terrain, Twyman joue 102 possessions, soit 30 de plus qu’un joueur qui reste en jeu 36 minutes de nos jours.
Pour arriver à ce nombre de possessions sans changer le rythme de jeu actuel que beaucoup considèrent comme rapide, un match devrait s’étaler sur une heure. Plus de possessions, donc plus de cartouches pour marquer des points. En 1959, Wilt Chamberlain a un temps de jeu de 46,5 minutes, soit 129 possessions chaque soir. Si on normalise cela sur 75 possessions, sa moyenne est de 22 points.
Vous l’avez compris, c’est un rendement inférieur à celui de Jack Twyman. Même chose la saison suivante, il inscrit 38 points quand Elgin Baylor des Lakers en est à 34. Mais si on aligne ces chiffres sur 75 possessions, l’ailier de Minneapolis est à 23 points quand Wilt est à 22 points de moyenne. Pour simplifier, Wilt est un marathonien du scoring. C’est grâce à sa capacité à tenir le rythme des matchs qu’il est en possibilité d’afficher des moyennes aussi énormes. Des performances impossibles à répliquer de façon constante dans un match avec moins un Pace plus bas.
Cela s’applique également (et surtout) à sa saison phare, celle de 1961/62. Il passe 48,5 minutes sur le terrain pour 132 possessions. Sur 75, il est à 28,5 points de moyenne. Cette année là, cela le place au-dessus de tous ses concurrents. Cependant, c’est au prix d’une des campagnes les plus individualistes de l’histoire. Derrière lui, Elgin Baylor n’est pas si loin avec 25 points de moyenne en 75 possessions sans pour autant qu’on ne le considère comme un soliste égoïste.
Dominateur est efficace, il l’est, mais avec 1,28 points par tirs tentés il n’est « que » le cinquième scoreur le plus efficace de l’année derrière Oscar Robertson (1,34), Walt Bellamy (1,33), Bailey Howell (1,32), et Jerry West (1,29). Avec une adresse 12 % plus élevée que la moyenne de la ligue, il est un des cadors de NBA en termes de réussite, mais on trouve mieux voir aussi bon que lui chez l’élite. Son efficacité est incontestable, mais elle n’est pas inédite.
Tireur de pénalité horrible, il tente à moult reprises de changer sa mécanique. Que ce soit à la cuillère, ou un bon mètre derrière la ligne, rien n’y fait. Il termine sa carrière avec un geste digne d’un concours de fléchette qui le voit descendre en 1968 à 38 % de réussite en 11 tentatives. Plus tard, le Hack a Wilt devient le moyen de freiner l’attaque de ses équipes. Lors de sa première saison à Los Angeles, il tente presque autant de lancers francs que de tirs. Il dispose d’un ratio tir/lancer deux fois supérieurs à celui de la moyenne de la ligue pour seulement 44 % de réussite.
Le temps de jeu élevé de Chamberlain ne doit pas jouer en sa faveur non plus. Difficile de garder sa lucidité et sa réussite dans des matchs à haut tempo comme en témoigne Nate Thurmond lorsqu’il parle de sa propre expérience
Jouer 45 minutes à chaque match nuit à ma moyenne de tirs. Quand je suis fatigué, mes tirs ne rentrent plus. Avec plus de repos, je serais un meilleur tireur.
Il pourrait bien en être de même pour Chamberlain, bien qu’exceptionnel athlétiquement, sa réussite a dû pâtir avec autant de possessions à jouer chaque soir. Les images de lui tremper de sueur ne sont pas rares, surtout qu’à l’époque le mot climatisation n’est pas encore dans le dictionnaire.
L’histoire retient les 50,4 points de moyenne et sa légendaire domination offensive. Ce chiffre masque le fait qu’il n’est pas l’unique attaquant de grande classe en NBA à cette époque et qu’il n’est pas supérieur aux autres forts scoreurs du moment. Cette moyenne est le fruit d’un individualisme exacerbé, car si Wilt score, il ne passe pas la balle. Seulement 2,4 passes décisives en 132 possessions jouées, une contribution au collectif des plus ridicule.
Wilt est l’instrument le plus parfait jamais fabriqué par Dieu pour jouer au basket-ball. Mais Wilt est le roi, et les autres guerriers sont des serfs et des pions. Si le matériel était utilisé correctement, les Warriors devraient battre Boston.
Dolph Schayes
Scoreur en trompe l’œil
En 1966, Wilt Chamberlain retourne à Philadelphie après le déménagement des Warriors à San Francisco pour rejoindre des Nationals devenus Sixers. Mais il y a un hic, ses partenaires sont moins enclins à supporter l’égoïsme de leur nouveau coéquipier. L’agacement est palpable, il faut un quelqu’un capable de diriger Wilt et également susceptible de le canaliser. L’homme de la situation se nomme Alex Hannum qui connaît bien le Stilt. C’est lui qui permet à Chamberlain de participer à ses premières finales en 1964, en lui enlevant partiellement ses œillères.
Dorénavant réuni, le coach peut continuer la mue de Chamberlain. C’est un changement salvateur qui voit l’ogre calmer son appétit pour se tourner vers ses coéquipiers en axant principalement son jeu sur le collectif. Wilt Chamberlain score moins, se concentre sur la défense ou il est un véritable GOAT. Le résultat est immédiat, titre pour les Sixers, le premier pour Chamberlain. Pourtant, pour certain, il reste un scoreur hors pair avec plus de 24 points de moyenne.
Cette moyenne, il l’obtient en participant à 115 possessions chaque soir, soit 15,5 points sur 75 possessions. Par la suite, ses chiffres ne font que décliner encore et encore. Sauf lors de la saison 69/70, mais il ne prend part qu’à 12 rencontres cette année-là. Il passe de 40 points de moyenne en 543 rencontres (de 1959 à 1966) à 20 points de moyenne en 502 matchs (de 1966 à 1973). La différence est colossale, elle est due à la baisse du Pace et à un changement de style de jeu radical.
Dorénavant, il se contente de jouer sur ses qualités sans forcer le trait. Son efficacité explose, il passe de 1,33 points par tirs en tentés en 1966 à 1,69 en 1967. Ce sont des points obtenus sur des rebonds offensifs où il excelle, des paniers au poste où il enfonce son adversaire et quelques fade away utilisés avec parcimonie. Ce Chamberlain-là est bien meilleur pour un collectif que celui qui a affiché des moyennes surhumaines.
Cependant, même si son efficacité est incroyable, on ne peut plus le considérer comme un scoreur de premier plan. Il faut dorénavant comprendre que Wilt est sur un rythme d’attaque à la Rudy Gobert, avec moins de dix tirs tentés sur 75 possessions. Les chiffres bruts de l’époque tendent à faire croire qu’il est encore un des marqueurs les plus prolixes. Mais c’est une fois de plus le résultat d’un scoreur marathonien et non d’un scoreur comme on se l’imagine. Maintenant, avec toutes ces informations, peut-on toujours considérer qu’il est le « meilleur » joueur offensif de son ère ?
L’élite
Wilt Chamberlain, c’est donc un run de 543 rencontres à 25 points de moyenne sur 75 possessions et 1,24 points par tirs tentés à son prime. Personne entre 1957 et 1973 ne réussit à égaler cette moyenne. Le plus proche est Kareem Abdul Jabbar avec 24 points en un peu plus de 300 matchs, mais avec 1,35 pts/tirs. Cependant, sur l’ensemble de sa carrière, la moyenne de Wilt chute entre 19 et 20 points avec 1,33 points par tirs tentés en 1045 matchs. C’est au terme de haut très haut et de bas très bas (moins de 10 points par match en 1973).
Parmi les prétendants au titre de meilleur scoreur de l’ère du Run & Gun on retrouve l’ailier des Lakers, Elgin Baylor. C’est avec quasiment 21 points de moyenne sur 75 possessions et 1,15 pts/tirs. C’est une efficacité plus que correcte, mais qui est en deçà des marqueurs élites de la période. Elgin Baylor à une réussite moyenne avec du déchet, mais c’est le cas pour beaucoup de joueurs lors de cette période. Il a une adresse qui rôde autour de la moyenne de la ligue et il n’est pas un grand provocateur de faute. S’il est de loin le scoreur le plus gracieux, il reste perfectible.
Son côté novateur ne suffit pas non plus à le hisser au sommet de la discipline. Car, c’est aussi intéressant de mettre cet aspect du scoring dans la balance. Qui est innovant dans cette période ? On peut dire que Wilt Chamberlain est révolutionnaire. Cependant, ce n’est pas pour son style de jeu. Wilt est un joueur très typé année 50. Lancer franc à la cuillère, bras roulé façon George Mikan, shoot pieds collés au sol et footwork rudimentaire. Seul son fade away est vraiment moderne, son utilisation est la plus remarquable même s’il n’en est pas l’inventeur. Il amène également de la hauteur et une capacité à écraser tous les ballons qui lui passe devant le nez.
La révolution apportée par Wilt est athlétique, physique, plus que technique. Personne n’a repris son fameux Dipper. Ce lay-up qu’il était le seul à pouvoir placer grâce à sa taille unique pour l’époque et à sa puissance qui l’était tout autant. Un joueur comme Willis Reed est bien plus innovant que lui techniquement chez les intérieurs, bien plus moderne dans son style de jeu.
En parlant de scoreur typé année 50, il y obligation à citer l’ailer fort des Saint-Louis Hawks, Bob Pettit. Il est un attaquant complet et aussi un bien meilleur athlète qu’on ose le croire. Il utilise sa vitesse et sa détente pour faire déjouer son défenseur. C’est également un tireur extérieur fiable et un bon provocateur de lancer. C’est environ 21 points de moyenne sur la période en 720 rencontres avec 1,24 pts/tirs. Solide.
Voici un autre candidat sérieux, le meneur des Cincinnati Royals puis des Milwaukee Bucks, Oscar Robertson. C’est un de ceux qui se sont aventurés au-delà des 30 points par rencontre. Sur 75 possessions, on est dans ses plus belles années autour des 21 points de moyenne. C’est sans doute le plus grand casseur de défense de l’époque. Athlétique et costaud physiquement, ce guard de presque deux mètres est inarrêtable. Cependant, c’est un vrai meneur de jeu. Certes il score, mais il fait aussi croquer les copains. Altruiste, il ne force jamais le trait et reste régulier dans l’effort.
Le Big O devient ainsi le meilleur passeur de l’époque et il est aux commandes de la meilleure attaque du championnat pendant presque tous les 60’s. C’est cet altruisme qui le fait se ranger sans broncher derrière le jeune Lew Alcindor avec qui il remporte le titre en 1971, une saison où il ne marque plus que 15 points pour 75 possessions. Sa situation avec les Royals fut souvent compliquée, mais il n’a jamais péché par orgueil et n’a jamais placé son ego au-dessus du collectif. Toutefois, son perfectionnisme a usé ses partenaires sur lesquels il n’a eu de cesse de crier, voyant ses coéquipiers parfois désolés de ne pas répondre à ses exigences.
Oscar était tellement en avance sur nous, les humains, qu’on ne pouvait jamais être à son niveau. Mais à cause de sa grandeur et de ce qu’il représentait pour la franchise, vous détestiez le laisser tomber. La grandeur d’Oscar a parfois submergé Adrian Smith. Il disait à Oscar : « S’il te plaît, O, tu sais que j’essaie, je le fais vraiment. Tu dois me croire, O. »
Wayne Embry
Du tir à mi-distance, du jeu en pénétration, beaucoup de fautes provoquées également. Un des meilleurs dans le domaine d’ailleurs, largement au dessus de la moyenne de l’époque. Avec 84% de réussite aux lancers francs son efficacité est extraordinaire, ainsi il inscrit 1,37 points par tirs tentés. C’est mieux que Wilt et on parle là d’un meneur de jeu. Toutefois, et malgré 19 points de moyenne sur 75 possessions, il est en dessous de celui qui pour moi est le meilleur scoreur de l’ère du Run & Gun.
L’excellence de l’exécution
De 1960 à 1973, le meneur de jeu des Los Angeles Lakers, Jerry West, aligne 28 points de moyenne, soit 21 points sur 75 possessions. West est moins créateur que Oscar Robertson, il est un scoreur prolifique, constant, qui ne faiblit pas malgré le poids des années. En 1966, il inscrit jusqu’à 1,45 pts/tentatives. Pour un joueur axé sur le tir, c’est tout simplement extraordinaire.
Tout comme Robertson, c’est un fantastique provocateur de faute. Avec 81 % de réussite aux lancers francs en carrière, son efficacité est de 1,32 points par tirs tentés. C’est moins que le Big O, mais cela est impressionnant pour un joueur avec son style de jeu. Personne avant lui n’a autant brillé grâce à ses qualités de shoots.
Celui qu’on surnomme Mr Clutch à la main sûre. Le basketball est un sport d’adresse et à ce petit jeu là, Jerry West est de loin le meilleur. Même après 1966, quand la NBA se voit être plus compétitive avec une nouvelle génération de joueur, il reste d’une efficacité remarquable. En 467 rencontres (de 1966 à 1973) il affiche, 1,35 points par tir tenté, de quoi être au sommet de la NBA au côté de Kareem Abdul-Jabbar.
Oscar Robertson est le prototype du meneur All Around porté sur la gestion, quand Jerry West devient le modèle du meneur/arrière scoreur. Les deux hommes sont très proches et ce titre honorifique pourrait très bien être décerné à Robertson, même s’il semble que le scoring s’est imposé à lui sans que ce soit son ADN.
Jerry West c’est l’excellence, un scoreur d’une fiabilité remarquable qui atteint des sommets que peu ont surpasser ou égaler. C’est ainsi qu’il peut siéger sans complexes aux côtés de shooteurs élites tels que Damian Lillard (1,36 pts/tirs) et Steph Curry (1,38pts/tirs). De quoi pouvoir en faire le plus fabuleux attaquant de son époque.
Les Records de Wilt Chamberlain
En changeant son jeu, Wilt n’est plus un scoreur pur. Toutefois, en 1969, il se remémore les grandes heures de sa domination offensive en posant un joli 66 points et 27 rebonds sur la médiocre lanterne rouge de la ligue, les Phoenix Suns. C’est son dernier gros carton en carrière.
Impossible de savoir quel est le Pace exact de ce match. Les Lakers ont un Pace moyen de 112,6 cette saison, ce sera donc notre base pour faire notre petite normalisation statistique. Donc, en alignant cette performance sur 75 possessions, on est sur un match à 43 points et 18 rebonds, ce qui demeure assez remarquable.
Cependant, depuis 1980, on trouve 220 joueurs ayant réussi un match avec plus de 40 points et 15 rebonds. Comme le 27 janvier 1990, ou Karl Malone délivre 61 points et 18 rebonds sur de malheureux San Antonio Spurs en ne participant qu’à 71 possessions. Autant de points en jouant 40 possessions de moins, mais comme 66 restent plus grands que 61, beaucoup ne se rendent pas compte que la performance de Malone est bien plus extraordinaire que celle de Wilt.
Le 2 avril 1962, face à New York, Wilt gavé de ballons atteint la barre des 100 points. Une fois de plus, impossible de connaître le Pace exact de cette rencontre, 120, 130, 140 possessions, nul ne peut le dire. Cette année-là, les Warriors ont un Pace sur la saison estimé comme supérieur à 130. Prenons donc ce chiffre pour tenter d’approcher la réalité de cette performance. Avec un tel rythme, il inscrit environ 0,77 points par possessions.
Ce match absurde ressemble un peu à celui réalisé par David Robinson en avril 1994. Dans la course aux titres de meilleur scoreur avec Shaquille O’neal, les Spurs décident de forcer le destin en sollicitant à outrance l’Amiral. Résultat, ce sont 71 points inscrits par le pivot texan avec un rendement de 0,74 points par possessions. On est tout proche de la performance de Chamberlain.
Le Mailman en 1990 est avec ses 61 points à 0,86 points par possessions. Que dire des 81 points de Kobe Bryant, et ce délirant 0,98 points par possessions lorsqu’il a dévoré les Raptors en 2006. Même si on transforme ses sept tirs à trois points en deux points, il reste sur 0,9 points par possessions, de quoi faire de cette performance, la plus grande de l’histoire. Si on inverse le procédé, on est sur un rythme de 127 points en 130 possessions.
Au lieu de nier l’existence de la rencontre à 100 points de Chamberlain. Il serait plus judicieux de la part des septiques de se rendre compte que rien de ce qu’à fait Wilt en son temps n’a pas été refait ou mieux fait. Les 81 points de Kobe, les 61 de Malone ou du Shaq, les 55 de Jermaine O’neal, sont quelques-uns parmi tant d’autres exploits offensifs qu’on peut placer sur le même plan que les 100 points du Stilt. De plus, nous avons des images pour prouver que c’est possible.
Wilt Chamberlain a bénéficié d’une situation propice à réaliser des performances aux chiffres hallucinants. Pourtant, remis en contexte, il est aisé de relativiser ces performances. Personne ne peut rééditer ce genre de records dans la NBA moderne, même pas Wilt lui-même. Le traitement médiatique reçu par James Harden, Luka Doncic, Joel Embiid ou avant eux Allen Iverson, nous montre une chose. S’il vient en tête à un jeune joueur d’afficher un ego et un individualisme similaire à celui de Wilt. Le pauvre se ferait immédiatement pendre haut et court par l’ensemble des fans et observateurs comme nul autre avant lui.
Cependant, chacun est libre de faire son choix. Meilleur scoreur de son époque ou pas, peu importe. Wilt Chamberlain est pendant un temps (500 matchs), celui qui a été le marqueur le plus prolifique de NBA. Toutefois, il faut cesser de croire qu’il était largement au-dessus de la meute et comprendre qu’il doit cela à un alignement de circonstances favorables. La légende du monstre injouable, indéfendable, ou je ne sais quel superlatif utilisé pour parler de lui doivent être nuancés, afin de pouvoir mieux appréhender la période fondatrice de la NBA, l’ère du Run & Gun.
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