Wilt

Les 100 points de Wilt Chamberlain : quand la NBA complote

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100 points dans un match ! C’est la performance dantesque réalisée par Wilt Chamberlain le 2 avril 1962, un record mythique que certains fans refusent de croire. Ce phénomène est nouveau et il donne la gueule de bois aux amoureux de l’histoire de la balle orange. Comme dirait l’autre, il faut qu’on en parle.

Introduction

De nos jours, les performances offensives de haute volée ne sont pas rares. Les records de points tombent et comme à chaque fois, ce genre de prouesses soulèvent son lot de questions et d’affirmations. Après chacune d’elles, le petit monde de la NBA se scinde en deux camps.

D’un côté, on se demande si la défense existe encore en NBA, et l’on trouve bien souvent des choses à redire que cela soit justifié ou non. Pourtant, cela ne devrait pas poser problème. Aujourd’hui, le talent est tel que ce genre de performance n’est pas surprenante. Alors oui, on peut décortiquer tout ça et trouver toutes les raisons, bonnes ou mauvaises, d’expliquer comment cela est possible actuellement.

Objectivement, on peut faire de même avec tous les cartons de l’histoire. Que ce soit, des adversaires à la défense gruyéresque, de l’individualisme exacerbé, ou un style de jeu qui favorise ces accomplissements. Les derniers records en date interpellent, que ce soit les médias ou les fans de la première heure.

Dans le même temps, à la manière d’un reflet inversé dans le miroir, d’autres s’emploient à nier l’histoire qui s’est produite dans un lointain passé. Car oui, on ne cherche plus à dénigrer une époque et ses performances comme cela a souvent été le cas. Désormais, nous avons franchi un cap puisqu’on soumet l’idée qu’un moment mythique de la NBA n’a jamais existé. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Plumbers & Firemens

La négation du match des 100 points de Wilt Chamberlain me fait presque regretter le temps où on crachait sur les années 60 en parlant de l’ère des plombiers. Alors que c’est plutôt l’époque des routiers, des éboueurs, des vendeurs de voitures, voire des agents d’assurances. Quand on a un salaire qui s’élève à environ 5000 dollars la saison, se trouver un job d’été est essentiel.

C’est également important de rappeler qu’en 2024, des sportifs de haut niveau ont eux aussi un travail à côté de leur passion qui ne leur rapporte malheureusement pas assez d’argent. Toutes les disciplines ne sont pas aussi bien loties que le sont les millionnaires de la grande ligue. Cela ne fait pas de ces athlètes des moins que rien dont on peut se moquer, bien au contraire.

L’autre marotte concernant Chamberlain est de dire qu’il jouait dans une NBA où ses adversaires faisaient la moitié de sa taille. Alors oui, c’est incontestable, Wilt est le géant de son époque avec ses 2m16. Cependant, cela suffit-il a lui permettre de dominer comme il l’a fait ? Hell No ! Nos amis révisionnistes n’ont pas connaissance de noms tels que Swede Halbrook et ses 2m21, Phil Jordon, Ray Felix, Walter Dukes, Darall Imhoff ou encore Bevo Nordmann. Tous sont de grands échassiers, mais aucun d’eux n’a eu un impact comparable à celui de Chamberlain. Être grand ne garantit pas le succès dans l’ère des réparateurs de fuites.

Ces allégations existent pour une seule raison. Trouver des réponses simples à des questions qui ne le sont pas. Chercher à comprendre est chronophage et compliqué. Je peux en témoigner, ce qui me suivent connaissent la série Run & Gun qui a pour théâtre principal la NBA des 60’s. C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup d’investigations et qui malgré cela conserve toujours ces zones de flou. Mais s’entretenir de choses que l’on ne maîtrisent pas est humain, j’ai moi aussi longtemps parlé de cette époque sans en avoir saisis tous les codes.

Toutefois, plutôt que de critiquer et chercher à rabaisser une génération, j’ai fait l’inverse en étant émerveillé. Jusqu’à vouloir en savoir plus et devoir parfois revoir mon positionnement. Effectivement, la NBA des 50’s et du début des années 60 et moins compétitive, la défense est bien souvent plus que faiblardes et les joueurs sont loin d’être des athlètes.

Comme en témoigne Johnny « Red » Kerr, un grand amateur de boissons houblonnées qui avoue ne jamais avoir été en forme de toute sa carrière. Le pivot titulaire des Syracuse Nationals se retrouve en face de Wilt à 12 reprises lors de sa saison record en 1961/62. Ses autres adversaires directs cette année-là sont, Clyde Lovelette, Phil Jordon, Jim Krebs, Walter Dukes, Wayne Embry, Walt Bellamy et Bill Russell.

Si Russ et Bells offrent du répondant au Stilt, pour les autres la tâche est compliquée. Mais n’allez pas croire qu’ils ce sont laissés marcher dessus. Car tout Chamberlain qu’il est, MVP, meilleur marqueur, rebondeur et Rookie de l’année en 1960, Wilt convoque les journalistes pour annoncer sa retraite à seulement 23 ans.

En effet, il en prend plein la poire à longueur de temps et il n’aime pas ça. Finalement, elle n’est pas si simple cette NBA. C’est un constat dur à avaler pour un jeune homme pour qui tout a été d’une facilité déconcertante jusque là. Le prodige se ravise, se voit affublé d’une réputation de pleurnichard mais réussit malgré cela à s’imposer non sans mal. Alors, les plombiers ne sont pas si faibles qu’on se l’imagine. Mais pour s’en rendre compte, c’est important de ne pas omettre une chose primordiale qui s’appelle « le contexte ».

100 points
Wilt au temps des Harlem Globe Trotters, quand tout était encore facile. Jim Loscutoff des Celtics n’était pas encore sur son dos à le frapper dès que l’arbitre avait le dos tourné.

Couroucoucou Comploplo

Les conclusions hâtives et péremptoires sur le niveau de jeu des premières heures de la NBA semblent ne plus contenter les esprits des plus sceptiques. Dorénavant, on passe au cran supérieur avec la négation de ses plus grands exploits. Alors, je préfère prévenir, je ne vais pas montrer que les 100 points ont bel et bien existé. Loin de moi l’envie de tomber dans le piège de l’inversion de la charge de la preuve. Aucun historien du basketball ne doit chercher à confirmer que Wilt Chamberlain a inscrit 100 points dans une rencontre. C’est à ceux qui en doutent de nous démontrer qu’il ne l’a pas fait.

Croyez-moi, si quelqu’un avance des explications solides qui vont dans ce sens, je serai le premier à l’admettre et à en tenir compte. Bon courage à celui ou celle qui se lance dans cette enquête qui risque fortement de me voir mourir avec mes certitudes. Ce qui est extraordinaire dans cette affaire, c’est comment la rhétorique complotiste classique se retrouve dans ce débat qui n’a pas lieu d’être. Dans notre cas, l’argument principal est le fait qu’aucune image de ce match n’existe. Saint Thomas d’Aquin serait fier.

Un raisonnement qui se veut être lourd comme une massue et qui ne fait que prouver une chose. Il confirme l’incapacité de beaucoup à remettre une époque dans son contexte. Ce fameux paramètre sans lequel parler d’un lointain passé revient à vider sa vessie dans un Stradivarius. Mais que cherchent à nous raconter les tenants de cette théorie fumeuse ?

Donc, on veut nous faire avaler que la NBA attribue un match à 100 points à Wilt pour en faire la plus grande performance de l’histoire. Mais dans quel but ? On peut se dire que c’est elle qui dit également à Kobe de s’arrêter à 81 points pour ne pas les dépasser ? Non, mais sans rire, quel serait l’intérêt d’orchestrer pareille machination ?

On peut retourner le problème dans tous les sens, il n’y en a aucun. Par contre, on peut trouver un avantage à vouloir nier l’histoire, car si l’on retire des tablettes les prouesses de Wilt, il reste alors un véritable boulevard pour les stars des années 2020. Parce que la NBA d’aujourd’hui, c’est elle la meilleure, et tous les moyens sont bons pour forcer le trait.

Refuser de croire aux 100 points c’est valoriser le fait que les vrais records sont ceux réalisés de nos jours, comme si les fans de NBA récents et les plus anciens entretenaient une guerre. D’ailleurs c’est peut-être ce qui se joue, une bataille de tranchée dont les plus coupables ne sont pas forcément ceux qu’on imagine.

Amour, gloire et débats d’idées

Même si le domaine reste une niche, il est courant de voir du contenu historique fleurir de partout. Personnellement, je ne vais pas m’en plaindre puisque j’adore cela. Cependant, en prenant un peu de recul sur le sujet, on peut se poser une question. Que racontons-nous ? Wilt est le pivot le plus dominant de tout les temps, Wilt est le plus grand athlète All Time, Wilt score 50 points sur une saison avec des Converses aux pieds, Wilt a couché avec 20 000 femmes, Wilt a fait ci, Wilt a fait ça, etc.

Non, Wilt n’est pas le joueur le plus dominateur de l’histoire et encore moins le plus grand athlète. Ensuite, s’il porte des Converses ce n’est ni par plaisir ni pour augmenter le niveau de difficulté. Il l’a fait de la même manière que 90 % des basketteurs de son temps, et gros Big Up à ceux obligé de s’équiper avec autre chose. Chamberlain est celui qui règne sur SON ère comme nul autre et qui est le plus incroyable spécimen de SON époque. Alors quand les médias, les historiens, voire certains fans, placent la légende Wilt sur un piédestal aussi illustre, il n’est pas surprenant que cela puisse provoquer un effet contraire à celui recherché.

Attention, je vous parle de vidéos Youtube, souvent américaines, à la gloire de. La chaîne « Wilt Chamberlain Archives » est une mine d’or d’images, mais qui est parfois catastrophique en ce qui concerne le traitement de l’histoire. Wilt y est porté au rang de super héros, ou rien n’y personne ne peut le surpasser. D’ailleurs, ce traitement s’étend à d’autres légendes. La mode des Top All Time en a poussé beaucoup à résumer les carrières de ces icônes par le biais d’anecdotes et de statistiques monstrueuses débitées sans jamais apporter le moindre contexte.

Ainsi, au lieu de susciter l’émerveillement, nous avons provoqué le rejet. En réponse, les joueurs sont téléportés d’une époque à une autre afin de souligner le fait qu’un NBAer actuel lambda serait une star dans les années 60. Rien n’est plus évident que de dire qu’il y a plus de talents de nos jours qu’à cette époque. D’ailleurs, les acteurs des années 50 et 60 en sont parfaitement conscients comme c’est le cas pour Jerry Lucas.

« Au cours de mes 10 années en NBA, le jeu n’a pas cessé de changer et les capacités des nouveaux joueurs se sont énormément améliorées. C’est parce qu’ils reçoivent probablement une meilleure formation à un plus jeune âge de la part d’entraîneurs qui sont plus compétents. Il y a de plus en plus de joueurs à tous les niveaux, et évidemment, plus la concurrence est forte chez un jeune, mieux il va se développer. »

Les vidéastes, fans et observateurs, passionnés et éblouis par les parcours des légendes, oublient de raconter comment de tels exploits ont été possibles. Les 73 points de Luka Doncic ont déjà été analysés sous toutes les coutures. Quand est-il des 100 points de Wilt ou de ses 50 points de moyenne ? Qui a pris un moment pour nous expliquer clairement et objectivement tout cela ? Avec plus de contexte, il est probable qu’une partie du public se soit moins crispé face à ces récits dignes de la mythologie grecque. Nous sommes au temps de la vulgarisation, du consommable. Cela a sans doute causé autant de tort que de bien fait à la communauté.

L’image est iconique, les joueurs ne s’y trompent pas prenant la pause comme Wilt après avoir réalisé leur record personnel.

C’était mieux avant

Le fameux c’était mieux avant. D’accord, mais à partir de quand ? Aussi amoureux des époques préhistoriques que je peux l’être, il faut néanmoins s’armer de courage pour regarder un match entier des 60’s. Si le « c’était mieux avant » concerne le basket de son adolescence, j’appelle cela de la nostalgie. Quand on voit un fan, s’enflammer avec l’insouciance de la jeunesse pour sa star préférée, celui qui vient murmurer à son oreille que ce n’est rien à côté de tel ou untel en telle année est coupable de mettre de l’huile sur le feu.

Quelle réaction doit-on attendre quand on fait cela ? Inévitablement, cela génère du rejet. Des anciens en admiration sur le basketball du passé, des nouveaux fans ébahis par les joueurs du présent et du futur, mais au final deux mondes qui ne se comprennent pas. Pourtant, nous nous sommes tous enthousiasmés pour cette maudite balle orange qu’on doit lancer dans un cercle.

Par contre, tout n’est pas perdu. Nombreux sont ceux parmi les plus jeunes adorateurs du panier ballon à s’intéresser de près à l’histoire. Certain(es) cumulent des connaissances incroyables, bien au-delà de celle des personnes de mon temps au même âge. Cette génération s’apprête à prendre le relais et raconter avec toujours autant de passion les plus grands moments du passé, du présent et du futur. Le temple est bien gardé.

Toutefois, si on veut que l’histoire de notre sport soit respectée, il est sans doute nécessaire d’y mettre un brin d’objectivité et parfois de retenue. Afin de ne pas tomber dans la surglorification d’individus qui malgré leurs performances sont de simples êtres humains. Wilt Chamberlain n’est pas un super héros, bien des aspects de sa personnalité son critiquable, et si en 2024 un joueur se comporte comme il a pu le faire quelquefois en son temps, il seraient la cible favorite des observateurs et des fans.

Finalement, la NBA c’est mieux quand on est curieux. L’histoire de ce sport est d’une beauté infinie, au lieu de balayer d’un revers de la main des pans entiers de son histoire, il est plus enrichissant de s’y intéresser. D’un autre côté, si on pense que la NBA est devenue un cirque ou rien ne va, il est peut-être préférable de se remémorer notre candeur d’antan et d’essayer d’en comprendre les nuances sans porter de jugements.

R.E.S.P.E.C.T

Est-ce que ces deux générations de fans peuvent cohabiter sans s’écharper pour des futilités ? Personnellement, c’est un vœu pieux auquel je ne crois plus. Il y aura d’autre polémique du genre de celle de Chamberlain, il y aura d’autres périodes rabaissée ou niée. Nous sommes malheureusement au début de quelque chose. Un phénomène qui ne peut prendre fin que s’y les fans d’hier et d’aujourd’hui parviennent à se tendre un rameau d’olivier.

Or, cela ne semble pas être la tendance et peut-on vraiment attendre un miracle quand l’endroit ou les gens se retrouvent pour parler basket se nomme X (Twitter). Nous allons certainement devoir continuer à vivre avec cela, car le mal est fait. Comme le veut la loi de Brandolini, il faut bien plus de temps pour réfuter une idiotie que pour la créer. Tant que certains auront un toboggan entre leur cerveau et leur langue, sans aucun filtre, nous serons obligés de composer avec ces inepties.

Le passé doit être raconté, expliqué, et même comparé si besoin, et cela du mieux que l’on peut. Sans tomber dans le piège de la glorification systématique. Chaque période de la ligue à ses particularités, ses bons et ses mauvais côtés, que l’on aime on que l’on n’aime pas, l’important c’est qu’elles doivent être respectées. Ainsi, on peut avoir l’espoir de ramener toujours plus de monde dans le camp des admirateurs de l’histoire.

La sphère NBA et le basket regorgent d’historiens qui font un travail formidable. Des inconnus du grand public qui ont publié des livres, montés des sites internet, des blogs, des podcasts, qui pondent des threads ou qui partagent la mémoire de notre sport chaque jour. Ce monde est aussi peuplé de jeunes passionnés, déterminés, rêveurs et pleins de projets avec la NBA actuelle chevillée au cœur. Ce sont deux faces d’une même pièce qui peuvent cohabiter et s’entendre, c’est même un devoir. Quand aux autres, terrés dans leurs vaines certitudes, il est souhaitable que leurs voix ne deviennent avec le temps qu’un simple bruit de fond. Dans ce cas précis, le doute est permis.

Richard DRIE

43 ans - Rédacteur - Contrairement à ce qui se raconte, je n'ai pas côtoyé George Mikan. Mais je m'efforce de raconter du mieux que je peux l'histoire de la NBA. Avec un gros penchant pour les années 60 et 70. Le bon vieux temps des moustaches et des shorts courts.

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