Wilt Chamberlain n’est pas le MVP de la saison 1961/62, malgré 50 points et 25 rebonds de moyenne. De nos jours, dire cette phrase en fait encore bondir certains. Ils ne peuvent pas comprendre pourquoi la saison statistique la plus incroyable de l’histoire du basketball n’est pas récompensée par un trophée de meilleur joueur. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, il ne pouvait pas en être autrement.
La divine Diva
Les deux premières saisons de Wilt Chamberlain avec les Philadelphia Warriors sont monstrueuses. Le géant compile déjà un titre de rookie de l’année, deux sélections All NBA, deux All Star Game, et déjà un trophée MVP avec 38 points et 25 rebonds de moyenne en 151 rencontres. Cependant, tout n’est pas rose pour le jeune Wilton qui, malgré sa domination, a vécu deux années compliquées.
Tout d’abord, sa première saison dans la ligue se termine par une déclaration incroyable puisque le joueur élu la recrue de l’année et le MVP annonce qu’il met un terme à sa carrière. Wilt convoque la presse et explique qu’il prend trop de coups, qu’il ne veut pas répliquer et passer pour le vilain afro-américain qui frappe des blancs. Il glisse aussi au passage que la NBA a plus besoin de lui, que lui a besoin de la NBA et que de toute façon elle n’a pas l’argent pour le convaincre de rester.
Quelques semaines plus tard, cette annonce s’efface avec un joli chèque de la part des Warriors. Cependant, cet épisode a le mérite d’exposer que tout n’est pas simple pour lui dans cette NBA qui manque encore de talent, mais pas de rudesse. Le basketball des années 60 est à des années-lumière du jeu ultra polyvalent pratiqué de nos jours, mais il peut se montrer très rugueux et l’engagement y est permanent.
Lorsqu’il devient un Warriors en 1959, on lui assigne comme entraîneur l’ancienne légende de la franchise, Neil Johnston. En théorie, le choix d’associer un des meilleurs pivots de la dernière décennie avec celui des dix années à venir est un coup de génie. En pratique, les deux hommes ne parviennent pas à s’entendre, Johnston n’a de cesse de vouloir mener son joueur à la baguette, ce qui est le moyen le plus sûr de perdre l’attention de Wilt.
Du coup, Chamberlain se comporte comme une Diva et Eddie Gottlieb, propriétaire des Warriors, n’arrange pas la situation en ordonnant à Neil Johnston de réserver un traitement particulier à sa star. La saison 1960/61 est longue pour celui qui a du mal à comprendre comment satisfaire Wilt, qui de son côté ne fait rien pour arrondir les angles. Lorsque l’envie n’est pas là, il cesse de défendre ou force son jeu sans se préoccuper du résultat du match. Johnston, fortement éprouvé par une deuxième année de discorde, décide de ne pas resigner pour la saison à venir.
Eddie Gottlieb n’a pas de plan de secours, mais il est conscient qu’il a besoin d’un entraîneur capable de gérer Chamberlain. Il recherche un coach en mesure de canaliser la fougue de sa star, tout en l’intégrant dans un collectif afin d’aller chercher une bague de champion. Un homme semble avoir toutes les qualités requises pour mener à bien ce projet, Gottlieb en est persuadé, il a trouvé le meilleur coach pour son meilleur joueur.
Le pacte
Dans les années 50, les entraîneurs sont exclusivement d’anciens joueurs avec des idées bien arrêtées sur la manière dont doit être pratiqué le basketball. Cependant, avec un talent inédit comme celui de Chamberlain, les Warriors ont vu les limites de ces coachs avec la mauvaise expérience Neil Johnston. C’est là que Eddie Gottlieb décide de se tourner vers la NCAA.
Le propriétaire de la franchise de Philadelphie réussit à convaincre Frank McGuire de signer pour lui, ce qui est une surprise à l’époque. En effet, le championnat universitaire est amplement plus populaire que la NBA et McGuire vient de sortir d’une saison parfaite avec North Carolina. Les Tar Heels terminent leur année avec un record de 32 victoires pour aucune défaite et avec le titre NCAA en poche, c’est une campagne légendaire. Voir ainsi McGuire rejoindre la ligue professionnelle est inattendu et cela crée un véritable engouement, la presse et des magazines comme Sport Illustrated vont largement couvrir cet événement.
Le doute n’est pas permis, il est le coach idéal pour Wilt Chamberlain, il le serait d’ailleurs pour n’importe quelle équipe de NBA. C’est bien simple, ce n’est pas qu’un gros coup, l’arrivée de McGuire c’est le début d’une révolution. Le savoir-faire technique et managérial du championnat universitaire s’installe et la NBA s’apprête à vivre de grands changements.
Pour faire venir ce crack, Gottlieb a cassé sa tirelire même si les termes de son contrat de trois ans ne sont pas dévoilés. Toutefois, il ne cache pas qu’il fait de McGuire un des entraîneurs les mieux payés du pays tous sports confondus. De plus, Gottlieb offre un siège de vice-président des Warriors à McGuire, un poste créé pour lui, afin de le convaincre de s’engager avec son équipe.
Désormais en place, McGuire tente d’installer plus de professionnalisme dans l’effectif en ordonnant à ses joueurs de ne pas boire et de ne pas fumer. Une fois dit cela, Paul Arizin se tourne vers son partenaire Tom Gola en lui demandant : « Il veut dire quoi par ne pas boire ? ». Pour McGuire, la ligue est pleine de surprises, la première est de se rendre compte qu’elle n’a de professionnelle que le nom. Finalement, il obtient de ses joueurs qu’ils n’achètent pas de bières dans l’arène devant des enfants susceptibles de les voir et la pause clope se fait dans son dos même s’il n’est pas dupe.
Le fossé qui sépare la NBA de la NCAA est en réalité un trou béant rempli d’anciens militaires qui se comportent la plupart du temps comme des marins en goguette. De l’alcool, des tatouages, des bagarres, aucune organisation, McGuire a pris sur lui en étant parfois très proche de vouloir laisser tomber le projet en cours de route. Mais voilà, au milieu de tout cela, Wilt Chamberlain, le plus fabuleux joueur de toute l’histoire du basketball jusque là.
L’entente entre les deux hommes est parfaite et immédiate, puisqu’ils concluent un pacte dès leur première rencontre lors d’un entraînement. McGuire a une réputation solide et il souhaite la conserver, c’est avec une petite idée derrière la tête qu’il demande à Wilt combien de temps il veut jouer chaque match. La réponse de Wilt est celle qu’il attend.
Coach si tu me fais sortir, je suis assis sur le banc et je te regarde. Je ne prends aucun rebond, je ne marque aucun point. Tu me mets sur le banc trois minutes, il m’en faut cinq pour me remettre dans le jeu. Tu perds huit minutes.
C’est sûrement avec un peu de malice que McGuire lui demande s’il peut jouer chaque match s’en sortir, ce à quoi Wilt répond que c’est sa volonté, le pacte est scellé. Le joueur et le coach sont sur la même longueur d’onde et les bases de ce qui s’apprête à être une saison historique sont posées. Au-delà de cela, Wilt, comme toute l’équipe, adore McGuire qui récolte toute l’attention de son géant quand il a besoin de lui parler. Le Chamberlain agacé et agaçant devient plus réceptif, plus professionnel dans son attitude.
Frank McGuire est un homme bienveillant et droit avec ses joueurs, lorsqu’il doit se rendre à New York pour voir son fils malade, il leur demande de s’entraîner sans lui et de faire comme d’habitude. Ces séances sans coach se passent dans un calme olympien avec le plus grand sérieux, preuve du respect infini de son équipe envers lui. Cependant la méthode McGuire à ses limites et elles sont défini par le talent de Wilt Chamberlain qui est si fort, si immense, si bon, si tout, qu’il en est par nature individualiste. C’est un défaut majeur pour réussir collectivement, mais cette tare est également nourrie par ses coéquipiers.
Ball to the Wall
Un soir de match qui oppose les Warriors aux Lakers, le petit meneur de Los Angeles Rod Hundley s’arrête dans le vestiaire de Philly. Son adversaire Tom Gola y lance inlassablement un ballon contre le mur, encore et encore. Il ne peut s’empêcher de lui demander pourquoi il fait cela. Gola rétorque qu’il répète le système de jeu de l’équipe, donner la gonfle à Wilt et restez planté là. Bien entendu, cette phrase est dite sur le ton de la blague, mais Rod Hundley sait pertinemment que du vrai se cache dans ce bon mot.
J’ai probablement joué 500 matchs avec Wilt et il ne m’a jamais dit « donne-moi le ballon ». Quand vous avez un talent comme ça dans votre équipe, personne n’a besoin de parler, vous savez à qui vous devez donner la balle. » Al Attles
L’effectif de Philadelphie ne manque pas de qualité, mais il ne dispose pas d’une grande profondeur, cela explique également comment Wilt peut se permettre de scorer cinquante points de moyenne. Ils sont seulement six à rester en jeu plus de vingt minutes chaque soir, Paul Arizin, Tom Meschery, Al Attles, Guy Rodgers, Tom Gola et bien sûr Wilt Chamberlain.
C’est même pire que cela puisque aucun d’entre eux ne passe moins de trente minutes sur le terrain, une rotation à six qui laisse de la place pour les performances de Wilt, mais aussi celle de ses partenaires. Avec cet effectif restreint, il est peu surprenant de voir le ballon tomber si souvent dans les mains de Chamberlain. Si Paul Arizin est un des meilleurs ailiers scoreurs de son époque, parfait dans le rôle de lieutenant, le reste de l’équipe ne sont pas des attaquants dans l’âme.
Frank McGuire n’est donc pas coupable du manque de créativité de son escouade, et ses joueurs font de toute manière le même constat que lui. Les Warriors possèdent l’arme ultime, un coup spécial facile à porter et ils ne vont pas se priver pour en user, comme on abuse du bouton coup de poing quand on utilise Honda dans Street Fighter. Personne ne se cache et tous assument de servir le géant à outrance, jusqu’à le pousser à aller au bout de ce qu’il peut faire.
D’ailleurs, c’est Al Attles à la mi-temps du match qui les opposent aux New York Knicks le 2 avril 1962, qui incite ses équipiers à faire en sorte de voir combien de points peut inscrire le Stilt. Alors oui, Wilt est un soliste qui joue avec des œillères, lui donner la balle est souvent synonyme de ne plus la revoir et cela agace grandement certains acteurs de la NBA de l’époque comme Dolph Schayes.
Wilt est l’instrument le plus parfait jamais fabriqué par Dieu pour jouer au basket-ball. Mais Wilt est le roi, et les autres guerriers sont des serfs et des pions. Si le matériel était utilisé correctement, les Warriors devraient battre Boston.
Cela Wilt en parle avec le journaliste Jerome Holtzman de SPORT Magazine dans un article intitulé « No One Roots for Goliath ». Dans ce papier, Holtzman permet à Chamberlain de donner son ressenti sur la façon dont il est perçu en NBA. Il sait très bien que certains fans et observateurs ont la dent dure avec lui, que d’être le géant de la ligue fait autant de lui un Dieu vivant qu’une cible.
Cependant, les témoignages des Warriors ne traduisent aucun ressentiment envers Wilt, bien au contraire. Les défauts de Chamberlain sautent aux yeux de tous, mais il est apprécié par ses coéquipiers et c’est avec plaisir que ces derniers le gavent de ballons. Le climat sain qui règne entre les joueurs de Philadelphie est idéal pour permettre à Chamberlain de réaliser une saison folle.
Néanmoins, Wilt reste un jeune homme impétueux avec une attitude déroutante sur le terrain, il est imparfait, il ne se donne pas à fond en défense, il est égoïste au possible et ne fait pas toujours les bons efforts. Frank McGuire en est conscient, et il résume à merveille la situation de Wilt et des Warriors avec cette déclaration.
Le basketball n’est pas un sport individualiste c’est vrai. Mais notre faiblesse est que Wilt est hors normes, c’est un super héros. Je ne sais pas ou nous serions sans lui, avec un homme normal à sa place.
Wilt est trop dominant pour ne pas être utilisé à outrance, mais agir de la sorte c’est aussi laisser le destin de l’équipe sur les épaules d’un seul homme. Quand les Warriors gagnent, il est merveilleux, quand ils perdent, on lui trouve tous les défauts du monde. Les Warriors terminent la saison avec 49 victoires, Wilt semble avoir tout écrasé sur son passage, mais non sans quelques difficultés. Pour en juger, il est temps de faire le tour des prestations de Chamberlain face à ses adversaires lors de cette saison 1961/62.
Wilt Chamberlain contre les Chicago Packers
Les Chicago Packers sont les petits nouveaux de la NBA, c’est une équipe d’expansion composée essentiellement de seconds couteaux destinés à l’échec et c’est en toute logique qu’ils ferment la marche du classement avec seulement 18 victoires en 80 rencontres. Malgré cela, sous le cercle, avec la présence imposante du rookie Walt Bellamy, les Packers peuvent répondre à la force de Chamberlain.
Le jeune Walt possède des points communs avec Chamberlain, athlétique, grand, costaud, c’est aussi un trou noir en attaque et pas toujours très concerné par la défense. Bellamy noircit les feuilles de matchs, mais son impact ne tient pas la comparaison avec celui de celui de Wilt. Avec 31 points et 19 rebonds de moyenne, il demeure néanmoins un sérieux client.
Les Warriors ne vont jamais chuter face aux joueurs de Chicago et s’imposent dix fois sans jamais subir de défaite. Chamberlain est intraitable, mais on remarque que Bellamy, même s’il est moins efficace, fournit autant voire même plus qu’à l’habitude.
Wilt Chamberlain contre les Detroit Pistons
Les Pistons accrochent une place en playoffs malgré un bilan négatif de 37 victoires pour 43 défaites. Ils peuvent compter sur l’expérience de Gene Shue et sur leur jeune star Bailey Howell. Pour s’occuper du cas Chamberlain, ils s’appuient sur un duo d’intérieurs composé de Bob Ferry et Walter Dukes.
Walter Dukes, autre échassier de la NBA avec ses 2m13 est encore à 31 ans un sérieux client. Cependant, celui qui tire son épingle du jeu se nomme Bob Ferry et bien qu’il ne mesure que 2m03, il semble poser des problèmes au pivot des Warriors.
S’il ne peut rien pour stopper le géant de Philadelphie, il parvient, tout comme Bellamy, à améliorer sa marque habituelle en scorant 19 points de moyenne face à Wilt. C’est toutefois trop peu pour espérer faire trembler les Warriors qui s’imposent sept fois en huit rencontres.
Wilt Chamberlain contre les New York Knicks
Les pensionnaires du légendaire Madison Square Garden n’évoluent pas encore au paradis en ce début des années 60, mais le public new-yorkais se console avec la possibilité de voir un trio de classe défendre leurs couleurs chaque soir. Le trident des Knicks est composé du scoreur Willie Naulls, du dunkeur Johnny Green et du polyvalent arrière Richie Guerin. Ce dernier est la star de l’équipe et grâce à 30 points, 7 rebonds et 7 passes de moyenne, il se hisse en septième position du vote désignant le meilleur joueur de l’année.
Le talon d’Achille de la franchise et son secteur intérieur et cela se ressent dans les résultats, avec seulement 29 victoires, ils se retrouvent derniers de leur conférence. C’est sans pitié que l’ogre Chamberlain dévore la raquette des pauvres Knicks contre qui il affiche sa plus haute moyenne avec 54,5 points en douze rencontres.
Celui qui subit la fureur du colosse de Philly se nomme Phil Jordon, un pivot de presque deux mètres dix à la silhouette filiforme et au jeu typique des années 50. Bien qu’il soit très apprécié des journalistes, la liane des Knicks ne peut rien contre Wilt et sa plus belle action de l’année et sans doute son absence lors du match des 100 points le 2 avril 1962.
C’est le jeune Darall Imhoff qui doit s’y coller ce soir-là, mais il est vite écarté par un trop plein de fautes et c’est la recrue Cleveland Buckner qui entre en scène. La suite est connue, Chamberlain score 100 points dans un match fleuve qui se finit sur le score de 169 à 147 en faveur des Warriors. Notons que Buckner, bien que dépassé par la tornade de Philly, termine avec 33 points, 8 rebonds à 16 sur 26 aux tirs, un record pour cet intérieur qui ne joue que 68 rencontres en carrière.
Ce match est légendaire, mais dans les faits c’est une vraie purge, les deux équipes passant leur temps à commettre des fautes. New York veut freiner Wilt en l’envoyant sur la ligne des lancers quand Philadelphie fait faute pour éviter que les Knicks jouent le chronomètre afin de voir si leur star peut atteindre les 100 points. Le « hack a Wilt » est un échec, Chamberlain qui prétend ne pas avoir fermé l’œil de la nuit réussit un invraisemblable 28/32 sur la ligne, son record en carrière.
Aujourd’hui nombreux sont ceux qui pensent que cette rencontre n’a jamais eu lieu. Mais ce qui rend ce record possible s’explique de la même façon que ce qui permet à Wilt Chamberlain de scorer plus de 50 points par match en moyenne, jusqu’à preuve du contraire.
Wilt Chamberlain contre les Saint-Louis Hawks
La saison 61/62 est un mauvais cru pour Saint-Louis qui est en temps normal une des places fortes de NBA, les nombreuses blessures et autres absences ont affaibli la bande à Bob Pettit. Notamment celle de Clyde Lovellette, qui touché à la jambe manque la moitié de la saison, de quoi ravir Wilt Chamberlain.
En effet, le Stilt a du mal avec Lovelette. Alors bien sûr, le cowboy de Saint-Louis n’est pas capable de garder Wilt en défense, mais il semble que cela est réciproque. Les deux hommes s’échangent volontiers des bourre-pifs, mais ce n’est pas dans la raquette que Lovellette fait souffrir le pivot des Warriors. Grâce à un tir extérieur très, très efficace pour l’époque, Lovellette parvient à mettre Wilt en difficulté.
Frank McGuire à beau hurler à son joueur de « tenir ce gros chat », Wilt n’arrive pas à sortir de la peinture, trop obnubilé par le rebond. Lovellette ne se fait pas prier et il inscrit plus de 20 points par rencontre en seulement 24 minutes de temps de jeu. Malheureusement pour les Hawks, il ne participe qu’à trois affrontements face aux Warriors cette année-là.
C’est l’ancien All Star vétéran Larry Foust qui est chargé de faire oublier son absence et le bougre ne déçoit pas. Bien qu’il ait déjà bien fait péter la trentaine, le besogneux Foust sort une saison honorable et ne faiblit pas dans ses duels face au Stilt. Les Hawks ne remportent que 29 matchs cette saison, dont 3 contre Philadelphie pour 6 défaites. Si Foust est valeureux, Wilt est injouable avec plus de 54 points de moyenne avec sa meilleure efficacité tous adversaires confondus en affichant un très beau 1,46 points par tirs tentés.
Wilt Chamberlain contre les Cincinnati Royals
Les Royals sont la deuxième meilleure équipe de la division West avec un bilan de 43 victoires et 37 défaites. La star de la franchise se nomme Oscar Robertson, qui est un sérieux candidat au titre de MVP. Cependant, bien que second de sa conférence il n’a pas suffisamment gagné pour devenir MVP et cela malgré qu’il aligne 30 points, 10 rebonds et 10 passes de moyenne.
C’est le sous dimensionné, mais costaud Wayne Embry qui doit s’attacher à la tâche ardue de contenir Chamberlain. Une fois de plus, c’est peine perdue, mais une fois de plus, Wilt ne freine pas son adversaire non plus. Vaincre les Royals s’avère plus difficile pour les Warriors, avec un bilan de 5 victoires et 3 défaites, mais heureusement pour eux, la défense calamiteuse de Cincinnati joue en leur faveur.
Oscar Robertson termine troisième du vote de MVP juste derrière Wilt Chamberlain. Comme la star des Warriors, le Big O souffre d’une réputation parfois peu flatteuse et doit régulièrement subir les critiques acerbes des journalistes de sa ville. Il semble bien qu’il soit encore trop tôt pour être considéré comme un MVP crédible, mais cela ne saurait tarder pour le meneur le plus complet de la NBA.
Wilt Chamberlain contre les Syracuse Nationals
Chamberlain est le géant de la NBA pendant quasiment toute sa carrière, je dis bien quasiment, car lors de deux saisons ce titre honorifique revient à Swede Halbrook, le pivot des Nats. Le joueur de Syracuse est le seul à avoir regardé Wilt de haut. Swede affiche des statistiques médiocres, il est en bout de parcours, brille par ses absences et son efficacité aux tirs est proche du néant.
Par contre, il mesure 2m21, il dispose d’un physique solide, capable de courir et quand il montre de l’implication il peut rendre les soirées de Wilt compliquée. Dans la presse, on se régale des affrontements des deux géants et l’on aime bien signaler quand Wilt souffre face à Syracuse. Car oui, Wilt galère contre Halbrook qu’il qualifie lui-même comme un des meilleurs joueurs du monde. Ceci est un clin d’œil généreux de la part du Stilt pour ce joueur atypique qui lui a donné du fil à retordre.
Cependant, il n’y a pas que Halbrook à Syracuse, puisque le pivot titulaire de Syracuse se nomme Johnny « Red » Kerr, un grand gaillard amateur de houblon qui tourne à 16 points et 15 rebonds. Lui aussi performe bien face à Chamberlain avec 19 points de moyenne, et permet à des Nats à l’équilibre (41 victoires), de rivaliser avec les Warriors et d’arracher 6 succès en 12 matchs.
Wilt Chamberlain contre les Los Angeles Lakers
Affronter les Lakers c’est faire face à deux candidats potentiels au titre de MVP, le meneur Jerry West et l’ailier Elgin Baylor. Ce dernier, malgré une saison statistiquement dantesque, ne peut espérer recevoir le trophée, car il passe la moitié de la saison loin des parquets retenus par ses obligations militaires. Il reste le sophomore Jerry West, mais malgré des chiffres conséquents il est en dessous de ceux posés par Wilt Chamberlain ou Oscar Robertson.
Manque de chance pour les Warriors, Elgin Baylor est présent sur huit des neuf rencontres qui opposent Philly à Los Angeles. Ses 38 points et 20 rebonds cumulés aux 30 points et 10 rebonds de Jerry West permettent à la franchise de la cité des anges de résister aux assauts de Chamberlain.
C’est le guerrier maison Jim Krebs, jamais avare de sales coups, qui a pour mission de pourrir Wilt autant qu’il le peut. C’est bien entendu une entreprise vaine, mais qui n’impacte pas des Lakers bien plus armés que l’effectif des Warriors. Finalement, en neuf rencontres, les Lakers s’imposent à six reprises et caracolent en tête de la conférence West avec un total de 54 victoires.
Dans l’ombre de Bill Russell
Bill Russell est bien plus qu’un simple rival pour Wilt Chamberlain, c’est celui avec qui il est constamment comparé. Le titre de MVP est décerné par les joueurs et beaucoup ne sont pas acquis à la cause du soliste de Philly. Wilt peut faire ce qu’il veut, s’il ne réalise pas la même chose que Russell, tout cela ne vaut rien. Noircir les feuilles de matchs ne fait pas de lui un MVP aux yeux de ses pairs.
Du côté des journalistes, c’est la même chose avec un trophée non officiel remis par une presse qui nourrit des attentes en ce qui concerne la star des Warriors. Pour espérer être le meilleur joueur de la ligue, Wilt doit montrer qu’il est autant un gagneur que son homologue de Boston. Les Celtics remportent 60 victoires en 1962, concédant quelques défaites par-ci par-là, sans pour autant présenter des signes de faiblesses contre qui que ce soit.
Les Boston Celtics affichent un bilan de 29 victoires et 10 défaites contre les équipes avec un bilan négatif, les Warriors de Chamberlain font mieux avec 31 victoires pour 8 défaites. Face aux franchises avec un bilan positif, Bill Russell et les siens s’imposent à 31 reprises pour 10 revers, alors que Philadelphie ne gagne que 18 fois pour 23 défaites. Wilt Chamberlain laisse un sentiment de force avec les faibles, mais de faiblesse avec les forts.
Alors bien sûr, on peut nuancer cela en se rappelant que les Warriors possèdent un effectif peu profond et qu’il est difficile pour eux de faire aussi bien que les grosses écuries comme les Celtics ou les Lakers. Mais voilà, Wilt n’est pas jugé qu’en fonction de ses performances, on le juge également au travers de celle de Bill Russell. Le Celtic est un leader et sa défense permet à sa franchise de dominer la NBA, il représente le joueur d’équipe ultime quand Wilt symbolise l’individualisme.
Wilt Chamberlain contre Bill Russell
Wilt Chamberlain dit ceci lors de son entretien avec Jerome Holtzman, les gens se rangent toujours du côté de David (Bill Russell) et jamais de celui de Goliath (lui-même). Pour devenir le roi de NBA et s’attirer les faveurs de la plèbe, Wilt Chamberlain doit écraser Bill Russell.
Malheureusement pour lui, c’est tout l’inverse qui ressort de leurs dix affrontements. Wilt Chamberlain inscrit plus de 50 points à trois reprises contre les Celtics, mais deux fois pendant l’absence pour blessure de Bill Russell. Le reste du temps, il ne se montre pas à son avantage puisque sa moyenne chute à « seulement » 39,7 points et il s’incline huit fois en dix confrontations.
Pour couronner le tout, les Celtics écrasent les Warriors lors du dernier match qui les oppose, avec une victoire de 51 points, 153 à 102. Une rencontre catastrophique ou Wilt ne score que 30 points en 30 tirs. Pour les observateurs, il n’est pas encore un joueur de la trempe du Bostonien, même s’il empile les records. Bill Russell le tient toujours dans le creux de sa main.
La défense gagne des titres
Wilt Chamberlain et Bill Russell se retrouvent lors du premier tour des phases finales, un round disputé ou les Celtics s’en sortent à 1,5 seconde du terme du Game 7 grâce à un tir du clutchissime Sam Jones. Wilt score 33 points de moyenne, loin de son record de saison. Enfin, dans le septième match décisif il est même limité à 22 petits points, à peine plus que les 19 unités de Bill Russell.
Le pivot des Celtics n’empêche pas Wilt d’être efficace, le géant reste adroit, mais il arrête d’être agressif. Lors de la régulière, il tente plus de 39 tirs par rencontre, se chiffre chute à 34 face à Russell et descend à 26 en playoff. Il faut se rendre compte que les deux équipes scorent plus ou moins 110 points dans cette série à seulement 38 % de réussite. Le moindre contre, le moindre rebond, le moindre tir refusé pèse sur la rencontre et c’est là que Bill Russell excelle.
Il maîtrise Wilt et sait comment limiter son impact en l’empêchant de dérouler son jeu, même Chamberlain ne peut que ployer le genou en avouant que Russell n’a pas besoin de tirer pour être fabuleux. C’est le propriétaire des Warriors qui résume le mieux la différence entre les deux joueurs.
Chamberlain est le meilleur joueur de la ligue, Russell est le plus impactant.
C’est dans cet aspect du jeu que Chamberlain doit progresser, bien qu’il surclasse offensivement tous ses adversaires, ces derniers ne semblent pas spécialement gênés par sa présence de l’autre côté du terrain. Ils sont même nombreux à avoir eux des bonnes, voir des très bonnes soirées face à lui.
Une fois encore, si le jeune Wilt veut assoir sa domination sur la ligue, il doit montrer qu’il est capable de marcher sur les plates-bandes de Russell. Les votants pour le titre de MVP sont les joueurs, et tous savent que leurs pivots ont eu un match compliqué contre les Celtics. Certes, ils n’ont pas encaissé 50 points, mais ils ont souffert offensivement et sont partis défaits la plupart du temps.
Affronter Bill Russell en 1962, c’est au mieux scorer autant de points que d’habitude, et au pire voir sa moyenne chuter drastiquement. Des articles de l’époque en font état pour le cas de Chamberlain, mais c’est quasiment la même affaire pour tous les bigmens de NBA. La défense est un secteur clé dans cette ligue du Run & Gun où l’attaque est reine. Dans la presse on présente Bill Russell comme un « basketball psychologist dedicated to defense », une appellation qui résume on ne peut mieux la domination et l’impact du pivot des Celtics sur ses adversaires.
Conclusion
Depuis la retraite de Wilt Chamberlain, 73 joueurs ont eu un match avec plus de 39 tirs tentés, presque autant que le nombre de rencontres jouées par Wilt en 1962. La moyenne de tous ces joueurs réunis est de 49,9 points, un seul d’entre eux atteint la barre des 50 tirs tentés, c’est ce furieux de Kobe Bryant lors de sa dernière apparition en carrière. Chamberlain dépasse cette barre six fois rien qu’en 1962.
Aucun autre joueur dans l’histoire n’a eu l’occasion de pouvoir évoluer dans un climat si propice à réaliser des records. Aucun joueur moderne ne participe à 130 possessions chaque soir, aucun ne peut se permettre de prendre presque 40 tirs en moyenne et aucun ne sera jamais plus encouragé à le faire. Cette saison 1962 est unique dans l’histoire, il est finalement peu surprenant qu’il en résulte la plus grande performance individuelle de tous les temps.
Chamberlain n’est encore qu’un jeune impétueux, égoïste, râleur, caractériel et un poil trop sensible. Le traitement médiatique qu’il reçoit est comparable à celui d’autres stars comme Michael Jordan, Allen Iverson ou Kobe Bryant, les grands croqueurs de leur époque. La seule différence, c’est que pour devenir un gagneur il doit changer complètement son jeu.
Frank McGuire, qui éblouit par le talent de son poulain, n’a pas imaginé un seul instant changer l’état d’esprit de Wilt. C’est son autre coach préféré, Alex Hannum, qui réussit à le faire évoluer vers sa version la plus ultime et « valuable », lors de la saison de 1967 avec les Philadelphia Sixers. Une année légendaire, ou le jeu de Wilt est une sublimation de celui pratiqué par Bill Russell, le côté meneur d’hommes en moins.
L’année 1962 de Wilt Chamberlain est historique, mais c’est celle d’un jeune talent qui manque de maturité et qui ne sait pas encore comment l’exploiter pour gagner des titres. La presse et ses pairs le savent tous et Wilt ne peut pas jouer la carte du mal aimé. Il le sait et le dit lui-même, il a autant d’amis dans la ligue que n’en a Bill Russell.
Cependant, il ne réalise pas encore qu’il doit changer en tant qu’homme et athlète pour atteindre son but. D’autre part, la franchise de Philly s’apprête à déménager vers San Francisco et la délocalisation se fait, à regret, sans Frank McGuire. L’entraîneur ne veut pas quitter l’est du pays pour ne pas s’éloigner de son fils malade. C’est un crève-cœur pour Wilt qui perd aussi son lieutenant Paul Arizin qui souhaite rester à Philly, il se retire de la NBA pour aller en EBL.
Dans la baie, il connaît une première saison compliquée sans même réussir à atteindre les playoffs. Les critiques à son égard ne font que s’amplifier avant qu’il ne rencontre enfin un coach capable de lui enlever ses œillères. Alex Hannum (déjà lui), entraîneur autrefois champion avec les Saint-Louis Hawks en 1958, est celui qui parvient à faire de Wilt Chamberlain un gagneur. Grâce à lui, il devient un finaliste et prouve qu’il peut aller chercher un titre, chose qui lui a cruellement manqué pour être le MVP de la saison 1961/62.