Il est révolu le temps des intérieurs Old School. Ces machines humaines à distribuer des bourres pifs à qui ose s’approcher du panier. Le jeu des années 2020 est exigeant. Certains, comme Rudy Gobert, résistent grâce à une plus value défensive non négligeable. Mais d’autres se voient relégués sur le banc ou pire, exclus de la ligue. Une des conditions pour continuer à exister en NBA quand on est un poste 4 ou 5, c’est savoir shooter derrière la ligne à trois points. Mais est-ce si nouveau ? Le terme Stretch ne date pas d’aujourd’hui. Bien souvent ce sont les ailiers forts qui s’illustrent dans le domaine. Même si on va le voir, quelques pivots peuvent s’immiscer dans cette conversation. Voyons ensemble l’histoire des intérieurs shooteurs.
L’Absente
La BAA, l’ancêtre de la NBA, voit le jour en 1946. C’est 33 ans plus tard qu’elle se pare d’une ligne à 3 points, en 1979. Mais est-ce que pour autant certains intérieurs ne se sont pas aventurés au-delà de leur zone de confort avant cette date ? Dans les années 40, rien ne laisse présager que les costauds de la ligue s’écartent du cercle. S’il y a un candidat, c’est sans doute Joe Fulks. L’ailier fort des Philadelphia Warriors est un glouton jamais rassasié d’orgie offensive. De là à dire qu’il tentait sa chance de loin, rien ne peut le confirmer.
Il faut attendre un petit peu pour voir un joueur avoir cette réputation. La star des Syracuse Nationals, Dolph Schayes, est souvent cité comme le potentiel premier Stretch 4. On sait qu’il prend des shoots au large. On a suffisamment d’images pour le confirmer. Les deux pieds sont collés au sol, on lance le ballon avec ses deux mains, à l’ancienne. Par contre impossible de dire avec quel volume et avec quelle efficacité.
Il en est de même avec l’autre poste 4 vedette des 50/60’s. Le scoreur fou des Saint-Louis Hawks, Bob Pettit. Là aussi, des images de lui marquant des tirs d’une distance, qui rappellent fortement ce qu’on appelle aujourd’hui un « corner three », sont disponibles. Au même titre que Schayes, il est impossible de donner des indications sur le volume de ses tentatives. Par contre, il est amusant de remarquer que le morphotype du poste 4 de cette NBA ressemble beaucoup à celui de 2020.
Environ 2m06, pas très lourd, le temps des raquettes composées de golgoths est encore loin. Le poste 4 est versatile. Il prend plaisir à shooter mi-distance. Voire à plus de 7 mètres. Dans cette ligue qui joue très vite et qui cherche à tout prix le tir libre, shooter de loin est une option à ne pas négliger. Ainsi, Dolph Schayes, Bob Pettit, Jerry Lucas, Billy Cunningham, entre autres, utilisent cette arme sans que jamais on ne sache vraiment dans quelle mesure.
Avant de faire un saut jusqu’en 1979, on s’arrête une seconde sur le cas d’un pivot en avance sur son temps. Il s’agit de Clyde Lovelette. Ce triple champion NBA, qui a porté le maillot des Lakers, des Hawks, des Royals et des Celtics entre 1954 et 1964 avait plus d’un tour dans son sac. Déjà, avec une belle mécanique de tir, et à une main, Lovelette se joue des défenses adverses en armant de loin dès que possible. Plus qu’une lubie, une vraie habitude. Avec 44% de réussite aux tirs en carrière et une tendance à tirer longue distance, il est un des snipers de son temps. Allons maintenant voir de plus près les précurseurs du genre en faisant un bon dans les années 80.
Walk The Line
Nous y sommes, saison 1979/80, la ligne à 3 points fait son apparition. Mais ces débuts sont des plus timides. L’équipe qui score le plus de 3 points sont les San Diego Clippers, avec 177 unités. Ils se placeraient aujourd’hui en 28ème place du classement individuel entre Jamal Murray et Spencer Dinwiddie. Par contre, la lanterne rouge de la discipline sont les Atlanta Hawks, qui inscrivent seulement 13 tirs à 3 points sur l’ensemble de la saison.
Le 3 points n’est tout simplement pas dans l’ADN de la NBA. C’est encore considéré comme une fantaisie. Par exemple, le coach de Boston, Bill Fitch, ne veut pas en entendre parler, alors qu’il possède dans ses rangs Larry Bird. Autre exemple lorsque la ABA voit le jour fin des années 60, une de ses particularités est d’avoir cette fameuse ligne à 3 points. Et certains vont s’en donner à cœur joie.
On tente deux fois plus de tirs derrière l’arc lors de la saison inaugurale de ABA, que lors de la saison 1979/80 en NBA. Mais ce chiffre ne fera que décroître années après années. Bien qu’il soit dans son ADN, le shoot à 3 points devient lui aussi marginal dans la ligue au ballon tricolore. Il n’arrive pas à gagner ses lettres de noblesses pour le moment.
Il faut attendre 14 ans pour que la moyenne NBA dépasse les 10 tirs par rencontre. Dans ce laps de temps, l’intérieur qui cumule le plus de tentatives à 3 points se nomme Charles Barkley. Pas gêné pour critiquer les Big Men actuels et leurs sur-utilisation du tir lointain, Chuck ne s’est pourtant pas privé d’arroser le cercle avec pas loin de deux tentatives chaque soir. Il n’affiche qu’un maigrichon 26% de réussite, mais il est de loin le plus gourmand dans ce domaine chez les Big Men avec 902 shoots tentés.
Il faut dire qu’il ne sont que 27 intérieurs à tenter leurs chances plus d’une fois par rencontre lors de cette période. Certains se découvrent sur le tard une passion pour cette exercice. C’est le cas de Bill Laimbeer ou Jack Sikma. Qui, les années pesant sur leurs grandes carcasses, trouvent dans ce tir un nouveau moyen de faire déjouer leurs adversaires directs.
Cependant, les volumes restent faibles. Rares sont ceux qui arrivent à inscrire plus d’un tir primé sur une saison complète. Un joueur intérieur y parvient. On le considère même comme le Stretch 4 originel, c’est Sam Perkins. Malgré son regard endormi, ce combo 4/5 aux yeux de fumeurs de ganja vise juste. Pourtant il ne s’est que peu illustrer dans ce domaine jusque-là. Lui aussi prend de l’âge, et fait du gras. Il profite alors d’un changement de règle pour exploser son volume de tirs extérieurs.
La NBA décide lors de la saison 1994/95 de rapprocher la ligne à 6,70 mètres. L’ancien ailier fort des Lakers, devenu pivot avec les Sonics, tente désormais la moitié de ses tirs derrière cette nouvelle ligne. Avec 2 belles campagnes à presque 40% de réussite pour 4 tentatives par match. Dans son sillage, d’autres Big Men se laissent emporter par la folie du 3 points.
Sam Perkins, Danny Ferry, LaPhonso Ellis et Charles Barkley (encore lui), sont à plus de 4 tentatives sur au moins une saison. La palme revient à Terry Mills des Detroit Piston. 5,3 tentatives pour 42,2% de réussite. Extraordinaire pour un intérieur des 90’s. Malheureusement pour mon chouchou de l’époque, la fête est finie et la ligne retrouve sa distance d’origine, 7,23 mètres. Ensuite, son volume chute à 2 tentatives par rencontre, mais c’est aussi toute la NBA qui met un frein à ce boom éphémère du 3 points. La quantité de 3 points pris par équipe chute de 17 à 13 unités. Tout est à refaire.
De la saison 1997/98 à la saison 2012/13, le nombre de tirs tentés augmente doucement mais sûrement. Jusqu’à atteindre les 20 unités par équipes. Ils sont désormais pas loin d’une vingtaine d’intérieurs à prendre plus de 4 tirs à 3 points sur une saison complète. Deux joueurs hauts en couleur symbolisent cette nouvelle tendance. Le roi de la faute technique, Rasheed Wallace, et le croqueur Antoine Walker. Ils en prennent 4 par soir lors de 5 saisons dans cette période.
Walker passe même 3 fois la barre des 7 tentatives et en prend jusqu’à 8, mais avec une réussite de 35%, tout juste dans la moyenne historique de NBA. Attention, ces néo snipers ne sont pas des pachydermes des raquettes qui décident soudainement d’apporter un peu de légèreté à leur jeu. Il y a des spécialistes du genre, comme Pat Garrity, Ryan Anderson ou Channing Frye. Un intérieur qui aime fuir de la raquette et de ses combats souvent trop physiques pour lui pour sanctionner de loin avec aisance.
Il y a aussi une palanquée d’ailier hybride, à la fois poste 3 et 4, comme Shawn Marion, Rashard Lewis ou Antawn Jamison. Ce fameux ailier de 2m06, pas forcément lourd, qui aime également s’éloigner de ses bases. D’ailleurs, le record de tirs à 3 points réussit sur une rencontre est un temps codétenu par Kobe Bryant et l’ailer fort Donyell Marshall . Ce dernier réussit un joli 12/19 derrière l’arc en seulement 28 minutes de jeu avec Toronto, en 2005.
Mais le plus fameux de tous est l’allemand Dirk Nowitzki. S’il n’est pas le meilleur, ou le plus prolifique dans le domaine, c’est celui qui a le plus dominé dans ce style à ce jour. Il conduit ses Mavericks en finale NBA par deux fois dans cette période, et remporte un titre magnifique en 2011. Il mesure également 2m13, et montre ainsi à toute une génération que le Seven Footers (2m13) peut lui aussi devenir un tireur d’élite s’il le souhaite.
Fort Four Lointain
Ses 10 dernières années le tir à 3 points n’a cessé de prendre de l’importance. On passe de 20 tentatives par match en 2013 à 34 en 2023. Ce tir si indésirable en 1980 est devenu aujourd’hui l’arme absolue de la ligue. Tout le monde s’y met, même les grands costauds. Un des exemples le plus frappant et qui montre bien le besoin d’intégrer ce tir dans son arsenal pour exister dans la grande ligue, c’est l’évolution de Brook Lopez.
De 2008 à 2016, en 487 matchs, il ne tente sa chance derrière l’arc que 31 fois. Depuis, en 459 rencontres, il a armé son bras de loin 2247 fois. Quasiment 5 de moyenne. Ils sont même plus de 60 intérieurs à avoir ainsi réussi au moins une saison avec 4 tirs à 3 points tentés par soir. Brook Lopez symbolise à lui seul l’évolution du jeu des Big Men de NBA. Passant de joueur strictement basé près du cercle, à joueur qui prend le plus de tirs extérieurs avec 6 saisons consécutives à plus de 4 tentatives.
On l’a déjà vu sur l’article L’Histoire des Géants de NBA, les Big Men jouent désormais sans complexes et sortent du cadre qu’il leur a été longtemps imposé. Plus de retour en arrière possible. Dans l’ère du Spacing, il est indispensable de se munir d’un shoot ne serait-ce que moyen pour conserver une chance de jouer dans cette ligue.
Si le poste de pivot est encore plus ou moins épargné par ce constat, le poste 4 doit en revanche absolument avoir cette aptitude. Même Giannis Antetokounmpo qui peine à dépasser les 30% de réussite, tente presque 3 tirs par match. Si son talent est ailleurs, on ne cesse de parler de cet aspect de son jeu qu’il peine à améliorer malgré une meilleure mécanique.
Je parle beaucoup des grands, mais un terme est également indissociable du changement qui s’opère depuis quelques années en NBA et qui concerne exclusivement le poste 4. Ce terme c’est « Small Ball », on a plus que ce mot à la bouche. En effet, le besoin d’étirer le jeu a favorisé le décalage des ailiers au poste d’ailiers forts.
Ainsi, des joueurs comme Paul George, Kawhi Leonard ou Kevin Durant, deviennent des joueurs intérieurs. En tout cas sur la feuille de match, dans les faits, ils ne changent pas leurs styles de jeux. L’intérêt principal de cette mue et de renforcer toujours plus la possibilité de créer du shoot extérieur. Ce qui peut paraître nouveau. Mais encore une fois, cela ressemble drôlement aux profils des ailiers forts des années 60.
D’ailleurs, en opérant de la sorte, avec un shoot à 3 points omnipotent, la moyenne de points de la ligue explose et dépasse les 110 points en 2018/19. Une moyenne qui ne faiblit pas et qui fleurte avec les 115 points lors de la campagne 2022/2023. Ce qui n’est pas arrivé en NBA depuis la saison 1971/72, au crépuscule de l’ère du Run And Gun (1957-1973).
Ce qui n’était qu’une fantaisie pratiquée par une poignée de joueur est devenu au fil des générations un skill obligatoire. L’intérieur shooteur est aujourd’hui le révélateur du changement de jeu pratiqué par la NBA. Une évolution désormais totalement entrée dans les mœurs, qui condamne l’appellation Stretch 4 à devenir un vestige du passé.