Cade Cunningham

Pourquoi Cade Cunningham ne doit pas être MIP ?

Depuis le début de la saison on assiste à une course au MVP fascinante entre les deux monstres que sont Shai Gilgeous-Alexander et Nikola Jokic. Si les autres trophées font aussi l’objet de nombreux débats dus à une forte concurrence, une récompense semble d’ores et déjà gagnée aux trois-quarts de la saison : celui de MIP. Cade Cunningham est en effet l’immense favori des bookmakers, bien loin devant Tyler Herro ou encore Christian Braun.

Cet article a été écrit par Paul Petit.

Voir le meneur des Pistons remporter ce trophée serait cependant une immense erreur de par la réalité du terrain, le statut de Cade ou encore le message que cela enverrait à toute la ligue. Paradoxalement cela s’inscrirait dans un processus de transformation du trophée de MIP qui favorise de plus en plus les stars, là où historiquement le trophée permettait de mettre en valeur des joueurs moins “flashy”.

Comment être MIP ?

Le trophée de MIP (pour Most Improved Player) récompense le joueur ayant le plus progressé de la ligue. Mais comment évalue-t-on cette progression ? C’est très difficile puisque comme pour tous les trophées NBA il n’y a pas de critères bien établis, il s’agit avant tout d’une interprétation personnelle des votants ce qui peut expliquer des différences entre les joueurs récompensés selon les saisons (comme pour le MVP notamment). Cependant, alors que le trophée fête ses 40 ans cette saison, on peut parvenir à établir quelques critères sur la base des précédents vainqueurs.

Parmi ces critères on retrouve donc :

  • une progression statistique importante, avec un accent fortement mis sur le scoring : excepté Isaac Austin en 96-97 tous les MIP ont marqué au minimum 13 PPG sur leur saison MIP. On observe d’ailleurs une accentuation sévère de ce phénomène dernièrement avec 9 MIP sur les 10 dernières saisons à plus de 20 points par match. La moyenne au scoring d’une saison de MIP est ainsi de 19.5 points depuis la création du trophée.
  • un rôle plus important se traduisant par une augmentation de minutes et l’acquisition d’un nouveau statut : de joueur de banc à titulaire, de titulaire à deuxième option… L’acquisition du statut de All-Star est ainsi de plus en plus mise en avant (on y reviendra).

Ces deux critères sont les plus importants, il existe cependant des critères plus officieux :

  • la quasi-interdiction pour les sophomores d’obtenir ce trophée : ils ne sont que 6 à l’avoir remporté, le dernier étant Monta Ellis en 2006-2007. La progression en deuxième année étant considérée comme “naturelle” à cause du changement que représente l’entrée dans la Grande Ligue.
  • être tout de même jeune : le plus vieux vainqueur avait 30 ans (Darrell Armstrong en 1998-99) et l’âge moyen d’un MIP au moment de recevoir son trophée est de 24 ans.
  • j’ajouterai personnellement que j’ai du mal à ne pas considérer un MIP sans prendre en compte sa carrière. À mon sens le MIP devrait être le trophée le plus difficile à prédire et le vainqueur devrait ainsi être une sorte de surprise comparé aux attentes de début de saison.

J’irai même plus loin, je pense qu’un MIP devrait être une sorte de surprise par rapport aux idées qu’on se fait de ce joueur, en somme : pouvait-on s’attendre à ce que tel joueur atteigne le niveau qu’il a aujourd’hui au moment de sa draft ? Au sortir de sa saison rookie ? etc… Qui aurait pu prédire que Lauri Markkanen deviendrait un joueur à 25 points de moyenne en portant un Jazz qui s’était séparé de Donovan Mitchell et Rudy Gobert ?

La starification du trophée

Cependant on observe un processus autour de ce trophée : la starification, autrement dit on le donne de plus en plus à des joueurs appelés à devenir des stars voire qui le sont carrément devenus pendant leur saison MIP. Et cela s’inscrit dans un contexte d’une NBA qui se repose de plus en plus sur ses stars en les dissociant des autres joueurs de la ligue.

De plus, les salaires de plus en plus inégaux mais également la multiplication des trophées (MVP des finales de conférences, MVP de la NBA Cup) sont amenés à consolider inutilement la legacy de ces stars à une époque où on ne peut passer 3 jours sans parler de top 10 all-time, de comparaisons entre époques et de bagues et finales perdues.

Pour vendre son produit et mettre en avant ce trophée, la NBA va donc favoriser les stars en devenir avec le trophée de MIP, sorte de ROY de celui qui a démarré un peu plus tard que les autres. Les chiffres sont éloquents : de 1986 à 2008 seuls 4 joueurs ont été All-Star l’année de leur MIP, depuis 2008 ils sont 11 dont les 5 derniers vainqueurs. Et c’est sans oublier que Pascal Siakam et Goran Dragic ont été All-Star après leur saison de MIP.

On a donc véritablement un trophée qui ne s’adresse plus qu’à des joueurs avec le potentiel de faire briller la ligue, des joueurs plus sexy qu’un Boris Diaw ou un Scott Skiles. Cela est probablement dû à des joueurs qui ont connu des débuts de carrière dans l’ombre et qui sont finalement devenus des franchise players (Paul George, Jimmy Butler).

L’idée n’est désormais plus de récompenser la meilleure progression mais de trouver la star de demain, la narrative est ainsi au coeur des débats car quelle plus belle histoire que celle de ce jeune Grec qui arrive dans la ligue de manière anonyme sans parler anglais et qui devient l’un des 20 meilleurs joueurs de tous les temps ? Giannis Antetokounmpo est ainsi l’incarnation ultime de l’idée qu’on se fait maintenant du MIP, passant de 7 PPG en saison rookie à double MVP et MVP des Finales. Cette starification s’accroît de plus en plus et a connu un tournant (un point de non-retour ?) il y a 3 ans.

L’erreur Ja Morant qui se répète

En 2022, c’est le meneur des Grizzlies Ja Morant qui est nommé MIP au terme d’une saison impressionnante (27 points, 6 rebonds et 7 passes de moyenne, une 7e place au classement MVP, All-Star et All-NBA 2nd Team). Si la progression était réelle (+8 PPG, de 45% à 49% au tir, Memphis qui passe de 8e à 2e de conférence) de nombreuses critiques ont été faites quant à ce choix, Ja Morant lui-même donnant symboliquement ce trophée à son coéquipier Desmond Bane (qui était sophomore et donc presque inéligible).

Ce n’est pas tant la progression de Ja qui était mise en avant mais plutôt le fait que cette progression était en quelque sorte attendue, peut-être pas aussi grande ni aussi vite mais il s’agit quand même d’un joueur drafté en 2e position en 2019 et qui a remporté le trophée de rookie de l’année en 2020. Son potentiel de star était ainsi très présent, là où le dossier de Dejounte Murray, bien que numériquement moins impressionnant, correspondait plus à l’idée qu’on se faisait d’un MIP (numéro 29 de sa Draft notamment). En plus il avait été All-Star cette année-là, sa nomination n’aurait en rien dénoté par rapport à l’évolution des critères du trophée.

Il y avait aussi l’idée que Ja était passé à une catégorie encore supérieure à celle de MIP : il était un candidat MVP avec un très joli dossier, le récompenser de la meilleure progression semblait ainsi complètement déconnecté de la réalité. Avec Cade Cunningham on risque de reproduire cette erreur : le meneur des Pistons était déjà annoncé comme très fort 2 ans avant sa Draft, Draft dont il a été numéro 1, c’est-à-dire que Detroit voyait en lui un joueur autour duquel construire son équipe. Et c’est ce qu’il est aujourd’hui, mais s’agit-il pour autant d’une grande progression vu que c’est quelque chose qu’on pouvait déjà voir chez Cade avant cette saison ?

Récompenser Cade c’est récompenser la mauvaise progression

Alors petit disclaimer avant de commencer ce paragraphe : je ne déteste pas Cade Cunningham, c’est même un de mes jeunes joueurs préférés, il ne s’agit donc pas ici de décrédibiliser la saison du meneur des Pistons mais bien de rendre à César ce qui est à César.

Déjà petit coup d’œil sur la progression de Cade par rapport à l’année dernière : 22,7 à 25,7 PPG / 4,3 à 6,1 RPG / 7,5 à 9,3 APG, le tout avec des pourcentages similaires et un TS% toujours négatif. Il ne s’agit donc pas d’une saison statistiquement extraordinaire par rapport à l’année dernière, alors oui il a été All-Star mais il en avait déjà le niveau en 2023-24. Mais donc qu’est-ce qui a changé ?

Ce qui a changé c’est la perception qu’on a de ce joueur et qui s’explique par des éléments extérieurs à Cade. Petit retour sur la carrière du joueur :

  • 2021-2022 : 17,5 PPG et 5,6 APG, 3e du ROY, 14e de l’Est.
  • 2022-2023 : 20 PPG et 6 APG pg mais seulement 12 matchs joués, saison dans l’oubli, quelques inquiétudes sur sa capacité à rester en bonne santé, Pistons 15e de l’Est.
  • 023-2024 : 22,7 PPG et 7,5 APG mais des Pistons encore 15e de l’Est dont une série de 28 défaites de suite (record NBA).
  • 2024-2025 : 25,3 PPG et 9,4 APG (3e de la ligue), All-Star, Pistons 6e de l’Est (au moment où j’écris).

On observe donc une progression très linéaire de Cade et force est de constater quelque chose : ce n’est pas sa progression qui est récompensée mais celle des Pistons qui sont passés d’une des pires équipes de la ligue à un candidat très sérieux aux playoffs. Et si Cade est le moteur de cette équipe il n’est pas la raison de cette progression fulgurante car comme on l’a déjà dit il jouait déjà comme ça la saison dernière, seulement l’équipe autour de lui ne mettait pas ses qualités en valeur.

Avec un recrutement intelligent aussi bien sur le banc (JB Bickerstaff, excellent pour développer des jeunes) que sur le terrain avec des joueurs bien plus complémentaires du prince de Detroit (Tim Hardaway JR, Malik Beasley, Tobias Harris) en offrant du spacing et de la variété offensive, l’équipe est désormais construite autour de Cade lui permettant de rayonner. Je ne dis pas qu’il n’a pas progressé mais plutôt qu’il était déjà très fort l’année dernière tandis que tout le monde s’en moquait parce que les Pistons étaient immondes.

Maintenant que ça a changé, les gens se rendent compte d’à quel point il est fort parce qu’ils le regardent jouer et que la NBA le met en avant sur ses réseaux sociaux. Et la NBA essaie de récompenser cette progression de la pire des manières : en mettant en avant la star de l’équipe plutôt que de féliciter le front-office, le coach ou même ces nouveaux joueurs (Malik Beasley est le leader de la ligue en tirs à trois points rentrés mais ça personne n’en parle).

Voir Cade Cunningham remporter ce trophée serait donc un incroyable pied de nez fait aux joueurs plus “modestes” comme Christian Braun, Dyson Daniels ou Norman Powell (malheureusement inéligible à cause des matchs manqués) voire un Tyler Herro qui semblait avoir stagné depuis sa très belle saison 6MOY en 2022 et qui renaît aujourd’hui. Cela montrerait une concentration des trophées entre les mains des stars alors que la variété de ces trophées permet justement de mettre en avant les role players qui n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent.

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