Les Cavaliers des années 90, l’équipe la plus lente de l’histoire

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La NBA a la réputation d’une ligue qui joue vite : du “run and gun” des 60’s au Spacing des années 2020, en passant par le showtime des Lakers, la ligue américaine est synonyme de spectacle. Mais bien sûr, dans ce championnat, il y a toujours des exceptions. Ainsi, en plein milieu des 90’s,  une franchise tire le frein à main et devient l’équipe la plus lente de l’histoire. Il est temps de découvrir les Cleveland Cavaliers, de 1993 à 1997.

Le maître du temps

Lors de la saison 1993/94, un nouveau coach débarque dans l’Ohio pour prendre la suite de Lenny Wilkens à la tête des Cleveland Cavaliers. Ce dernier vient de signer deux grosses campagnes à plus de 50 victoires, mais l’herbe semble plus verte à Atlanta. De plus, il connait très bien la maison Hawks puisque l’essentiel de sa carrière de joueur s’est faite sous ce maillot, lorsque l’équipe se trouvait encore à Saint Louis.

Son remplaçant connaît également bien la franchise des Hawks, puisqu’il a été coach de la franchise de 1983 à 1990. Lorsqu’il arrive à Atlanta, il est dans ses petits souliers, dans une équipe qui pratique historiquement un jeu à bas tempo. Son nom : Mike Fratello. Le petit italien aux allures de second rôle dans des films de mafieux adore le jeu lent. Malgré Dominique Wilkins, la mobylette Spud Webb ou autres artificiers passés sous ses ordres, Fratello s’en moque : avec lui, plus c’est lent, plus c’est bon.

Il faut reconnaître que sa formule n’a pas trop mal fonctionné avec Atlanta, en saison régulière tout du moins. Et à la fin des années 80, un cycle se termine et il se voit congédié de son poste en Géorgie, avant de retrouver un job quelques saisons plus tard à Cleveland. C’est là encore une bonne destination pour lui. Déjà dans les abîmes de la ligue en termes de possessions jouées, il n’a nullement besoin d’imposer sa façon de faire à ses nouveaux joueurs.

Mais les événements qui touchent l’effectif des Cavs poussent Fratello à courber le temps tel Hiro Nakamura, afin de ralentir le rythme de jeu de son équipe, rendant le visionnage des matchs des Cavaliers aussi triste et long qu’un jour sans pain.

La cavalerie décimée

Prendre en charge cette équipe en 1993, c’était arriver à la tête d’une des belles franchises de la conférence Est. Le dernier exercice 1992/1993 s’est terminé sur 54 victoires, et une traditionnelle fessée en Playoffs donnée par Michael et ses Bulls : défaite 4 à 0. Mike Fratello peut cependant compter sur un duo qui arrive à maturité avec le meneur Mark Price et le pivot Brad Daugherty : les deux joueurs ont maintenant 29 ans, et ils évoluent dans un effectif qui se connaît bien. Les voyants sont aux verts à Cleveland. Leur force, c’est Brad Daugherty. Avec 21 points, 11 rebonds et 4 passes de moyenne sur les 3 dernières saisons, il est un All Star incontestable, et ses problèmes de blessures semblent loin derrière lui.

Brad Daugherty, légende des Cavaliers
Brad Daugherty, légende des Cavaliers

Malheureusement, pour ce premier acte aux commandes des Cavs, Fratello ne peut compter sur son Big Men que pour 50 matchs seulement. Ce dernier est amoindri par un dos qui le fait souffrir, cependant l’équipe joue mieux quand il n’est pas là. Il faut dorénavant s’ habituer à cela, car en réalité, il vient de jouer sa dernière saison en NBA… La douleur est trop forte, et son dos ne lui permet plus de poursuivre sa carrière.

Coup dur pour Daugherty et toute la franchise, qui voit son talentueux leader contraint de se retirer des parquets en plein prime. Les clefs du camion sont maintenant entre les mains du petit Mark Price. Cleveland remporte quand même 47 victoires mais se prend sa traditionnelle fessée par Mic…. t’as capté.

Débute alors la saison 1994/95. Les Cavs viennent de perdre Daugherty, mais aussi Larry Nance, qui décide à 34 ans de prendre sa retraite. Le roster est composé de jeunes joueurs, ainsi que de vétérans qui commencent à sérieusement attaquer le témoin d’usure. Nouveau coup dur : au mois de janvie,r Mark Price se blesse au poignet droit. Il manque ainsi deux mois de compétition, revient bien, mais au fil des matchs laisse percevoir des défaillances dans son adresse aux tirs. On le ressent d’autant plus en Playoffs, face aux Knicks cette fois : il réalise un maigre 30% de réussite, avec seulement 23% de tirs primés derrière la ligne à 3 points.

Une lueur se fait cependant un chemin dans ces ténèbres. Son remplaçant, le lutin de seulement 1m78 Terrell Brandon, a l’air prêt à prendre les commandes. Les Cavs se séparent ainsi de Mark Price et l’envoie à Washington, en échange d’un tour de draft. Cruel mais justifié, puisque le meneur fera ensuite 3 franchises en 3 saisons sans jamais retrouver son niveau de jeu. Il prend finalement sa retraite lorsque Orlando décide de le couper en juin 1998, alors qu’il n’a que 33 ans.

Slow Motion

L’ère Daugherty/Price est définitivement révolue, et désormais l’équipe est composée essentiellement de second couteaux. Dan Majerle est signé pour renforcer l’effectif, mais il ne fait plus tomber la foudre comme autrefois à Phoenix. Cependant, ce n’est pas un problème pour Mike Fratello. Avec les blessures de ses stars, il vient de passer deux saisons à bricoler avec des bouts de chandelles, et a montré qu’il peut s’adapter. Il l’a fait la saison précédente en frôlant les 50 victoires malgré les soucis de Price, et grâce à sa formule préférée :

« Jouer lentement sa mère. »

Les Cavs viennent déjà de signer la saison avec le rythme de jeu le plus lent de l’histoire de la ligue, avec une Pace qui s’élève à 84,8 possessions par match seulement. Alors, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? On donne la responsabilité de l’attaque au pourtant très vif Terrell Brandon. Mais la consigne est claire : on roule avec le frein à main tiré à fond.

Terrell Brandon, le lutin avant l'heure
Terrell Brandon, le lutin avant l’heure

Résultat, seulement 82,3 possessions jouées chaque soir par les Cavs. Ce n’est pas que la plus petite Pace enregistré : c’est aussi, et de loin, le plus grand écart entre la Pace d’une équipe et la Pace moyenne de la ligue (Real Pace) de l’histoire. Avec un écart négatif de -9,5 possessions par rapport à cette Pace moyenne, Cleveland vient de battre son propre record (-8,1). Le “Grit and Grind” avant l’heure.

Dans ce contexte, la star de l’équipe Terrell Brandon ne joue que 59 possessions par rencontre, en 34 minutes de jeu ! On a coutume d’aligner les statistiques des joueurs à 75 possessions, pour avoir un aperçu de leur rendement lors d’un hypothétique match à 100 possessions (comme c’est le cas aujourd’hui). Si on joue à cela avec Terrell Brandon pour sa saison 95/96, le résultat est intéressant. Sa ligne statistique brute affiche alors les chiffres suivants : 24.7 points, 8.2 passes, 4.2 rebonds, 2.2 interceptions.
Grâce à cette performance de grande classe, il devient All-Star, et permet à son équipe, pourtant très faible sur le papier, de remporter 42 victoires et de se qualifier pour les phases finales. Comme l’an passé, les Knicks balayent les Cavs au premier tour 3 à 0, mais c’est une saison réussie.

Le seul record que ne bat pas Cleveland cette année, est celui du match le plus lent de l’histoire, avec le moins de possessions par équipe. Cette saison 96 ils sont bien descendus à 71,4 possessions lors d’une victoire face à Atlanta. C’est un poil insuffisant pour faire mieux que les 70,9 possessions jouées l’année passée lors d’un succès face aux Pacers de Reggie Miller. Imaginez-vous : 71 possessions en 48 minutes, c’est presque 45 secondes par possession en moyenne !
Ce record ne tient que peu de temps. Dès 1997, lors d’un match opposant les Utah Jazz et les Dallas Mavericks, la rencontre se termine avec une Pace historique de 69,7. Le score est de 68 à 66 en faveur du duo Stockton/Malone, et c’est encore aujourd’hui le match le plus lent joué en NBA. Un record qui, au vu de l’évolution du jeu, risque de tenir très longtemps.

Saison 1996/97, on prend les mêmes et on recommence. Pace à 82.9, Real Pace à -7.1, 42 victoires, Terrell Brandon toujours aussi chaud, mais pas de Playoffs malheureusement, puisque les Cavs se voient devancés de peu par les Bullets de Chris Webber et Juwan Howard.

L’été meurtrier des Cavaliers

Cependant, l’intersaison de Cleveland sera folle. 80% de l’effectif est remanié, Terrell Brandon a signé à Milwaukee, et les survivants de ce grand remplacement sont simplement Vitaly Potapenko, Bob Sura, Danny Ferry, Carl Thomas et Shawnelle Scott.

Pas moins de 11 nouveaux joueurs font leur arrivé : les rookies Derek Anderson, Brevin Knight, et la future légende de l’Ohio Zydrunas Ilgauskas prennent leurs aises. Wesley Person débarque de Phoenix, et la star Shawn Kemp arrive dans l’Ohio après son divorce compliqué avec les Sonics.

L’équipe a ainsi plus de matière et de profondeur, également bien plus de talents, et il n’est alors plus obligatoire de pratiquer ce jeu atrocement lent pour espérer vaincre ses adversaires. Avec une Pace de 90 possessions par match, l’équipe est ainsi pile poil dans la moyenne de la ligue. Les Cavs remportent 47 victoires, mais se font éliminer au premier round par les Pacers de Reggie Miller.

La saison blanche du sophomore Ilgauskas, et le gros fessier de Shawn Kemp, ont raison de Mike Fratello, qui se voit alors limogé après que son équipe ne se soit pas qualifiée pour les phases finales, lors de cet exercice 98/99 tronquée par un lock-out.

Il faut attendre 6 saisons pour revoir Mike Fratello sur un banc. Il rejoint les Memphis Grizzlies en 2004, et fait passer en un an la franchise de dixième Pace de la ligue à équipe la plus lente de NBA. On ne change pas les bonnes vieilles habitudes…

Il réalise deux belles saisons ,qui se soldent malheureusement encore et toujours par des défaites aux premiers rounds. En 2006, Memphis entame la saison sur 6 victoires pour 24 défaites, et Mike Fratello et sa moumoute ne sont plus le bienvenu. On ne verra plus jamais le minuscule coach amoureux du jeu lent en NBA.

Mike Fratello, le père de la Pace lente à souhait
Mike Fratello, le père de la Pace lente à souhait

Au-delà de sa vision au ralenti du basketball, Mike Fratello a su conserver une équipe compétitive, malgré un manque cruel de talent. Très vite privé de ses stars, il a fait confiance à des jeunes joueurs, et ne s’est pas résigné à perdre match après match dans l’espoir de recevoir des picks de draft, ce qui nous fait remonter à une autre époque. Il est probable qu’on ne revoit plus jamais un coach pousser les limites du tempo à des niveaux aussi bas.

Ainsi, à leur manière, Mike Fratello et ses Cavs ont marqué l’histoire de la NBA.

Richard DRIE

43 ans - Rédacteur - Contrairement à ce qui se raconte, je n'ai pas côtoyé George Mikan. Mais je m'efforce de raconter du mieux que je peux l'histoire de la NBA. Avec un gros penchant pour les années 60 et 70. Le bon vieux temps des moustaches et des shorts courts.

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