Cette série s’ambitionne en excavatrice des décombres des décennies 80 et 90 : l’antichambre de la NBA à la lumière des soutiers et besogneux des temps anciens. Aujourd’hui premier coup de pelle avec la définition même du joueur de devoir, Paul Mokeski.
Paul Mokeski a choisi son numéro 44 en hommage à son idole de jeunesse, Jerry West. Soyons honnêtes : rien dans son jeu ou son apparence ne le rapproche de Mr. Clutch. À défaut d’avoir un doctorat en fade away, Paul Mokeski deviendra docteur ès en posage d’écran. Mais Big Mo était un solide joueur de basket-ball, suffisamment bon pour jouer en NBA pendant toute la décennie 80, disputant quelques 700 matchs en douze saisons, dont neuf campagnes de playoffs.
Né en 1957, Paul Mokeski est issu de la petite classe moyenne californienne (père comptable immigré polonais, mère femme de ménage). Plus grand de son école (adulte, il culminera à 213cm), maigre, timide et un peu gauche, Paul est un adolescent complexé, à la tignasse hirsute, souvent moqué, qui préfère s’isoler du reste de ses camarades. Seul réconfort : le terrain de basket-ball, sa seule passion, lui le fan des Lakers de Chamberlain, Jerry West et Elgin Baylor.
Pas de « AAU Basketball » en ce temps là, il joue alors pour son lycée de Crespi Carmelite. Ses années lycéennes sont loin d’être anodines. Pour sa dernière année, l’équivalent de la terminale en France, Paul côtoie lors du Final Four de son secteur (sud Californie) : David Greenwood, Roy Hamilton, Bill Cartwright, James Hardy, Bill Laimbeer, Brad Holland et Reggie Theus : concentration improbable de futurs joueurs NBA avant même les années universitaires.
Afin de mettre un peu de perspective sur ce point précis : moins de 3% des basketteurs lycéens joueront pour une équipe NCAA, en universitaire. Puis 1% de ces derniers connaîtront la draft NBA. Au global, on estime à 0,03% de chance pour un basketteur lycéen de terminer professionnel.
En 1975, sollicité par bon nombre de fac, et notamment UCLA, il décide de quitter le soleil californien et rejoindre la prestigieuse université de Kansas, ayant vu dans ses rangs plusieurs grands noms comme les Hall of Famers Wilt Chamberlain, Clyde Lovellette ou Jo Jo White. Alors pourquoi n’a t-il pas rejoint la fac locale de UCLA ? Car le mythique entraîneur des Bruins, John Wooden venait tout juste de prendre sa retraite, après 27 années de régence. C’est comme rejoindre Manchester United après la retraite de Sir Alex Ferguson : sympa sur le CV, mais il manque un petit truc à la fin.
Direction le midwest pour Paul Mokeski. Pour l’anecdote, il est à l’époque le premier seven footer (joueur mesurant au moins 213cm) depuis Wilt The Stilt à porter le maillot des Jayhawks. Sous Ted Owens, entraîneur emblématique de Kansas, Paul produit quatre belles années, marquées cependant par deux blessures importantes (ischio-jambier la première année, cheville la seconde), mais qui vont lui ouvrir les portes de la NBA, du moins la porte du fond, celle du garage, sans éclairage: en 1979, il est sélectionné en fin de second tour par les Houston Rockets (draft de Magic, Laimbeer, Donaldson, Moncrief, Eaton, Cartwright, Calvin Natt et Jim Paxson, tous devenus All-Star au moins une fois).
Son année senior en 14 points, 8 rebonds et 2 contres de moyenne, le tout avec un bon shoot et une fiabilité aux lancers-francs, rare pour un joueur de cette taille à l’époque, ont fini de convaincre les recruteurs. L’objectif est désormais simple: réussir le camp d’été pour intégrer l’équipe !
1979-1982 : des débuts discrets mais remarqués
Été 1979, Paul Mokeski débarque à Houston dans une équipe de vétéran, sous les ordres du déjà grisonnant Del Harris et du MVP en titre Moses Malone, d’un an son aîné. La moyenne d’âge est cependant élevée : Rudy Tomjanovich, Billy Paultz, Rick Barry et Calvin Murphy ont minimum la trentaine. Aux côtés de ces joueurs vedettes, Paul Mokeski, pourtant bon shooteur et intérieur solide d’une des toutes meilleurs universités du pays, se rend bien compte qu’il faudra proposer autre chose sur le terrain pour obtenir des minutes.
Car à l’évidence, tout ce que Paul sait faire, d’autres le feront bien mieux que lui. À plus forte raison lorsque le pivot titulaire est Moses Malone. S’adapter pour perdurer. Paul Mokeski n’a qu’un souhait lorsqu’il est drafté : ne pas se faire virer dès le camp d’entraînement.
À défaut d’avoir un doctorat en fade away, Paul Mokeski devient docteur ès en posage d’écran.
Calvin Murphy le surnomme « Truck » tant son jeu sera celui d’un travailleur de l’ombre, dur au mal et besogneux. Son camp d’été réussi, il intègre l’équipe, ce qui de part sa position lointaine lors de la draft, n’était pas garanti. Paul est aux anges, et se fixe comme objectif suprême de rester dix ans la ligue (spoiler alert: objectif validé). Pour son année rookie il ne jouera que quelques minutes, répartie sur douze rencontres, et ne sera pas pris pour disputer les décevants playoffs des Rockets, éliminés 4-0 au second tour par les Celtics (Houston était dans la conférence Est en 79).
Cette année rookie sera cependant bénéfique pour Paul, qui profite du mentorat quotidien de Moses : les deux hommes s’apprécient, et Paul Mokeski est impressionné par la charge de travail et le sérieux de chaque instant de Malone, ce qui sera loué par bon nombre de coéquipiers de Moses, à commencer par Charles Barkley durant les années Sixers. Paul devient le sparring partner quotidien de Malone, et considère son année rookie à devoir défendre sur le triple MVP lors de chaque entraînement comme l’expérience individuelle la plus enrichissante de ses douze saisons NBA.
Deux jours avant le début de la saison 1980-81, Paul Mokeski, qui s’apprête à disputer sa deuxième saison à Houston après avoir passer un camp d’été à batailler (essentiellement face à Steve Hawes pour le poste de pivot remplaçant), est transféré aux Pistons contre un second tour de draft, et Hawes sera aussi coupé puis signé par Atlanta. La loi de la jungle. Paul quitte une équipe de Houston future finaliste NBA, pour l’une de pires équipes de la ligue, Detroit, qui n’a gagné que 16 matchs la saison passée.
Ici, pas de MVP en titres, mais plutôt Kent Benson, Terry Tyler, John Long, et Phil Hubbard. Un effectif faible mais un mal pour un bien en ce qui concerne Paul, qui va devenir le sixième homme de cette équipe qui finira par augmenter légèrement son bilan pour cette saison 1980-81, avec 21 victoires sous les ordres de Scotty Robertson. Cette saison sophomore sera celle où il aura son plus grand nombre de matchs disputés (80, les deux seules rencontres manquées seront pour être auprès de son père, opéré d’un cancer) avec des statistiques de pivot remplaçant tout à fait honnêtes (7 points, 5 rebonds, 2 passes décisives et 1 contre).
Paul Mokeski gagne confiance en lui, et se voit désormais pris au sérieux dans la ligue. En fin d’année, Detroit bénéficie du premier choix pour la draft 1981, et choisi Isiah Thomas, ainsi que Kelly Tripucka en douzième place. Combiné avec le recrutement Vinnie Johnson, les Pistons enclenchent leur révolution. Paul perd des minutes pour ce début de troisième saison NBA. En février 1982, en cours de saison et à quinze minutes de la fin de la trade deadline, Paul Mokeski est échangé contre Bill Laimbeer : direction Cleveland pour Paul, qui venait d’acheter une maison à Detroit avec sa femme, rassuré quelques heures plus tôt par son directeur sportif, « Trader » Jack McCloskey.
Arrivé dans une équipe de Cleveland au fin fond du classement et qui connaîtra quatre entraîneurs différents cette saison 1981-82, Paul Mokeski retrouve du temps de jeu. Conservé par les Cavaliers à l’été 82, il débutera même l’exercice 1982-83 en tant que titulaire le temps d’une vingtaine de matchs, pour être finalement coupé dans l’une des nombreuses folies du propriétaire Ted Stepien (considéré comme l’un des plus mauvais gestionnaires de l’histoire de sport américain). Incompréhension totale pour Big Mo, qui se retrouve sans contrat en plein mois de décembre.
Mais preuve que son profil est recherché, six équipes vont se manifester auprès de son agent pour le signer. Il est même adoubé par Red Auerbach, qui aurait bien aimé le recruter pour parfaire son banc, le qualifiant de « parfait celtic » dans l’esprit. La signature capote, mais le 24 décembre 1982, il signe finalement aux Bucks, quatre jours après avoir été coupé par les Cavaliers, pour ce qui sera une aventure de plus de six ans dans l’une des meilleurs équipe de la conférence Est.
1983-1989 : les belles années Bucks
Milwaukee est une solide équipe, emmenée par Don Nelson, en poste depuis 1976 et ayant la double casquette d’entraîneur et directeur sportif. Bob Lanier, 34 ans, dans son avant dernière saison, arrive quelques semaines plus tard pour remplacer le retraité Dave Cowens au poste de pivot titulaire, supplée par Alton Lister. Le duo de All-Star, Marques Johnson et Sidney Moncrief, mène l’équipe, tandis que le rookie Paul Pressey s’affirme déjà comme l’un des meilleurs défenseurs de la ligue.
Battre Boston, perdre contre Philly. Battre les Sixers, perdre contre les Celtics : le chemin des croix des Bucks durant ces eighties.
La saison régulière se termine avec 51 victoires, suivi d’un explosif 4-0 face aux Celtics de Bird et consorts. La finale de conférence face aux Sixers, futurs champions, est perdue en cinq manches, mais donne de grands espoirs aux Bucks, qui progressent d’année en année. Dans ce contexte, Paul Mokeski est certes moins utilisé lors des playoffs, mais reste dans les plans de coach Nellie. L’ambiance est bonne à Milwaukee. Nelson est un entraîneur proche de son groupe, fume sa cigarette dans les vestiaires, qu’il partage même avec certains vétérans comme Bob Lanier, invite ses joueurs régulièrement au restaurant, tout en étant du genre franc du collier, peu enclin aux simagrées d’entraîneurs plus politiques et polissés. L’exact opposé de Del Harris.
En 1983-84, Milwaukee atteint de nouveau la finale de conférence à l’Est, perdue face aux Celtics, revanchards de l’année précédente, et futurs champions. Paul Mokeski, joueur d’appoint lors de 68 matchs de saison régulière, s’affirme en playoffs, disputant toute la campagne en doublant son temps de jeu, devenant le remplaçant attitré de Lanier. De bon role player d’une équipe en reconstruction (sa saison sophomore aux Pistons), Paul devient un solide role player d’une équipe candidate au titre.
C’est ce qu’il confirmera lors de l’exercice 1984-85, jouant 20 minutes de moyenne lors de 79 matchs d’une saison régulière impeccable des Bucks (59 victoires), troisième meilleur bilan derrière Boston et les Lakers. L’échange avec les Clippers entre Marques Johnson et Terry Cummings est déjà considéré comme une réussite. Mais après avoir facilement éliminés les Bulls du rookie Michael Jordan lors du premier tour des playoffs, Milwaukee chute lourdement face aux Sixers de Moses et Barkley, sweepé en demi-finale de conférence. La vie est dure pour ces Bucks des années 80 sauce Don Nelson, qui ne sont jamais entrés dans l’imaginaire collectif comme une équipe majeur de cette décennie, et qui pourtant n’était pas si loin d’atteindre les finales NBA.
C’est lors de cette saison qu’il termina huitième au defensive rating sur l’ensemble des joueurs de la ligue (statistique avancée permettant de juger l’impact individuel d’un joueur sur l’efficacité offensive de l’adversaire, la formule mathématique est du statisticien Dean Olliver), Milwaukee est tout simplement la meilleur défense de la NBA cette année là, et l’on retrouve deux autres de ses coéquipiers dans le top 10 (Lister et Cummings), le Nellie Ball prend forme et coach Nelson est élu entraîneur de l’année, pour la deuxième fois en trois ans. Paul Mokeski acquiert le surnom de « Speed Bump » (ralentisseur), trouvé par Eddie Doucette, commentateur des Bucks (histoire racontée dans l’excellent livre All Star Names).
La saison 1985-86 est du même acabit : troisième meilleur bilan de la saison, un premier tour facile avec une élimination 3-0 des Nets, puis une demi-finale gagnée en sept manches face aux Sixers, pour finalement perdre face aux … Celtics 4-0 en finale de conférence, qui termineront champions pour l’une des plus belles équipes de l’histoire de la ligue. Paul Mokeski se blesse en cours de saison, ratant près de la moitié de la saison, mais dispute l’intégralité des playoffs dans son rôle habituel. C’est durant ces playoffs 1986, et dans la série victorieuse face à Philadelphie, qu’il devient devient le seul joueur à se faire exclure pour six fautes dans un match de playoffs NBA, au cours d’un seul quart-temps (le quatrième en l’occurrence).
Rebelote en 1986-87 : saison régulière validée, puis élimination des Sixers au premier tour, pour perdre le tour suivant face aux … Celtics, 4-3.
Après douze saisons sur le banc, Don Nelson part aux Warriors, et c’est Del Harris, le tout premier coach de Paul Mokeski, assistant depuis un an à Milwaukee, qui prend le relais en tant qu’entraîneur numéro un pour la saison 1987-88. La transition n’est pas sans difficulté, et les débuts d’Harris sur le banc sont médiocres, malgré les qualifications en playoffs acquises. Big Mo reste dans ses plans, du moins durant deux ans.
1989-1991 : la fin de carrière de Paul Mokeski
Désireux de renouveler un effectif vieillissant, Del Harris ayant comme Nellie avant lui la double casquette d’entraîneur / directeur sportif, décide de rajeunir son effectif et ne resigne pas Paul Mokeski, âgé de 33 ans, qui rebondit à Cleveland en septembre 1989. La franchise a radicalement changée depuis son passage au début des années 80, et désormais les Cavaliers version Lenny Wilkens, avec Mark Price, Brad Daugherty, Larry Nance, Craig Ehlo ou Hot Rod Williams ont fière allure à l’Est.
Mais cette saison sera marquée par le début des pépins physiques du pivot Brad Daugherty, l’un des intérieurs les plus prometteurs de la ligue, qui sort de deux saisons All-Star : il rate la moitié de la saison. Combiné au départ inattendu de Ron Harper aux Clippers, après sept matchs de championnat, en échange d’un décevant Reggie Williams, Cleveland ne confirmera pas son excellente saison précédente, et Paul Mokeski, blessé une bonne partie de l’année, ne jouera que 38 rencontres.
Pour sa dernière pige dans l’élite, Paul Mokeski rejoint en cours de saison, à 34 ans, son ancien coach des Bucks, Don Nelson et ses prometteurs Golden State Warriors, emmenés par l’éphémère mais incandescent trio Run TMC (Richmond / Hardaway / Mullin), composés également de Rod Higgins, Tyrone Hill, Šarūnas Marčiulionis ou encore Mario Elie.
Paul Mokeski fait le boulot malgré un genou montrant des signes de fatigue, et joue toute la seconde partie de la saison, en sortie de banc pour des poignées de minutes. Après avoir éliminés à la surprise générale les Spurs au premier tour des playoffs (San Antonio deuxième de régulière, Golden State septième), les Warriors tomberont à la loyale en cing manches (malgré un Tim Hardaway intenable), en demi-finale de conférence face aux Lakers de Magic, futurs finalistes.
À 35 ans, à la recherche d’un camp d’été qui ne se présentera pas, il signe …. en France, pour un fiasco de deux mois à Sceaux, club des Hauts-de-Seine évoluant en Pro B (où joue alors un certain Moustapha Sonko, 19 ans à l’époque), le temps de quatre rencontres. De retour au pays, Paul Mokeski souhaite entamer sa reconversion dans le coaching. Il devient joueur / entraîneur-assistant du Quad City Thunder, une équipe de CBA (ligue mineure disparue en 2009, ayant vu passée John Starks, Anthony Mason ou Bruce Bowen, et où George Karl et Phil Jackson ont été entraîneurs plusieurs années).
Depuis sa retraite officielle, en 1995, Paul Mokeski a réussi sa reconversion dans le coaching, en étant assistant des Mavericks (retrouvant Don Nelson et Del Harris dans le staff) puis des Charlotte Bobcats, et passera l’essentiel de son expérience d’entraîneur dans des franchises de D-League (devenue G-League depuis 2018), la ligue de développement affilée à la NBA.
Il aura également une petite expérience dans deux staffs d’équipes nationales : la Jamaïque de Roy Hibbert, avec Sam Vincent en sélectionneur (l’ancien shooteur du Magic ou des Bulls), ainsi que l’équipe de Grande-Bretagne lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, sous les ordres de Chris Finch, avec Luol Deng en joueur vedette.
Paul Mokeski est probablement la définition ultime du joueur d’appoint. En douze saisons NBA, il connaîtra 9 campagnes de playoffs, comptabilisant 763 matchs disputés. Remplaçant de quatre pivots Hall of Famers (Moses Malone, Bob Lanier, Dave Cowens, Jack Sikma), sa ligne de statistiques en carrière ne fait pas sauter au plafond (4 points, 3,4 rebonds pour 14 minutes de moyenne). Mais à l’instar d’un Bill Wennington ou d’un Scot Pollard, Big Mo rejoint un cercle assez fermé de pivot besogneux, dur au mal, alliant professionnalisme, humilité, longévité, et qu’on hésite pas à mettre sur le parquet lors de matchs importants en playoffs.
Merci à l’artiste Adrien PMMP pour la réalisation du visuel en tête d’article !