Si certains joueurs s’écroulent au moment des playoffs, d’autres se révèlent. Retour sur ces joueurs qui ont crevé l’écran au moment où cela comptait le plus.
Chaque saison, les projecteurs des playoffs transforment certains joueurs. Non pas ceux dont on attend monts et merveilles, mais ceux qu’on avait appris à ignorer. Ils ont connu une saison régulière sans éclat, parfois même quelconque, et puis, entre avril et juin, tout change. Leur niveau grimpe et leur rôle évolue. Ce ne sont pas forcément des carrières qui basculent, mais des images qu’on se fait de certains joueurs qui se redessinent quand vient l’heure des playoffs.
Le phénomène intrigue. Pourquoi certains joueurs, pas à leur meilleur niveau statistiquement pendant six mois, se transforment-ils en atouts cruciaux dès que les enjeux s’élèvent ? Est-ce le fruit d’un contexte plus favorable ? D’un rôle mieux défini ? D’un mental plus affûté ? Ou, plus simplement, l’illustration que le basket est une affaire de situations et non de constance pure ? En fait, c’est un peu de tout ça, et voilà certains des joueurs qui en sont le plus bel exemple.
PJ Brown (Miami, Playoffs 1997) : le role player en extension
En 1997, PJ Brown n’a pas le profil d’une star NBA. Pourtant, lors de la demi-finale de conférence Est opposant le Miami Heat aux New York Knicks, il devient un élément central du succès de son équipe. Joueur au style rugueux et défensif, Brown incarne cette force tranquille dont une équipe a besoin pour faire basculer une série.
Physiquement, Brown est un défenseur robuste, capable de tenir la raquette en compagnie d’Alonzo Mourning. Il excelle dans l’anticipation des lignes de passes et des pénétrations, ce qui lui permet de multiplier les contres (1,9 de moyenne dans la série) et de freiner les assauts adverses. Sa présence oblige les Knicks à repenser leurs systèmes offensifs, limitant leur efficacité près du cercle.
Mais Brown ne se limite pas à défendre. Sur le plan offensif, il exploite à bon escient ses qualités dans le jeu de pick-and-pop avec Tim Hardaway. Son tir à mi-distance, précis et calme, fait de lui un relais fiable qui étire la défense adverse. Au total, il compile 11,6 points et 7,3 rebonds par match à 52 % au tir sur cette série serrée.
Un des moments-clés survient lors du Game 5, quand une altercation entre Brown et Charlie Ward dégénère en bagarre générale. Cet épisode provoque la suspension de plusieurs joueurs des Knicks, un tournant majeur qui déséquilibre l’adversaire et ouvre la voie à la victoire de Miami en sept matchs. Si Mourning et Hardaway attirent l’attention par leurs exploits offensifs, Brown symbolise la cohésion et l’agressivité défensive indispensables en playoffs.
Larry Johnson (New York, Playoffs 1999) : l’impact d’un vétéran
En 1999, Larry Johnson n’est plus la machine à scorer qu’il fut à Charlotte. Aux Knicks, il évolue dans un registre plus sobre. Sa saison régulière 1998-99 (12 points par match à 45 %) suggère un joueur en déclin. Pourtant, dans la course improbable des Knicks jusqu’aux Finales NBA, Johnson se redéfinit.
Contre Indiana en finale de conférence, il devient un facilitateur offensif clé. Il joue en post-up pour créer du décalage, lit parfaitement les prises à deux et ressort pour les shooteurs. Il est également l’un des seuls Knicks à pouvoir générer du jeu demi-terrain quand les possessions s’enlisent. Son fameux « 4-point play » dans le Game 3 reste une image culte. Mais ce moment héroïque repose sur une performance d’ensemble solides: 17,7 points à 53 % au tir sur la série, en assumant des responsabilités plus importantes.
Toutefois, c’est dans les détails que son impact se lit vraiment. En défense, il peut switcher, contenir les intérieurs mobiles et participer à l’effort collectif sans être ciblé. En attaque, il fluidifie les séquences : écran porteur, bonne position d’espacement, passes secondaires. Sa polyvalence donne à Jeff Van Gundy la possibilité de jouer petit ou grand, selon les contextes.
Les Knicks deviennent la première équipe classée 8e à l’Est à rejoindre les Finales NBA, en partie grâce à des joueurs comme Johnson, capables de s’élever dans les moments critiques. Il ne brille plus comme autrefois, mais il éclaire chaque possession par sa compréhension du jeu.
J’ai appris à adapter mon jeu en vieillissant. En séries éliminatoires, il s’agit d’être intelligent et de faire ce dont l’équipe a besoin, pas seulement de marquer des points.«
— Larry Johnson, interview avec NBA TV, 1999

Robert Horry (San Antonio, Playoffs 2005) : l’art du moment juste
Robert Horry incarne l’archétype du role player à haute valeur contextuelle. À 34 ans, il ne joue que 6 saisons régulières à plus de 10 points dans sa carrière. En 2005, avec San Antonio, il n’en marque que 5,6 de moyenne. Mais Horry n’existe pas dans les chiffres bruts. Il est un joueur calibré pour les moments à forte intensité.
En Finales NBA contre Detroit, les Spurs sont englués dans une série défensive, physique, où chaque possession compte. Dans ce contexte, Horry devient indispensable. Sa capacité à punir les aides, à espacer le jeu en tant que faux intérieur et à lire les séquences défensives adverses redéfinit l’architecture offensive de San Antonio.
Son Game 5, au Palace d’Auburn Hills, reste mythique. Il inscrit 21 points, dont 15 dans le quatrième quart-temps et la prolongation, avec un trois points décisif en sortie de remise en jeu. Au-delà du shoot, c’est son positionnement, toujours en périphérie, prêt à déclencher , qui structure l’attaque des Texans.
Mais Horry ne se limite pas à l’attaque. Défensivement, il est le régulateur de son équipe sur tous les playoffs. Il joue souvent au poste 5 dans un small-ball. Sa lecture de ligne de passe, sa capacité à montrer et repartir, ses aides verticales en deuxième rideau permettent à Gregg Popovich d’élargir la gamme défensive de son groupe. Son influence, largement invisible à l’œil nu, se mesure à la confiance que lui accorde l’équipe dans les moments de bascule.
Robert Horry est l’athlète ultime en séries éliminatoires, il sait comment frapper de gros coups et est toujours présent quand cela compte le plus.«
— Gregg Popovich, dans une interview datant de 2007
Reggie Jackson (Oklahoma City, Playoffs 2013) : le déclic en silence
Avant les playoffs 2013, Reggie Jackson est un meneur remplaçant tout à fait classique : 15 minutes, 3,1 points, et un rôle limité dans la rotation du Thunder. Mais la blessure de Russell Westbrook lors du Game 2 du premier tout face ux Houston Rockets bouleverse l’équilibre de l’équipe. À partir du Game 3, Jackson est propulsé dans le cinq majeur, et avec lui, l’attaque d’Oklahoma City se redéfinit.
Ce changement ne remplace pas simplement Westbrook poste pour poste : il offre un autre rythme, une autre manière de piloter l’équipe. Plus prudent mais aussi plus tranchant sur demi-terrain, il s’impose également dans le jeu de transition, où sa vitesse de première passe lui permet d’attaquer les déséquilibres rapidement. Son usage en pick-and-roll avec Serge Ibaka devient un des rares schémas stables de l’attaque orpheline de son meneur All-Star, malgré la présence de Kevin Durant.
Contre les Rockets puis face à Memphis, Jackson joue 33 minutes de moyenne, tourne à 13,9 points, 4,9 rebonds et 3,6 passes. Son Game 4 contre les Grizzlies (27 points, 8/18 au tir, 9/10 aux lancers-francs) reste une démonstration de lucidité sous pression : des floaters sur la ligne, des tirs à mi-distance en sortie de dribble, des pénétrations tranchantes. Sa performance dépasse le cadre statistique : elle traduit un changement de perception dans le vestiaire, sur le banc et dans la ligue.

Fred VanVleet (Toronto, Playoffs 2019) : de l’ombre à la lumière
La trajectoire de Fred VanVleet en 2019 est une question de déclic. Jusqu’au Game 3 de la finale de conférence contre Milwaukee, il est à la peine : 20 % au tir, 3,3 points de moyenne. Mais un événement personnel, la naissance de son fils, précède un changement brutal. Le mental s’aligne, et le tir revient.
Sur les trois derniers matchs contre les Bucks, VanVleet plante 14 tirs à trois points sur 17 tentés. Sa capacité à s’ancrer dans les angles morts, à profiter des aides sur Kawhi Leonard et à déclencher en rythme devient essentielle. Nick Nurse ajuste son système : plus de minutes avec Lowry, plus d’opportunités sur drive and kick, mais aussi plus de responsabilités défensives.
En Finales, FVV défend sur Stephen Curry sur de nombreuses séquences. Il se bat sur les écrans, oriente les drives, reste en activité constante. Son Game 6, décisif, résume tout : 22 points, dont 12 dans le dernier quart, avec des tirs clutch. Il finit les playoffs à 11,6 points avec 39 % longue distance, mais son influence dépasse les chiffres. Le meneur de Toronto devient le symbole de la montée en gamme d’un role player, ajusté au contexte, prêt à absorber les responsabilités quand le moment l’exige.
La robustesse et la précision des tirs de Fred VanVleet ont fait de lui un cauchemar pour les défenseurs lors des Playoffs de 2019. Son mental l’a élevé au-dessus de ses pairs.«
— Zach Lowe, journaliste pour The Ringer
Jamal Murray (Denver, Playoffs 2020) : la « Bulle » comme révélateur
La saison 2019-2020 de Jamal Murray est bonne, sans plus pour une option : 18,5 points, 4,8 passes. Cependant, à Orlando, dans la bulle sanitaire liée au COVID-19, il explose. Le contexte joue. Moins de déplacements, plus de repos, un terrain neutre. Mike Malone lui confie le jeu, Jokic devient son partenaire axial, et le duo crée un des jeux à deux les plus performants de la ligue.
La série face au Jazz devient légendaire : Murray tourne à 31,6 points, à 55 % au tir, et 53 % de loin. Il plante deux matchs à 50 points (dont un pour aller chercher un Game 7), et un à 42. Tout simplement injouable. Il attaque Gobert sur les changements, enchaîne les tirs après dribble depuis la ligne à trois points, et lit parfaitement les aides défensives. Il incarne l’option principale dans le money-time, prend les décisions les plus lourdes, et les assume avec une précision chirurgicale.
Contre les Clippers, il cible les défenseurs faibles comme Lou Williams et Montrezl Harrell, les attaque en pick-and-roll, et accélère le tempo. Son Game 7 à 40 points scelle l’élimination de L.A. Il termine la campagne à 26,5 points, avec des pourcentages exceptionnels : 50,5 % au tir, 45,3 % à trois points, 90,5 % aux lancers. Surtout, il change la perception de son plafond. Murray n’est plus un scoreur prometteur : il est désormais reconnu comme un joueur important pour finir les rencontres et un créateur majeur dans les matchs qui comptent.

Al Horford (Boston, Playoffs 2024) : l’intelligence au service du moment
Certains joueurs explosent par le scoring, d’autres s’imposent par la lecture. À 38 ans, Al Horford appartient à cette seconde catégorie. Dans une équipe de Boston pleine de talents, il pourrait passer pour un simple rôle player. Mais en 2024, ses playoffs racontent une autre histoire.
Blessure de Porzingis oblige, Horford retrouve un rôle de titulaire. Et face à Cleveland, au deuxième tour, il fait basculer le Game 5. Dans un match qui sent le piège, il inscrit 22 points à 6/13 à trois points, prend 15 rebonds, contre deux tirs et ferme la raquette dans le money time. Une prestation totale, dans un moment décisif.
Ce soir-là, il ne se contente pas de mettre dedans. Il oriente la défense, gère les switchs, guide ses jeunes coéquipiers et punit les choix adverses. Cleveland choisit de flotter sur lui ? Il sanctionne. Il drive un closeout ? Il ressort le ballon avec précision. Son apport est autant mental que technique.
Sur l’ensemble des séries, son impact dépasse les chiffres. Il permet à Boston de garder une identité défensive solide malgré l’absence de Porzingis, tout en continuant à espacer le jeu. Il ne force rien, mais pèse partout. Comme Horry avant lui, Horford incarne ces joueurs que les playoffs révèlent non pas en les changeant, mais en les révélant pleinement.
Ces joueurs ont changé de statut en l’espace de deux mois. Ils ont profité d’un ajustement, d’une blessure, ou d’un contexte unique pour s’exprimer. Ce ne sont pas forcément des stars durables. Mais dans le décor exigeant des playoffs, ils ont brillé. Et ont montré que dans la NBA, l’histoire s’écrit souvent quand les certitudes tombent.