Randoald Dessarzin, coach des Pully-Lausanne Foxes, pense que la situation en Suisse est urgente. Crédit : Claude Mbuta
Randoald Dessarzin, coach des Pully-Lausanne Foxes, pense que la situation en Suisse est urgente. Crédit : Claude Mbuta

Randoald Dessarzin : “La situation en Suisse est urgente”

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Randoald Dessarzin, actuel coach des Pully-Lausanne Foxes et visage emblématique du basket suisse, s’est confié à nous. Dans cet entretien, il revient sur l’évolution du basket en Suisse et sur les besoins de professionnalisation pour, enfin, développer ce sport en Suisse. 

Comment expliquer les nombreuses modifications de l’effectif d’une saison à l’autre ?

Cette saison, il y a eu 11 départs et 7 arrivées, la saison à venir on risque de perdre Jamal George, Dequan Morris et Bryan Colon. Actuellement, ce sont 3 de nos cadres avec Jamal et Bryan pour les guards et Dequan pour les ailiers. Cette instabilité de l’effectif est due à plusieurs choses. Premièrement, le manque de sponsors est un vrai problème pour le basket suisse. Ces derniers ne doivent pas “se battre” pour avoir la chance de devenir nos sponsors. Au Lausanne Hockey Club, le moindre mécène aligne peut-être 100’000 francs pour être considéré, ici avec 10’000 francs c’est déjà énorme. 

La Mobilière, qui a au moins le mérite de faire quelque chose, n’a pas besoin d’entrer dans une guerre d’enchères avec d’autres grosses entreprises qui veulent investir. En résulte de petits investissements qui, comparés à d’autres sports, sont minimes et ne nous permettent pas de progresser comme on le voudrait. Ce manque de concurrence nous empêche de voir les choses sur le long terme car d’une saison à l’autre, les finances varient énormément. La situation est la même pour tous les clubs suisses, ça ne vaut pas que pour nous. 

Randoald Dessarzin en pleine explication avec Jamal George. Crédit : Claude Mbuta
Randoald Dessarzin en pleine explication avec Jamal George. Crédit : Claude Mbuta

 

 

 

 

 

Chaque mois, on essaie de s’en sortir, de trouver un moyen de décrocher des ressources pour développer le basket ici. Pour les clubs c’est très compliqué et parfois, ils sont obligés de se rendre à l’évidence et accepter une relégation comme ça a été le cas de Vevey Riviera Basket cette saison ou Boncourt et Swiss Central la saison dernière. Nous avons besoin de plus de fonds et plus de soutien. Mais en attendant, il faut faire preuve de patience. 

On doit accepter que l’équipe soit différente d’une année à l’autre et travailler avec les ressources dont on dispose. Mais c’est vrai que c’est difficile d’avoir une vision sur le long terme et ainsi proposer un projet longue durée à nos joueurs et même nos supporters. La quête de sponsors est primordiale et il faut y remédier, on est trop souvent relégué au second plan. La situation est urgente pour le basket suisse.

Mais ce manque d’attrait de la part des sponsors découle d’autre chose, le manque de médiatisation. Les médias ne font presque rien pour nous mettre en avant et inciter les gens à nous suivre. Je me rappelle lorsque j’entraînais Boncourt, j’ai dû me battre avec le Quotidien Jurassien (journal régional du canton du Jura) pour qu’on passe en priorité sur la deuxième ligue de foot (équivalent de la sixième division suisse) alors qu’on jouait la coupe d’Europe. 

C’est une aberration de devoir en arriver-là, d’autant que le basket est un sport extrêmement spectaculaire et il pourrait intéresser des gens si seulement il était mis un peu plus en avant. Lorsqu’un article paraît dans la presse locale, je le vois, il y a facilement une centaine de spectateurs en plus. C’est à la presse locale de rappeler aux gens qu’on existe, car d’un match à domicile à l’autre, il peut se passer presque un mois. C’est facile de tomber dans l’oubli si les gens ne sont pas informés par les médias classiques. 

lLa télévision a un grand rôle à jouer à l’avenir. Cependant, elle a aussi sa part de responsabilité dans ce manque de visibilité actuel. Aujourd’hui, les sports majeurs que sont le football ou le hockey sur glace sont diffusés sur un tas de chaînes payantes. Je ne comprends pas pourquoi les chaînes en clair ne diffusent pas des sports comme le basket ou le volley à la place de payer une fortune en droit TV pour passer un match de foot ou de hockey que les gens pourront, de toute façon, voir ailleurs. 

Les médias doivent prendre conscience du potentiel du basket suisse et nous aider à le développer. Sans eux, ce sera beaucoup plus difficile de se développer et d’attirer les sponsors et, avant tout, les fans. Je me rappelle de ce que je faisais lorsque j’étais à Boncourt. Les week-end, je faisais mes courses au marché et les gens venaient me parler du club, le mot se passait via le bouche à oreille et actuellement, ça reste le meilleur moyen de diffusion. 

En 30 ans, qu’est-ce qui a changé dans le basket suisse ?

Je pense que beaucoup de choses ont changé et pas forcément dans le bon sens. Le basket suisse ne s’était jamais aussi bien porté que lorsque l’on alignait 2 voire 3 équipes en coupe d’Europe. C’est une sacrée chance de gagner en visibilité et d’inciter les gens et, par conséquent, les sponsors à s’y intéresser. Je pense qu’on est assez timoré à ce niveau-là. Je vais prendre l’exemple de Genève qui, il y a quelques années, aurait dû tenter le pari coupe d’Europe. Il ne faut pas avoir peur de saisir une telle opportunité. J’en veux un peu à Imad Fattal (ancien président des Lions de Genève) de ne pas avoir tenté le coup. 

De part ce manque de visibilité, les sponsors se sont peu à peu désintéressés de nous. En plus de cela, l’essor du hockey glace complique encore plus les choses, on l’a vu avec Boncourt qui a énormément souffert de l’ascension du HC Ajoie dans l’élite du hockey sur glace suisse.  Ces problèmes font que pour nous c’est difficile de construire des projets sur le long terme et ainsi améliorer la formation de jeunes joueurs. On ne leur promet pas de garanties et ça les pousse à s’expatrier, ce qui est totalement compréhensible. 

Mais si nos meilleurs jeunes s’expatrient, cela impacte le niveau de jeu du championnat suisse. Pour prendre un exemple, il m’arrive, lorsque je reviens dans le Jura, de regarder de vieilles VHS de l’époque où j’étais coach à Boncourt avec mes fils. Ils me disent en regardant la façon dont on joue et le niveau de nos joueurs de l’époque : “Mais vous rouleriez sur le championnat actuel avec cette équipe là.” Sans prétention, la réponse est oui, on avait des joueurs qui ont fait de belles carrières en Europe.

Il y a 20 ans, le Graal pour le BC Boncourt
Randoald Dessarzin après le sacre du BC Boncourt au terme de la saison 2002-03. Crédit : Roger Meier (Archives)

Je pense à Antoine Mendy, Zeb Cope ou encore Alijevas Rolandas. Les trois ont eu de belles carrières que ce soit en France, en Lituanie ou ailleurs en Europe. Avec de tels joueurs c’était facile de performer, maintenant c’est plus compliqué d’attirer des joueurs de ce calibre car l’écart de salaire entre la Suisse et le reste de l’Europe est beaucoup plus conséquent. C’est difficile d’attirer un joueur en lui proposant 1500 francs alors qu’ailleurs en Europe, les salaires sont meilleurs à niveau équivalent et que les collectivités font plus pour les joueurs. En France par exemple, il y a des accords pour que les joueurs puissent, après leur carrière, bénéficier d’un poste dans une collectivité. 

Même si le président de la fédération a de bonnes idées, je pense que tout cela manque un peu d’ambition. J’aurais aimé qu’il puisse collaborer avec Thabo Sefolosha qui avait pleins d’idées pour développer le basket en Suisse. J’attends de voir les résultats des mesures qui seront prises ou qui ont déjà été prises mais je maintiens que ça manque d’ambition voire même de logique par moment. 

L’année prochaine, la Coupe du Monde U19 de la FIBA a lieu à Lausanne. Pour l’occasion la FIBA va installer un parquet à la Vaudoise Aréna. Je ne comprends pas que la commune de Lausanne et Swiss Basket n’aient pas proposé de garder ce parquet pour que nous puissions y disputer nos matchs par la suite. C’était une véritable occasion pour nous et rien a été fait, c’est très frustrant car ça semblait être une démarche logique. 

Finalement, le temps a passé mais les choses n’ont pas évolué dans le bon sens. Je n’arrive pas à comprendre la direction que prend le basket suisse et cela se ressent sur un tas de domaines. Je vais prendre deux exemples pour mieux illustrer tout ça. 

Le premier est plus d’ordre structurel que sportif. On manque de bénévoles et ça se ressent à tous les niveaux. Je vais, une nouvelle fois, faire une comparaison avec le hockey. Mon cadet y joue et à chaque déplacement, à l’arrivée dans la patinoire, il y a un énorme dossier où il est écrit : “Vous voulez devenir bénévole et aider le club ? Voici comment faire !”.

Tout de suite, ça donne envie de s’impliquer pour l’équipe, il faut être en mesure de faire la même chose pour le basket. Il y a un tas de gens qui pourraient être intéressés mais pour cela, il faut qu’ils soient au courant du fait que c’est possible. 

Ensuite, je pense qu’il faut limiter le nombre d’étrangers à 3 maximum par équipe dans le cadre du championnat. Cela rassurerait les équipes qui sont à la limite financièrement dans le sens où l’écart de niveau se réduirait un peu et cela ajouterait en intérêt. De plus, cela permettrait aux clubs de développer les jeunes de la région. Avec moins d’étrangers, cela obligerait les coachs à mettre en avant les joueurs du coin ou au moins du pays. Même si les prestations ne seront pas toujours à la hauteur au début, sur le long terme tout le monde en sortira gagnant. 

On arrive à un moment où on manque de grands intérieurs ou de meneurs créatifs nationaux. Pour cela, il faut mettre l’accent sur le développement de nos jeunes. Même si c’est plus difficile de dénicher un jeune de 2 mètres 10 qu’un petit meneur créatif, ça reste possible. Mais c’est certain que si pour pallier le manque ou la jeunesse on préfère faire venir des Américains, jamais nos jeunes se sentiront utiles et perdront peu à peu la confiance et l’envie.   

Il faut inculquer cette mentalité aux coachs de ne pas hésiter à faire confiance aux jeunes. Cette saison, je peux compter sur Léo Pariat qui est un jeune du coin. Même s’il manque d’expérience, il ne manque pas d’audace et c’est peut-être ça qu’il manque aussi, de l’audace. Il ne faut pas hésiter à se mettre en avant lorsque la chance nous est donnée. Mais pour cela, il faut au moins avoir une opportunité.  

La Suisse doit-elle s’inspirer de la France ? 

Oui, le basket suisse a beaucoup à apprendre, que ce soit en France ou ailleurs. Le point principal, c’est la gestion des clubs par la fédération. Dans le championnat français, il serait impensable d’avoir une situation similaire à celle de Vevey Riviera où la fédération tente toute sorte d’arrangements pour maintenir dans l’élite un club qui n’a pas payé ses joueurs depuis quelques mois. Il faut être plus sévère pour gagner en clarté. 

Il n’y a pas que le cas de Vevey, on peut prendre l’exemple de Boncourt ou Swiss Central en Ligue B. Boncourt s’est volontairement rétrogradé car il y avait des problèmes structurels. Mais ils ont décidé d’intégrer la première ligue (troisième division nationale). Dans la logique, ils auraient dû gagner leur promotion sur le parquet, mais ça n’a pas été le cas. Ils ont pu intégrer la Ligue B sans le moindre problème. 

Il faut se montrer ferme et sérieux dans ses choix. Cette deuxième division ne peut pas récupérer tous les clubs qui ont des soucis financiers. Il faut trouver un système pérenne pour que tout le monde y voit plus clair. Actuellement, il y a 9 clubs de SBL et 16 en NLB soit presque le double. Il faudrait réussir à intégrer 2 ou 3 équipes de NLB à la SBL. C’est pour ça que limiter le nombre d’étrangers à 3 pourrait inciter des clubs qui, jusqu’à présent, ont refusé, à l’image de GC Zurich la saison dernière, à intégrer l’élite du basket suisse.

Le coach jurassien Randoald Dessarzin signe à Lugano - rts.ch - Autres  sports
Outre Boncourt, Lugano et Pully en Suisse, Randoald Dessarzin est passé par Dijon et par la sélection ivoirienne. Crédit : Armando Babani

La fédération doit jouer son rôle de garde-fou et éviter les écarts de la part des clubs. En plus de cela, elle doit à tout prix trouver une façon d’être cohérente dans ses choix. Notre crédibilité passe aussi par celle des hautes instances de notre sport.  

En plus de cet aspect-là qui est très dépendant des instances, il faut changer les mentalités. Le sport doit être perçu autrement que comme une passion ou un hobby. On doit offrir aux jeunes la possibilité de rêver et faire autre chose que simplement leur dire “c’est le sport ou les études”. Même s’il y a encore des progrès à faire en France, elle est loin devant nous. Ce n’est pas un hasard si Thabo Sefolosha, Clint Capela ou Kyshawn George sont partis à Châlon. C’est ailleurs qu’ils auront le plus d’opportunités pour réaliser leurs rêves.

Il faut valoriser les filières sportives dans les études. Les jeunes doivent avoir les ressources nécessaires pour que leur succès sportif soit suivi de leur succès professionnel. En Suisse, on a la filière sport-études. Sur le papier c’est merveilleux, car ça permet aux sportifs d’avoir un suivi dans leurs études en plus d’un suivi sportif dans un centre de formation. Malheureusement, le sport prend souvent le dessus sur les études car c’est mal encadré. En plus, les débouchées ne font pas forcément rêver. L’addition de tous ces facteurs font que, souvent, les jeunes abandonnent le sport pour se consacrer à leurs études. 

Cela dit, j’ai encore de l’espoir pour le développement du basket et malgré mes 30 ans d’expérience je reste positif. On a toutes les ressources nécessaires pour faire croître l’intérêt des gens autour de notre sport. Il faut continuer de miser sur les réseaux sociaux, car ça nous maintient en vie d’un point de vue médiatique. Même si la situation actuelle est critique, des choses se font et j’espère qu’à l’avenir, le basket suisse pourra avoir une nouvelle place médiatique. 

Randoald Dessarzin dresse un portrait alarmant mais réaliste du basket suisse. Cependant, il existe des solutions pour y remédier. Pour cela, les clubs, les médias et la fédération doivent réussir à promouvoir autant que possible les événements et mettre en lumière ce sport aussi spectaculaire que peu médiatisé.     

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Damian Lillard indique l'heure

J'ai pour objectif de développer l'intérêt autour du basket suisse.

En plus de cela, je cultive un fort intérêt pour la NBA avec un faible pour les Lakers et les Mavs.

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