L’EuroBasket durant les années 90 devait être marqué par la Yougoslavie, à commencer par le premier en 1991. Cela a en effet eu lieu, mais pas de la manière attendue pour les nombreux observateurs du basketball européen à cette époque.
EuroBasket 1991, la NBA se ramène
Pour la troisième fois de l’histoire de l’EuroBasket, la compétition s’est ramenée en Italie entre le 24 et le 29 juin 1991. 8 équipes se sont affrontées au Palais des Sports de Rome, ouvert en 1960 et avec une capacité de 12 000 places. Les équipes ont été réparties en deux groupes de quatre équipes chacun. Les deux meilleures équipes de chaque groupe se qualifiaient pour les demi-finales. Les vainqueurs des demi-finales à élimination directe se qualifiaient pour la finale, tandis que les perdants disputaient un match pour la troisième place. Les troisièmes et quatrièmes équipes de chaque groupe s’affrontaient dans un autre tableau afin de déterminer les places 5 à 8 du classement final.
Il s’agissait du premier tournoi EuroBasket auquel pouvaient participer des joueurs NBA actuellement en activité ayant déjà disputé un match officiel de saison régulière. Vlade Divac était le seul joueur NBA présent dans le tournoi. À propos de lui…
Championne d’Europe et du monde en titre, la Yougoslavie est l’équipe favorite incontestée de cette édition de l’EuroBasket. Mais tout n’est pas rose. Depuis la mort de Josip Broz Tito en 1980, les républiques de la Yougoslavie se sont de plus en plus éloignées idéologiquement. Les mouvements indépendantistes ont commencé à prendre forme et à partir de la fin des années 80, la tension était palpable.
Dans le monde du basket, le symbole de cette tension est le Championnat du Monde 1990. Après le triomphe en finale, les joueurs ont célébré. Mais, au milieu des festivités, un drapeau croate a été ramené par un indépendantiste. Divac l’a alors arraché de ses mains, un geste très mal pris par les Croates, dont notamment Dražen Petrović. Ami d’enfance de Vlade, cette relation fut brisée par cette action.
La plupart des Croates sont là, dont le MVP du Mondial 90 Toni Kukoč. Mais Petrović et Stojko Vranković ne sont pas présents à l’EuroBasket 1991. L’équipe peut toujours compter sur Vlade Divac, Žarko Paspalj et Dino Rađa, tous très importants lors des sacres précédents. Cette équipe reste la meilleure, de loin, mais sans le MVP de l’EuroBasket 1989, elle n’est pas à sa pleine puissance.
Finaliste du précédent EuroBasket et 6e de la Coupe du Monde, la Grèce fait office d’outsider pour l’édition 1991. La machine de scoring Nikos Galis est toujours là, et devrait être encore une fois le meilleur marqueur de la compétition cette année.
Il y a cela dit un absent notable pour cette compétition : l’Union Soviétique. En effet, la sélection médaillée de bronze à l’EuroBasket 1989 et finaliste du dernier Championnat du Monde n’est pas présente en Italie. Placée dans le groupe D des qualifications, elle a subi 3 défaites surprises. 1 face à la Tchécoslovaquie, 2 face à la France. Ainsi, quelques mois avant la dissolution du pays, l’URSS n’aura pas une dernière chance d’être sacrée.
La France d’ailleurs, après à ses performances impressionnantes lors de la phase de qualification, peut viser un podium pour la première fois depuis 1959. Le duo Stéphane Ostrowski–Richard Dacoury est attendu pour l’EuroBasket 1991.
Un triomphe sans joie pour la Yougoslavie

3 tournois, 3 médailles d’or pour la Yougoslavie. 2 EuroBaskets consécutifs remportés. En temps normal, ce sacre serait célébré à juste titre. Mais l’été 1991 n’était pas une période comme les autres. Lors du match d’ouverture du groupe A, la Yougoslavie bat l’Espagne 76-67. Les champions en titre se sont fait peur en deuxième mi-temps avec une remontée impressionnante emmenée par Antonio Martín Espina et ses 18 points. Mais au final, l’équipe yougoslave, portée par le duo Rađa-Kukoč qui ont combiné pour 33 points, remporte le match.
Le lendemain, la Yougoslavie bat la Pologne 103-61. Paspalj a marqué 21 points. Mais ce n’est pas l’information principale de la journée. Le 25 juin 1991, au matin, la Slovénie et la Croatie ont annoncé qu’elles rompaient leurs liens avec l’ancienne République yougoslave et devenaient des États indépendants.
L’armée populaire yougoslave (JNA) est entrée en Slovénie, et le basketteur slovène Jurij Zdovc jouait sous le drapeau d’un pays en guerre contre sa Slovénie natale, tandis que sa femme se trouvait dans un abri. Mais au milieu de ce climat tendu, une décision politique a été prise : les basketteurs croates Toni Kukoč, Dino Rađa, Velimir Perasović et Arijan Komazec devraient rester à Rome et jouer pour la Yougoslavie.
Le lendemain, la Yougoslavie bat la Bulgarie 68-89. Cette fois-ci c’est Divac qui finit meilleur marqueur avec 20 points. Comme prévu, l’équipe termine première du groupe A et se qualifie pour la demi-finale. Pendant ce temps à la maison, l’armée populaire yougoslave est déployée pour prendre le contrôle des postes frontières en Slovénie. Aucun coup de feu n’est tiré, mais cela ne semble n’être qu’une question de temps.
Le lendemain en Italie, Zdovc reçoit la visite d’émissaires de Ljubljana. Leur message est simple : s’il joue pour la Yougoslavie contre les Français, il sera considéré comme un traître à la nation slovène et ne pourra plus rentrer. Le meneur fait ses valises et abandonne, en larmes, l’EuroBasket ainsi qu’une équipe qui n’est plus la sienne. Les joueurs croates eux, malgré la pression, restent avec l’équipe de Yougoslavie.
Quatorze ans plus tard, le 30 juin 2005, dans la capitale slovène, Zdovc, qui travaillait alors en tant qu’entraîneur, a été honoré pour sa carrière de joueur. C’est à cette occasion qu’Ivkovic lui a remis sa médaille d’or de l’EuroBasket 1991. Mieux vaut tard que jamais.
De retour en juin 1991, en Slovénie, des avions larguent des tracts menaçant de représailles tout acte de résistance. Dans l’après-midi, deux hélicoptères de l’armée populaire sont abattus et les équipages tués, dont un pilote slovène. Les premiers morts. La guerre est lancée.
Le 28 juin, la France fait face à la Yougoslavie et tient bon pendant une mi-temps, étant menée 44-50 à la pause. En plus du duo Dacoury-Ostrowski qui combine pour 32 points, Félix Courtinard sort de sa boite et inscrit 16 points lors de cette rencontre. Mais la deuxième mi-temps est dominée par les champions en titre, guidés par les 24 points de Kukoč. Victoire 76-97 pour les Yougoslaves qui vont en finale. La France finira 4e après une défaite 101-83 contre l’Espagne.
Cette même journée, la JNA subit de lourdes pertes en Slovénie : colonnes bloquées et attaquées à Štrihovec et Medvejsek, dix camionneurs tués. À Nova Gorica, six tanks furent détruits ou capturés, une centaine de soldats furent prisonniers.
Les Slovènes prirent Holmec et des dépôts d’armes. L’aviation yougoslave bombarda plusieurs sites, tuant deux journalistes à Brnik. Malgré des positions tenues, la JNA perdait du terrain et faisait face à de nombreuses désertions slovènes. Dans la nuit du 28 au 29 juin, trois ministres européens négocièrent un cessez-le-feu à Zagreb entre Slovènes et Yougoslaves, sans succès.
La demi-finale contre la France et la finale contre l’Italie sont deux matchs presque identiques. La Yougoslavie mène de 15 points, puis, après que l’équipe se soit trop relâchée, l’écart peut tomber à 5 ou 7 points avant la mi-temps, avant de remonter à plus de 15 points en deuxième mi-temps. Ni les Français ni les Italiens n’ont eu la moindre chance.

Pour les Italiens, le 29 juin, ils n’étaient menés que 41-48 avant de regagner les vestiaires. Le trio composé d’Alessandro Fantozzi, Riccardo Pittis et Davide Pessina tenait bon et terminait avec 38 points. Mais le duo Rađa-Kukoč, avec 43 points à eux deux, assurait une victoire facile. 73-88, et deux EuroBaskets consécutifs pour la Yougoslavie. La République fédérative socialiste de Yougoslavie remporte le dernier titre sportif de son histoire.
Toni Kukoč est nommé MVP de l’EuroBasket 1991, et il est rejoint par son coéquipier Vlade Divac dans l’équipe type de la compétition. Le reste du 5 majeur de cet EuroBasket est composé de Nando Gentile, Nikos Galis et Antonio Martín Espina.
Ce même 29 juin, les Slovènes reprirent l’aéroport de Brnik. Au nord, des tanks de la JNA capturés à Štrihovec furent réutilisés. Un débarquement de troupes spéciales à Hrvatini échoua. Les Slovènes prirent également les postes frontières de Vrtojba et Šentilj, s’emparant de tanks et d’armes yougoslaves.

Lorsque la Yougoslavie a remporté la médaille d’or, la couverture du magazine Tempo titrait : “ILS JOUENT COMME DES MARTIENS !” Nous ne verrons jamais les Martiens contre la Dream Team, puisque ce fut la dernière fois que la Yougoslavie, telle qu’on l’a connue, a joué ensemble. Une fois que l’hymne nationale de la Yougoslavie s’arrête, et que les photos sont prises avec le trophée, l’équipe, comme le pays, va être fragmentée.
La déception grecque
Loin de toutes les controverses et des tensions liées à une potentielle guerre sur le continent européen, la Grèce voulait tout simplement obtenir son 3e podium consécutif à un EuroBasket. Hélas, la situation n’était pas au beau fixe là-bas non plus. Lors de la Coupe du monde en Argentine, l’équipe nationale avait vraiment excellé sans Galis, avec l’émouvant Panagiotis Giannakis jouant à la fois pour Galis et pour lui-même, et le joueur révélation Nasos Galakteros.
Lors du dernier match amical contre la Tchécoslovaquie, avant le départ de l’équipe nationale pour l’Argentine, la superstar du basket grec et européen s’est blessée. Bien que la blessure semblait mineure au départ, elle l’a empêché de prendre l’avion pour l’Argentine. Lors de ce match, il semblait apathique et n’avait marqué que 4 points au moment de sa blessure. Les rumeurs allaient bon train sur ce qui s’était exactement passé, mais le fait est que l’équipe nationale était privée de son meilleur marqueur pour la première fois.
Galis s’était brouillé avec Kostas Politis, membre de la fédération, lors des Jeux préolympiques de 1988, et après l’EuroBasket 1989, avec Efthimis Kioumourtzoglou désormais sur le banc de l’équipe nationale, il avait commencé à se montrer de plus en plus mécontent de l’attitude de la fédération à son égard.
Si l’on ajoute à cela les éloges qui ont été écrites à l’époque sur les performances exceptionnelles de Giannakis lors du championnat du monde de basket-ball et l’ovation debout des joueurs adverses et des spectateurs lors du match de qualification final contre le Brésil, on comprend exactement quelle était l’atmosphère au sein de l’équipe nationale.
Un an plus tard, alors que le championnat est terminé, il est temps de commencer la préparation de l’équipe grecque pour l’EuroBasket en Italie. Cependant, personne ne s’est présenté à l’invitation. L’équipe nationale a entamé un boycott pour protester contre la position de la fédération sur les questions sociales.
Ce mini-arrêt de travail était le signe avant-coureur d’un boycott majeur qui a débuté à l’automne et a touché le championnat grec. Les équipes se retrouvant à affronter leurs joueurs étrangers, des adolescents et des briseurs de grève. Dans ce climat, la mauvaise nouvelle est venue avec la blessure de Fánis Christodoúlou, qui allait manquer l’EuroBasket et, bien sûr, le match d’ouverture contre l’Italie. La Grèce a été tirée au sort dans un groupe B difficile, avec le pays hôte, la France et la Tchécoslovaquie. La moindre erreur pouvait être fatale.
Les Italiens attendaient, les couteaux entre les dents et bien aiguisés. L’entraîneur Efthymis Kioumourtzoglou a choisi l’étudiant en médecine Dimitris Papadopoulos pour remplacer Christodoúlou. Un bon joueur en attaque, mais faible en défense.
Malgré cela, la Grèce réalise une première mi-temps exceptionnelle, “le Docteur” marque 14 points et le score affiché au tableau est de 31-45. Mais dans les 20 minutes suivantes, les Italiens se mettent à jouer plus physique et les arbitres les laissent faire. Antonello Riva ne lâche pas Giannakis et la plupart des tirs grecs finissent rebondissent contre l’arceau. Avec un score de 51-27 en deuxième mi-temps, la Grèce perd 82-72 et rate une belle occasion de se qualifier pour les demi-finales.
Au basket, on peut gagner avec son intelligence ou avec sa force. La Grèce avait l’esprit, mais l’Italie a gagné avec la force”, dira après le match Giorgos Valavanis à son collègue, l’entraîneur assistant italien Cesare Rubini.
La qualification pour les demi-finales n’a jamais eu lieu, puisque l’équipe nationale a perdu après un match incroyable contre les Tchécoslovaques 123-113 en prolongation, dans un match où Galis a inscrit 32 points et est passé en tête du classement des meilleurs marqueurs de l’histoire de l’EuroBasket.
Encore une fois, les Grecs ont réalisé une excellente première mi-temps, menant 57-48 à la pause. Giannakis a également inscrit 27 points dans cette rencontre. Encore une fois, l’équipe adverse revient en force au retour des vestiaires. Une remontée emmenée par Jan Svoboda et ses 30 points qui permet à la Tchécoslovaquie d’obtenir les prolongations, puis la victoire.

Une victoire 93-81 contre la France avec 39 points de Galis est insuffisante, la Grèce finit derrière les Bleus et devant la Tchécoslovaquie à cause de la différence de points dans les rencontres cumulées, et termine donc 3e du groupe. La Grèce quittant l’Italie à la 5e place de l’EuroBasket, cette compétition allait être la dernière pour Nikos Galis, qui demanda plus tard à être dispensé de certains matchs des qualifications pour l’Eurobasket 1993, mettant définitivement fin à ses mauvaises relations avec la Fédération grecque de basket-ball.
La débâcle de l’EuroBasket en Italie a mis fin à une période de six ans au cours de laquelle l’équipe nationale s’est imposée parmi les grandes puissances de la balle orange. Sans son icône, il va falloir lancer un nouveau cycle, mais la Grèce sera de retour dans les EuroBaskets suivants.
On ne peut pas en dire autant de la Yougoslavie telle qu’elle était auparavant. On ne saura jamais ce qui se serait passé si la génération dorée yougoslave avait affronté l’alors plus grande Team USA de l’histoire. Mais il y a des choses qui sont plus importantes que la balle orange. Quand l’EuroBasket fera son retour en 1993, cela sera dans un monde très différent.