Entraîneur de l’ASVEL féminin et ex assistant-coach du Chicago Sky en WNBA, Yoann Cabioc’h évoque le profil et l’avenir en WNBA de Dominique Malonga et Justė Jocytė, respectivement sélectionnées par le Seattle Storm en deuxième position et par les Golden State Valkyries à la cinquième place de la draft WNBA.
Arthur PUYBERTIER. As-tu été surpris par la soirée de draft, et la sélection de Dominique et Justė dans le top 5 ?
Yoann Cabioc’h. Oui et non. Dans les échanges que j’avais avec les franchises, je me doutais que ça se passerait comme ça pour Dominique. Je pense que le fait que Olivia Miles (projetée en deuxième position) ait renoncé à se présenter a beaucoup joué du côté de Seattle.
Pour Justė en revanche, même si je savais que plusieurs franchises étaient très intéressées, je ne pensais pas que Golden State la prendrait en cinquième position. Les Valkyries ont déjà beaucoup d’Européennes. Je misais plutôt sur Washington, donc potentiellement une sélection en troisième position ; ou alors Connecticut ou Chicago.
Chez Dominique, je sais que son profil unique, alliant la vitesse, la taille, avec des bonnes mains, a beaucoup intéressé. Chez Justė, c’est son QI basket – que ce soit sa capacité à lire le jeu, son adresse, ou sa justesse – qui a séduit les franchises
AP. Peux-tu me parler de ces deux joueuses que l’on voit déjà briller sur les terrains avec l’ASVEL ?
YC. Je connais les filles depuis mon arrivée à l’ASVEL il y a trois ans, et le moins qu’on l’on puisse dire, c’est que ce sont des bosseuses. Elles savent qu’atteindre leurs grands objectifs passera forcément par le travail. Ensuite, elles sont très bien humainement. Elles sont respectueuses de ce qui les entoure, du club, des entraîneurs, et ça aide à travailler.
Ce sont aussi des profils exceptionnels. Dominique est atypique. C’est la première fois que l’on voit une joueuse grande, athlétique, avec des mains comme ça. Elle est très intelligente, ce qui l’aide à progresser. Elle doit encore travailler sa dureté, de par son évolution en taille qui n’est d’ailleurs pas terminée.
Je dirais de Justė qu’elle est une surdouée du basket. Elle l’a dans les gènes. Il y a moins de choses à lui apprendre, il faut plutôt la mettre en situation et la challenger. Elle a déjà un bagage de connaissances très important. Elle doit avoir la balle sur demi-terrain pour s’exprimer et utiliser son excellente vision de jeu, même si elle peut également jouer le catch and shoot.
AP. Dans quelles configurations tactiques doivent-elles être utilisées pour mettre leur talent en valeur, à la fois en LFB et en WNBA ?
YC. En Championnat de France et en Eurocoupe, on les a beaucoup utilisées dans le jeu en pick and roll, dans les écrans rentrants, et en main à main : pour les faire collaborer. En WNBA, je pense que Justė aura toujours ce rôle de créatrice mais elle devra aussi être impactante sans le ballon, que ce soit dans les coupes, à l’adresse ou au rebond. Dom’ devra beaucoup s’exprimer dans le jeu rapide, et elle sera beaucoup plus responsabilisée défensivement.

AP. Quels sont leurs principaux axes de progression depuis trois ans ?
YC. Entre leurs 16 et leurs 19 ans, elles ont passé beaucoup de caps. Justė a développé sa musculature, ce qui lui permet de mieux gérer le contact, la dureté et la physicalité du jeu. Dom’ a corrigé ses lacunes : sa main gauche, sa compréhension défensive.
AP. Justė a été mise sous le feu des projecteurs très tôt, en étant signée chez les pros à 13 ans. Est-ce que cela influe sur sa capacité à gérer la pression ?
YC. Totalement. Justė est hyper stable émotionnellement. Quand les situations sont tendues dans un match, elle n’a pas peur de prendre ses responsabilités. Elle a ce sang-froid qui est impressionnant.

AP. Connaissant la WNBA, est-ce que tu as pu les conseiller cette saison pour aborder ce nouveau cap ?
YC. J’ai essayé de les mettre en situation le plus possible, dans notre manière de travailler ici à l’ASVEL, où il y a quelques similitudes. À la fois dans le vocabulaire que j’utilise, dans l’utilisation de la vidéo ou dans les situations que l’on peut jouer, pour que la transition soit plus facile pour elles. Les deux ont des caractéristiques propres et répondent à ce qui est proposé ici. Je suis convaincu qu’elles vont réussir en WNBA.
AP. Comment faire néanmoins la passerelle entre LFB/basket européen, et WNBA ?
YC. La différence reste l’aspect physique et le rythme : le jeu est beaucoup plus rapide. Tout va plus vite : au sein d’une possession, entre les possessions, mais aussi entre les matchs, où il faut souvent enchaîner deux matchs en trois jours dans deux villes éloignées l’une de l’autre. L’hygiène de vie, la récupération et le sommeil sont clés pour pouvoir suivre ce rythme différent.
C’est quelque chose auquel il est impossible de se préparer en Europe, avec un à deux matchs par semaine maximum. Et le rythme au cœur des matchs n’est pas le même non plus, même si on affronte parfois des joueuses WNBA en Europe. Il y aura forcément un choc thermique au début, mais elles vont réussir à prendre le rythme
AP. Dominique et Justė arrivent respectivement à Seattle et San Francisco, de bons contextes pour elles ?
YC. C’est le contexte idéal pour Justė car c’est une création de franchise à San Francisco, avec une bonne coach qui a une « Championship experience ». Elle va non pas pouvoir écrire un nouveau chapitre, mais un nouveau livre avec Golden State. Par définition, aucune joueuse n’a de place acquise, toutes les cartes vont être rebattues et elle aura sa chance.
Justė est une pick 5, je ne vois pas l’intérêt de la sélectionner aussi haut si ce n’est pas pour la faire jouer. Dans une franchise qui vient de naître, son profil très indépendant peut lui permettre de performer, quel que soit le contexte. Elle sera simplement allégée en pression car on ne sait pas exactement à quoi s’attendre de l’équipe pour sa première saison WNBA.
Pour Dom’, c’est aussi un excellent contexte car elle sera encadrée par Ezi Magbegor et de Nneka Ogwumike, deux joueuses du secteur intérieur qui pourront beaucoup lui apporter à l’entraînement. Elle sera toujours face à des supers joueuses, de niveau all-star. Ça sera très intéressant dans la progression de Dom’, d’autant que Seattle est une franchise historique, avec un très bon staff et des infrastructures de niveau élite. Et puis elle retrouvera Gabby Williams, qui pourra la conseiller et l’aider à s’adapter au nouveau contexte.

AP. Avec la présence de telles joueuses dans l’effectif du Seattle Storm, ne crains-tu pas pour son temps de jeu, qui pourrait être amoindri ?
YC. Il y a un risque qu’elle joue moins à Seattle que dans une autre franchise, mais je vois aussi ça comme une bonne chose. Ça va lui permettre de jouer juste, de faire les choses qu’il faut, de bien s’entraîner. Cela va aussi instaurer un référentiel de temps de jeu sain et juste : si tu es bonne, tu joues. C’est quelque chose qui n’est pas le cas partout. Elle va pouvoir être confrontée à la réalité de son niveau et de ses performances. Ça va l’aider à grandir encore plus vite.
Dans le cas où elle serait performante, je ne vois d’ailleurs pas d’incompatibilités avec Magbegor, contrairement à ce qui est souvent avancé. Ce n’est pas forcément l’une ou l’autre. Les deux peuvent shooter de loin, sont mobiles, peuvent défendre et switcher : il n’y a pas de contre-indications à mes yeux.
AP. Beaucoup compare Dominique à Victor Wembanyama. Est-ce pertinent selon toi ?
C’est forcément intéressant car les deux sont plus grands que la moyenne, savent shooter, courir, dribbler. Il y a des axes de comparaison, mais je comprends que Dom’ veuille aussi tracer sa route sans qu’on lui parle sans cesse de Victor. Mais dans le jeu, il y a des similitudes évidentes. Ce serait malhonnête de dire que ce sont deux joueurs très différents.
AP. Quel avenir peux-tu leur prédire en WNBA ?
YC. Je vois Dom’ comme une potentielle all-star sans problème, mais aussi franchise player. Dire que quelqu’un sera hall of famer à 19 est compliqué, mais elle a assurément le potentiel pour porter une franchise.
Pour Justė, si son évolution physique est bonne, elle peut aussi devenir une all-star. Elle a quelque chose de rare en elle, un talent qui deviendra très très exceptionnel lorsque son développement physique sera achevé. Elle peut devenir très très forte.
En tout cas, je suis très heureux pour elle, très heureux pour le staff, le club. Tout a très bien fonctionné dans ce projet. L’ASVEL a une nouvelle fois montré qu’elle peut aider les jeunes, et ça n’est pas fini : derrière, il y a Ainhoa Risacher, Téa Cléante…