Power Forward : né dans le Wisconsin

Avec la série Run and Gun, je passe beaucoup de temps à écumer des articles de presse des années 50, 60 et 70. Un soir de divagation sur l’internet, me vient à l’esprit le fait que jamais lors de mes recherches je n’ai vu utiliser le terme « power forward ». Une question s’impose immédiatement. Quand est apparu ce terme pour la première fois ?

Le premier Power Forward

Lorsqu’on recherche dans les archives qui est le premier Power Forward de l’histoire de la NBA, la réponse qui semble faire consensus est Vern Mikkelsen des Minneapolis Lakers. Ce nom n’évoque peut-être rien à la plupart des fans, mais celui qu’on surnomme « The Great Dane » a été une des premières stars de la ligue qu’il domine aux côtés de la légende George Mikan. Mais Vern Mikkelsen est-il vraiment le premier Power Forward ?

Les plus pragmatiques diront qu’il faut aller voir sur Basketball Reference à la section qui nous présente la première rencontre de l’histoire afin de regarder les Power Forwards présents et de choisir le meilleur de tous. Mais qui peut réellement dire qui est le plus fort entre Leo Mogus des Toronto Huskies et Bud Palmer des New York Knicks ?

Ces deux joueurs sont « apparemment » les deux Power forwards de leur équipe en ce jour du premier novembre 1946, mais aucun d’entre eux n’a marqué la ligue. La star de l’époque est le scoreur boulimique Joe Fulks, l’ailier fort des Philadelphia Warriors. Il est un des cinq joueurs à avoir tenté plus de cinquante tirs dans un match, avec Elgin Baylor, Kobe Bryant, Rick Barry et Wilt Chamberlain. Ce dernier le fait à quatorze reprises, les autres ne le font qu’une fois, et Joe Fulks le fait à trois occasions pour le meilleur comme pour le pire.

Joe Fulks le premier power forward star pour le meilleur et pour le pire.
Le meilleur, 63 points à 27/56 
Le pire, 35 points à 13/55 et 37 points à 16/50

Désigner Joe Fulks comme le premier Power Forward de l’histoire est difficile. Il faut dire que son physique (1m96 pour 86 kilos) n’inspire pas la puissance, et qui se souvient comment le bougre était placé sur le terrain. Mais alors, pourquoi choisir Vern Mikkelsen ? Objectivement, cette affirmation est contestable puisque Mikkelsen commence sa carrière lors de la saison 1949/50, et il doit déjà faire face à Dolph Schayes ou Alex Groza, des ailiers forts bien plus talentueux que lui.

Ce n’est pas une question de gabarit non plus, car Schayes et Groza ont des carrures comparables, et il n’y a pas de liens avec les rebonds puisque Mikkelsen est le moins prolifique des trois. L’histoire raconte que Vern Mikkelsen est un pivot dominant au moment où il évolue dans l’université de Hamline. Lorsqu’il arrive en NBA, il se dresse devant lui un gros problème de 2m08 pour 111 kilos qui répond au nom de George Mikan. Toutefois, John Kundla décide d’aligner les deux joueurs ensemble avec le succès qu’on connaît, quatre titres en cinq saisons.

Au début tout ne fût pas si facile, Mikkelsen et Mikan se marchent sur les pieds dans une raquette qui n’est pas encore aussi grande qu’aujourd’hui. John Kundla réagit et place Mikkelsen plus loin du cercle, face au panier, le poste de Power Forward est né. Cependant, Groza et Schayes attaquent également le panier de face, et surtout, on ne trouve aucune trace du terme Power forward.

L’absent

Lorsque George Mikan se retire, les Minneapolis Lakers sont à la peine et sont, selon les mots de Mikkelsen, comme un homme qui marche avec son pantalon sur les chevilles. Contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas Clyde Lovellette qui prend la place du géant binoclard au pivot. John Kundla relocalise Vern Mikkelsen dans son habitat naturel, de quoi ravir l’intéressé qui signe sa meilleure saison individuelle et les Lakers renouent avec la victoire dans le même temps.

La presse de l’époque a bien senti que le poste étrange pour lui, « d’ailier », ne convient pas à celui qui avoue lui-même être plus à l’aise dos au panier. Mikkelsen est un joueur rugueux, robuste et même qualifié de musculeux avec ses 2m01 pour 104 kg. C’est peut-être ce style rude qui laisse certain penser qu’il est le plus à même de recevoir l’appellation de premier Power Forward. Cependant, il y a certainement autant de profil d’ailier fort qu’il y a de définitions de ce poste, la dureté de Mikkelsen ne suffit pas à faire de lui le Blueprint de la position.

J’étais un power forward avant même qu’on ait inventé ce terme. » Vern Mikkelsen

Tout laisse à penser que c’est cette citation datant de 1989 qui pousse beaucoup de journalistes à reprendre cette idée pour en faire une vérité. Le clou est enfoncé en 2006, quand John Egan publie son livre, « Vern Mikkelsen : The Originel Power Forward ». Une petite histoire bien ficelée, une déclaration bien sentie, une biographie au titre bien choisit et voilà la belle histoire de la naissance des Power Forwards écrite.

Si l’on peut accorder de la crédibilité au rôle occupé par Mikkelsen pendant ses années avec les Minneapolis Lakers et faire de lui rétroactivement un des premiers Power Forwards, son histoire demeure insatisfaisante pour notre quête. Car pour l’instant, toujours pas d’ailier fort à l’horizon et leur absence se fait encore sentir dans la décennie à venir.

Vern Mikkelsen en sueur avec son maillot des Lakers floqué du numéro 19
Vern Mikkelsen, rugueux et besogneux ailier des Minneapolis Lakers. © SPORT Magazine

Peu importe le nom recherché, Bob Pettit, Dolph Schayes, Willis Reed, Gus Johnson ou qui que soit occupant ce qu’on appelle de nos jours le poste 4, jamais il n’est fait mention de Power Forward. La NBA de l’époque ne connaît que trois positions, les guards, les forwards et les centers. Dans cette ligue qui galope dans tous les sens il n’est pas forcément convenu de qui fait quoi avec précision.

Le but est de courir et de sauter sur tous les rebonds sans qu’il y ait véritablement d’étiquette posée sur le dos des joueurs. Bob Pettit qui est un des meilleurs scoreurs et rebondeurs est aujourd’hui considéré comme un Power Forward sans que ce soit vraiment contestable ou contesté. Pourtant, quand on regarde son jeu, on trouve tout l’attirail offensif de l’ailier moderne. Dans l’idée, Bob Pettit ressemble plus à un small forward qu’à Tim Duncan ou Karl Malone.

D’un autre côté, personne n’estime qu’Elgin Baylor est un ailier fort, bien qu’il capte presque 20 rebonds de moyenne, ce qui est deux fois plus que son camarade à l’aile, Rudy LaRusso. On peut faire ce petit exercice avec d’autres joueurs et équipes pour le même résultat plus ou moins nébuleux. Les 60’s se terminent bientôt et le terme Power Forward est pour l’instant toujours réservé à des publicités pour des motos, des tondeuses à gazon, des déblayeuses à neige, mais toujours pas à des joueurs de NBA.

Originaire du Wisconsin

Dans un article du magazine Hangtime paru en février 2000, Chris Ekstrand nous explique que la paternité du terme Power Forward revient à des journalistes sportifs new-yorkais qui cherchaient comment décrire Dave DeBusschere. Pourtant, malgré de nombreuses recherches, rien ne prouve cette version et on peut tout au plus dénicher l’appellation « strong forward » pour effectivement décrire Dave DeBusschere.

Pour trouver la trace de la première utilisation du terme Power Forward, il faut être un habitant du Wisconsin et s’intéresser à la toute nouvelle franchise de sport de la ville, les Milwaukee Bucks. Le 31 janvier 1969, les Bucks décident de transférer l’ailier de 26 ans Fred Hetzel, contre le rookie des Cincinnati Royals Don Smith, plus connu aujourd’hui sous le nom de Zaïd Abdul-Aziz. Dans le Herald Times Reporter, il est décrit qu’un porte-parole des Bucks dit ceci :

Le club est sur le coup depuis un moment pour trouver un « power forward » avec des qualités de rebondeur. Nous pensons avoir trouvé ce que nous cherchons avec Smith. »

Donald Smith aka Zaïd Abdul-Aziz sous le maillot de l'université de IOWA.
Donald Smith qui deviendra plus tard Zaïd Abdul-Aziz sous le maillot de l’université de l’IOWA .

Le terme ne s’installe pas encore dans le langage courant puisqu’il faut attendre 1970 pour revoir surgir l’appellation Power Forward et c’est toujours dans le Wisconsin que cela se passe. Une fois de plus, on signale le fait que les Bucks sont à la recherche depuis un moment d’un, entre guillemets, « Power Forward ». Lors de la draft, Milwaukee choisit l’ailier Gary Freeman.

Du haut de ses 2m06 et bien que Larry Costello, coach des Bucks, le décrivent comme un ailier shooteur, la presse pense que Freeman peut faire mieux qu’Abdul-Aziz. Ce dernier, malgré de bons débuts, n’a pas convaincu et Freeman est vu comme son potentiel remplaçant. Malheureusement pour les Bucks, il est une déception et ne passe qu’une saison en NBA avec seulement 41 rencontres sous le maillot de Milwaukee.

Dans le journal The Reporter du 16 décembre 1971, toujours dans le Wisconsin, un papier de Bill Carry fait le point sur le démarrage canon des champions en titres. Malgré 28 victoires pour 4 défaites, Carry souligne qu’il manque encore à Milwaukee ce qu’il décrit comme « la figure élusive connue sous le nom de Power Forward ». Idéalement, cet intérieur doit mesurer 2m06 pour 110 kilos et être un « ours » au rebond. Il précise que ce dont les Bucks ont besoin c’est de Dave DeBusschere.

En 1972, le terme pop à nouveau dans la presse du Wisconsin, c’est un certain Tony Mooren qui nous explique, une fois de plus, que les Bucks recherchent un « Power Forward », toujours entre guillemets. Quand Mooren demande à Larry Costello s’il compte faire un transfert du fait de la surpopulation de guards dans l’effectif des Bucks, le coach répond :

On est toujours à l’affût de nouveau talent. De nos jours dans la ligue les joueurs sont de plus en plus rapides. Nous n’avons pas besoin de plus de vitesse sur l’aile, mais pour lancer des contres attaques nous avons besoin de rebonds. Avec plus de monde dans la raquette, notre attaque sera meilleure. » Larry Costello

C’est ce raisonnement qui a poussé les Bucks à drafter Curtis Perry plus tôt dans l’année. C’est l’occasion pour la presse de radoter en nous expliquant que Perry est sans doute le parfait « Power Forward » que Milwaukee recherche depuis son arrivée en NBA. Curtis Perry s’avère être un excellent rebondeur et Milwaukee reste encore au top de la ligue en termes d’Offensive Rating. Les déclarations de Costello sont donc cohérentes avec ses choix et ce qui se passe sur le terrain.

Par contre, il semble que les journalistes de la région de Milwaukee cultivent une obsession autour de ce terme endémique au Wisconsin avec ce fameux « Power Forward » qui surgit tous les ans en période de recrutement. Cependant, ils ne sont plus les seuls à être en quête de ce profil de joueur.

Une idée qui fait son chemin

La saison 1972/73 se profile à l’horizon et il temps pour le célèbre journaliste Bob Ryan de faire un point sur l’intersaison des Celtics dans les colonnes du réputé Boston Globe. Après quelques années de disette logique suite à la fin de l’ère Bill Russell, les verts reviennent sur le devant de la scène. Une des recrues de l’été donne le sentiment d’être la pièce qu’il manquait à Boston pour passer un cap.

Les Celtics ont pour leader le pivot Dave Cowens, un poste 5 sous-dimensionné (qualifié de « midget » par Ryan) qui a besoin de renfort dans la peinture. Bob Ryan le dit dans son article :

Avec Paul Silas les Celtics ont leur -power forward- à la Dave DeBusschere. » Bob Ryan

Dave Cowens aime sortir de la raquette pour utiliser sa capacité de tir et avec la présence du robuste Paul Silas pour sécuriser le rebond, il lui est plus aisé de pratiquer son jeu. De plus, avec Jojo White et Havlicek, les Celtics sont une des meilleures équipes de la ligue sur les contre-attaques. Tout comme les Bucks de Costello, Boston veut contrôler le rebond pour multiplier les fast-breaks et avec Paul Silas ils possèdent un des plus fabuleux rebondeurs de NBA.

Avec cet ajout de poids dans le secteur intérieur, Boston signe une saison historique qui se conclut par un bilan de 68 victoires pour 14 défaites avec le titre NBA en prime. Cependant, si l’on est attentif, on remarque que les Bucks et les Celtics ont nourri le même désir, celui d’avoir « leur Dave DeBusschere ».

L’ailier des New York Knicks, champion en 1970 et 1973, est devenu la personnification d’un nouveau modèle de joueur qui porte sa marque, le Power Forward. DeBusschere est considéré comme le meilleur défenseur de la ligue, il reçoit d’ailleurs quatre fois la distinction encore non officielle de DPOY. Dave DeBusschere est aussi un des meilleurs rebondeurs de la NBA, un joueur capable de tout faire, même distribuer des bourre-pifs à tout va.

Sans être un monstre physique et athlétique, 1m98 pour 100 kg, il s’impose comme le mètre étalon de l’ailier que doivent absolument posséder toutes les équipes qui souhaitent remporter un titre. Le terme Power Forward se démocratise pour mettre un mot sur ce rôle qui bien qu’il ne soit pas nouveau semble être devenu indispensable. L’ailier fort à la DeBusschere permet au pivot de s’éloigner sans complexes du cercle et de poser la main sur le ballon grâce aux rebonds afin de multiplier les contre-attaques.

L’expression se propage dans la ligue gentiment même si certains journalistes ont du mal à s’y mettre. Dorénavant, dés qu’un joueur montre de la polyvalence sur l’aile il est très vite comparé à Dave DeBusschere et à son rôle de Power Forward. Un cap est aussi franchi quand des intérieurs commencent à se proclamer Power Forward, c’est le cas par exemple de Spencer Haywood. Petit à petit, les guillemets disparaissent et le terme entre dans l’usage courant du vocabulaire basketballistique.

Dave DeBusschere avec le maillot des Knicks et sa belle crinière noir orné de superbe rouflaquettes.
Dave DeBusschere, polyvalent, rugueux, altruiste, des qualités qui font de lui le prototype parfait du power forward moderne au début des années 70. © stadiumtalk.com

Conclusion

Comme souvent dans l’histoire de la NBA, de nouveaux modèles émergent en fonction du succès de certaines franchises. Les Knicks sont au sommet de la ligue au début des années 70, leur style de jeu ainsi que l’apport remarqué de Dave DeBusschere incitent toutes les équipes à vouloir les copier. La philosophie à l’origine de la création du terme de Power Forward et le commencement d’un processus qui tend à faire devenir ces derniers de plus en plus grands et costauds. Dans les années 90 et 2000, l’ailier fort typique est un rebondeur musculeux amateur de combat et qui bien souvent avoisine les 2m10.

Plus tard, certains d’entre eux sont qualifiés de Stretch 4 grâce à leurs capacités à tirer à trois points, là encore ce n’est pas inédit mais la tendance qui prend de l’ampleur a besoin d’être nommée. Puis le come-back des gabarits moins imposants lance la mode du small ball qui est autant une nouveauté qu’un retour aux sources.

Aujourd’hui, certains nostalgiques soutiennent la thèse de la mort des Power Forwards dans la NBA actuelle. Vous savez cette NBA à qui on trouve tous les défauts du monde. Pourtant, c’est un joueur de deux mètres et cent kilos qui est l’essence même de cette position. Dave DeBusschere peut défendre des ailiers, tirer de près comme de loin, déclencher des contres attaques, shooter du corner, il est rapide et versatile, tout sauf un pivot bis au physique de bûcheron. Finalement, les Power Forwards actuels ont beaucoup de points communs avec lui.

Le terme Power Forward voit le jour dans le Wisconsin poussé par des journalistes qui souhaitent la présence d’un « Enforcer » sous le cercle et cela même avant la venue de Kareem Abdul-Jabbar. Ce besoin continue d’être alimenté après le titre de 1971, avec une presse qui ne cesse de vouloir un ailier fort puissant susceptible d’aider l’équipe à regagner une bague. L’ironie du sort fait qu’après cinquante longues années d’attentes, les Bucks trouvent enfin un « Power Forward » capable de ramener un nouveau trophée de champion avec Giannis Antetokounmpo.