Jamal George a entamé sa troisième saison aux Pully Lausanne Foxes, club de SBL, l’élite du championnat suisse de basket. Avec son équipe, ils aspirent à jouer les poils à gratter dans un championnat actuellement dominé par l’ogre fribourgeois. Pour le Roster, le meneur va revenir sur son début de saison, ses objectifs, l’équipe nationale et, pour celles et ceux qui ne le connaissaient pas, son frère dont le nom vous sera sûrement familier.
Quelle est la mentalité qu’essaie de vous inculquer votre entraîneur, Randoald Dessarzin?
Le coach veut qu’on mette l’adversaire sous pression, qu’on se batte comme des chiens pour augmenter nos interceptions et mettre en difficulté l’adversaire. C’est une approche tactique qui fonctionne bien mais qui peut nous poser des problèmes contre des équipes qui manient un peu mieux la balle.
En coupe suisse, on a affronté des équipes d’échelons inférieurs donc c’est plus facile de mettre cette approche en place parce qu’on sait que les joueurs en face ont un peu moins de talent pour répondre à cela. Même en SBL contre des équipes réputées moins fortes, ça peut très bien fonctionner.
Par contre, quand on joue contre Fribourg ou Genève c’est quelque chose qui peut nous poser des problèmes parce qu’on défend dans notre dos on va dire. On doit encore trouver l’équilibre pour justement ne pas se faire avoir contre les équipes du haut de tableau. Il faut qu’on soit plus compétitif même si on a pas été largués lors de nos défaites contre les Lions de Genève et Massagno.
Quels sont vos objectifs collectifs?
On a deux objectifs qui sont primordiaux qui nous suivent depuis le début de la saison et qui nous suivront tout au long de celle-ci. Premièrement, le coach veut que l’on maintienne à tout prix les adversaires en dessous des 75 points inscrits. Pour le moment on y est clairement pas. On doit encore travailler dessus, mais c’est normal car il y a eu quelques changements importants dans l’équipe.
Il y a deux ans, quand on jouait en Ligue B, c’était plus facile mais on avait aussi moins de talent dans l’effectif. Maintenant, il y a Florian Steinmann, Bryan Colon et les Américains qui sont très agressifs offensivement. Ce talent global fait qu’on est nettement moins rigoureux en défense et ça se ressent sur nos statistiques dans ce domaine. On est la troisième pire défense du championnat donc on doit vraiment progresser dans cet aspect-là.
Le coach veut aussi qu’on limite les pertes de balle à 1.6-1.7 pertes de balle tous les 10 points. ça nous oblige à être exigeants et rigoureux aussi, mais comme pour la limite de points qu’on essaie de s’imposer, c’est encore compliqué. Le fait de savoir que même si tu prends 80-85 points tu es capable d’en mettre autant ça rend peut-être un peu paresseux.
Il faut vraiment qu’on s’améliore dans ces domaines mais l’alchimie doit se créer aussi entre tout l’effectif, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Mais on sent qu’on va dans la bonne direction. Les prochaines confrontations contre les favoris seront clés pour constater, ou pas, nos progrès.
En attendant, on doit répondre présent contre les équipes de milieu de tableau. Il faut qu’on montre qu’on leur est supérieurs. On doit éviter de perdre des points contre ces effectifs moins dangereux disons. C’est l’occasion de travailler tout l’aspect défensif de notre jeu et développer des automatismes à ce niveau-là.
La saison dernière, tu as été élu meilleur espoir du championnat, quels sont tes objectifs pour cette saison?
Souvent le plus difficile après une bonne saison, c’est de confirmer. C’est mon premier objectif. Je veux m’installer comme un meneur titulaire solide et faire une saison au moins aussi bonne que la précédente. L’effectif est meilleur que l’année dernière et je veux être à la hauteur de ces améliorations en progressant moi aussi et en confirmant mon rôle dans l’équipe.
Je veux également continuer à être une bonne présence défensive et enchaîner sur mes prestations de la saison dernière. Il faut que les adversaires se disent “ah ouais lui il va être galère à passer”. Au final ça rejoint un peu ce que met en avant le coach. Si je peux faire un gros travail défensif, ça peut inciter toute l’équipe à en faire de même.
Je sais que je peux défendre plusieurs positions et je veux être un vrai poison pour chaque match-up. J’ai les capacités pour l’être alors il faut que je réponde présent et que je continue sur cette lancée pour progresser chaque fois un peu plus.
Comment expliques-tu le nombre plus élevé de tes pertes de balle?
Je ne veux pas me trouver d’excuses mais le fait de jouer avec de nouveaux coéquipiers ça joue forcément un rôle. Si on regarde bien, c’est principalement lors des deux premiers matchs où j’ai perdu beaucoup de ballons, après ça s’est amélioré. Mais statistiquement, ça ne se voit pas encore vraiment comme on est qu’au début de saison. Il faut que je continue à m’appliquer balle en main et développer les automatismes avec mes coéquipiers.
Ensuite, mon rôle n’est clairement plus le même que la saison dernière où j’étais la deuxième option au poste de meneur. Cette année, je suis titulaire et j’ai beaucoup de temps de jeu alors forcément le risque de perdre une balle est plus important. Maintenant, comme je l’ai dit, je progresse dans ce domaine au fil des matchs et c’est bon signe.
Quel est ton point fort dans le jeu, toi qui est plutôt créatif et peut-être un peu moins scoreur?
Cette saison, avec l’arrivée des nouveaux joueurs à vocation plutôt offensive, j’ai un rôle de gestionnaire. Je dois trouver la bonne passe au bon moment et mettre mes coéquipiers dans les meilleures dispositions possibles.
Mais je ne dois pas oublier de scorer. Si je compare avec l’exercice précédent, je tente nettement moins ma chance, que ce soit à 2 ou 3 points. Pourtant, j’ai un rôle plus important et mon temps de jeu est aussi plus conséquent. Il faut parfois que je me force à prendre des tirs.
Je dois trouver l’équilibre entre faire jouer les autres mais aussi me mettre en avant. En tant que basketteur, tu dois être en confiance et même si faire marquer les coéquipiers c’est bien, il ne faut pas que je perde confiance en mes capacités à scorer.
Quels sont tes objectifs avec l’équipe nationale?
Je pense qu’avant tout, on doit réussir à se détacher des équipes contre qui on joue actuellement. On doit être capable de montrer qu’on évolue à un meilleur niveau et que même si la Suisse est un petit pays, à l’image du Kosovo ou de l’Irlande contre qui on va jouer, on peut bien performer dans ces qualifications.
Les matchs à venir seront cruciaux pour confirmer nos deux victoires du mois de février dernier. On doit être meilleur qu’eux et le montrer sur le terrain parce qu’elle est là la vérité du sport.
L’objectif ensuite, c’est d’accéder à la suite du parcours, car même si ça sera compliqué de décrocher un ticket pour la coupe du monde, cela reste un objectif pour l’équipe nationale. Je pense qu’on a le niveau pour passer à l’étape suivante et montrer qu’on a un niveau supérieur à nos rivaux actuels.
D’un point de vue personnel, j’aimerais être dans le groupe des 12 joueurs qui jouent et pas seulement, comme lors de mon premier rassemblement, juste être dans le groupe élargi. J’aspire à avoir un autre statut que le jeune qui vient pour acquérir un peu d’expérience.
Pour la suite, je veux être un élément majeur et indiscutable de l’équipe. Mais en attendant, il faut aborder les choses petit à petit et toujours faire le maximum pour avoir une chance de faire mieux et de progresser, que ce soit collectivement ou individuellement.
L’équipe suisse peut-elle prétendre à une qualification après tant d’années de disette?
Sincèrement c’est dur se projeter dans plusieurs années, mais l’objectif le plus réalisable actuellement, ce serait l’Eurobasket, la coupe du monde c’est encore trop loin pour la Suisse aujourd’hui par rapport à notre niveau.
En plus, c’est compliqué de faire venir les joueurs de NBA avec les différentes clauses dans le contrat. Il faut accepter de devoir faire sans eux. Mais c’est sûr qu’avec Clint Capela ou Kyshawn quand il aura pris sa décision, ça changerait pas mal de choses.
Nous, les joueurs, on doit faire du mieux possible pour représenter de la meilleure manière l’équipe nationale. Mais si on avait l’occasion de faire venir nos “vrais” meilleurs joueurs, je pense que la Suisse aurait un vrai rôle à jouer dans le basket européen.
Avant de voir coupe du monde ou Jeux Olympiques, je pense qu’il faut y aller par échelon et penser déjà à se montrer sous notre meilleur jour contre nos prochains rivaux. Ensuite, faire de notre mieux en qualifications pour la coupe du monde, mais il faut garder à l’esprit que c’est l’Euro notre objectif le plus facilement atteignable.
Comment perçois-tu l’engouement des gens autour du basket en Suisse?
Je ne peux parler que pour mon équipe, car je ne sais pas exactement tout ce qui se fait ou non pour les autres clubs, mais c’est clairement le manque de financement. Ici à Lausanne, la commune alloue un certain budget pour le sport mais celui-ci est en grande partie dédié au Lausanne Hockey Club, qui a une place très importante dans le hockey suisse. L’autre grande partie va aux différents clubs de football de la ville. Au final, le basket et les autres sports on prend un peu les restes.
Tout cela fait qu’il y un vrai manque de professionnalisme en Suisse à l’heure actuelle dans le basket. On manque un peu près de tout mais c’est vrai que les difficultés à trouver des sponsors et le manque de concurrence dans ce domaine font que ça met du temps à se développer ou à être mis en avant.
Le jour où plus de sponsors s’intéresseront au basket suisse, les choses iront immédiatement mieux et c’est à ce moment-là qu’on arrivera à changer cette dynamique. Pour y arriver, il y a encore du travail à fournir, je pense notamment à la Suisse-allemande qui n’a que très peu d’équipes au sein des deux meilleurs championnats du pays.
Il faut l’admettre, c’est là-bas qu’il y a le plus d’argent, avec des villes comme Zürich, Bâle, Berne ou Lucerne, mais malheureusement, pour le moment, il n’y a presque rien qui est fait. C’est dommage parce que c’est là que la marge de progression est la plus grande.
Le basket souffre d’un vrai manque de visibilité. On a qu’à prendre l’exemple du peu de matchs qui sont diffusés sur les chaînes de télé du pays. Chaque saison il n’y a qu’un ou deux matchs de basket suisse qui sont programmés en antenne nationale. Cette saison, il y a certains matchs de Fribourg qui sont proposés, mais sinon ça s’arrête là.
Même si on regarde la chaîne Youtube de Suisse Basket ce sont principalement les proches du club ou des joueurs qui vont se poser devant les matchs. Je ne pense pas qu’une famille aille regarder les matchs sur Youtube, même si c’est gratuit. En revanche, si les matchs étaient diffusés plus régulièrement à la télé, cela pourrait inciter les gens à s’y intéresser et on gagnerait sûrement en visibilité.
Quels sont les moyens pour attirer plus de gens?
Comme je l’ai dit, le plus important est de faciliter l’accès aux matchs car c’est sympa les matchs gratuits sur internet mais ça ne touche pas un public assez large. Il faut voir plus grand et je pense que ça passe par un plus grand nombre de matchs diffusés par les chaînes de télévision.
Il y a l’excuse des limites des terrains qui ressort souvent. Mais en SBL, la plupart des salles sont quand même bien délimitées malgré le mélange de ligne disons. A Fribourg, il n’y a même pas ce problème car ils ont leur propre salle donc c’est clairement faisable de diffuser plus de matchs.
Cela dit, il y a des améliorations à faire au niveau des infrastructures mais je pense principalement pour les joueurs. Souvent on partage la salle avec une ou des écoles, ce qui fait que c’est difficile d’aller s’entraîner à midi par exemple. On doit toujours prendre en compte les horaires et les disponibilités des différentes salles et c’est sûr que c’est problématique pour nous, les joueurs.
C’est difficile de professionnaliser un domaine dans de telles conditions. Pour un pro c’est délicat de devoir attendre le soir pour avoir l’occasion de s’entraîner. Avec des infrastructures dédiées, ce serait nettement plus facile et agréable pour nous et ça inciterait peut-être les médias à nous mettre un peu plus en avant.
Est-ce que tu penses que la draft de ton frère peut avoir un impact sur l’attrait des gens pour le basket?
C’est sûr et je le ressens déjà chez moi à Monthey. Tous les jeunes du club l’ont côtoyé d’une manière ou d’une autre. Il assistait de temps en temps aux matchs du BBC Monthey et voir un jeune de la région réussir à ce niveau ça les motive et ils prennent conscience que c’est possible.
On a eu Thabo Sefolosha, Clint Capela et maintenant mon frère donc c’est sûr que cela accroît l’engouement autour de ce sport. Mais on ne le ressent pas que maintenant. Quand Kyshawn est parti à Châlon, ça a incité beaucoup de jeunes à partir se former ailleurs pour rejoindre un centre de formation qui leur donnerait accès à de meilleures opportunités.
Il y a des amis à moi qui sont partis en Espagne, aux Etats-Unis ou en France. C’est indéniable qu’il a déjà eu son impact sur la perception que peuvent avoir les plus jeunes au sujet du basket et sur ses débouchées.
En Suisse, on va mettre l’accent sur plein de choses, on va mettre en avant énormément de domaines mais le sport reste sous-représenté. Ici, c’est presque utopique d’ambitionner de devenir sportif professionnel car peu de choses sont mises en place et on ne le voit pas que dans le monde du basket. Il y a des pays où la culture du sport est nettement plus présente, malheureusement ce n’est pas encore le cas en Suisse.
Comment as tu vécu cette “séparation” avec ton frère?
Il faut dire que ça s’est fait progressivement, on s’attendait à ce départ. Je n’ai pas été trop impacté émotionnellement par cette situation. Il est parti à 15 ans à Châlon et à partir de là on ne se voyait qu’une fois tous les deux mois peut-être. Après on parlait au téléphone une fois par semaine mais ça c’est aussi le cas depuis qu’il est parti à la fac à Miami.
Tout le monde était prêt à gérer cette situation car c’était son chemin. Dans sa tête ça a toujours été clair qu’il jouerait en NBA un jour, donc ça l’était aussi pour nous. Si ça avait été plus soudain peut-être que j’aurais vécu ça différemment mais là c’était plutôt normal pour moi.
Est-ce que tu lui as donné deux trois objectifs à atteindre cette saison?
Il s’en donne déjà tellement lui-même que je n’ai rien osé lui fixer comme objectifs. Il est très exigeant avec lui alors je ne voulais pas rajouter de pression supplémentaire. Mais j’avais quand même envie qu’il ait du temps de jeu, ça c’est sûr. C’était un peu le désir de tout le monde que ce soit nos parents, ses amis ou moi, on voulait tous qu’il ait assez de minutes sur le parquet.
Je pense qu’il ne pouvait pas tomber mieux qu’à Washington. La franchise se construit un avenir, il y Bilal (Coulibaly) et Alexandre (Sarr) en plus d’un membre du staff qui parlent français donc ça ajoute encore un petit quelque chose. Les trois ont un peu la même mentalité, ils sont portés par tous les aspects défensifs du jeu. Bilal est un gros défenseur comme Alex ou mon frère, alors construire quelque chose avec des gars de ton âge et qui, en plus, partagent la même mentalité que toi, ça aide énormément.
Le plus important pour lui, c’est qu’il ait du temps de jeu et surtout qu’il prenne du plaisir sur le parquet. Il ne va pas beaucoup gagner avec les Wizards mais au moins il a l’occasion de jouer et de montrer ce dont il est capable. Ce genre d’environnement est parfait pour un rookie.
Penses-tu jouer ailleurs qu’en Suisse à l’avenir?
Je ne vais pas te mentir, oui j’y pense, mais avant tout je veux finir mon bachelor. Je suis en deuxième année donc actuellement c’est ça ma priorité en plus de bien terminer la saison avec les Foxes. Pour la suite, on verra bien de quoi demain sera fait.
Je pense peut-être à faire ma troisième année au Canada dans le cadre d’un échange. Si tel est le cas, je jouerai au Canada mais le basket ne sera pas primordial dans mon choix, c’est vraiment pour les études. Mais c’est sûr que c’est quelque chose que j’ai en tête.
Après mon bachelor je pense contacter un agent et voir un peu quelles sont les différentes possibilités pour moi, que ce soit en Suisse, en Europe ou même ailleurs. En attendant, je me concentre à fond sur mes études parce que j’ai vraiment envie de les terminer avant de voir quel chemin je vais prendre.
Pour l’instant, c’est très cool de me dire que j’arrive à jouer en SBL en plus de continuer mes études, c’est valorisant pour moi. C’est ça que m’a laissé mon frère aussi, de se dire que c’est possible d’atteindre le haut niveau. Il a eu un impact, non seulement pour les autres, mais aussi pour moi.
Ton rêve absolu en termes de basket?
Je n’ai pas de rêve spécialement lié au basket, pour moi l’essentiel c’est de m’impliquer à 100% et de voir où ça me mène. Si dans 5 ans je suis un bon meneur de SBL en ayant toujours donné mon maximum, je serai très heureux et satisfait de mon parcours. Si je vois plus grand et je pense à l’Euroleague par exemple, je serai fier d’avoir atteint ce niveau en ayant donné mon maximum.
C’est ça peut-être mon rêve au final, donner mon 100% et voir ce que ça peut m’apporter. Je serais tout aussi heureux de jouer en Suisse qu’en Europe, tant que je me suis donné à fond pour y parvenir. Je n’aurai pas de regrets de cette façon. Si on se fixe des objectifs et qu’on ne les atteint pas, on finit déçu et ce n’est pas le but. Peu importe le domaine, si on ne veut rien regretter il faut être prêt à s’impliquer complètement.
Jamal George est un véritable espoir du basket suisse qui ne demande qu’à confirmer les belles choses démontrées la saison dernière. Entre la réussite de sa saison chez les Foxes ou son désir d’être un élément clé en équipe nationale, Jamal aspire à de belles choses. Peut-être que d’ici quelques temps, il formera un duo en équipe suisse avec son frère Kyshawn George. Mais avant cela, le meneur, montheysan d’origine, devra gagner ses galons en sélection et son frère devra décider quelle nation il représentera à l’avenir.