Wes Unseld réussit un exploit rare lors de sa première saison de NBA, devenir à la fois la meilleure recrue de l’année et le meilleur joueur de la saison régulière de 1968. Il est le seul à réaliser cet exploit avec un certain Wilt Chamberlain. Ce dernier est arrivé en NBA comme une boule dans un jeu de quilles. Wes Unseld s’empare également de tous les trophées individuels alors qu’il est loin d’apporter le même niveau de domination que Chamberlain. Une question s’impose. Comment et pourquoi le pivot des Washington Bullets réussit à devenir le MVP et le ROY de la saison 1968/69 ?
La Draft
Lorsqu’il est en première année au lycée, Wes Unseld n’est pas du tout passionné par le basketball. Il préfère de loin le football américain, l’athlétisme et le baseball. C’est l’entraîneur Bob Mulcahy qui persuade le jeune Westley de se mettre à la balle orange. Quatre ans plus tard, plus de 150 universités lui font des courbettes pour obtenir ses services.
La faculté du Kentucky a besoin d’un pivot et lui offre une bourse, mais Wes Unseld n’est pas très chaud à l’idée de rejoindre un programme qui cultive toujours un esprit ségrégationniste. Il décide de rallier le collège de sa ville natale, Louisville, également situé dans le Kentucky. Là-bas, il devient un des prospects les plus intrigants et uniques du pays. Cependant, beaucoup doutent de sa capacité à s’imposer chez les pros.
Comme de nombreuses jeunes recrues de l’époque, il a le choix entre s’engager avec la NBA ou l’ABA. Deux équipes s’affrontent pour l’obtenir, les Baltimore Bullets (avec le 2d choix de draft NBA) et les Kentucky Colonels (avec le 1er choix de draft ABA). Sa signature avec Baltimore suscite l’indignation de tout l’État du Kentucky. On dit de lui qu’il est ingrat et les Colonels achètent des annonces dans les journaux pour expliquer qu’il est un traître. La décision de Wes Unseld passe mal et l’argent de l’ABA n’a pas suffi à le convaincre de rester la star locale.
Car si les Colonels ont de quoi offrir de gros contrats, l’envie, elle, est du côté des Bullets. Le General Manager de Baltimore, Buddy Jeannette, a fait tout son possible pour séduire Wes Unseld et faire de lui sa nouvelle recrue. Pourtant, avant la draft, sa cause est loin d’être acquise pour l’entraîneur de la capitale, Gene Shue.
L’ancien arrière des Detroit Pistons fait un repérage pendant les vacances de Noël lors d’une tournée à New York. Il revient avec énormément de doutes et demeure peu impressionné par ce qu’il a vu de l’intérieur de Louisville. Pour l’instant, il est bien plus séduit par le centre de deux mètres dix, Otto Moore, en provenance du Texas.
Gene Shue, comme beaucoup, trouve Wes Unseld trop petit pour jouer au poste de pivot et pas assez bon shooteur pour être un ailier. Il continue de s’intéresser à son cas à l’aide de films et il reçoit plus d’informations sur son sujet grâce à son assistant Bob Ferry et au conseil avisé d’un jeune scout nommé, Jerry Krause. Une fois le camp d’entraînement débuté, il se laisse convaincre et devient un de ceux qui croient le plus aux qualités de son nouvel intérieur.
Je suis extrêmement heureux de ce que j’ai vu de Wes depuis son arrivée. On sait qu’on vient de drafter un grand rebondeur capable de faire des relances rapides. Mais je découvre qu’il est aussi un excellent dribbleur et un bon shooteur. Cela m’a vraiment surpris, il va être un excellent pro._ Gene Shue

Des débuts compromis ?
Avant que la saison ne commence, le journaliste, Walt Riddle, nous fait part de ses observations sur les talents de la draft. Il décrit Wes Unseld comme le meilleur intérieur pour lancer une contre-attaque, capable de trouver les shooteurs ouverts, il est altruiste, puissant, combatif, bon tireur et fort rebondeur. Cependant, il dit également qu’il est lent, limité en attaque, et qu’il manque cruellement de taille pour le poste de pivot avec ses deux mètres et un centimètre.
La taille de Wes Unseld questionne et cela n’est pas réservé aux observateurs de la NBA, puisqu’elle est avant le début de saison au centre de bien des interrogations. Il est annoncé à 6 pieds et 8 pouces, mais il confesse être légèrement plus petit que cela. S’il ne s’inquiète pas pour sa carrière malgré son gabarit, Unseld craint autre chose.
En effet, l’armée américaine vient tout juste de changer ses critères de sélection. Auparavant, les jeunes hommes de plus de 6 pieds et 6 pouces se voient être réformés d’office, mais cette marque est relevée à 6 pieds et 8 pouces. Si Wes Unseld est jugé apte au service militaire, il serait alors absent pour les deux saisons à venir.
Après avoir passé ses examens, c’est avec fébrilité qu’Unseld et les Bullets attendent la décision des médecins de l’armée. Il faut patienter jusqu’au 9 octobre pour avoir enfin une réponse de la part de l’oncle Sam, Wes Unseld est inapte. Il est impossible d’en connaître la raison puisque le dossier est protégé par le secret médical. La rumeur d’une vieille blessure au genou datant de son passage à Louisville est avancée sans pour autant que cela soit une certitude.
C’est un soulagement pour Wes Unseld et les Bullets qui prennent acte de cette décision seulement huit jours avant le début de la saison. Il reste toujours une question : le manque de taille d’Unseld sera-t-il un handicap pour sa réussite en NBA ?
Je mesure à peine deux mètres et je ne saute pas très haut. Mais je sais garder ma position au rebond et je suis puissant.
Wes Unseld connaît ses forces, le rebond et sa capacité de relance. Ce sont des aptitudes qu’il retrouve chez un de ses modèles, Paul Silas. Il sait que malgré sa petite taille il peut devenir un des intérieurs les plus dominants dans ces domaines. Il se moque bien d’être un scoreur, il veut être le meilleur rebondeur de la NBA. Avec ses 110 kilos de muscle, il pense qu’il peut tirer un avantage de sa puissance.

Unseld rassure, Baltimore explose
16 octobre 1968, les Baltimore Bullets reçoivent les Detroit Pistons. Un match dans lequel l’ailier fort Gus Johnson est étincelant avec 29 points et 11 rebonds. Bob Ferry, joueur intérieur et coach adjoint des Bullets, sort du banc et inscrit plusieurs paniers importants dans le quatrième quart-temps. Enfin, Earl Monroe est l’homme clé pour sceller le sort de ce match remporté 124 à 116 grâce à ses 28 points et 9 passes décisives.
Quant à Wes Unseld, il est plutôt discret avec seulement 8 points, mais comme il l’a annoncé c’est au rebond qu’il s’illustre avec 22 prises. Quelques jours plus tard, il marque 9 points dans les six dernières minutes pour permettre la victoire des siens 111 à 104 sur les Seattle Supersonics. Lors de la douzième rencontre de la saison, Baltimore explose une des meilleures équipes de la ligue, les Atlanta Hawks, sur le score de 140 à 119.
Depuis l’arrivée de la franchise en 1961, jamais elle n’a réussi à atteindre un bilan à l’équilibre. Avec 9 victoires et 3 défaites, cet effectif semble capable de réaliser une année historique pour Baltimore. Jusqu’à présent, ce club s’est illustré par de nombreuses mauvaises fortunes, mais certaines d’entre elles sont à l’origine de leur succès.
C’est le journaliste Barry McDermott qui l’explique dans les colonnes du Cincinnati Enquirer. Il commence son papier en demandant aux lecteurs s’ils connaissent les poupées de Baltimore. Des poupées qui lorsqu’elles sont secouées perdent la balle. Les Bullets sont la risée de la ligue pour une partie des observateurs, mais le constat est là, les choses changent.
Tout démarre quand les Bullets engagent Gene Shue comme entraîneur en décembre 1966 alors que les joueurs sont en conflit entre eux à cause de leur salaire. Cependant, il réussit à faire passer le bilan de 20 victoires à 37 en une seule saison. Baltimore peut avoir le premier choix de la draft l’année qui suit, mais le fameux « coin-flip » (pile ou face en français) en décide autrement. Le staff veut recruter la sensation universitaire de Providence, Jimmy Walker, mais doit se rabattre sur Earl Monroe. Un choix contraint qui est finalement une bénédiction, Monroe est une bonne pioche alors que Walker est une déception.
Même scénario lors de la loterie suivante. Baltimore veut Elvin Hayes, mais le coin-flip ne leur est pas favorable et c’est Wes Unseld qui est choisi. La mauvaise fortune des Bullets finit malgré eux à bâtir un socle solide autour de l’entraîneur Gene Shue, et des deux jeunes stars complémentaires Earl Monroe et Wes Unseld. Mais lorsqu’on pose la question à coach Richie Guerin des Atlanta Hawks au lendemain de sa cuisante défaite : qu’est-ce qui fait des Bullets une équipe si forte ? Sa réponse est claire et sans aucun doute, « c’est Wes Unseld ».

Les éloges commencent à pleuvoir de tous les côtés, ses partenaires saluent son dévouement pour l’équipe ainsi que sa mentalité de gagneur. Les sceptiques à son sujet découvrent un intérieur rapide et vif autant en attaque qu’en défense. Il devient un vrai point d’ancrage sur jeu placé et une rampe de lancement idéale pour les scoreurs Earl Monroe et Kevin Loughery.
Bob Ferry qui travaille beaucoup avec lui, dit qu’il est comme un ordinateur qui absorbe et enregistre toutes les informations qu’il reçoit. Un aspect de sa personnalité que confirme son entraîneur Gene Shue en déclarant qu’il est le rookie le plus intelligent qu’il ait connu.
Baltimore vient de trouver l’intérieur qui comble tous les besoins de son effectif. Son association avec le pétard ambulant, Earl Monroe, permet d’afficher un bilan de 28 victoires pour 10 défaites à la fin décembre. Dorénavant, les Bullets ne sont plus ridicules, ils sont même des clients sérieux pour atteindre les finales NBA.
Wes Unseld ne perd jamais
L’année 1969 commence fort avec un duel entre Wes Unseld et la star des San Diego Rockets, le premier choix de la draft, Elvin Hayes. Un affrontement poste pour poste, car Hayes évolue à cette époque à la position de pivot. Si sur le papier il est celui qui domine le débat avec 26 points et 20 rebonds. C’est bien Wes Unseld qui a le mot de la fin avec un tir décisif à la dernière seconde.
Wes Unseld, auteur de 13 points, s’empare du ballon sur un rebond offensif après une tentative manqué de Jack Marin et remonte immédiatement au cercle pour inscrire le panier qui offre la victoire à Baltimore. Une fois de plus, sans être extraordinaires dans les chiffres, sa hargne et sa combativité mènent les Bullets au succès.
Un peu plus tard, il continue de marquer les esprits et son territoire en dominant Bill Russell dans la raquette lors d’un affrontement contre Boston. Pour la troisième fois consécutive, il prend plus de rebonds que le pivot des Celtics lors d’un de leur face-à-face. Baltimore s’impose 122 à 109 et Wes Unseld confirme qu’il est de la trempe des plus grands. Dès la présaison, il avait déjà envoyé un signal au vieillissant Russell.
En effet, lorsque Bill Russell croise la route du jeune rookie pour la première fois, il est passablement étonné et énervé de voir ce gamin lui arracher plusieurs ballons des mains. Russell, dépité, secoue la tête et se demande qui est cet effronté qui ne le respecte pas. Même chose pour Wilt Chamberlain qui s’est fortement agacé d’être dominé au rebond par une recrue.

Bien entendu, de telles performances lui offrent une place dans l’effectif de la sélection All Star de l’Eastern Division en compagnie de ses partenaires Earl Monroe et Gus Johnson. Malheureusement, alors que les Bullets affichent un bilan record de 40 victoires pour 15 défaites, Gus Johnson se blesse au cours d’une rencontre contre les Celtics le 5 février.
C’est après une collision avec son équipier Kevin Loughery que Johnson est touché au genou gauche. Victime d’une rupture des ligaments croisés, il est indisponible pour le reste de la saison. Un coup dur pour les Bullets qui perdent un membre de son Big Three. Pourtant, fin février, Baltimore ne montre pas de signes de faiblesse et termine le mois avec 50 victoires pour 18 défaites.
Wes Unseld sort quelques gros matchs, notamment contre les Milwaukee Bucks où il aligne 28 points et 30 rebonds dans une victoire 132 à 122. Mais globalement, il n’en fait pas plus, il continue d’être le rouage qui permet à ses coéquipiers de briller, laissant Loughery et Monroe enfiler les paniers comme des perles. Avec sans cesse la même ligne de stats, 14 points et 18 rebonds, Unseld fait le travail et repart toujours vainqueur.
Au chapitre des duels remportés, un des plus importants se déroule début mars lorsque les Baltimore Bullets affrontent les New York Knicks. Willis Reed est un des candidats sérieux au titre de MVP, il est d’ailleurs le favori des journalistes. Le box score laisse entrevoir que c’est Wes Unseld qui domine son vis-à-vis avec 19 points et 20 rebonds quand l’intérieur de la grande pomme marque 18 points pour 13 rebonds.
Cependant, c’est encore une fois dans le money time que Wes Unseld s’illustre. Lui qui n’est pas bon tireur de lancer franc avec seulement 60 % de réussite, rentre ses deux pénalités pour donner l’avantage aux siens, 111 à 110. Dave DeBusschere rate une ultime tentative et les Bullets s’imposent une nouvelle fois grâce au sang-froid de leur leader. Un succès qui confirme que Wes Unseld se transcende toujours dans les fins de match.
L’indisponibilité de Gus Johnson se fait en fin de compte sentir lors de la dernière ligne droite, mais Baltimore termine la saison en tête de la ligue avec 57 victoires pour 25 défaites. Wes Unseld sans être statistiquement hors du commun a remporté tous ses affrontements avec ses rivaux en y ajoutant des moments marquants. Enfin, la réussite des Bullets malgré l’absence de Gus Johnson démontre d’autant plus son impact majeur sur le jeu de son équipe.

Succession
Le 15 mars 1969, le journaliste Jim Murray publie un article dans le Detroit Free Press qui traduit bien le sentiment de beaucoup au sujet de celui qu’il surnomme Wes « Unselfish », Wes l’altruiste en français. Une sensation qui jusqu’ici pouvait se sentir entre les lignes de certains commentateurs est alors explicitée de manière plus directe. Wes Unseld est le nouveau Bill Russell.

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Alors que Bill Russell est au crépuscule de sa carrière arrive ce jeune homme de Louisville qui montre les mêmes qualités que la légende des Celtics. Avec son air de grand chef indien, Wes Unseld dégage un charisme et un leadership naturel que ne cessent de vanter ses coéquipiers.
Il est également discret offensivement et ne tire que si l’opportunité se présente. Cela ne l’empêche pas d’être un élément clé de l’attaque des Bullets comme Russell en son temps avec Boston. Dans cette ligue qui court à toute vitesse, il est vital de maîtriser le rebond. En cela, Wes Unseld est comme son aîné, un spécialiste du genre. Mais il est aussi extrêmement important de lancer la contre-attaque le plus vite possible et à ce petit jeu-là, Wes Unseld est un véritable crack.
L’importance de la relance est primordiale dans l’ère du Run & Gun, un aspect du jeu qui n’apparaît pas dans les lignes de stats, mais qui fait toute la différence. Si l’on aime à montrer les fameuses « outlets passes » de Wes Unseld qui traversent tout le terrain pour une passe décisive. Il ne faut pas oublier toutes ses relances rapides qui permettent aux arrières de filer comme des boulets de canon vers le panier adverse.
Aujourd’hui, il est peut-être difficile de croire que la relance soit si essentielle mais dans cette NBA qui ne connaît que la contre-attaque ou presque, cet aspect du jeu est crucial. Bien sûr, il est tout comme Bill Russell, un des meilleurs défenseurs de la ligue. Certes il n’a pas sa verticalité, ce qui fait de lui un piètre contreur. Mais il est malgré cela toujours là pour gêner ses adversaires et ses mains sont d’une vitesse rare pour un pivot.
Enfin, sa seule présence permet à Baltimore de gagner 21 victoires de plus que lors de la précédente saison. Comme Bill Russell en 1957, et avec un rôle similaire, Wes Unseld fait passer un cap à sa franchise. La vie n’est qu’une succession de cycles, et on se demande si Unseld n’est pas celui capable de faire des Baltimore Bullets la future dynastie de NBA.
Cependant, lorsqu’on l’interroge sur la question, il n’y croit pas une seconde. Pour lui, il ne peut pas devenir le prochain Bill Russell.
Un autre Russell ? Je serais stupide d’essayer. Je ne suis pas bâti comme lui, je suppose que je ne pense pas comme lui. Je ne sais vraiment pas à quel point je peux être bon
Le temps des récompenses
Il se passe également autre chose le 15 mars, puisque « The Metropolitan Basketball Writers Association », l’association des journalistes, révèle le résultat de ses votes pour les trophées de la saison 1968/69. La presse a décidé d’attribuer le titre de MVP (Sam Davis Award) à Willis Reed des New York Knicks. C’est une récompense honorifique, car ce trophée est officiellement décerné par les joueurs.
Par contre, les journalistes sont ceux qui déterminent qui est le rookie de l’année et c’est bien Wes Unseld qui reçoit cet honneur. Longtemps, ce titre semblait destiné à Elvin Hayes. Le pivot des Rockets est le meilleur scoreur de la saison avec 28,4 points par rencontre, et il prend quasiment autant de rebonds qu’Unseld. Mais le bilan mitigé de San Diego, 37 victoires et 45 défaites, a joué contre lui.
Le vote de la presse paraît logique. Willis Reed est en pleine montée en puissance avec des Knicks plus fort que jamais depuis l’arrivée de Dave DeBusschere. Il est un des leaders les plus charismatiques de la ligue et affiche 21 points et 14 rebonds de moyenne. Wes Unseld, de son côté, reçoit le titre de recrue de l’année grâce à son impact immédiat sur les résultats de son équipe.
Les phases finales donnent raison à la presse. Bullets et Knicks s’affrontent au premier round des playoffs, et les New-Yorkais s’imposent facilement quatre victoires à zéro. Reed est dominant avec 28 points et 15 rebonds de moyenne à 51 % de réussite aux tirs. Wes Unseld n’est pas en reste avec 18 points et 18 rebonds par rencontre, mais il vient de logiquement perdre son duel face à plus fort que lui.

La surprise
Alors que le premier round des playoffs touche à sa fin, le 8 avril, la NBA annonce son MVP. Les joueurs ont décidé d’élire Wes Unseld. Quand il apprend la nouvelle, les journalistes sont peu surpris de le voir ne pas tirer la couverture vers lui.
Je ne sais pas si je le mérite vraiment. Je pense qu’Earl Monroe le mérite plus que moi. Quand je vois ce qui c’est passé cette saison, il est évident que tout ne vient pas de moi. Cela a commencé l’an dernier quand Earl était un rookie.
Sans doute un peu gêné de recevoir ce trophée au nez et à la barbe de Reed alors que ce dernier vient de lui infliger un 4 à 0 en playoff. Wes Unseld préfère ne pas fanfaronner, ce qui n’est de toute façon pas son genre, et salue plutôt celui qui a été tout aussi formidable que lui lors de cette saison de tous les records pour les Bullets.
Car si Unseld est le liant de l’équipe, Monroe est celui qui rentre les paniers compliqués, qui multiplie les fadeaways qui font ficelle. Sans un scoreur de sa trempe, capable de marquer des tirs avec un niveau de difficulté inouï, les Bullets ne seraient pas si performants. Le clin d’œil d’Unseld à Monroe n’a rien de diplomatique, l’arrière des Bullets est l’autre grand artisan de la réussite de Baltimore.
Les deux partenaires sont également présents dans la All NBA first team quand Willis Reed est lui relégué dans la seconde. Si les journalistes ont préféré le pivot des Knicks, les joueurs ont eux salué l’impact de Wes Unseld. Très tôt dans la saison, à l’image des déclarations de Richie Guerin. Le narratif d’un Unseld, pièce maîtresse des Bullets et responsable de la réussite des siens, s’est imposé.
Même s’il est impossible d’avoir les résultats complets des votes, Wes Unseld cumule 53 voix contre seulement 18 pour Willis Reed. On trouve aujourd’hui des contenus ou certains nous disent que le titre de MVP de Wes Unseld est un des pires de l’histoire de la NBA. Pourtant, au vu du vote des joueurs, des articles de l’époque, ce trophée est loin d’être volé.
Un lourd héritage
Il n’est jamais aisé d’être considéré comme le futur remplaçant d’une légende et encore moins lorsqu’il s’agit du mythe Bill Russell. Avec onze titres de champion, 5 trophées de MVP, 12 présences au All Star Game et quatre couronnes de meilleurs rebondeurs, le costume de Russell paraît trop grand pour le pivot sous-dimensionné des Bullets.
Wes Unseld, n’est All Star que 5 fois, il est All NBA que lors de sa saison rookie, et n’apparaît que trois fois dans le top 10 des candidats au titre de MVP en treize saisons. La succession prend des allures de déception à l’énoncé de ce constat, mais cela serait sévère de le considérer ainsi.
Dans un article assez inattendu signé de sa main et paru en février 1972 dans le magazine Super Sport que partage Bob Kuska sur son site « From way Downtown ». On découvre avec surprise que Wes Unseld pense que les Bullets ne peuvent pas gagner de championnat avec lui au poste de pivot. Il explique être trop petit pour la position et qu’il doit être replacé à l’aile pour que son équipe puisse mettre quelqu’un de plus grand à sa place. Selon lui, il est celui qui empêche Baltimore de remporter le titre et son manque de taille pénalise sa franchise.
Pour que les Bullets puissent gravir le plus haut sommet de la NBA, ils ont besoin d’un pivot plus grand. De par la nature même du jeu aujourd’hui, je ne pense pas que je pourrais aider adéquatement l’équipe à réaliser ce qu’elle recherche, du moins pas en tant que pivot. En fait, ma présence en NBA, en tant que membre des Bullets, dépend de mon changement de position. Si je m’attends à jouer huit à dix ans dans cette ligue, je devrai jouer à l’aile. Avec le bon pivot et moi en position d’ailier, alors, je pense, les Bullets pourraient atteindre les plus hauts sommets du basket-ball professionnel.
Unseld a pleinement conscience que la concurrence est rude. Il le dit, il ne peut empêcher Alcindor de marquer trente points, Reed et Thurmond sont plus complets que lui. Il avoue même souffrir contre le pivot des Bulls, Tom Boerwinkle, qui est capable de faire preuve d’autant de puissance que lui avec ses 120 kilos. De plus, il raconte cela en 1972, alors que de jeunes stars en devenir sont en mode préchauffage avec Bob Lanier, Bob McAdoo et Dave Cowens. Sans oublier Bill Walton qui est encore en couveuse, mais qui fera son arrivée en 1974.
Mon objectif ultime a toujours été d’amener un championnat à Baltimore. C’est toujours le cas aujourd’hui, mais je ne pense pas que je peux le faire. Je ne suis pas assez grand. Je peux compenser beaucoup de choses en jouant au basket, mais je ne sais pas comment compenser un manque de taille.
Il se persuade d’être dans le vrai en confirmant son sentiment avec un raisonnement assez simpliste : toutes les équipes qui gagnent des titres le font grâce à un big men. Sa preuve ultime, les Celtics ont remporté onze bagues avec Bill Russell sous leur panier.
Lui en est à sa quatrième saison, il a été éliminé des playoffs par Willis Reed à deux reprises et a perdu une finale contre le géant Lew Alcindor. Avec la recrudescence de pivot de talent, Unseld ne voit pas l’avenir d’un bon œil s’il continue d’évoluer à ce poste.

Son of a Bill
Wes Unseld sait qu’il est celui qui fait des Bullets une des meilleures équipes de la ligue. Il maîtrise à la perfection tous les éléments intangibles du jeu, ces petites choses qui font les victoires. Cependant, il n’est pas dupe et il voit bien qu’il n’est pas le seul dans ce cas. D’autres le font très bien comme Dave DeBusschere, Bill Bridges ou encore Paul Silas. Tous sont des défenseurs élites et de grands relanceurs, et certains sont même de bien meilleurs attaquants. La différence ? Ils évoluent tous au poste, pas encore nommé de, power forward.
Sa lettre ouverte dans le magazine Super Sport ne reste pas sans conséquence. Quelques mois après sa publication, les Bullets sautent sur une occasion en or. Ils échangent leur ailier Jack Marin contre le centre des Houston Rockets, Elvin Hayes. Ce dernier est en plein conflit avec sa franchise qui se sépare de lui au grand bonheur de Baltimore.
Dans la presse, on confirme que c’est un bon deal pour une équipe qui se cherche un pivot « légitime ». On se demande comment Hayes et Unseld vont cohabiter, mais au vu de ses récentes déclarations il semble évident que c’est Unseld qui se décale à l’aile. Toutefois, il y en a un qui ne pense pas vraiment de la sorte. Coach Gene Shue estime que c’est une mauvaise idée.
Certes, l’arrivée de Hayes apporte de la taille, mais cela ne change pas le fait qu’Unseld est un attaquant trop limité et qu’il n’a pas le bagage technique nécessaire pour bouger de poste. Le positionner à l’aile risque de pénaliser son équipe au lieu de l’aider comme il l’exprime dans son article. C’est contre sa volonté qu’il reste un pivot.
Le résultat ? Trois finales NBA supplémentaires et un titre lors de la saison 1977/78 avec le trophée de MVP des finales en prime. Si Elvin Hayes est celui qui brille sur les box scores, Unseld reste le pilier de sa franchise, le maître des détails et le détonateur de l’attaque des Bullets avec ses relances.

Après la victoire de 1978, Wes Unseld reste stoïque, il avoue ne pas savoir comment réagir. Ce leader par l’exemple qui pèse ses mots avant de parler préfère rendre hommage à ses partenaires. Il déclare être fier de jouer dans la meilleure équipe du monde. Il demeure humble, car il se sait usé et qu’il a certainement atteint le point culminant de sa carrière. Il se demande même s’il n’est pas le moment de raccrocher.
Aucune autre star de son temps n’a participé à autant de finales NBA que lui entre 1968 et 1981. Sur 13 années de NBA, il ne manque qu’une seule campagne de playoffs, lors de sa dernière saison, celle de trop. Dans une ligue où il devient de plus en plus compliqué de remporter une bague, Unseld et les Bullets sont restés plus d’une décennie des candidats sérieux pour le titre.
Dans son article, il déclare échanger volontiers ses récompenses de MVP et Rookie de l’année contre un championnat. Les honneurs ne l’intéressent pas, son rôle sur le terrain il le connaît et il est même disposé à céder sa place sur son poste. Il est prêt à tous les sacrifices pour gagner. Mais après trois saisons, Unseld se dit qu’il ne peut faire aussi bien que Russell et il se persuade que c’est de sa faute, qu’il est trop petit et qu’il n’est pas un pivot de la trempe du quintuple MVP de Boston.
Il ne le sait pas encore, mais il est en train de créer un précédent. Car sa réussite à un poste où il est largement sous-dimensionné montre que cela est possible. Un joueur, s’il en a l’envie et le talent, peut s’imposer malgré un déficit de taille. Dennis Rodman, Alonzo Mourning, Ben Wallace ou encore Draymond Green, en sont les disciples les plus fameux.
Ils sont des spécialistes de la défense, bien plus petits que ce qu’exige leur position. Cependant, cela ne les a pas empêchés d’exceller dans leur art et d’être des contributeurs majeurs au succès de leur équipe. Comme Unseld avant eux, ils affrontent des adversaires bien plus grands. Ce handicap ne les a pas privés d’inscrire leurs noms aux côtés de ceux des plus légendaires de l’histoire de ce sport.
Cet héritage que laisse Wes Unseld lui a bien été transmis par Bill Russell. Certes, le Celtic est le Godfather d’une lignée prestigieuse, celle de ceux qu’on appelle les pivots défensifs. Mais il est aussi celui qui a tenu le rôle de David luttant contre Goliath. C’est lui qui à maintes reprises est venu à bout du géant Wilt Chamberlain à qui il rend plus de dix centimètres. Wes Unseld pense ne pas être digne de la comparaison, mais en réalité il marche dans les traces laissées par Russell. Plus que nul autre, il méritait bien d’être considéré comme son successeur.