Run and Gun Era est une série d’articles dédiée à une des périodes les plus mythiques de l’histoire de NBA. Quand certains jugent cette époque comme celle des plombiers, d’autres y voient une ère où évolue de véritable dieu du basketball aux talents inégalables. Ces deux camps se trompent. Sortons des jugements péremptoires hâtifs, des mythes érigés sur des statistiques, pour découvrir ce que cache ces années au jeu complètement fou. Dans cet épisode, on s’intéresse à l’adresse aux tirs et au niveau de jeu du Run and Gun.
Plumbers & Firemens
Une ligue de plombiers et de pompiers. C’est l’appellation bien célèbre utilisée par les détracteurs du jeu d’autrefois. Une manière élégante d’affirmer que les protagonistes de cette époque étaient des charlots. Alors oui, on ne dribble pas comme aujourd’hui, on shoote les pieds ancrés au sol et on est plus lent et moins athlétique. Pour une partie seulement de l’ère du Run and Gun. On la connaît bien cette NBA, on sait qu’elle ne cesse d’évoluer. Un joueur commence à faire un step-back, puis un autre utilise l’Eurostep, et tout le monde s’y met. Pas d’un seul coup, mais petit à petit. Comme des plaques tectoniques qui avancent lentement avant le grand chamboulement. C’est ce qui se passe au commencement de notre ère du Run and Gun.
Ce n’est d’ailleurs pas étranger aux records incroyables réalisés au début des années 60. Chaque époque à ses athlètes en avance sur leur temps, mais au début des 60’s l’écart est abyssale. Wilt Chamberlain, Bill Russell, Walt Bellamy et Oscar Robertson explosent tout sur leur passage. Au fil des ans cet écart se réduit. Les nouveaux joueurs sont plus physiques, plus adroits, plus rapides, plus techniques, et plus créatifs. Une tendance qui se ressent grandement comme en témoigne Jerry Lucas :
Au cours de mes 10 années en NBA, le jeu n’a pas cessé de changer et les capacités des nouveaux joueurs se sont énormément améliorées. C’est parce qu’ils reçoivent probablement une meilleure formation à un plus jeune âge de la part d’entraîneurs qui sont plus compétents. Il y a de plus en plus de joueurs à tous les niveaux, et évidemment, plus la concurrence est forte chez un jeune, mieux il va se développer.
Plus de profondeur
Au milieu des années 60, les équipes deviennent plus talentueuses. Dès lors, lorsque la NBA connaît sa première expansion, ils se diffusent dans ces nouvelles franchises. Ainsi, un Bob Love qui s’ennuie sur le banc de touche de Cincinnati peut désormais exploser avec les Chicago Bulls. Il en est de même avec Jeff Mullins, qui passe de réserviste à scoreur des San Francisco Warriors. Ils sont apparus au milieu des années 60, mais se sont retrouvés à se morfondre derrière des stars indéboulonnables. Pourtant, ils prouvent qu’ils avaient le talent pour faire bien plus. Une telle chose était impossible en 1957. Un remplaçant était à des années-lumière de pouvoir devenir un atout majeur dans une franchise d’expansion. Elgin Baylor qui a quasiment connu toute l’ère du Run and Gun en témoigne :
Quand j’ai commencé, il n’y avait que huit équipes, et la plupart de ces clubs n’avaient que deux ou trois joueurs exceptionnels. Les huit autres étaient médiocres. Maintenant, il y a plus de deux douzaines d’équipes dans les deux ligues (ABA et NBA) et la plupart des clubs ont de la profondeur.
Le Run and Gun individualiste laisse sa place à un jeu plus collectif. On gaspille moins les ballons, les mauvais shooteurs restent discrets et on tente de maximiser ses chances de scorer en privilégiant les scoreurs les plus habiles. Il n’y a pas que l’attaque qui profite de cette évolution. La défense monte encore en grade. La nouvelle génération se tire vers le haut et c’est à présent une majorité de joueurs qui se retroussent les manches pour protéger leur panier. Là encore, les acteurs de la NBA de l’époque sont totalement conscients de ces avancées, notamment Jerry Lucas :
Les équipes jouent plus ensemble maintenant, et il y a plus d’individus avec beaucoup plus de capacités. Ils font tout mieux aujourd’hui qu’il y a 10 ans et, dans 10 ans, je pense qu’ils seront encore meilleurs. Ce sport continuera de s’améliorer au fur et à mesure que les jeunes seront plus exposés et mieux entraînés.
Il y a donc bien une différence de niveau entre le début du Run and Gun et sa fin. Il faut garder cela en tête lorsqu’il s’agit d’évoquer les grosses performances des plus grandes stars. La plupart sont réalisées dans les premières années du Run and Gun. Même chose pour les saisons records, plus on avance, plus les joueurs ayant réussi des saisons folles voient leurs lignes de stats dégringolées. Le niveau de domination ne peut plus être le même dans une NBA qui s’est considérablement améliorée.
Je commence à suivre la NBA au début des années 90, je découvre Larry Johnson, Penny Hardaway, Grant Hill, Chris Webber et Shaquille O’neal. Je ne suis qu’un ado et je n’ai pas une grande connaissance de l’histoire de la ligue, j’ai pourtant le sentiment que ces joueurs ont ringardisé la période précédente. Seulement quelques années plus tard arrivent Allen Iverson et autre Kobe Bryant, Kevin Garnett, Tracy McGrady ainsi que Vince Carter. La NBA semble avoir franchi un cap avec une génération d’athlètes qui débordent de talents et qui réalisent des choses folles. C’est la même chose qui se passe au cours des années 60. Sur un laps de temps relativement court, l’évolution des joueurs est immense.
Pas de mépris pour autant
Ce n’est pas parce que le niveau de jeu des premières années du Run and Gun est inégal qu’il faut pour autant le discréditer. Il y a suffisamment de ponts entre les générations pour se rendre compte que les plus beaux spécimens de l’époque méritent le respect. Wilt Chamberlain, à la fin de sa carrière, n’est plus le pivot dominateur de la saison des 50 points par match. Cependant, lorsque le jeune loup nommé Alcindor s’oppose à lui, le vieux Lakers est toujours capable de lui poser des problèmes. Même chose avec Willis Reed, qui met également le futur Kareem Abdul-Jabbar dans sa poche.
Reed et Chamberlain ont joué des coudes et rivalisé de talents avec un Jabbar en pleine force de l’âge. Ou à ce moment-là était-il moins bon que celui qui gagne 5 bagues dans les années 80 alors qu’il a déjà bien explosé la trentaine ? Si l’on veut être cohérent, il faut donner du crédit à Wilt et ses contemporains.
Mauvaise adresse
Parlons pourcentage maintenant. Ou alors, n’en parlons pas. Dans un premier temps, cela m’arrange, et m’autorise de ne pas encombrer de chiffres les quelques tableaux de stats que je vais vous présenter dans les articles à venir. Deuxièmement, car les pourcentages, ça craint.
Car bien entendu qu’ils sont moins bons dans l’ère du Run and Gun. Les haters de cette période en font d’ailleurs un de leurs arguments principaux. Une occasion rêvée de ressortir le mot plombier. Alors, oublions les pourcentages et utilisons une stat qui permet de centraliser la partie efficience en un nombre. Nous allons nous exprimer en points par tirs tentés.
Voici un tableau qui nous montre l’efficacité des meilleurs tireurs pour chaque décennie, des 50’s au 80’s.
On voit ici l’évolution de la ligue au fil des années, mais on constate également que la moyenne générale croît de son côté assez gentiment. Il en est de même lors des décennies suivantes.
Les meilleurs atteignent des sommets, mais la moyenne de la ligue ne change que peu. Il n’y a que les années 2020 et l’explosion du shoot à 3 points pour faire augmenter la moyenne de la ligue qui est restée la même pendant 40 ans. Les joueurs qui shoote peu et près du cercle sont favorisés c’est évident, mais cette stat ne va pas me servir à dire qui est meilleur que qui ! Elle permet de se rendre compte de la justesse offensive d’un joueur en fonction de son nombre de tirs tentés et de son style de jeu. Plutôt que de dire, lui il est nul, il n’est qu’à 43.7% au FG%. Une autre stat nous sera bien utile c’est le TS+. Un outil qui nous permet de mesurer l’efficacité d’un joueur par rapport à la moyenne du championnat.
Car il est important quand on parle de performance de la comparer avec les standards de son époque. Les styles de jeu diffèrent et un pourcentage de réussite seul ne peut pas remettre en contexte ce qui se passe à l’échelle d’une ligue à un instant T. Je ne vais pas être original, je vous donne le même exemple que m’a donné l’excellent Penny Bergkamp, notre spécialiste stats du Roster qui pour m’expliquer la pertinence du TS+ m’avait alors montré ceci :
Jordan 1985 = 59.2 TS% = 1.18 pts/tirs = 109 TS+ (+9% par rapport à la moyenne)
DeRozan 2023 = 59.2 TS% = 1.18 pts/tir = 102 TS+ (+2% par rapport à la moyenne)
Même type de joueur, slasheur/shooteur à mi-distance. Identique TS%, même nombre de points par tirs tentés. Par contre, là où Michael Jordan est largement au-dessus de la moyenne, Demarr DeRozan lui ne fait que la dépasser de très peu. Dans la NBA du Spacing et de l’efficience, DeRozan est un shooteur tout juste dans la norme par rapport à une ligue qui est de plus en plus efficace.
Conclusion
On tentera de prendre tout cela en compte dans les prochains épisodes. Le début du Run and Gun, moins compétitif, mais qui évolue très vite au milieu des 60’s. Puis l’adresse que nous allons exprimer autrement que par des pourcentages peu parlant.
Mais surtout, on ne méprise pas cette ère incroyable bien qu’elle soit pleine de lacunes. Car vous savez quoi ? Toutes les périodes de la NBA ont leurs défauts. Des joueurs qui restent 10 secondes seul derrière la ligne à 3 points sans jamais prendre le shoot dans les années 80. Attendant sans fin qu’un joueur se démarque dans une raquette surpeuplée. Les rencontres en 80 possessions qui se terminent sur des scores en 70 points et une adresse douteuse dans les 90’s/2000’s. Sans occulter les errements défensifs de la Three Points Era.
Toutes ces défaillances, on s’en moque. Soyons heureux d’adorer un sport qui ne cesse d’évoluer vers toujours quelque chose de plus surprenant. Que ce soit au niveau des joueurs ou du jeu en lui-même. La NBA change sans cesse et c’est formidable. Aimons ses défauts, et ne nous privons d’aucun de ses aspects et encore moins de ceux de son histoire.
Un passé qui ne cesse de construire le futur, si la NBA est ce qu’elle est aujourd’hui c’est grâce au travail et aux améliorations apportées par tous les acteurs de cette ligue et cela depuis 1946. Le Run and Gun n’est pas un autre sport, le Run and Gun n’est pas une discipline pratiqué par des plombiers. Le Run and Gun, c’est la NBA, c’est du divertissement, des larmes, de la sueur, des bonnes et des mauvaises choses. Comme depuis les premières secondes de la vie de ce championnat.
[…] j’insiste sur ce mot, de remettre les choses dans leur contexte. D’autant plus lorsque l’on compare les époques. En effet, on entend souvent que “scorer 30 points dans les années 90 c’est pas pareil que […]