Troisième épisode d’une série dans laquelle nous vous présenterons les 18 clubs de cette campagne 2024/2025 d’EuroLeague. En vous plongeant dans les récits que nous allons vous raconter, vous y découvrez des moments, des coachs, ou des joueurs qui ont marqué l’histoire de chacun de ces clubs. Nous remontons aujourd’hui au Maccabi Tel-Aviv et aux années 70. En 1977, un match de basket s’est joué bien au-delà des lignes du parquet. Ce n’était pas juste une simple demi-finale d’EuroLeague, c’était un choc entre deux mondes.

D’un côté, le Maccabi Tel-Aviv, représentant d’un jeune État encore marginalisé, Israël. De l’autre, le CSKA Moscou, incarnation sportive de l’Union soviétique, puissance mondiale et berceau du communisme. Entre les deux, un rideau de fer, symbole d’un monde divisé, d’une guerre froide qui gelait toute forme de dialogue… même sur un terrain de sport. Mais ce soir-là, quelque chose a cédé, alors que tout le monde juif était devenu jaune et bleu, le Maccabi va le temps d’un match, faire voler en éclats les dogmes de la guerre froide en mettant au tapis la toute-puissance russe.

Un duel au delà du sport : les poids de la guerre froide

Maccabi
Pendant la guerre froide, les relations entre l’URSS et Israël étaient profondément fracturés. Crédit: INSS

Pour comprendre la particularité de ce moment, il faut s’en remettre au contexte géopolitique des années 70. A cette époque, Israël est encore un État jeune, et âgé de trois petites décennies, il se retrouve très isolé sur le plan diplomatique. La guerre froide, qui divise le monde en deux blocs antagonistes, a relégué Israël en marge de l’un d’eux. En effet, le bloc de l’est, dominé par l’URSS refuse non seulement de reconnaître l’État hébreu, mais mène qui plus est une politique active d’isolement à l’encontre de ce dernier.

Le Moyen-Orient, plus globalement est un véritable champ de bataille par procuration entre l’URSS et les États-Unis. Israël se trouvait quant à elle du côté opposé à l’URSS, qui s’était alignée avec les nations arabes. Les Israéliens faisaient clairement les frais de cet isolement qui avait aussi de profondes répercussions dans le monde du sport. En effet, à cette époque, les Soviétiques refusaient systématiquement de rencontrer des clubs israéliens, quel que soit le sport, et quelle que soit la compétition.

Ce boycott, officieux mais assumé, est le prolongement d’une hostilité politique profonde envers le peuple israélien qu’ils n’avaient soutenu que brièvement lors de la création de leur État, en 1948, avant que Moscou ne change complètement de cap, en voyant Tel-Aviv s’aligner avec les puissances occidentales. Pour Israël, ce match devient alors une bulle d’air diplomatique. Alors que certains pays ne tiennent aucune ambassade en Israël, faute de reconnaissance, ou que d’autres restent muettes dans ce conflit international, ce match a permis à Israël d’invoquer le très connu « We are on the Map« .

Dans ce contexte, les joueurs du Maccabi ne portent pas qu’un simple maillot mais incarnent une cause nationale. Battre le CSKA serait bien plus qu’un exploit sportif, ça serait le franchissement d’une frontière idéologique et cela obligerait les personnes qui détournent leur regard d’Israël, de le voir et possiblement de le reconnaître. De l’autre côté, le CSKA Moscou représente le bras armé sportif du Kremlin. Fondé et financé par l’Armée rouge, Le CKSA représente la force et la discipline soviétique, et est l’un des plus grand club européen des années 70 après le Real Madrid.

Or en affrontant le Maccabi, il ne s’agit pas juste de défendre un statut sportif mais de protéger une supériorité politique, car jamais le Kremlin ne tolérera une défaite face à Israël, quelle qu’en soit la nature, pays qu’elle voit comme un satellite du monde occidental. Pour éviter au maximum les débordements, les autorités russes refusent que le match se dispute sur le sol israélien, et demandent que ce match se déroule sur terrain neutre. Le match est alors déplacé à Virton, en Belgique, un compromis qui illustre à lui seul la tension politique sous-jacente.

Maccabi Tel-Aviv : Une équipe familiale sans réelle stars européennes

L’équipe du Maccabi lors de la saison 1976-1977. Crédit : Basket USA

Le Maccabi était constitué d’une bonne partie de juifs américains qui avaient été appelés par le président du club, Shimon Mizrachi, qui exerce toujours ces fonctions actuellement. Parmi eux, l’ailier Tal Brody, ancien joueur NBA qui avait arrêté sa carrière pour combattre pour l’armée américaine à Belgrade. Le convaincre de venir jouer n’a pas été facile pour la direction, mais il va devenir, grâce à ce choix, un véritable héros national et va permettre un large développement de ce sport en Israël quand les enfants se voulaient footballeurs ou tennismans.

Lou Silver, ailier fort plein de talent qui après avoir raté son entrée en NBA voulait arrêter sa carrière. Le manager du Maccabi, Samuel Mahrovsky, est alors venu le voir car il avait besoin d’un joueur simplement pour les 6 matchs du premier tour. Silver lui répondit qu’il voulait une équipe pour la saison afin de continuer à jouer au basket, mais Mahrovsky lui a dit que s’il performait durant ces 6 matchs, il n’aurait pas de mal à trouver une autre équipe. Mais montrant bien plus de satisfaction que prévu dans le premier tour de cette coupe d’Europe, il est finalement resté dans cette formation.

Sur le backcourt, deux joueurs complémentaires avec Bob Griffin, véritable chef d’orchestre de cette équipe et la seule vraie « star » qui avait la nationalité israélienne pour origine, Miky Berkovic, gros shooter de l’époque. Pour diriger tout ça, le coach letton, Ralph Klein qui avait quelques années après cette victoire dévoilé leurs succès et pourquoi ils étaient aussi confiants avant ce match :

Le point fort de notre équipe, c’était le travail d’équipe. Chaque joueur de l’équipe était un gagnant, mais c’était notre secret de jouer ensemble. La plupart d’entre nous étions amis, sur le terrain comme en dehors, et ça se ressent encore aujourd’hui. »

Virton 1977 : silence en tribune, mais choc dans l’Histoire

Le Maccabi a remporté pour la première fois de son histoire la coupe des champions, en 1977. Crédit :
Natxo Mendaza

Ce 17 février 1977, les tribunes de la modeste salle de Virton, en Belgique, accueillent un match qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Le CSKA Moscou refuse de se déplacer en Israël en corrélation avec l’idéologie politique soviétique. Mais plutôt que de déclarer forfait, une solution est trouvée : organiser le match sur terrain neutre. La salle belge est minuscule par rapport à l’évènement, à peine 1000 places, il n’y a pas de retransmission TV, peu de journalistes et d’engouement médiatique. Mais cette scène pour le moins étrange, va être le théâtre d’un moment fondateur.

Le Maccabi arrive en outsider. Les Soviétiques sont plus expérimentés, mieux entraînés et plus rodés aux joutes européennes. Ils sortent qui plus est d’une grosse victoire face au Real Madrid qui s’est soldée par une vingtaine de points d’écart. Elle possède les meilleurs joueurs soviétiques de l’époque avec notamment Sergei Belov, parfois appelé « le Pelé du basket », et Anatoly Myshkin, longiligne ailier, spécialiste du shoot extérieur.

Dès les premières possessions, Maccabi impose un tempo rapide, avec un jeu de transition très moderne. Brody dicte le rythme, distribue le ballon avec sang-froid. Aulcie Perry s’impose dans la raquette malgré la densité physique des intérieurs soviétiques. En face, le CSKA s’appuie sur sa rigueur collective, mais peine à contenir la vivacité israélienne. Le premier quart-temps est équilibré. Brody et Berkovich scorent pendant que Belov peine à garder Moscou au contact.

Toute la salle était derrière le Maccabi, Belov racontera d’ailleurs quelques années plus tard que ce soir-là « seul le KGB était derrière nous ». A la fin de la première mi-temps, Boatwright inscrit deux paniers longue distance consécutivement, tandis que Perry contre un tir de Belov en haute altitude. Au retour des vestiaires, le CSKA hausse le ton physiquement. Ils cherchent à durcir le jeu, imposer leur poids.

Mais Aulcie Perry répond présent, enchaînant les rebonds défensifs et les points près du cercle. Il terminera le match avec 21 points, un record pour un joueur du Maccabi à ce niveau. Berkovich prend feu dans le troisième quart-temps, marquant 10 points en quelques minutes, sur des pénétrations intensives et quelques shoots mi-distance. Le CSKA est débordé et commence à imploser.

À 5 minutes de la fin, l’écart est de +10 pour le Maccabi. Mais les Soviétiques ne lâchent rien. Sergei Belov enchaîne trois tirs à mi-distance, réduisant l’écart à -6. C’est à ce moment que Tal Brody prend les commandes. Il calme le jeu, provoque une faute, puis inscrit deux lancers francs. Il vole un ballon en défense sur l’action suivante, lance Berkovich en contre-attaque. Le Maccabi s’impose 91 à 79 dans une formidable rencontre.

Brody exulte et il lâchera ensuite le célèbre « We are on the map. And we are staying on the map not only in sports, but in everything ». Il décrira cette victoire comme la plus belle de sa carrière:

 J’ai joué avec Bill Walton pour les États-Unis au Championnat du monde de 1970, où nous avons battu l’équipe russe. Mais ce n’était rien comparé à la victoire d’Israël contre Moscou à Vitron. »

Cette victoire de 1977 a été le déclencheur d’un âge d’or du Maccabi Tel Aviv. Quelques semaines après Virton, le club bat Varese en finale de la Coupe des clubs champions européens, remportant le premier titre continental de son histoire. Et surtout, il place définitivement le Maccabi parmi les grandes puissances du basket européen. Dans les décennies qui suivent, le Maccabi va disputer de nombreux Final Four, et ajouter 5 titres européens à son palmarès (1981, 2001, 2004, 2005, 2014).

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