Bien que fondée en 1946 (BAA), la NBA, sous sa forme moderne issue de la fusion avec la NBL, commence véritablement lors de la saison 1949-50. Cette première décennie complète de la Ligue naissante présente une particularité par rapport à toutes les autres qui ont suivi : la NBA des années 50 avait un pourcentage de réussite aux tirs calamiteux. Explications.
Car en effet, dans cette ère de domination des Minneapolis Lakers de George Mikan et Vern Mikkelsen, le pourcentage de réussite aux tirs est de 37% sur l’ensemble de la décennie 50, le détail par saison ci-dessous, puis par décennie. Le bonnet d’âne a trouvé preneur chez les pionniers :
Et à titre individuel, il faut attendre la saison 1960-61 et Wilt Chamberlain pour voir un joueur NBA atteindre la barre symbolique des 50% de réussite aux tirs. Précisons, même si cela paraît évident, que la ligne à 3 points était encore très loin d’être en vigueur (1979).
Alors, question simple : les joueurs des années 50 étaient-ils des pompes ?
Des règles peu avantageuses pour l’attaque, des matchs qui se terminent souvent en baston
Disons-le clairement : le basket des années 40 et 50 était davantage caractérisé par sa rudesse physique que par son jeu aérien. Avec la révolution George Mikan, démontrant par A + B l’avantage tactique d’avoir un grand, mobile et délié dans son équipe, pouvant contrer les tirs et contenir ses vis à vis hors de la zone de rebond, le style de jeu physique sous le panier s’imposa.
Commettre des fautes violentes était une constante du jeu ; il n’existait aucun règlement limitant le nombre de fautes collectives par quart-temps. Lorsqu’une faute était commise sur un joueur qui n’était pas en position de tir, un seul lancer-franc lui était accordé : si bien que la défense pouvait s’éviter deux points faciles sous le cercle en obtenant un point tenté sur la ligne des lancers.
Un jeu essentiellement basé sur la passe et le collectif, peu de dribbles, peu d’espace, peu de tirs ouverts, et fatalement énormément de contestation. N’oublions pas que l’horloge des 24 secondes n’apparaît qu’en octobre 1954, si bien qu’avant l’instauration de cette règle, l’équipe qui menait avait tout intérêt à faire traîner le match, hachant le jeu en envoyant son adversaire aux lancers. Cela pouvait donner quelques horreurs, comme celle de mars 1954 entre les Knicks et les Celtics, avec un concours de tartes de plus de 3 heures et 119 lancers-francs tirés.
Dans le livre From Set Shot to Slam Dunk, Bill Sharman, l’arrière vedette des Celtics de 1951 à 1961 (et l’un des joueurs les plus adroits de sa génération) se rappelle :
Avec moins de courses et de mouvements d’équipe, l’arbitre autorisait beaucoup plus de bousculades, de ceinturages, de coups de coude, de handcheck à la dure, etc. Je pense que c’est la raison pour laquelle il y avait tant de bagarres dans les premières années.
Mikan se régalait pendant cette période. Après un rebond défensif, il envoyait la balle vers Slater Martin, qui remontait le terrain à deux à l’heure, attendant que son pivot se place in the paint : passe lobée, deux points pour Big Mike. Simple mais inarrêtable.
On tenta de monter la hauteur du panier de plus de 50 centimètres un soir de mars 1954, en le passant à 3,60 mètres lors d’un déplacement des Lakers aux Hawks de Milwaukee, pour espérer ralentir Mikan et Clyde Lovelette. Cela aura évidemment eu l’effet l’inverse, même si l’adresse globale de la rencontre fut bien honteuse (moins de 29%), pour une victoire de peu de Minneapolis à l’extérieur. Une expérience tuée dans l’œuf, jamais reproduite, bien moins efficace que l’élargissement de la raquette en 1951, une règle déjà conçue à l’époque pour limiter Mikan.
Zéro confort dans la NBA des années 50
Toujours Bill Sharman, racontant ici l’enfer des conditions dans les années 50 :
La plupart des bâtiments et des stades de basket-ball étaient très vieux et délabrés, ce qui rendait le jeu extrêmement difficile. À Baltimore, nous jouions sur une patinoire. À Syracuse, nous jouions dans une vieille salle située sur le champ de foire, dont le toit fuyait, le sol déformé très peu chauffé. Il y avait très peu de salles de basket-ball comme aujourd’hui et la plupart d’entre elles étaient mal éclairées, avec toutes sortes de sols différents et inadéquats, de mauvaises températures… Beaucoup étaient utilisés pour le hockey et nous jouions directement sur la glace, sans autre isolation que le sol du terrain de basket lui-même. Avec des mains et les doigts gelées, cela n’aidait certainement pas à bien manier le ballon et à mettre ses tirs. Si l’on ajoute que les ballons n’ont été moulés qu’à la fin des années 50 et qui étaient souvent biscornus… Cela rendait les dribbles et les tirs bien plus difficiles »
Par ailleurs, les maillots de l’époque étaient en coton de mauvaise qualité, parfois en laine, avec une texture rugueuse et retenaient la transpiration. Pour les shorts, c’est carrément du satin. Des maillots limités en nombre pour toute la durée de la saison, car on misait surtout sur la robustesse et la durabilité. Il faudra attendre les années 60 pour que les joueurs puissent bénéficier de maillot en polyester et nylon.
Pour Charley Rosen (auteur du livre The First Tip-Off), ces tenues anti-sportives sont l’une des raisons des mauvais pourcentages aux tirs :
Les tenues étaient ajustées, mais ces maillots à la texture laineuse absorbaient la sueur comme une éponge : à la fin du match, ils pouvaient peser plus d’un kilo. Ce poids supplémentaire et l’inconfort que cela provoquait inhibaient la liberté de mouvement des joueurs
Je passerai plus rapidement sur quelques évidences, mais qu’il est toujours intéressant de rappeler : car au delà des parquets déformés, de l’arceau fixée à même la planche, des ballons pas toujours très ronds et en mauvais cuir (la valve de gonflage pouvait ressortir) et des Chuck Taylor All Star aux pieds, raides comme la justice : les salles étaient totalement enfumées par la fumée des cigarettes des spectateurs. Si bien que le Madison Square Garden, dans sa troisième version (MSG III, celle de 1925 à 1968) était particulièrement connu dans les années 40 et 50 pour avoir une affreuse combinaison de fumée et de mauvais éclairages au point que sous certains angles, le panier n’était tout simplement pas visible !
Quelques autres dingueries sur l’état des salles dans la décennie 50 :
Dans le State Fair Coliseum de Syracuse, les filins retenant les panneaux passaient dans les gradins et les spectateurs pouvaient tirer dessus pour faire bouger le panier lorsque l’équipe adverse tentait un tir.
À l’Edgerton Park Sports Arena de Rochester, les portes d’entrées battantes étaient placées si près du panier qu’on a vu des joueurs glisser après une chute passer à travers et finir dehors dans la neige.
N’oublions pas le Keil Auditorium de St. Louis : la moitié de la salle, un espace de conférence en temps normal, avait au sol le parquet standard, tandis que l’autre moitié était un théâtre dont la scène était séparée du terrain par un mur mitoyen : il n’était pas rare qu’un concert ou un ballet se déroule en même temps que le match, et les joueurs distrait à la sortie du vestiaire pouvaient se tromper de porte, au grand dam de l’orchestre ou de la cantatrice en plein aria.
Un environnement de jeu chaotique dans une NBA naissante et pauvre, peu propice au développement du jeu léché et donc d’une adresse fiable.
Le contre-exemple parfait avec le lancer-franc : l’invariant
Ce tir de pénalité est peut-être celui qui peut se comparer le plus facilement au fils des âges. Là où les statistiques avancées atteignent leur limite pour comparer les joueurs de différentes époques (difficile de pondérer une unité statistique avec un parquet gelé, un ballon difforme ou une visibilité altérée par la fumée de cigarettes), le lancer-franc reste un tir arrêté, sans entrave. La distance initiale de 4,57 mètres est restée inchangée.
Exercice d’adresse pur, on pourrait légitimement s’attendre à voir les pionniers de la ligue afficher des % de réussite en deçà de nos standards actuels, question de manque de pratique, la plupart des joueurs de la NBA naissante ne s’exerçaient pas enfant ou adolescent, comme ont pu le faire les générations suivantes.
Avec un volume bien plus élevé que de nos jours (on tirait en moyenne près de 35 lancers-francs par rencontre, là où l’on en tirait 27 dans les années 90 voir moins dans la NBA actuelle), il peut être surprenant de voir qu’avec une moyenne de 73% de réussite aux lancer-franc sur la décennie 50, nous sommes parfaitement dans les standards modernes. C’est même supérieur à la décennie 60 (72,5%), et très peu éloignés de décennies plus récentes (74,6% dans les années 90 ou 76% dans les années 2010).
Ici, la comparaison ne peut être biaisée par un facteur de règles extérieures : si la qualité du ballon était certes sans commune mesure avec ceux des années 60 et au delà, la hauteur du panier, la circonférence du cercle et l’éloignement de la ligne ont été inchangé, il n’y a donc lors de ce tir que le tireur et son adresse à prendre en compte, seul face au panier, sans vis-à-vis.
On peut prendre en exemple Bob Cousy : le meneur des Celtics affiche une moyenne en carrière de 37,5% de réussite aux tirs. Pourtant, Cooz était un tireur de lancer-franc émérite en son temps, affichant une moyenne de 80% en treize saisons. Le problème n’était donc pas la technique de tir mais l’environnement du jeu en marche pour les prendre avec aisance, couplé à la sélection de ces derniers (et c’est d’autant plus vrai pour Cousy qui avait le don pour tenter des tirs casse-croûtes, au grand dam de Red Auerbach).
En conclusion, il est évident que ces pionniers du basketball moderne étaient loin d’être des branquignoles. Au contraire, dans des conditions qui aujourd’hui nous feraient opter pour un droit de retrait immédiat, et avec des règles limitantes au possible, les joueurs de cette NBA des années 50 ont eu le mérite de poser les jalons de la plus connue décennie 60, dans une ligue qui n’avait ni argent, ni infrastructures.
Merci à Richard Drie pour l’idée du titre !