Amputée d’une jambe à la suite d’un accident de la route en 2013, Nataša Kovačević, internationale serbe, est parvenue à rejouer au basket à l’aide d’une prothèse de conception inédite franco-serbe. En 2015, à peine 2 ans après l’accident, elle devient la première joueuse handicapée à jouer en professionnel. Portrait et entretien d’une femme au parcours unique.
La future pépite du basketball serbe
Fille d’un handballeur pro et d’une maman basketteuse pro également (vainqueur de l’Euroleague en 1979 avec l’Étoile Rouge de Belgrade et médaillée de bronze avec la Yougoslavie aux Jeux de Moscou en 1980), Nataša Kovačević était promise à une belle carrière dans le sport, activité sacrée dans la famille, son frère étant également basketteur :
« En ce qui concerne les récompenses, c’est ma mère qui détient le plus grand nombre de titres dans notre famille. Aujourd’hui encore, nous conservons des coupures de journaux célébrant ses succès, ainsi que ceux de mon frère, le tout soigneusement rangé dans un classeur. »
« Quant à moi, j’ai d’abord pratiqué la natation, mais mon penchant naturel pour les sports d’équipe a fini par prendre le dessus. Je dois admettre que l’influence de ma mère et de mon frère a joué un rôle plus important dans mon choix que celle de mon père. »
Un début de carrière idyllique pour cette ailière de 188cm. La native de Belgrade commence en jeune au Partizan, avant de rejoindre le ŽKK Voždovac puis l’Etoile Rouge chez les pros. Internationale, elle participe aux campagnes serbes dans toutes les catégories jusqu’au U20, avec notamment une médaille de bronze aux championnats d’Europe U18 en 2012. Un parcours remarquable pour cette jeune espoir, pilier de la nouvelle génération serbe, qui sera, sans elle malheureusement, championne d’Europe 2015 face à la France.
« J’ai toujours participé à deux championnats d’Europe par an, l’un avec le groupe d’âge supérieur et l’autre avec le mien. La compétition a véritablement marqué mon enfance, puisque j’ai commencé à jouer pour l’équipe nationale cadette deux ans avant mon groupe d’âge, ce qui m’a donné la chance de participer à trois championnats d’Europe cadets. «
L’accident et la rééducation
En 2013, Nataša Kovačević, 19 ans, a l’avenir devant elle. Internationale serbe en équipe de jeune, elle s’apprête à disputer l’EuroLeague pour la première fois, et voyage en bus avec son équipe hongroise de Győr pour disputer leur dernier match de préparation. En voulant éviter une voiture qui se trouvait sur la mauvaise voie, réservée aux bus, le car est sorti de la route et s’est retourné. La tragédie est totale : l’entraîneur de l’équipe, Ákos Fűzy, et le manager Péter Tapodi, y laissent la vie.
On déplore une dizaine de blessés, à divers degrés. Nataša elle, est consciente, et lorsqu’elle arrive à s’extirper du bus, se rend compte qu’il lui manque un pied, littéralement.
« Ma première opération a eu lieu à Győr, où une partie de ma jambe inférieure a été amputée, et la seconde après mon transfert dans un hôpital de Belgrade, où les médecins se sont battus pour préserver l’articulation du genou.
J’ai appris à adopter une approche progressive, en me concentrant sur la cicatrisation des blessures, en me débarrassant de mes béquilles et en réapprenant à marcher. »« Pendant mon séjour à l’hôpital, je me faufilais dans le gymnase pour faire du basket sur une jambe, sans béquilles.
Les médecins m’ont dit que le simple fait de remarcher serait une grande victoire, mais j’avais un petit cerceau pour enfants accroché au mur de ma chambre, et mon frère et moi faisions des compétitions de tir. Malgré le scepticisme des médecins à l’égard de tout ce qui dépasse la marche, en particulier une activité physique intense, personne ne pouvait m’empêcher de rêver d’un retour. »
Lors de sa rééducation en Serbie, elle est soutenue par bons nombres d’athlètes du pays, se relayant pour venir la soutenir quotidiennement.
« Le soutien que j’ai reçu a été extraordinaire. J’ai reçu des messages de basketteurs via Skype, compilés dans une vidéo, accompagnés de photos d’équipe et de messages m’encourageant à tenir bon. Ces messages venaient de toute l’Europe, d’Amérique du Sud et de la WNBA. Le soutien est également venu d’athlètes d’autres sports – footballeurs, joueurs de water-polo, tireurs, athlètes d’athlétisme, ainsi que de nombreuses personnes connues et inconnues. »
« À l’hôpital de Győr, il y avait un flux constant de joueurs de football de l’ancienne Yougoslavie qui jouaient pour Győr, et la handballeuse monténégrine Katarina Bulatović, qui jouait en Hongrie cette année-là. Notre chambre était toujours remplie de rires, de blagues et d’optimisme. »
La salutaire alliance franco-serbe
À la suite de cette rééducation de 2 ans, elle est contactée par la Fédération Française de Basket, qui lui propose de fabriquer une prothèse adaptée. Jean-Pierre Siutat était un proche de son entraîneur décédé dans l’accident, Ákos Fűzy. La fille du président de la FFB était allé faire des camps d’été à Győr en Hongrie. Il était devenu un ami de son défunt entraîneur et avait été bouleversé par ce drame, appelant très rapidement les parents de la jeune serbe pour leur apporter son soutien. Parole tenue. La prothèse, adaptée à la pratique du basket-ball, est de conception parisienne et co-financée par les fédérations serbes et françaises. Siutat fait également le nécessaire pour que Nataša Kovačević puisse reprendre chez les valides, qui entre temps est devenue ambassadrice européenne de la FIBA.
« Je crois qu’il y a une expression disant « Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre ». Au moment de mon accident, le championnat d’Europe se déroulait à Ljubljana. Dès le premier jour, j’ai appris que Jean-Pierre Siutat, qui au fil des ans était devenu comme une famille pour moi, ainsi que Goran Radonjić, avaient tenu une conférence de presse annonçant que la FFBB soutiendrait pleinement ma rééducation. Une lettre d’intention a également été soumise à la Fédération serbe de basket-ball (KSS), où je travaille aujourd’hui. »
« À ce moment-là, avec l’attention des médias, de nombreuses personnes ont fait des promesses, mais j’avais des doutes quant à leur réalisation. Malgré cela, ma famille et moi avions la conviction que le président Siutat et la FFBB honoreraient leur engagement, ce qu’ils ont fait. Leur soutien m’a fourni les outils essentiels à mon retour. J’ai d’ailleurs joué mon premier match après ma blessure à Angers, lors d’un match de charité destiné à réaliser des rêves d’enfants. »
Une amitié franco-serbe chère à Nataša, très éloquente sur le sujet, et qui se manifestera concrètement par l’inauguration à Belgrade d’une statue du français Henri Hell, entraineur de la première équipe yougoslave qualifiée pour les championnats du Monde à Buenos Aires en 1950.
« Les liens entre la France et la Serbie sont très étroits, notamment en ce qui concerne le basket-ball. Chaque année, les équipes nationales serbe et française s’affrontent dans une série de matchs amicaux dans différentes catégories. Ma génération a joué deux ou trois fois par an contre la France, et nos jeunes joueurs ont eu leur première expérience internationale lors de tournois de jeunes en France. Il convient également de noter que les fédérations française et serbe de basket-ball entretiennent des liens amicaux solides depuis des décennies, et que d’innombrables générations de joueurs et d’entraîneurs ont contribué à cette relation. »
« En 1948, lors des qualifications pour le premier championnat du monde à Nice, l’entraîneur de notre équipe nationale était le Français Henri Hell. Il a eu un impact profond sur le basket-ball serbe, formant à la fois les joueurs et la première génération d’entraîneurs. Grâce à l’incroyable travail d’équipe et aux efforts des ministères des sports français et serbe, des fédérations française et serbe de basket-ball, de la production Cinnesport et de la Fondation que nous avons pu construire un monument en hommage cette génération. Le monument est situé à un endroit historiquement très important : Kalemegdan. »
L’impensable come-back
En 2015, c’est le grand retour de Nataša Kovačević sur les parquets, dans un match professionnel, chez les valides. Nous sommes tout juste 2 ans après l’accident. Armée de sa prothèse, elle porte de nouveau le maillot de l’Etoile Rouge de Belgrade, ovationnée par le public, dans une large victoire face au ŽKK Student Niš, 78 à 47. Un retour pas uniquement marqué par l’émotion et la singularité de sa condition, mais aussi par une rentrée en jeu remarquée, avec 5 points, 3 rebonds et 2 interceptions.
« J’ai fait mon retour en 2015, et la saison s’est avérée fructueuse : nous avons terminé deuxièmes du championnat et nous avons remporté la Coupe nationale après 13 ans d’absence. Après la fin de la saison, j’ai été président du club pendant un an, et pendant cette période, le club de basket-ball féminin de l’Étoile Rouge de Belgrade a su retrouver le chemin de sa gloire d’antan. Le club a remporté des titres dans toutes les catégories d’âge, ainsi que le championnat et la coupe de la ligue senior. »
« Bien sûr, j’ai dû adapter mon jeu. Je n’étais plus la même joueuse, mais mon QI basket, qui a toujours été ma force, m’a énormément aidé. La capacité à prévoir les mouvements et à comprendre le déroulement du jeu m’a permis de continuer à apporter ma contribution. Continuer avec la prothèse n’était pas le défi – il s’agissait de tracer mon propre chemin, de savoir quand il était temps de laisser tomber et d’avoir le courage de faire ce choix. Je voulais mettre fin à ma carrière selon mes propres termes, en choisissant le moment, plutôt que de laisser le destin décider de la fin de ma carrière. »
Jeune retraitée des terrains à 22 ans, elle s’engage au sein de la fédération serbe, a repris des études et a créé son association, la fondation Nataša Kovačević, qui accompagne des jeunes sportifs en difficulté, promeut leurs droits et aide les sportifs en quête de reconversion professionnelle.
« Ma Fondation a été créée en 2014 dans le but de canaliser toute l’énergie positive et le soutien que j’ai reçus de la part d’innombrables personnes, connues et inconnues, pour aider les enfants. »
« Notre mission est de soutenir le basket-ball féminin et les sports féminins dans leur ensemble, et de sensibiliser les athlètes à l’importance de ne pas négliger l’éducation malgré la réussite sportive. Nous plaidons également pour la nécessité d’une couverture d’assurance supplémentaire en cas d’interruption soudaine et inattendue de la carrière. »
« L’ un de nos projets phares, « Da sva deca skaču » permet aux enfants amputés de recevoir une prothèse dynamique. Ces prothèses offrent non seulement une plus grande liberté de mouvement, mais aussi la possibilité aux enfants, lorsque cela est médicalement possible, de commencer ou de continuer à faire du sport. Nous avons commencé le projet en Serbie, l’avons étendu à la Bosnie-Herzégovine et espérons l’étendre à la Croatie l’année prochaine. Chaque nouveau saut apporte le sourire d’un enfant inestimable, et une telle victoire est, croyez-moi, plus qu’un moment de joie, c’est l’espoir d’un avenir meilleur. »
« La Fédération française de basket-ball et son président Jean-Pierre Siutat ont rendu possible l’impossible en soutenant la création de ma prothèse magique à Paris, ce qui m’a permis de revenir au basket-ball professionnel.
Je veux perpétuer cet héritage en aidant les autres et en rendant service à ceux qui en ont besoin. »
En 2022, désormais mariée (devenant Nataša Kovačević-Stojaković) et mère de deux enfants, elle reçoit du gouvernement français la médaille de l’ordre national du mérite, en présence du président de la fédération de basket serbe, l’ancienne star du Partizan, de Bologne et du Heat, Saša Danilović. Elle garde toujours un œil avisé sur la scène basketball serbe, tout en travaillant au sein de la Fédération :
« Je suis toujours la scène actuelle du basket-ball serbe, tant pour les équipes masculines que féminines. Je reste toujours connecté à ce sport, car il fait partie intégrante de ma vie. Je suis actuellement directeur et fondateur de ma fondation à titre bénévole, et professionnellement, je suis engagé auprès de la Fédération serbe de basket-ball, où je travaille dans le domaine du marketing. Quoi qu’il en soit, je suis entourée de mes deux magnifiques enfants et de mon mari, Vuk. C’est l’occasion idéale de partager avec vous ma citation préférée d’Ivo Andrić, qui exprime mes sentiments avec plus d’éloquence que je ne pourrais jamais le faire :
« Je ne planifie plus. Je vis simplement cette vie. Parfois comme je le veux, parfois comme je le dois. Les petites choses colorent ma vie. Les petites choses sont le bonheur. C’est pourquoi j’aime les petites choses. Et les grands sacs. Je les emporte partout, parce que je me dois quelques promenades entre l’attendu et l’imprévu. »
Un grand merci à Nataša Kovačević pour son temps et sa considération pour réaliser l’interview.
Trailer du documentaire Skok / The Leap sur le parcours de Nataša Kovačević, de sa blessure à la rééducation, à la création de sa prothèse à Paris, et enfin à son retour au terrain de basket. Une partie est également consacrée à l’inauguration du monument à la gloire de Henri Hell.