À l’approche des Jeux-Olympiques de Paris 2024, la compétition de basketball n’a jamais été aussi attendue et le niveau n’a jamais été aussi homogène. Malgré une absence notable de la Lituanie, éliminée lors du TQO par Porto Rico, il reste important de rappeler à quel point leurs premières Olympiades ont marqué l’histoire de la planète basketball et restera gravé dans les mémoires. C’est sans doute l’un des plus beaux parcours pour une équipe nationale. Retour à Barcelone en ce 25 juillet 1992, date d’ouverture des JO.
Un contexte géopolitique désastreux
À la fin des années 1980, la Guerre Froide touchait à sa fin. La rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS n’était devenu qu’un rapport de force déséquilibré et l’Union Soviétique ne cessait de se fragiliser années après années sous la présidence de Mikhaïl Gorbatchev. Le 26 décembre 1991 marque la chute de l’URSS et la fragmentation en 15 nouveaux Etats. Or depuis plusieurs mois, un conflit armé opposait les pro-soviétiques et les Lituaniens indépendantistes.
Le 10 mars 1990, la République Socialiste de Lituanie proclame son indépendance, ce n’est que le 6 septembre 1991 qu’elle est enfin reconnue par l’URSS. Ainsi, des joueurs parmi les meilleurs de l’équipe d’URSS champions Olympique en 1988 à Séoul et vice-champion du monde en 1990 en Argentine allaient désormais jouer non pas sous le rouge et blanc habituel mais sous le vert et jaune de leur nation indépendante pour la première fois depuis 1940. Afin de s’inscrire aux Jeux Olympiques à moins de 10 mois du début de la compétition, le plus dur restait à venir pour ce pays complètement ruiné.
Les différents moyens trouvés afin de financer l’équipe
Le problème était de taille : comment faire pour financer une équipe nationale afin de l’envoyer aux JO ? En leader, Sarunas Marciulonis a pris cette cause à cœur et a tout fait pour permettre aux siens de vivre de nouvelles Olympiades comme le rappelle Jack McCallum, journaliste pour Sport Illustrated :
« Sarunas Marciulonis, à l’époque pilier de la NBA aux Golden State Warriors était l’une des figures les plus connues de la nouvelle nation et il a convaincu le gouvernement de monter une équipe pour tenter de se qualifier aux Jeux Olympiques. Sa suggestion a été accueillie favorablement. Le problème : le pays était ruiné. Marciulonis avait déjà engagé son pote Donnie Nelson, agent recruteur aux Warriors, pour être coach assistant alors que la saison 1991-92 démarrait, le coach et le joueur ont entrepris la difficile tâche de lever des fonds dans la baie de San Francisco. Marciulonis a alimenté une partie des fonds avec son contrat de 1,28 millions de dollars chez les Warriors mais il fallait plus. « On se défonçait pour faire des discours à 100 dollars », s’est rappelé Nelson. On s’adressait à des abonnés, on leur parlait de la Lituanie. On s’adressait à toute personne possible. « Hey ça te dirait que Sarunas et moi on se pointent à ton Key Club ? T’as un peu d’argent ? » Ils ont finalement reçu un coup de fil d’un représentant de Grateful Dead ; leurs membres avaient été touchés par la lutte de la Lituanie pour son indépendance. Nelson et Marciulonis se sont pointés à l’adresse qui leur avait été donnée à San Francisco, celle d’un petit hangar quelconque. « Je me suis dit que nous faisions l’objet d’une blague jusqu’à ce qu’on ouvre la porte et qu’on se trouve en présence d’un studio d’enregistrement de tout premier ordre », a poursuivi Nelson. Et alors Sarunas me prend à part et me dit : « Donnie, ça ne marchera pas, ces gars sont célèbres. Ce sont des stars. » Nelson chérit le souvenir de cette première rencontre. « Pourrais-tu imaginer ça aujourd’hui ?me dit-il. À l’âge d’internet ? Sarunas dans un hangar parfumé à la weed avec le Dead ? Il aurait été recalé à tous les tests antidrogues du protocole de la NBA. » Jerry Garcia est venu s’asseoir avec eux et a dit à Marciulonis : « Vous vous battez pour votre liberté et cette aspiration est aussi la nôtre. On vous admire vraiment pour ça, les gars ; et on va vous soutenir. » Le Dead a signé un chèque de 5000 dollars à Marciulonis et, le plus important, il a donné à la Lituanie les droits sur un t-shirt qui avait été conçu pour un concert à Boston. Les ventes du t-shirt du Dead sous les couleurs Lituaniennes à Barcelone ont presque suffi à financer le séjour Olympique de la Lituanie aux Jeux d’Atlanta en 1996, où elle a remporté la médaille de bronze, comme en 1992. Et autant que tout le reste, c’est ce t-shirt qui a fait que les Lituaniens des héros populaires et que leur lutte héroïque pour l’indépendance s’est invité dans l’actualité sportive du grand public. » via Dream Team
Aujourd’hui, avec les conditions actuelles du sport professionnel, il serait impensable de voir un athlète utiliser son contrat et demander de l’aide financière à un groupe de rock. Mais une chose était sûre, le fait que les Lituaniens puissent avoir une équipe nationale malgré les situations politiques terribles représentait déjà une victoire pour un peuple dont le basket est le sport national. Si la disette financière ne donnait pas chère de la peau des Lituaniens, le talent quant à lui ne manquait pas.
Leur effectif était composé des meilleurs joueurs qui avaient tous répondu présent afin d’inscrire leur nation sur la carte : Sarunas Marciulonis, Arvydas Sabonis, Voldemaras Chomicius, Arturas Karnisovas, Rimas Kurtinaitis, Sergejus Jovarsa, Alyudas Pazdrazdis, Gintaras Krapikas, Darius Dimavicius, Arunas Visockas, Romanas Brazdauskis, Gintaras Einikis. Rien que cet effectif était composé de quatre joueurs du cinq de départ Soviétique de 1988.
De plus, Sarunas Marciulonis était un pionnier en étant le premier joueur venu d’Europe à s’imposer outre-Atlantique. L’arrière des Golden State Warriors qui sortait d’une saison à 18,9 points, 2,9 rebonds, 3,4 passes de moyenne n’a pas seulement demandé de l’aide à Don Nelson mais lui a même proposé un poste d’assistant coach pour le tournoi.
Une épopée Olympique héroïque
Malgré cet effectif très dense, personne n’attendait les Lituaniens dans les potentiels favoris pour faire face à la Dream Team. La Russie quant à elle pour des raisons une nouvelle fois politique a dû s’inscrire aux JO sous le nom « d’Equipe Unifié » et leur drapeau se voit remplacer par un drapeau blanc.
D’entrée de tournoi, ils sont opposés à l’Equipe Unifiée lors de leur premier match. Le duo Marciulonis (21 points,7 rebonds, 8 passes 4 interceptions) Sabonis (21 points, 16 rebonds, 2 passes, 3 interceptions, 2 contres) s’est retrouvé pris à court contre des Russe bien plus solide autour de Valery Thikonenko (31 points, 7 rebonds), Viktor Berezhniy (21 points, 3 rebonds, 3 passes) et Sasha Volkov (19 points, 9 rebonds, 4 passes). Score final : 92-80.
Par la suite, ils se reprendront en gagnant les matchs restants contre l’Australie (98-87), Porto Rico (104-91) porté par une énorme performance de Sabonis (31 points, 13 rebonds, 4 contres), le Venezuela (87-79) puis la Chine (112-75) et se qualifient pour les phases finales en terminant à la deuxième place du groupe B.
En quart de finale, ils se défont sans grande difficulté du Brésil d’Oscar Schmitt sur le score de 114-196. En demi-finale, ils sont opposé aux Etats-Unis et les espoirs s’arrêtent net. La différence de talent est bien trop grande face à la Dream Team et Sarunas Marciulonis (20 points, 2 rebonds, 8 passes, 4 interceptions) ainsi qu’Arvydas Sabonis (11 points, 8 rebonds, 2 contres) n’ont rien pu faire face à une telle armada portée par Michael Jordan (21 points, 3 rebonds, 4 passes, 6 interceptions) et Karl Malone (18 points, 7 rebonds). Le score est sans appel : 127-76.
Cependant, leur épopée n’est pas terminée et les Lituaniens ont encore moyen d’aller chercher une médaille de bronze face à l’Equipe Unifiée (leur seule médaille avec l’or de Romas Ubartas au lancer de disque) ; symbole d’une revanche sur le sport mais également pour leur peuple. C’est ainsi qu’en ce 8 août 1992 s’est joué le match au plus grand enjeu géopolitique de l’histoire de la balle orange. Ce match avait tout d’un symbole de liberté pour tout un peuple opprimé.
Match pour la médaille de bronze, tout un symbole
Don Nelson, assistant coach témoignait à propos de leur état d’esprit avant d’entamer cette rencontre cruciale :
« Je n’ai jamais ressenti une telle pression de ma vie, c’est rappelé Donnie Nelson. Pour les Lituaniens et pour quiconque était engagé avec eux, même pour un étranger comme moi, l’Equipe unifiée représentait l’Union Soviétique. Nous jouions contre le pays qui avait tué nos citoyens et qui les avaient dirigés pendant 50 ans. Le sentiment général était : « Nous ne pouvons pas perdre ce match. En aucun cas nous devons perdre ce match. » » via Dream Team
Les verts étaient devant de 6 unités à la pause (39-33) mais le plus dur restait à faire face à des Russe déterminés à agrandir une nouvelle fois leur armoire à trophée bien garnie. Mais c’est sans compter Marciulonis qui n’a cessé d’agresser la défense de ses anciens compatriotes (13/18 aux lancers francs), lui qui n’est pas sortie de la rencontre et qui a décidé d’en faire une affaire personnelle avec 29 points, 8 rebonds, 3 passes, 2 interceptions, bien épaulé par son fidèle acolyte Sabonis avec 27 points, 16 rebonds, 2 contres.
Le duo totalise 56 des 82 points de l’équipe. En face, l’Equipe Unifiée toujours portée par leur trio phare Thikonenko (24 points, 4 rebonds), Volkov (18 points, 8 rebonds) et Berezhniy (16 points, 4 rebonds, 2 passes) n’a rien pu faire face au déchaînement de leur adversaire et sont maintenus à 78 points. La Lituanie s’impose sur le fil et la tension est telle que l’équipe ne réalise pas l’exploit réalisé tant le parcours fut difficile. Jack McCallum rapporte sur la symbolique de cette médaille pour le capitaine Lituanien :
« Quand cette célébration a été finie, Marciulonis est allé prendre sa douche où il resté un long, long moment en tenue en se disant : Et si on avait perdu contre les Soviets ? Si on avait perdu ? Plus tard, il m’a dit ceci : « Penser à ce qui aurait pu arriver a presque effacé la joie de la victoire. On avait à ce point besoin de gagner. » » via Dream Team
Durant la compétition, le 5 majeur restera le même :
- Meneur : Chomicius (6,6 points, 1,8 rebonds, 2 passes)
- Arrière : Marciulonis (23,4 points, 5 rebonds, 7,3 passes, 3,6 interceptions)
- Ailier : Kurtinaitis (16,3 points, 2,3 rebonds, 2 passes, 3,6 interceptions)
- Ailier-fort : Karnisovas (11,2 points, 3 rebonds 1,5 passes)
- Pivot : Sabonis (23,9 points, 12,5 rebonds, 1,8 passes, 2,6 interceptions 2,8 contres)
La surprise lituanienne
Avant de monter sur le podium aux côté des Etats-Unis (or) et la Yougoslavie (argent), ils ont décidé de rendre un dernier hommage aux Greatfull Deads en troquant leur tenu officielle pour les mythiques T-shirt du groupe. Derrière la domination Américaine, l’amour du public qui était derrière ces outsiders (au style extravagant) a créé un réel engouement autour de cette nouvelle équipe. Un changement de tenu qui s’est improvisé :
« Lors de la cérémonie de remise des médailles, les Lituaniens étaient censés revêtir la tenue arborant le logo d’un sponsor mais au dernier moment, Marciulonis a sorti les t-shirts à l’effigie du squelette du Dead et a demandé à ses coéquipiers de les mettre. « Les Gratefull Dead ont cru en nous quand on était rien du tout « , a-t-il dit. Et les Lituaniens se sont avancés dans leur t-shirt criards, déplaisant aux représentants du CIO- un tableau fascinant qui n’a pas été le seul remous de la soirée sur le podium. » via Dream Team
Finalement, le succès de ces tenues auront été tels que l’argent récolté aura même servi à financer l’équipe pour les JO de 1996 à Atlanta, conclu une nouvelle fois par une médaille de bronze, une deuxième médaille en deux participations, la Lituanie était sur la carte.
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