Nous sommes le 9 décembre 2004. La saison régulière NBA bat son plein depuis un peu plus d’un mois avec une vingtaine de matchs joués pour chaque franchise. L’excitation de la reprise de la saison étant passée, cette nuit a tout pour être des plus banales. Seulement 3 matchs ce soir-là, avec un alléchant Dallas Mavericks – Seattle SuperSonics et un intrigant Portland Trail Blazers – Boston Celtics. Mon petit doigt me dit que l’on ferait bien de garder également un œil sur le derby du Texas qui opposera les Houston Rockets de Tracy McGrady, à domicile, contre les San Antonio Spurs.
Cet article a été écrit par Axel D.
Pourtant, rien ne laisse présager que quelque chose de particulier va se produire sur ce match. Les Spurs de Tim Duncan, Tony Parker et Manu Ginobili, bien épaulés par Bruce Bowen et Robert Horry dans le cinq majeur, et coachés par Gregg Popovich, marchent sur l’eau avec un bilan de 16 victoires pour 4 défaites. En ce qui concerne les Rockets, c’est plus compliqué. Après 3 saisons d’adaptation aux Toronto Raptors, puis 4 saisons au Orlando Magic où il explose pour devenir une superstar de la ligue, le double meilleur scoreur de la NBA en titre, Tracy McGrady, rejoint les Houston Rockets.
À l’époque, la franchise dispose de pas mal de talent, avec notamment le 1er choix de la draft 2002, Yao Ming, l’un des seuls humains sur cette planète qui pourrait regarder Victor Wembanyama dans les yeux (2m29). D’autres bons joueurs viennent compléter ce roster comme les vétérans Juwan Howard et Dikembe Mutombo. Avec cet effectif, les hommes du coach Jeff Van Gundy vont essayer de viser le haut de la conférence Ouest. Malheureusement, la mayonnaise ne prend pas dans ces premiers matchs de la saison 2004-2005. Et dans cette conférence ouest impitoyable à l’époque, les Rockets se retrouvent donc à 8 victoires pour 11 défaites avant d’affronter les Spurs au Toyota Center de Houston.
On s’attend donc plutôt à un match à sens unique où le rouleau compresseur des Spurs devraient disposer des Rockets sans trop de difficultés. Et c’est effectivement ce qui se passe pendant les 47 premières minutes du match. Nous sommes à 40 secondes de la fin, les San Antonio Spurs mènent de 8 points et semblent se diriger vers une victoire maîtrisée. Peu de supporters des Rockets y croient encore, surtout dans un match aussi défensif. Mais c’était sans compter sur Tracy McGrady (T-Mac pour les intimes) qui va prendre les choses en main.
Il score tout d’abord à 3 points malgré une grosse pression tout terrain de Bruce Brown et un très bon contest de Devin Brown (76-71 Spurs). Le même Devin Brown s’occupe de redonner 2 points d’avance à San Antonio après deux lancers-francs convertis (78-71 Spurs) mais T-Mac remonte la balle, passe derrière l’écran XXL de Yao Ming, réussit à feinter Tim Duncan et balance une ogive qui tombe dedans pour obtenir les 3 points plus la faute. “Alors peut-être !” dirait sûrement Patrick Montiel s’il était aux commentaires du match. Avec le lancer-franc rentré, cela fait donc 4 points supplémentaires pour les rockets (78-75 Spurs). Après un temps-mort, les Rockets font volontairement faute sur Tim Duncan qui convertit ses deux lancers (80-75 Spurs). Jeff Van Gundy prend alors le temps-mort de la dernière chance.
Sur la remise en jeu, les Rockets sont à deux doigts de perdre le ballon. T-Mac réussit tout de même à s’en saisir et prend un shoot complètement en déséquilibre sur la tête de Bruce Bowen et… ça rentre ! (80-78 Spurs). L’arrière des Rockets est en feu total ! Il reste 11 secondes à jouer. Après le temps-mort posé par Gregg Popovich, la remise en jeu est effectuée par Brent Barry, l’ailier des Spurs. C’est le facteur X du soir, Devin Brown, qui reçoit la balle. Il tente un spin-move vers le panier… mais il tombe et perd la balle qui est récupérée par… Tracy McGrady bien évidemment.
Le public du Toyota Center retient son souffle. Le miracle n’a jamais semblé aussi proche. Mais encore faut-il scorer pour les Rockets avec T-Mac qui remonte la balle depuis son camp. Va-t-il essayer de pénétrer dans la raquette pour arracher une prolongation inespérée ?
Il pourrait le faire mais en étant aussi chaud, ce serait presque décevant de ne pas le voir prendre un tir à trois points pour la gagne. Tracy McGrady remonte la balle, s’élève, et prend un shoot une nouvelle fois très bien contesté par la défense des Spurs. Mais T-Mac, qui est encore plus chaud que Johnny Storm depuis les 35 dernières secondes de jeu, était bien trop fort. Même à 10, 15, 20, 50 (insérez le nombre que vous voulez), la défense des Spurs n’aurait pas pu l’arrêter. Bien évidemment, le tir rentre. Sur l’action qui suit, Tony Parker tente un tir de loin désespéré mais ça ne rentre pas, 81-80 Rockets score final.
Les Spurs sont sonnés pendant que les Rockets exultent. Le miracle a bien eu lieu. Cette victoire va booster les hommes de Jeff Van Gundy, qui vont réussir une belle saison en finissant 5ème de la conférence Ouest (51 victoires-31 défaites) malgré leur début de saison raté. Quant aux Spurs, on ne peut pas dire que cette défaite les ait vraiment affectés. Après cette défaite, les hommes de Gregg Popovich se défoulent en gagnant 9 de leurs 10 prochains matchs. Et quelques mois plus tard, ils iront chercher le 3ème titre de l’histoire de la franchise après des playoffs maîtrisés et une finale exceptionnelle d’intensité et de rebondissements, conclue en 7 matchs contre les Detroit Pistons.
Quand on voit ce coup de chaud monumental et cette rage de vaincre qui a traversé Tracy McGrady pendant ces 35 secondes, on se dit que ce n’est pas normal que son armoire à trophées soit aussi vide (seulement un trophée de meilleure progression de l’année pour la saison 2000-2001). Même si ses 7 participations au All-Star Game et ses 7 nominations pour les All-NBA teams (2 fois dans la 1ère, 3 fois dans la 2ème et 2 fois dans la 3ème) feraient saliver beaucoup de joueurs, son palmarès, surtout collectif, n’est pas à la hauteur du talent immense que possédait T-Mac.
Alors, où était le problème ? Manque de leadership ? Problème mental à l’approche des Playoffs ? Problème de blessures ? Manque de chance ? Equipes de bras cassés autour de lui ? Souvent, dans ce genre de problématique, la réponse est un peu tout à la fois. A Toronto, il formait un duo plutôt prometteur avec Vince Carter mais trop jeune pour espérer quoi que ce soit.
À Orlando, le front office espère reformer un duo à la Michael Jordan-Scottie Pippen en associant T-Mac et Grant Hill, l’ancien ailier des Detroit Pistons. Malgré que Tracy McGrady réalise ses meilleures performances individuelles à Orlando, Grant Hill ne joue que 47 matchs sur les 4 saisons de T-Mac passées du côté de DisneyWorld. Avec en plus de ça, un supporting cast pas forcément à la hauteur et le tout coaché par Doc Rivers, vous obtenez une équipe avec un certain potentiel mais trop juste pour espérer aller loin en Playoffs.
C’est à Houston qu’il sera le mieux entouré avec le n°1 de la Draft 2002, Yao Ming (qui sera malheureusement souvent blessé lui aussi) et quelques bons joueurs de complément dont on a déjà parlé plus haut. Mais il manquait peut-être aussi à Tracy McGrady ce petit truc en plus qui fait les grands champions. Peut-être une meilleure hygiène de vie, qui lui aurait permis d’être blessé moins souvent lui aussi. Ou encore un supplément d’âme qui lui aurait permis, lui et son équipe, de ne pas perdre deux séries alors que les Rockets menaient 2-0 après 2 victoires (au 1er tour en 2005 contre les Dallas Mavericks et au 1er tour en 2007 contre le Utah Jazz).
Au final, en tant que leader, Tracy McGrady ne dépassera jamais le 1er tour des playoffs. Il goûtera quand même aux finales NBA en 2013, avec les Spurs, dans un rôle indigne de son talent. Finales qu’il perdra avec ce shoot mythique de Ray Allen lors du match 6. Décidemment, quand ça veut pas…
Même si T-Mac n’a pas eu une carrière à la hauteur de son talent, il nous a offert un des moments les plus iconiques de l’histoire de la balle orange. Et c’est ça qui est bien avec la NBA. Même si la saison régulière semble parfois très (trop) longue, les joueurs talentueux sont tellement nombreux qu’une performance exceptionnelle peut surgir à n’importe quel match, même si on ne s’y attend pas.
Désormais, même si un match semble définitivement perdu, les joueurs sur le terrain repensent certainement à ce fameux Rockets-Spurs du 9 décembre 2004 et se disent qu’ils peuvent peut-être revenir dans le match. Parce que si un gars a réussi à lui tout seul à marquer 13 points en 35 secondes, alors tout est possible !