Aujourd’hui, le dunk est une action connue dans le monde entier, même chez les non-fans de basketball. À tel point que ce qui était à l’origine un simple move permettant de faire lever les foules, est désormais une discipline à part entière qui compte des dizaines de professionnels pratiquants. Dans le cadre du plus grand concours de dunks en France, Le Roster s’est rendu au Quai 54 ce samedi 22 juin dernier. Retour sur le move le plus iconique de l’histoire de notre sport.
Un move qui n’a pas toujours fait l’unanimité
Tout d’abord, le dunk a mis du temps à gagner en popularité auprès de l’opinion publique, et à s’implanter durablement dans le paysage du basketball. D’ailleurs, lorsque le basketball fut créé en 1891 par James Naismith, ce dernier n’avait pas prévu que les joueurs puissent dunker. S’il avait pu, il aurait même fait en sorte que cette action ne voit pas le jour, selon son petit-fils, qui a hérité du même nom que son grand-père.
« Mon grand-père n’imaginait pas du tout le dunk quand il a inventé le basketball. D’ailleurs, on lui a posé la question une fois. Il a répondu que s’il avait su que les joueurs deviendraient si grands, il aurait mis le panier plus haut.«
James Naismith, au micro de David Castello-Lopes
Le move a même été source de controverses lors des premières décennies de basket-ball aux États-Unis. En effet, par peur de voir le jeu être dominé par les joueurs plus grands, la NCAA va totalement interdire le smash lors des matchs universitaires dans le pays, suite à l’arrivée d’un certain Lew Alcindor à l’université en 1967. Le but étant de limiter l’impact du futur meilleur marqueur de la NBA sur le jeu face aux autres jeunes joueurs du pays.
Pendant près de dix ans, la jeune garde américaine ne peut plus copier ses aînés et n’a plus le droit de dunker en NCAA. Mais cette interdiction va être levée en 1976, année au cours de laquelle a lieu le premier concours de dunk de tous les temps par la ABA. Grâce à un tomar depuis la ligne des lancers francs, Julius Erving remporte le concours.
Julius Erving's performance in the 1976 ÀBA Slam Dunk Contest pic.twitter.com/dvrolHot4m
— hoopsjunky (@hoopsjunky54491) February 22, 2024
À partir de là, le move se fait immédiatement une place au panthéon du basket et séduit immédiatement les fans de la Grande Ligue. Lors du All-Star Weekend, le concours de dunks passe même devant le match des étoiles et est parfois le « main event » devant ce dernier grâce à la créativité et à la capacité physique des participants.
Aujourd’hui, toute ligue de basket professionnelle qui se respecte se doit d’avoir un concours de smash. Tout le monde aime regarder les joueurs s’envoler plus haut que le commun des mortels pour réaliser des dunks toujours plus spectaculaires les uns que les autres. À tel point que certains athlètes concentrent leur carrière autour de ce move en tant que dunkers professionnels.
La professionnalisation du dunk, l’exemple de Kadour Ziani
En effet, à partir des années 80, soit une dizaine d’années après le premier concours organisé outre-Atlantique, la première édition du « championnat de France de smashs » a lieu à Bercy. Remportée par Richard Dacoury, elle marque l’arrivée du move sur l’hexagone. Certes, les participants étaient des joueurs en Pro-A et non des dunkers professionnels, mais, à la suite de ce concours, la discipline ne va pas tarder à se professionnaliser.
C’est au cours des années 90 que le dunk a évolué et a vu des athlètes se professionnaliser pour la première fois dans la discipline. Inspirés par les stars de NBA et leurs performances lors des concours, de jeunes athlètes se lancent corps et âmes dans cette nouvelle discipline. En France, nous avons la chance d’avoir une des figures de ce « mouvement » en la personne de Kadour Ziani. Il a été, avec ses camarades de la Slam Nation, un des premiers à faire du dunk l’élément central de sa carrière.
D’abord pressenti pour faire carrière dans le football en tant que gardien de but, Ziani devient véritablement accro au basket et plus particulièrement à smasher la balle dans l’arceau. Malgré son petit mètre 78, le jeune Français travaille sa détente sans relâche. En repoussant constamment ses limites, il finit par se blesser régulièrement, mais cela n’entrave en rien sa volonté de dunker encore et encore.
En effet, pour lui, le smash devient rapidement bien plus qu’un simple move de basket. « Pour moi le dunk c’est l’art du langage, un langage absolu, primitif, je dis tout avec le dunk. Ça montre aux gens qu’on est là, qu’on peut parler, qu’on existe » explique Kadour Ziani à notre micro. Grâce à cette nouvelle obsession, « Zianimal » échappe à la délinquance dans la cité du Vert-Bois où il vit dans sa jeunesse et entame sa carrière légendaire.
De par son audace et son talent, le jeune dunker se fait connaître après avoir réussi un smash depuis la ligne des lancers francs devant Georges Eddy et Kareem Abdul-Jabbar à Paris. Cet évènement survenu lors d’un tournoi de 3X3, et des milliers de téléspectateurs ont pu assister, ébahis à la performance de Kadour.
Deux ans plus tard, il attire l’attention de Jérémy Medjana, qui organise régulièrement un concours de dunk à Orchies. Concours lors duquel le jeune originaire de Saint-Dizier fait une nouvelle fois sensation. Medjana lui propose alors de rejoindre la Slam Nation, la toute première compagnie de dunker créée dans le monde en 1996. Évidemment, Ziani accepte et se lance définitivement dans le monde du dunk professionnel.
La troupe ne tarde pas à rencontrer du succès et se produit dans des endroits de plus en plus prestigieux. Après avoir démarré dans des petites salles de région parisienne, la Slam Nation va faire le tour du monde pour proposer son show aux quatre coins de la planète. Grand fan de Michael Jordan, Ziani aura même la chance de se produire dans la salle des Bulls, à la mi-temps d’un match de son idole en 1998.
Avec sa bande de dunkers, tous plus fous les uns que les autres, Kadour Ziani a réussi à faire du dunk son activité professionnelle. Il devient, avec ses camarades de la Slam Nation, le premier athlète à professionnaliser celle-ci et à en vivre grâce aux shows qu’ils délivrent. Au total, ils livrent près de 400 spectacles tout au long de leur carrière, popularisant le dunk aux quatre coins du globe.
Tout comme MJ l’avait incité à se lancer dans la discipline, « Zianimal » a inspiré de nombreux jeunes qui ont fini par faire carrière dans le smash au niveau professionnel. C’est notamment le cas de Guy Dupuy, que le Champenois a pris sous son aile pour faire de lui un des meilleurs dunkers de tous les temps sur le circuit professionnel. D’ailleurs, ce processus d’aide de son prochain et de transmission est très cher à Kadour Ziani.
« La parole entraîne, l’exemple enseigne. On enseigne avec des gestes, avec des actes, avec des dunks. C’est ça que je veux véhiculer. »
Grâce à l’héritage laissé par les précurseurs du dunk professionnel, la discipline s’est largement popularisée. De nos jours, tout le monde voit ce qu’est un dunk et ce terme fait immédiatement penser au basket. Kadour Ziani est revenu, à notre micro, sur la trace qu’il a laissé dans le monde du dunk à l’issue de sa carrière légendaire.
« Aujourd’hui, j’essaye de donner aux jeunes toute mon expérience, tout ce que j’ai acquis. Je transmets mes valeurs, mes principes, ma méthode, mon mindset, mon lifestyle pour que ça serve à quelque chose. C’est une science utile. C’est comme un héritage. Tu laisses des traces et quelque part ça va au-delà de toi, de ta propre prétention.«
Désormais, le « Dunkfather » joue un rôle central dans l’organisation du mythique concours de smahs du Quai 54. Déjà, parce qu’il est membre du jury chaque année, mais aussi et surtout, car c’est à lui que revient la tâche de sélectionner les athlètes qui auront la chance de prendre part au concours. Même si le titre du Quai 54 n’est qu’honorifique et qu’un aucune somme d’argent n’est promise au vainqueur, il motive tous les dunkers du monde et représente pour eux une grosse opportunité de se montrer.
« C’est un concours où tout le monde rêve de participer, souffle Kadour Ziani. Les athlètes s’entraînent toute l’année, voire toute leur vie pour en faire partie. Tout le monde te regarde, les yeux du monde entier sont rivés ici, à Paris pour le Quai 54. Que ça soit le monde fashion, les joueurs NBA et l’audience en général.«
Effectivement, depuis sa création en 2003, le Quai 54 est devenu la référence au sein des tournois des baskets de rue. Considéré comme le plus grand tournoi du genre dans le monde entier, il a lieu tous les ans et fait, lors de chaque édition, beaucoup de bruit sur la planète basket. C’est lors de la première journée de l’évènement qu’a lieu le fameux concours de smashs.
La discipline du dunk aujourd’hui
Cette année n’a pas dérogé pas à la règle. Quatre dunkers venus tout droit des États-Unis (New Williams et Donovan Hawkins), du Royaume-Uni (Joel Henry) et de Pologne (Piotr Grabowski) sont venus mettre le feu à la salle Pierre de Coubertin lors du Quai 54 cette année.
Cette année, les fans présents ont pu assister à une des meilleures représentations de l’histoire du Quai. « C’était la première fois que les quatre participants réussissaient leurs premiers dunks en une seule tentative » a souligné Mokobé, le speaker de l’évènement. À l’issue du concours, c’est l’Américain New Williams qui est titré, notamment grâce à un dunk stratosphérique, lors duquel il saute par-dessus cinq personnes alignées.
✈️ Quai54 #DunkContest orchestrated by @Kadour_ziani 🚀🤯💥 #Quai54 pic.twitter.com/ucW2J3vge0
— Quai 54 (@quai54wsc) June 22, 2024
Deuxième grande sensation du concours, Joel Henry a mis tout le public debout en dunkant par-dessus sa petite amie, assise sur les épaules d’un homme de presque deux mètres. Malheureusement, un échec lors de son troisième dunk le privera du titre. Une fois la déception passée, le Britannique a pu s’exprimer à notre micro sur son ressenti à propos de l’évènement.
« J’ai toujours voulu dunker dans le concours du Quai 54. J’ai participé au tournoi en tant que joueur en 2016, mais de voir tous les concours s’enchaîner, ça m’a vraiment donné envie d’y participer en tant que dunker. Le niveau et le talent qu’il y a ici, c’est dingue. D’autant plus que je me sens vraiment méritant d’en faire partie cette année, au vu du travail que j’ai effectué pour y arriver. C’est toujours un plaisir de pouvoir montrer son talent et le fruit de son travail devant autant de gens.«
Joel Henry suite à sa participation au Dunk Contest du Quai 54
Du haut de son mètre 85, Henry n’est pas ce que l’on pourrait appeler un géant. Mais à l’image de Kadour Ziani, sa « petite » taille n’a pas freiné sa capacité à s’envoler pour dunker. Le Londonien a, comme ses camarades dunkers, travaillé sans relâche pour arriver là où il est aujourd’hui. « On se fixe des objectifs, explique-t-il. D’abord, je me dis que je dois toucher le filet, puis la planche, puis l’arceau, puis m’y accrocher. À l’arrivée de mes nouveaux entraîneurs, j’ai pu dunker pour la première fois à 16 ans, ensuite, j’ai travaillé sans cesse pour m’améliorer. »
Sportivement, le dunk a évolué au niveau professionnel, et de nos jours, les athlètes travaillent plutôt individuellement. À la manière des joueurs de tennis, ils participent tout au long de l’année à des concours organisés par la FIBA aux quatre coins du monde. « On a nos propres saisons« , indique le Britannique. « Le circuit 3X3 de la FIBA organise des concours de dunks, et tous les week-ends, je suis dans un nouveau pays pour y participer. » Ce ne sont plus vraiment des shows, mais du concours compétitif lors desquels les athlètes souhaitent à tout prix l’emporter.
Tout cela permet aux athlètes d’aujourd’hui de vivre du smash, que ça soit à travers des concours ou d’autres activités en lien avec la discipline. « Lors de ma saison, soit je participe à des concours de dunks, soit je réalise du contenu autour de ça. J’ai aussi mis au point un programme pour apprendre à dunker, à gagner en détente. Grâce à tout ça, j’arrive à bien vivre du dunk aujourd’hui » raconte Joel Henry.
Malgré la professionnalisation de la discipline, bon nombre de ces dunkers n’ont pas une notoriété proportionnelle à leur talent. Dans le but d’améliorer la situation, la WDA (World Dunk Association) a été créée pour répertorier tous les différents concours organisés dans le monde, ainsi que les dunkers et leurs moves signatures respectifs. Sur le long terme, le projet serait même de mettre en place une ligue professionnelle du smash afin d’offrir une visibilité accrue aux athlètes sur la durée.
Malheureusement, le site de la WDA n’a pas été actualisé depuis plusieurs années. Le dernier tournoi entre dunkers professionnels dont le site fait mention date de 2019. Mais Joel Henry nous rassure, les concours continuent d’avoir lieu, avec notamment « six contest qui ont lieu au Royaume-Uni chaque année » sans compter les autres où il se rend à l’étranger. Sur le plan personnel, son dernier titre remporté date de la saison dernière, lors d’un tournoi au Japon.
Ancien basketteur professionnel, l’Anglais a opté pour une trajectoire plutôt atypique. Et ce, en laissant de côté sa carrière de joueur professionnel pour se lancer dans le dunk. Avec, comme ses prédécesseurs, la volonté d’inspirer la nouvelle génération et de les familiariser avec ce nouveau sport. « Je veux montrer aux jeunes qu’il y a d’autres moyens pour devenir un grand athlète. Ils n’ont pas besoin de devenir des joueurs professionnels pour ça » explique-t-il.
Même si la notoriété des grands dunkers n’atteint pas celle des stars de NBA, leurs prouesses n’en sont pas moins glorieuses. En effet, les réactions du public du Quai 54 sont similaires voire encore plus folles que celles que l’on peut voir lors du dunk contest au All-Star Game. « Certes, au basket, il n’y a pas meilleurs que les joueurs NBA, mais la plupart d’entre eux ne peuvent pas faire ce que je fais« , partage Joel Henry, à propos du parallèle entre le concours du Quai 54 et celui organisé par la NBA.
De plus, ces fameuses stars du basket veulent de plus en plus assister à de tels évènements. On se rappelle notamment la manière dont Jordan Kilganon avait impressionné Gary Payton et Glen Rice lors d’un concours de dunks auquel les deux stars de NBA s’étaient rendues en 2016.
Chaque année, les tribunes du Quai 54 sont bien remplies avec du beau monde. Présent en tant que joueur au sein de l’équipe Hoodmix, David Holston, MVP de Betclic Elite en 2019, a pu s’exprimer à notre micro sur son rapport avec la discipline du smash.
« Tout le monde aime le dunk, ça fait partie du jeu. J’y arrivais quand j’étais jeune, maintenant c’est fini. Mais c’est cool, tout le monde veut voir ça. On a de plus en plus de gars qui dunkent beaucoup, c’est cool pour le jeu. Je suis content que ça devienne quasiment comme un sport aujourd’hui. »
David Holston
Un avis partagé par les fans présents dans les tribunes, tous subjugués par les nombreux dunks réalisés lors de la soirée. « Le dunk c’est ce qui permet de voir la détente, la technique d’un joueur de haut niveau. Ça a toujours été spectaculaire, surtout quand c’est fait comme aujourd’hui. Donc c’est pour ça qu’on kiffe ça » décrit Isaiah Denzel, assis (ou plutôt debout) au premier rang lors du concours.
À la base simple mouvement spectaculaire, le dunk est devenu un vrai phénomène dans la sphère basket. C’est ce que tous les joueurs veulent réussir, un peu à la manière d’une retournée au football. Grâce aux athlètes qui ont professionnalisé la discipline, le smash a gagné en crédibilité. Le move est désormais vu comme une discipline à part entière qui permet à plusieurs professionnels d’en vivre à temps plein. Et qui sait, peut-être que le dunk sera un jour aux Jeux Olympiques ? Comme en rêve Kadour Ziani…