Larry Smith, visuel par @Camille
Visuel par @Camille

Larry Smith, Monsieur Méchant

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Cette série s’ambitionne en excavatrice des décombres des décennies 80 et 90 : l’antichambre de la NBA à la lumière des soutiers et besogneux des temps anciens. Aujourd’hui, troisième coup de pelle avec Larry « Mr. Mean » Smith.

Pilier des Warriors de 80 à 89, Larry Smith était aussi utile offensivement qu’une horloge sans aiguilles. Mais lorsqu’un camarade de jeu, coéquipier ou adversaire, ratait sa tentative de tir, The Man with the Golden Legs sortait du diable Vauvert pour récupérer la gonfle. Icône intergénérationnelle pour les fans de Golden State, défenseur fiable et surtout rebondeur d’élite, Smith adoptera à la perfection la définition de role player le temps d’une carrière riche de 13 saisons NBA.

Portrait du bien mal-nommé Mr. Mean.

Larry Smith. Ouvrez le bottin américain, vous risquez d’en trouver quelques wagons. Le surnom de ce brave Larry est quant à lui plus singulier : Mr. MEAN, à comprendre ici dans le sens « méchant , dur » en français. La pêche aux informations n’est pas simple le concernant.

Car l’homme est discret, ses apparitions médiatiques se comptent sur les doigts d’une main à qui il manque des doigts. Une petite voix, un phrasé hésitant, Smith semble être plus timide que vindicatif, et n’a surtout pas l’air bien méchant, au contraire. S’il a toujours eu des fonctions liées au basket après sa retraite de joueur (il sera notamment dans le staff de Rudy Tomjanovich avec les Rockets lors du doublé 94-95), il n’est pas loquace pour autant sur sa riche carrière. Larry n’est clairement pas un bon client pour l’exercice médiatique.

C’est dans un court entretien avec le journaliste Tim Roye que l’on apprend sans surprise que le premier amour de Larry Smith n’est pas le basket, mais le baseball, où il se régale en jouant first base durant son enfance et adolescence, lui le natif d’une petite bourgade du Mississippi. Croissance aidant, c’est par défaut qu’il s’essaie à la balle orange, avec un succès immédiat puisqu’ il intègre à 19 ans une petite fac de son État, Alcorn State. Après lui, seul Lindsey Hunter connaîtra une carrière NBA digne de ce nom, en étant passé par cette université de seconde zone.

C’est dès les années Alcorn State qu’il acquiert ce surnom de Mr. Mean : Gus Howard, chargé de l’information des sports à l’université, remarque dès son arrivée un Smith fermé, discret, ne parlant à personne et à la mine renfrognée. C’est aussi simplement que l’un des nickname les plus marquants de la ligue fut donné. On retrouve la présence du « Mr. Mean » accolé à son nom dès les guides médias de la fac. Pour l’anecdote, c’est dans l’un de ces guides que l’on apprend que le joueur préféré de Smith était la légende des Bucks Marques Johnson, un style évidemment bien loin de celui pratiqué par Larry.

Sur le terrain, Larry survole physiquement et est élu à deux reprises MVP de la conférence Southwest (1979 et 80) dans une ligue certes peu concurrentielle. En 1979, Alcorn State gagne 27 de ses 28 matchs, perdant au second tour du NIT (National Invitation Tournament) face aux futurs champions, les Hoosiers d’Indiana du mythique Bobby Knight. Sa dernière année, il tourne à 20 points et 15 rebonds de moyenne, en 33 minutes. Pourtant, dès 1979, les scouts NBA notent que Smith ne sait pas shooter, et qu’il est peu probable qu’il fasse sa place chez les pros.

1980 / Larry Smith lors de son année rookie aux Warriors / Vintage Press Photo
1980 / Larry Smith lors de son année rookie aux Warriors / Vintage Press Photo

1980-1989 : les belles années Warriors

Il sera pourtant bien sélectionné par Golden State au tout début du deuxième tour, à la 24ème position, dans cette draft 1980, celle des Kevin McHale, Jeff Ruland, Kiki Vandeweghe, Andrew Toney ou Joe Barry Carroll, le premier choix de la cuvée et futur coéquipier aux Warriors.

Lorsqu’il débarque dans cette équipe de Golden State à l’été 1980, Larry Smith comprend vite qu’il ne verra pas beaucoup le ballon au vu des croqueurs présents.

1986 / Larry Smith lors de sa sixième année NBA / Focus on Sport Getty Images
1981 / Larry « Mr. Mean » Smith VS Larry « Legend » Bird, année sophomore / Dick Raphael NBAE via Getty Images

Purvis Short pour commencer. Il connaît bien « Shortman« , l’ayant déjà joué pendant deux ans à la fac, Purvis jouant à l’époque pour Jacksonville State. Du propre aveu de Larry Smith, Short est probablement le meilleur Warrior à n’avoir jamais été All-Star, il est notamment monté à 28 points de moyenne avec Golden State en 1985 lors d’une sombre année de tanking.

World B. Free ensuite, le new-yorkais, « un des types les plus sur de lui que j’ai jamais rencontré ». Version policée de : un des plus gros boulards de la ligue doublé d’un fieffé fier-à-bras. Free sort d’une saison All-Star en provenance des Clippers de San Diego, tournant à plus de 30 points de moyenne.

Un troisième garçon est du genre à aimer prendre quelques tirs : Bernard King, qui lors de ses deux années aux Warriors tournera à plus de 22 points de moyenne, devenant All-Star pour la première fois en 82, avant d’exploser complètement aux Knicks par la suite.

Si l’on ajoute la draft en premier choix de la star de Purdue, le sevenfooter Joe Barry Carroll sur le poste de pivot, Smith sait pertinemment que les 20 points de moyenne dans sa petite fac du Mississippi, il peut les oublier :

« Je vais devoir faire ce que je fais le mieux : prendre des rebonds et être à fond en défense : le temps de jeu viendra. Je sais que je ne suis pas un grand joueur, mais il y a des secteurs que je maîtrise mieux que pas mal de stars. »

Cela sera une belle réussite. Son année rookie approche le double-double (9,6 points et 12 rebonds moyenne pour 31 minutes de temps de jeu), et s’il évolue dans une équipe des Warriors au mieux moyenne (seulement deux qualifications en playoffs durant la décennie 80), Smith est systématiquement le titulaire des entraîneurs successifs (Al Attles, Johnny Bach, George Karl puis Don Nelson).

Son poste sur le terrain est celui d’ailier fort exclusif, mais pour le dire autrement et avec plus de précision : campeur de raquette. La tente Quechua et le butagaz à portée de main, Larry Smith ne s’aventure guère jusqu’aux confins du périmètre ou de la ligne des 3 points. Mais capte des rebonds. Beaucoup de rebonds.

« Il a été accepté plus rapidement que n’importe quel rookie. Je n’ai jamais vu de vétérans assis sur le côté applaudir un rookie. Mais ils l’ont fait pour lui. Il a fallu plus de temps à J.B. Carroll pour être accepté. C’est parce que Larry avait les mains dans le cambouis. »

Al Attles, coach des Warriors de 69 à 83

Il sera même envisagé pour être élu rookie de l’année 81, cela se jouera dans un mouchoir de poche entre lui, McHale, Kelvin Ransey et Darrell Griffith, l’arrière du Jazz étant finalement sacré.

Lorsqu’il boucle son année sophomore, le journaliste du Oakland Tribune Ralph Wiley affirme que Smith est un meilleur rebondeur que le grand Moses Malone.
En carrière, pour 100 possessions, Smith tourne à près de 17 rebonds par match en carrière, dont 7 rebonds offensifs. C’est autant que Moses, à ceci près que Larry n’était qu’un petit poste 4 de 203cm, et que de l’autre côté du terrain, Big Mo faisait quelques petites choses en plus. Cela reste en dessous du maître en la matière à l’époque, Dennis Rodman (21,4 rebonds pour 100 possessions en carrière).

Disons-le clairement : ballon en main, ce brave Larry fait peine à voir. Pour paraphraser Jacques Monclar : lorsqu’il reçoit la balle au poste, on a l’impression qu’il a entre les mains les codes de l’arme atomique. Les gestes offensifs ne sont ni déliés ni harmonieux. Au delà de 50 centimètres du cercle, l’erreur de casting est manifeste. Rares sont les joueurs dont le record de rebond sur un match est supérieur à leur record de point (25 points et 31 rebonds pour notre homme). Il y a différentes manières de briller sur un terrain.

1986 / Larry Smith lors de sa sixième année NBA / Focus on Sport Getty Images
1986 / Larry Smith lors de sa sixième année NBA / Focus on Sport Getty Images

Le sommet sportif de ces neufs saisons californiennes est sans doute cette campagne de playoffs 87, où après une saison régulière décevante (42 victoires), les Warriors emmenés par George Karl et dont les joueurs vedettes sont Sleepy Floyd, Purvis Short, Joe Barry Carroll, Rod Higgins et un Chris Mullin sophomore, passeront enfin un tour de playoffs en sortant le Jazz. Smith défendra le plomb sur le jeune Karl Malone, réduit à 20 points de moyenne pour 42% de réussite, pire série en carrière pour le Mailman. Mr. Mean cite cependant Karl Malone (et Buck Williams) lorsqu’on lui demande qui était son adversaire direct le plus compliqué à jouer.
La demi-finale de conférence, perdue en cinq manches face aux Lakers futurs champions, sera malgré tout brillante à titre individuelle pour Smith, auteur de 14 points / 16 rebonds  sur la série, prenant le dessus sur A.C Green.

Port du casque obligatoire

Son histoire avec Golden State ne peut pas se résumer aux statistiques défensives, à sa longévité (il est aujourd’hui le onzième joueurs le plus capés de la franchise). Les fans l’adorent, pour sa combativité, son énergie, son flegme détonant par rapport à son surnom, et se prennent d’affection pour son incapacité à prendre un tir à plus de 15 centimètres du cercle. Un authentique fan-club se monte, le Larry’s Local 13, 13 étant tout simplement le numéro porté par Smith, et dont le signe distinctif n’est pas une carte de membre papier mais un casque de chantier.

1987 / Le fan-club de Larry Smith en action / Photo by John O'Hara San Francisco Chronicle via Getty Images
1987 / Le fan-club de Larry Smith en action / Photo by John O’Hara San Francisco Chronicle via Getty Images

Tout part de deux étudiants venant aux matchs, l’un faisant la remarque à l’autre « vu comment Larry tir, on devrait porter des casques de chantier! »

L’ancien directeur général des Warriors, Bob Myers, jeune ado lors de la carrière de Mr. Mean aux Warriors, avouera qu’il était son joueur fétiche. En poste des années plus tard, il espérait avec Kevin Looney retrouver un peu de l’âme de Smith, sans succès. L’esprit, un tantinet moqueur, est bon enfant, et le soutien pour Mr. Mean est réel, ce qui ne manque pas de toucher l’intéressé même plusieurs années passées :

« Ils représentaient tellement pour moi. C’était un honneur et un privilège pour un groupe de personnes de venir partager ces choses avec moi et de me recevoir de cette manière. Et j’ai adoré cela. Je les ai aimés. Je me réjouissais de venir travailler tous les jours et d’avoir l’excitation d’être là et d’avoir ces sections qui m’encourageaient. »

1987 / "son jeu offensif est inexistant" / The Complete Handbook of Pro Basketball
1987 / « son jeu offensif est inexistant » / The Complete Handbook of Pro Basketball

1989-1993 : Vétéran aux Rockets puis aux Spurs, 24% aux lancers-francs et fin de chantier

1989 / Larry Smith sous le maillot des Rockets, toujours avec le numéro 13 / Ken Levine Getty Images
1989 / Larry Smith sous le maillot des Rockets, toujours avec le numéro 13 / Ken Levine Getty Images

Agent libre à l’été 89, Smith signe aux Rockets, entrainés par Don Chaney, qui a besoin de soutien dans la raquette pour faire souffler Olajuwon et Otis Thorpe. C’est une saison décevante pour Larry, 32 ans désormais, jouant moins de vingt minutes par matchs sans aucune titularisation pour la première fois de sa carrière.

« The only thing mean about Larry Smith is the way he plays. When he doesn’t get 20 rebounds, Larry considers it a bad night. »

Don Chaney, coach des Rockets de 1988 à 92

Mais pour sa deuxième saison dans le Texas, Smith bénéficie de la blessure d’Olajuwon pour rentrer dans le cing majeur : sur 28 titularisations, Smith compile plus de 14 rebonds par matchs. En février 91, il fera cinq matchs avec 20 rebonds ou plus, ce qui n’avait pas été fait depuis Michael Cage en avril 88. Côté tir, on touche le fond. Habituellement piètre tireur de lancers-francs (53% en carrière), il touche le fond  : sur ses 50 tentatives, 12 seulement passeront les filets, soit 24% de réussite !

Après une troisième année 1991-92 quelconque chez des Rockets décevants (135 victoires pour 111 défaites en trois saisons, avec deux éliminations au premier tour des playoffs), Larry Smith reste dans le Texas et signe aux Spurs à l’été 92 pour une toute dernière année en NBA, alors qu’il a 35 ans. Remplaçant d’Antoine Carr, il joue 66 matchs mais est peu utilisé par John Lucas lors des deux tours de playoffs.

1992 / Dernière saison de Larry Smith à San Antonio / Topps Stadium
1992 / Dernière saison de Larry Smith à San Antonio / Topps Stadium

Fin de carrière pour ce bon Larry Smith, après 914 matchs dans l’élite, (seulement 31 en playoffs).

All-rookie 1981, il terminera cinq saisons dans le top 10 des meilleurs rebondeurs de l’année, et il sera trois fois meilleurs rebondeurs offensifs de la ligue, toujours à mettre en perspective avec sa relative petite taille (203 cm) pour le poste et l’époque. Il a d’ailleurs le quatrième meilleur pourcentage de rebond offensif de l’histoire de la ligue (15,8%), derrière Moses Malone (16,3%), Andre Drummond (16,7%) et l’indéboulonnable Dennis Rodman (17 ,2%).

(Il est toujours bon de rappeler que les données statistiques concernant les rebonds offensifs n’existent que depuis la saison 1973-74)

S’il n’aura jamais la reconnaissance de ce trio là, il pourra se réconforter avec son beau casque de chantier orné de 25 signatures d’anciens coéquipiers et de fans fidèles.

« Je le regarde tous les jours. Parfois, j’ai les larmes aux yeux quand je le regarde. Ce sont quelques-uns des plus beaux jours de ma carrière en NBA, de mon passage à Oakland. »

Un spécimen de "hard hat" du fan-club de Larry Smith
Un spécimen de « hard hat » du fan-club de Larry Smith

En treize saisons NBA, Larry Smith s’est mué en quintessence du joueur unilatéral : les mains pleines de pouces en attaque,  joueur d’élite en défense. Un rôle parfaitement admis et défini par ses entraîneurs successifs, qui lui auront toujours donné beaucoup de temps de jeu.

La comparaison « Dennis Rodman du pauvre », la plus intuitive, est finalement tout à fait juste. S’il n’a jamais été ou même considéré All-Star, Smith reste l’un des meilleurs rebondeurs NBA des années 80, coqueluche des Warriors dès ses premiers matchs, et l’une des figures basket emblématiques du Mississippi avec Bailey Howell.

2000 / Larry Smith sur le banc des Rockets, assistant de Tomjanovich de 1993 à 2003 / Smiley N. Pool Houston Chronicle via Getty Images
2000 / Larry Smith sur le banc des Rockets, assistant de Tomjanovich de 1993 à 2003 / Smiley N. Pool Houston Chronicle via Getty Images

 

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