Le 24 avril 2014, un enregistrement audio de celui qui était alors le propriétaire des Clippers, Donald Sterling, est diffusé par le média TMZ. Le monde entier peut ainsi l’entendre dire des propos racistes à l’égard de la communauté Afro-Américaine. Cette diffusion fait l’effet d’une bombe qui dépasse alors les frontières de la NBA.
Qui est Donald Sterling ?
Avant de se pencher sur ce qui est désormais connu comme l’affaire Donald Sterling, il faut comprendre qui était l’ancien propriétaire des Clippers. Âgé de 80 ans à l’époque, Donald Sterling fait fortune dans l’immobilier avant de prendre la tête de la franchise de Los Angeles, en 1981. Ainsi, en 2014, il est le propriétaire en activité avec la plus longue longévité.
Les histoires de racisme concernant Donald Sterling remontent avant la diffusion de l’enregistrement par TMZ. En 2009, il est condamné à payer une amende de 2,73 millions de dollars parce qu’il refusait de louer ses appartements à des personnes issues des communautés Hispaniques ou Afro-Américaines. Toujours en 2009, il est accusé par Elgin Baylor, alors General Manager des Clippers, de réaliser une discrimination raciale au sein de l’organigramme de sa franchise. Si ces accusations ne donnent lieu à aucune condamnation, les problèmes de racisme de Donald Sterling sont connus de tous.
Baron Davis, passé aux Clippers de 2008 à 2011, avait pu être témoin du comportement très problématique de son propriétaire. Malheureusement, personne ne lui disait rien parce qu’il possédait la franchise. Cependant au sein du Front Office des Clippers, des mesures furent prises pour que Donald Sterling s’adresse le moins possible aux joueurs ou aux médias. La NBA était une ligue composée majoritairement d’Afro-Américains, les dirigeants Angelinos avaient bien conscience qu’un dérapage de leur propriétaire pouvait survenir à tout moment. C’est exactement ce qu’il se passe le 24 avril 2014.
Le déroulé des faits :
La diffusion de l’enregistrement
Le 24 avril 2014, TMZ diffuse une bande sonore de Donald Sterling qui reproche à sa maîtresse V. Stiviano de trop s’afficher avec des personnes Afro-Américaines. En cause, une photo postée sur Instagram où elle pose avec la légende des Lakers, Magic Johnson.
Pendant une dizaine de minutes, le propriétaire des Clippers enchaîne propos raciste sur propos raciste ponctués par la tristement célèbre citation : « Cela m’embête beaucoup que tu dises ainsi vouloir être associée à des Noirs. Est-ce que tu dois vraiment faire cela … Tu peux coucher avec, tu peux les faire venir chez toi, tu peux faire ce que tu veux avec eux, mais la moindre des choses est de ne pas en faire la publicité et de les amener à mes matches ».
Les réactions sont immédiates. Tout d’abord, Magic Johnson, directement visé par Donald Sterling, déclare que lui et sa femme n’iront voir aucun match des Clippers tant que le propriétaire sera encore présent au sein de la franchise. LeBron James monte aussi au créneau en déclarant qu’il n’y a pas de place pour Donald Sterling en NBA.
Doc Rivers au cœur de l’orage
Si l’affaire Donald Sterling débute aux yeux du monde le 24 avril 2014, elle commence en coulisse, le 23 avril. Doc Rivers, alors coach des Clippers, est informé par un membre du front office que des propos déplacés de Donald Sterling vont être diffusés, mais qu’il ne s’agit pas de quelque chose de grave. Immédiatement, le Doc convoque ses joueurs afin de faire le point et pour ne pas être déstabilisés par ce qu’il va suivre. Cependant, ni Doc Rivers, ni les joueurs Angelinos ne connaissaient la nature des propos de leur propriétaire. Quand TMZ sort l’enregistrement, une nouvelle réunion de crise est organisée entre Doc Rivers et ses joueurs.
Tous sont sous le choc, mais surtout les joueurs sont très énervés contre tout le monde travaillant pour les Clippers. En 2014, on est loin de l’époque où les joueurs s’exprimaient librement dans la presse comme c’est le cas aujourd’hui. Ils étaient d’abord représentés par leur franchise, propriétaire inclus. Rapidement, Doc Rivers crève l’abcès en rappelant que, lui-même, est Noir et donc directement affecté par les propos de Donald Sterling.
Il demande à ses joueurs de faire front commun derrière lui et le trio star de l’équipe Blake Griffin, Deandre Jordan et Chris Paul (alors président du syndicat des joueurs) accepte d’être désormais représentés par Doc Rivers et non plus par Donald Sterling. D’ailleurs ce dernier fait preuve d’une totale indifférence. Pour lui, il n’y a rien de raciste dans ses propos. Il compte bien se rendre à San Francisco, pour le match 4 du premier tour des Playoffs face aux Warriors comme si de rien n’était.
Jouer ou ne pas jouer : telle est la question
Le match du lendemain contre les Warriors est, lui aussi, au centre de toutes les attentions. Les Clippers mènent 2-1 et il existe, en réalité, deux équipes des Clippers à ce moment-là. Celle possédée par Donald Sterling et dont personne ne veut avoir de lien et le nouveau front commun derrière Doc Rivers. Celui-ci se pose une importante question : faut-il boycotter le match ? Le coach laisse le choix aux joueurs et rapidement deux camps vont se dessiner. D’un côté, ceux qui veulent jouer et de l’autre ceux qui veulent boycotter.
Parmi ceux qui ne voulaient pas jouer, seul Deandre Jordan s’est exprimé publiquement à ce sujet. Selon lui, les Clippers étaient incarnés avant tout par Donald Sterling et il ne voulait absolument pas jouer pour une personne ouvertement raciste. De l’autre côté, Blake Griffin aborde lui aussi la question de la représentation, mais sous un angle différent. Lorsqu’il joue, il ne le fait pas pour Donald Sterling, mais pour la ville de Los Angeles, sa famille et ses proches. C’est pourquoi, le match doit être joué afin de représenter toute la ville de Los Angeles.
Au final, les joueurs décident de jouer. À l’époque, les Clippers avaient une équipe qui pouvait rêver du titre. Ils ont décidé que leurs ambitions de titre passaient au-delà de Donald Sterling. Par conséquent, la rencontre devait être disputée. À leur arrivée sur le parquet, les Angelinos ont porté leur maillot d’entraînement à l’envers afin de cacher le logo des Clippers. Ainsi, s’ils n’avaient fait aucun commentaire dans les médias, c’est sur le terrain qu’ils ont pu exprimer leur détachement total de Donald Sterling.
Le choix de jouer ce match ne touche que le microcosme des Clippers vu la vitesse à laquelle les événements se sont enchaînés. Cependant, après ce match 4 remporté par les Warriors, la question de boycotter le match 5 s’est posée dans le vestiaire des Warriors, mais aussi dans tous les vestiaires des autres franchises encore en course lors de ces playoffs. Face à la colère montante, un homme est intervenu pour remettre un peu d’ordre là-dedans : Adam Silver.
Adam Silver au centre de la tourmente
Lorsque l’affaire Donald Sterling éclate, Adam Silver est à la tête de la NBA depuis seulement deux mois et il doit faire face à l’un des plus gros scandales de l’Histoire de la Grande Ligue. Il ne se fait pas attendre et il prend trois décisions pour marquer le coup. Tout d’abord, il bannit Donald Sterling de la NBA à vie. Ensuite, il donne le droit aux propriétaires des 29 autres franchises de voter pour forcer la vente des Clippers. Enfin, le propriétaire déchu écope d’une amende de 2,5 millions de dollars.
Ainsi, la série entre Clippers et Warriors a pu continuer et les Angelinos se sont imposés. Enfin, un mois plus tard, Steve Ballmer a pu racheter la franchise pour 2 milliards de dollars.
Une histoire qui dépasse le cadre de la NBA
L’affaire Donald Sterling et plus précisément le front commun entre Doc Rivers et ses joueurs pour contester contre leur propriétaire s’inscrit dans une lignée de nombreux actes visant à lutter contre le racisme.
Bill Russell, le Précurseur
Le premier joueur à avoir agi de manière frontale contre le racisme, c’est Elgin Baylor à la fin des années 50 lorsqu’il quitte l’hôtel où logeaient les Lakers parce qu’il ne servait pas les Afro-Américains. Cependant, c’est Bill Russell qui sonne officiellement la charge contre le racisme lors du boycott de Lexington, fait marquant de la carrière de Cleo Hill également. En 1961, un match de présaison est organisé entre les Hawks et les Celtics à Lexington dans le Kentucky, une ville du Sud du territoire Américain, pas spécialement connue pour son ouverture d’esprit.
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Lorsque les joueurs arrivent à l’hôtel comme pour Elgin Baylor, les Afro-Américains ne sont pas servis. Ainsi, 5 joueurs, trois des Celtics dont Bill Russell et deux des Hawks dont Cleo Hill décident de boycotter le match. Ce choix donne lieu à une division des mentalités. D’un côté, Red Auerbach, le coach de Boston, soutient pleinement ses joueurs tandis que le propriétaire des Celtics regrette le maintien du match.
Côté Hawks, c’est plus complexe. Aucune déclaration n’est faite publiquement, mais surtout Cleo Hill est mis à l’écart et est totalement boycotté par ses coéquipiers blancs. De plus, Woody Sauldsberry, l’autre joueur de Saint-Louis à avoir boycotté la rencontre, est transféré dans la foulée. C’est une drôle de coïncidence lorsqu’on connaît les antécédents de Ben Kerner, propriétaire des Hawks, qui a notamment transféré Bill Russell, le soir de sa Draft, sans aucune raison.
More Than an Athlete
L’affaire Donald Sterling marque un tournant dans l’Histoire de la NBA. Pour la première fois, des joueurs se dressent de manière manifeste contre le propriétaire de leur franchise avec le soutien de l’ensemble de la ligue. Cela ne fut pas le cas pour Cleo Hill qui a vu sa carrière subir un coup d’arrêt après le boycott de Lexington. Ainsi, depuis 2014 les prises de position des joueurs sont de plus en plus courantes comme en 2017 lorsque les Warriors décident de ne pas faire la traditionnelle visite de la Maison Blanche après leur sacre. Une idée reprise par toutes les équipes championnes lors du mandat de Donald Trump.
L’une des prises de position les plus connues est celle de LeBron James en 2018. Le King commence par critiquer l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, en disant qu’il se fiche du peuple Américain. La journaliste lui répond avec le célèbre « Shut Up and Dribble », en clair « tais-toi et joue au basket », sous-entendu que les joueurs de NBA ne pouvaient pas parler politique. LeBron James lui répond avec un slogan connu de tous « I Am More Than An Athlete ». Une idée reprise pour de nombreux athlètes à travers le monde pour montrer qu’ils ne se limitent pas uniquement à leur sport et qu’ils peuvent exposer leurs idées notamment politiques.
#wewillnotshutupanddribble https://t.co/LyenGRKTUE
— LeBron James (@KingJames) February 17, 2018
Black Lives Matter : La dernière prise de position contre le racisme
L’été 2020 est marqué pour le mouvement Black Lives Matter qui prend une dimension médiatique inédite avec l’assassinat de Georges Floyd en mai 2020. Une tragédie qui trouve ses répercussions en NBA, dans la bulle sanitaire d’Orlando. La Ligue autorise les joueurs à inscrire des messages contre les discriminations au dos des maillots comme Black Lives Matter – Freedom ou encore How Many More.
Le mouvement Black Lives Matter prend une place encore plus importante en NBA, le 26 août 2020. 3 jours avant, Jacob Black, un Afro-Américain, se fait tirer dessus, dans le dos, par un policier. En NBA, le match 5 de la série entre Bucks et Magic est sur le point d’avoir lieu. Cependant, pour les joueurs de Milwaukee, il n’y a qu’un seul moyen de réponse à l’agression subie par Jacob Blake : le boycott. Dans l’idée, ils décident de ne pas sortir du vestiaire pour déclarer forfait. Une décision qui déclenche un élan de solidarité au sein de toutes les franchises présentes à Disney World. Ainsi, la NBA est paralysée.
Ensuite, une réunion entre des joueurs de plusieurs franchises est organisée pour décider des prochaines actions. Comme pour l’affaire Donald Sterling, deux camps s’opposent avec deux leaders bien précis. D’un côté, ceux qui veulent finir la saison avec, en tête de file, le joueur du Heat, Udonis Haslem. Il soutient que jouer est le meilleur moyen pour témoigner de leur soutien pour tous ceux victimes de violences raciales. De l’autre, ceux qui ne veulent pas finir la saison. Un camp mené par le joueur des Bucks, George Hill. Ils estiment que leur place est auprès de leurs proches pour aller manifester.
Au milieu des deux camps se dresse une troisième personne, LeBron James. Il n’est pas en désaccord avec George Hill, mais il se pose un problème : quelles conditions pour reprendre le jeu ? Selon lui, les violences ne vont pas se terminer du jour au lendemain et demander la cessation de celles-ci pour reprendre le jeu est une condition bien trop importante.
Quoiqu’il en soit, deux jours plus tard, les 15 franchises restantes doivent voter pour le départ ou non de la bulle d’Orlando. 13 équipes décident de rester. Les deux qui s’y sont opposées : les Lakers et les Clippers. Malgré tout, LeBron James aurait accepté de rester dans la bulle après avoir discuté avec plusieurs propriétaires de la Ligue. Ils auraient garanti au King de faire plus d’action visant à dénoncer les violences raciales.
Ainsi, après avoir frôlé un mouvement de grève sans précédent, la suite des Playoffs a pu être jouée et les Lakers ont remporté le titre.
Ainsi, l’affaire Donald Sterling a permis aux joueurs d’être de moins en moins dépendants de leur franchise afin de pouvoir prendre des décisions de leur plein gré.