Demar DeRozan et Kevin Love, les premiers à lever le tabou de la santé mentale. Crédit : Charles Rex Arbogast - AP

Santé mentale en NBA : une question cruciale

À l’instar de notre société, la santé mentale au sein de la NBA est un sujet sur lequel personne n’a osé parler pendant des années, et même des décennies.

Cet article a été écrit par Morgann Lioux.

La parole d’un seul joueur, DeMar DeRozan, est venue briser l’omerta. En faisant entendre sa voix, le maestro du mid-range a ouvert la voie. Il a brisé un tabou et a refusé d’avoir honte de ce qu’il affrontait : une dépression. Inspirant, il a été rejoint dans son engagement par d’autres joueurs et par la ligue elle-même. Solidaires devant l’adversité.

Depuis, la NBA a multiplié les actions pour sensibiliser l’ensemble de ses acteurs (dirigeants, joueurs, médias, fans) sur les risques liés à la santé mentale. Elle a également actionné des leviers permettant de mieux la garantir, de mieux la préserver.

Évidemment, le rôle de la grande ligue est central mais il n’est pas pour autant exclusif. Les joueurs eux-mêmes doivent se responsabiliser et être en mesure d’identifier et gérer les troubles qui pourraient leur porter atteinte.

Les fans et les médias également, dans leurs réactions, leurs mots, leurs actes, ont une part de responsabilité qu’il ne faut pas négliger. La santé mentale des joueurs NBA, c’est l’affaire de tous.

Une femme adressant un geste obscène à LeBron James à Atlanta. Crédit : Getty Images

La santé mentale, c’est quoi ?

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que la santé mentale « correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté ». Elle rappelle d’ailleurs qu’il s’agit d’un droit « fondamental de tout être humain » (site internet de l’OMS : who.it).

Si, assurément, nous sommes face à un très vaste sujet de société, le microcosme NBA semble former un échantillon représentatif des difficultés psychologiques qui peuvent se dresser dans le parcours de chaque individu.

En effet : affronter le stress, atteindre son plein potentiel, travailler pour progresser et apporter sa pierre à l’édifice (notamment des combats sociaux) sont autant de parallèles qui constituent le quotidien des sportifs de haut niveau, a fortiori des basketteurs NBA, de par leur exposition sous le feu des projecteurs du monde entier et leurs cultures d’origines très variées, la globalisation du jeu n’ayant jamais été aussi réelle et palpable.

Remettre son bien-être au cœur de ses choix 

Récemment, le retour à Portland choisi par Damian Lillard vient nous rappeler une chose très importante, dont nous n’avons que trop peu conscience en tant que fan NBA : il faut bien souvent que l’homme soit heureux pour que le basketteur soit bon. On comprend aisément qu’être avec ses enfants au quotidien, après 2 années de séparation difficile, comble Lillard l’homme avant le basketteur. Ceci ne traduit en aucun cas une relégation au second plan de son esprit de compétition ! Bien au contraire, la plupart des grands joueurs marchent à l’affect : un homme heureux dans la vie sera bien plus en capacité d’exprimer 100% de son potentiel sur le terrain. N’est-ce pas comme ça que ça fonctionne dans tous les boulots ?

Effectivement, les Trail Blazers ne gagneront sûrement pas le championnat dans les années à venir. Dame Dolla prendra certainement sa retraite sans titre collectif majeur (quelle valeur a la NBA Cup ?). Mais il choisit d’orienter sa legacy vers ce qui compte le plus pour lui : sa vie de famille. Un choix d’homme. Dame Loyalty Lillard.

D’ailleurs, un autre ancien de la ligue a démontré qu’il était à la recherche de la même chose. Chris Paul s’est en effet engagé avec les Clippers pour la prochaine saison, dont il a annoncé qu’elle serait vraisemblablement sa dernière. Revivre à Los Angeles, après 6 années passées loin des siens, semblait être sa priorité absolue. La franchise de Steve Ballmer a exaucé son vœu.  

La NBA, force motrice des combats sociaux 

L’institution NBA vit avec son temps. Elle ne fait pas figure d’exception dans les combats qu’elle mène. Bien souvent, elle influence d’ailleurs le monde en étant à l’initiative de démarches sociétales engagées, sans pour autant jamais tomber dans la prise de partie trop clivante (ex : Black Lives Matter, Vote…).

Ces dernières années, elle a profité des prises de parole de certains de ses porte-étendards pour entamer des démarches structurelles visant à protéger l’intégrité de ses joueurs.

Le bouclier instauré depuis la prise de fonction d’Adam Silver dépasse même le cadre du terrain. Le commissioner prend soin de ses joueurs, même en dehors des parquets.

Dans son sillage, il y a 7 ans, DeMar DeRozan et Kevin Love ont eu le courage d’ôter leur armure d’athlète professionnel indestructible pour mettre la lumière sur un mal profond dont, finalement, nul n’est à l’abri : la dépression.

DeMar DeRozan, le premier à fendre l’armure

DeMar DeRozan est un homme noir. Un afro-américain qui a grandi à Compton, l’un des territoires les plus dangereux de la côte Ouest, dans un contexte social difficile. D’aucuns lui auraient volontiers prêté l’image de l’homme dur, imperturbable, qui aurait gravi l’ascenseur social et se serait ainsi débarrassé de tous ses problèmes potentiels.

Crédit : Gregory Shamus – Getty Images

Pourtant, le 17 février 2018, en plein milieu du All Star week-end, c’est-à-dire au moment où le monde entier a les yeux rivés sur la planète Basket, il prend son téléphone et tweete publiquement : 

« This depression get the best of me… ».

DeMar est alors (meilleur) joueur des Toronto Raptors. Une franchise qui, à l’époque, court toujours après son premier titre après avoir systématiquement été sorti par LeBron(to) James en playoffs. Ironie du sort, les Raptors remporteront leur première bague 16 mois plus tard, sans DeMar DeRozan mais avec Kawhi Leonard.

En évoquant ce sujet à ce moment précis, DeRozan a attiré l’attention du monde entier : les fans, les franchises, les médias et même ses pairs ne doivent et ne peuvent plus fermer les yeux sur l’état psychologique des joueurs. Le silence et le tabou sont brisés.

Malgré la dureté du sujet, DeRozan a très vite insufflé un sentiment d’espoir, prônant l’acceptation de soi.

En effet, une semaine plus tard, il déclarait au Toronto Star :

Ce n’est pas quelque chose contre lequel je suis ou dont j’ai honte. Maintenant, à mon âge, je comprends combien de gens traversent ça. Même si c’est juste pour que quelqu’un se dise : ‘il traverse ça, malgré tout il réussit quand même dans la vie’, je suis ok avec ça.

Sa résilience a levé une chape de plomb dans la ligue et a ouvert la voie. Il a d’ailleurs écrit un livre et diffusé une série sur YouTube dans les années qui suivirent. 

Certains de ses compères lui ont emboîté le pas, parmi lesquels le désormais (presque) porte-parole (quasi) officiel des joueurs NBA sur la santé mentale : Kevin Love.

Kevin Love, le courage de s’exprimer après des années de silence 

Celui qui est alors joueur des Cavs publie dans The Players’ Tribune le 6 mars 2018 un essai intitulé « Everybody is going through something ».

Tout le monde traverse quelque chose que nous ne pouvons pas voir. Je ne voulais pas qu’on me voie comme faible. Je ne voulais pas que ça nuise à ma carrière. Mais c’était réel.

Ce Kevin Love qui s’exprime, c’est le membre éminent du big 3 de Cleveland, aux côtés de LeBron James et de Kyrie Irving, qui est parvenu à remporter le championnat face aux Invincibles Warriors de 2016.

Ce champion NBA qui a su, collectivement, remonter un déficit de 3-1 en finales NBA. Ce vainqueur à qui, concrètement, on ne pourra jamais reprocher d’être mentalement faible.

Lui révèle avoir eu des crises de panique sur le parquet, en plein match. Deux ans plus tard, il concèdera même, au micro de Graham Bensinger dans l’émission In depth with Graham Bensinger, que le pire lui avait traversé l’esprit dès 2012 :

J’ai eu des moments très sombres où je ne pensais pas m’en sortir. J’ai envisagé le suicide. C’était réel. Quand tu arrives à ce stade et que, jour après jour, c’est la même chose, tu en viens à un point où les moments les plus sombres arrivent et les pensées suicidaires apparaissent. Et tu commences à planifier, à réfléchir à la manière dont tu t’y prendrais. Ce sont vraiment des moments terrifiants de ma vie.

Dans la continuité de ses prises de parole, Kevin Love a créé le Kevin Love Fund, fondation dont l’objectif principal est de lutter contre la stigmatisation des maladies mentales et à travers laquelle il a notamment été à l’initiative d’une dotation de 500 000 $ à l’université UCLA pour soutenir la recherche et la lutte contre l’anxiété et la dépression. 

Son engagement a d’ailleurs été récompensé par un Ruderman Award de l’Inclusion en décembre 2021.

Comment la NBA a créé un cadre permettant de mieux prévenir les risques liés à la santé mentale de ses joueurs ?

Les témoignages de DeRozan et Love ont trouvé écho auprès d’Adam Silver.

Ainsi, dès 2019, la NBA a, dans le cadre de son programme Mind Health, instauré l’obligation pour chaque franchise de disposer d’au moins un professionnel de santé mentale à temps plein, ainsi que d’un psychiatre. 

Il appartient également désormais à chaque équipe de formaliser un protocole décrivant précisément les actions à mettre en place face à une urgence liée à la santé mentale.

En 2021, après l’épisode du Covid-19, qui a généré d’innombrables impacts sur la santé mentale des gens à travers le monde, la NBA et le syndicat des joueurs NBPA ont également intégré la santé mentale et le bien-être au Rookie Transition Program, qui accompagne les nouveaux-venus dans la ligue depuis 1986.

Enfin, le grand programme officiel de responsabilité sociale NBA Cares, lancé en 2005, axe désormais une partie de ses initiatives (notamment des campagnes de sensibilisation) sur la santé mentale, en partenariat avec la National Alliance on Mental Illness (NAMI). Ces actions suivent la globalisation de la ligue et sont désormais réalisées dans une quarantaine de pays.

Une prise de conscience récente mais des problèmes loin d’être inédits

De nombreux joueurs ont, par le passé, souffert de graves difficultés psychologiques. 

Une fois que DeRozan a ouvert la porte, la journaliste Jackie MacMullan a réalisé la série Mind Game pour ESPN et a recueilli les témoignages d’anciennes gloires de la ligue qui ont révélé avoir subi des souffrances, parfois presque handicapantes :

  • Paul Pierce a traversé une dépression sévère en 2000 après avoir été victime d’une violente agression (poignardé à 11 reprises) : il a passé des mois sans dormir et a affronté des pensées suicidaires ;
  • Chris Bosh a reconnu avoir eu le sentiment de perdre son identité après sa retraite forcée des terrains pour raisons médicales ;
  • Jerry West, la légende des Lakers des années 60 et 70, l’homme dont la silhouette est représentée sur le logo NBA, a même avoué à cette occasion sa dépression chronique, expliquant avoir toujours ressenti un sentiment d’infériorité, un vide intérieur qu’« aucun titre ou succès ne comblait » (il est pourtant le seul joueur à avoir été élu MVP des finales alors qu’il jouait pour l’équipe perdante – 9 finales, 1 titre). 

Comment également ne pas avoir en tête certaines situations des années 2000 à 2010 qui, d’Allen Iverson à Derrick Rose en passant par Delonte West, ont certainement rencontré, à leur époque, un réel besoin d’accompagnement psychologique par leurs clubs, que ce soit tout au long de leurs carrières ou lors de moments précis (blessures, déboires judiciaires, départs forcés…).

Bénéficier des programmes mis en place depuis par la grande ligue ne leur aurait fait aucun mal et les aurait même, à coup sûr, aidé à affronter et surmonter leurs épreuves.

Ja Morant, un coup dans l’eau ?

C’est dans ce nouveau contexte que Ja Morant a rencontré quelques turbulences. On l’annonçait un temps comme le nouveau visage de la ligue. Il s’est court-circuité tout seul en se filmant lui-même en live Instagram avec un pistolet dans un night club à Denver. Si on peut, bien évidemment, considérer que ce qui ressemble à son autodestruction (à tout le moins, son auto-sabotage) est le fruit de son libre-arbitre et de ses propres (mauvaises) décisions, on ne peut pas nier l’impact qu’a sa vie actuelle sur sa santé mentale. 

Pendant sa première suspension, il s’est rendu en Floride pour suivre une cure. Elle a duré 11 jours et lui a apporté du soutien sur la gestion du stress, le bien-être mental et la prise de conscience de ses responsabilités, en tant que personnalité publique, face à la pression médiatique.

Quand on connaît la suite de l’histoire, on peut aisément regretter le fait que ce suivi personnalisé n’a pas eu les effets escomptés (quelques semaines plus tard, il s’est à nouveau filmé en brandissant une arme à feu, dans une voiture et a, encore une fois, été suspendu)…

Évidemment, Ja Morant est comptable de ses actes. Il est le seul responsable de ses choix. Mais la NBA, ne serait-ce que pour pérenniser son business, doit continuer à tout mettre en œuvre pour préserver ses joueurs et leur santé, physique comme mentale.

Ça passe par des sanctions quand les joueurs dérapent, mais aussi par beaucoup de prévention afin d’éviter au maximum ce genre de dérapages.

Les fans aussi doivent œuvrer pour la santé mentale de leurs idoles

Ma mère m’a toujours dit : Ne te moque jamais de personne, car tu ne sais jamais ce que cette personne est en train de traverser. Depuis que je suis enfant, je ne l’ai jamais fait.DeMar DeRozan au Toronto Star, le 25/02/2018

N’ayons pas peur de faire preuve d’empathie.

Russell Westbrook quittant le parquet de Philadelphie sur blessure, juste avant de se faire renverser un seau de popcorn sur le visage par un homme dans les gradins. Crédit : John McDonnell/The Washington Post

La NBA doit poursuivre ses actions. Encore trop de (faux) fans manquent de respect aux joueurs sous couvert de supportérisme, que ce soit à l’intérieur des salles ou sur les réseaux sociaux.

Certes, les joueurs NBA gagnent des millions de dollars, bénéficient d’une célébrité internationale et sont bien souvent idolâtrés. Leur bien-être semblerait ainsi tout à fait acquis. Mais n’oublions jamais que c’est justement parce qu’ils sont célèbres, riches et portés aux nus qu’ils sont exposés aux grands maux, presque davantage que le commun des mortels. Derrière leur armure de super-héros, d’idoles des jeunes (et des moins jeunes), se trouvent des hommes. Des hommes qui ont leurs failles, leurs fêlures. Des hommes qu’il faut protéger, aider, accompagner. Des hommes qu’on peut aimer, en somme.

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