La dernière Woj Bomb a été, sans doute, la plus inattendue et imprévisible de toutes. Adrian Wojnarowski, journaliste de référence dans l’actualité NBA chez ESPN se retire du monde du journalisme. Il avait quitté Yahoo Sports il y a sept ans pour rejoindre le média phare américain. Il se consacrera à un poste de manager général du programme de St. Bonaventure, son ancienne fac. Il laisse derrière lui un vide, qui marque un tournant majeur dans la géopolitique de l’information.
Une dernière « Woj Bomb » historique
Il faudra maintenant faire sans les notifications Twitter/X de Adrian Wojnarowski à propos de l’actualité NBA. Le plus grand insider des sports américains tire sa révérence après plus de quinze ans au sommet de son art : celui de dévoiler avant tout le monde des informations qui ont eu le don d’extasier ou exaspérer les fans de basket américain du monde entier.
Dans un long message diffusé sur ses réseaux sociaux, le Woj a expliqué ne plus pouvoir vivre d’une dépendance à la divulgation d’informations exclusives. Il y a quelques années, il avait par exemple fait rater un avion à sa famille car il ne pouvait pas être en « mode avion » durant deux heures avant d’avoir dévoilé une exclu en premier dans un timing précis.
Il tirait ses informations d’un énorme répertoire de contacts, forgé avec le temps et composé des numéros de téléphone de directeurs et d’exécutifs dans chacune des franchises. Ces relations lui permettaient par exemple de divulguer (ou « spoiler » selon le degré d’appréciation de la pratique) plusieurs minutes à l’avance les choix des équipes lors de la soirée de la draft.
Ces pratiques donnaient donc la parole aux employeurs et aux staffs, et leur conféraient donc un certain pouvoir de par la pôle position du Woj dans le milieu. Dan Hurley, entraîneur à UConn, avait par exemple obtenu un plus gros contrat dans sa fac avec l’aide de Adrian Wojnarowski, qui avait écrit un ouvrage sur son père, Bob Hurley, en 2006. C’est justement cet aspect de fenêtre pour les exécutifs et staffs qui est branlant avec la retraite de l’insider.
Une bascule de pouvoir ?
Avant d’être concurrents, Adrian Wojnarowski et Shams Charania, autre insider NBA, étaient respectivement maître et élève à la fac. Woj a enseigné sa discipline à Shams, qui s’est hissé comme rival au fil des années, avec lui aussi des informations certifiées et sourcées.
Mais le journaliste de The Athletic tirait quant à lui ses exclus et ressources non pas des franchises, mais bien des joueurs. Cela lui permettait par exemple de divulguer, d’après tel ou tel agent, que tel joueur souhaitait accéder à tel émolument pour signer ou prolonger dans une franchise, au risque de faire volte-face.
La fin de leur dualité signe donc l’atténuation d’une vue panoramique des opinions et visions de chacun des camps – franchises, et joueurs et agents – au profit, pourquoi pas, d’une prise de pouvoir et de paroles des athlètes.
La maîtrise de l’information est un enjeu majeur pour les différents camps en vue de trouver un compromis. On peut imaginer qu’une forme de « chantage » se développe encore davantage par la voie des médias. De cette manière, de nombreux joueurs bénéficient de la revue à la hausse du salary cap pour augmenter leurs salaires.
Pour l’heure, le successeur de Woj n’est pas désigné mais Shams Charania fait partie des cibles d’ESPN pour le poste occupé jusque là par Woj. Il ramènerait sur ESPN son carnet d’adresses également fourni, surtout du côté des joueurs, sans garantie d’hériter du carnet de Adrian Wojnarowski.
Vers un marché de l’information monopolistique, oligopolistique ou atomisé ?
Si ESPN met du temps à choisir son successeur, c’est que le milieu de l’information en inside de la NBA reste confidentiel, pour ne pas dire secret. Les candidats les plus évidents sont Shams Charania donc, mais aussi Brian Windhorst, journaliste ESPN resté dans l’ombre de Woj ; Chris Haynes ou Jake Fischer.
Brian Windhorst est méconnu du grand public, pourtant c’est lui qui couvrait par exemple l’actualité de LeBron James pour ESPN. Windhorst a une qualité que Adrian Wojnarowski n’avait pas : il s’entend bien avec le King. En effet, LeBron ne porte pas Woj dans son cœur depuis la fin des années 2000, décennie pendant laquelle Adrian Wojnarowski n’était pas tendre avec James dans ses analyses. Vexé, le meilleur marqueur de l’histoire a toujours refusé de croiser la route de Woj, et c’est donc Windhorst qui s’est occupé du dossier, devenant un indéboulonnable notamment avec la signature de LeBron James au Miami Heat.
L’option Chris Haynes a elle aussi du sens, dans la mesure où le journaliste est en fin de contrat chez Bleacher Report et TNT. Sans doute moins onéreux de le faire venir donc, surtout que Haynes connaît la maison ESPN, pour qui il a déjà travaillé par le passé. Son arrivée induirait elle aussi un changement de cap dans le traitement et le sourçage des informations, car Haynes dispose lui aussi d’un bon réseau, mais basé presque exclusivement sur les joueurs eux-mêmes.
Plus jeune que ses concurrents pour le poste, Jake Fischer reste une solide option pour ESPN. Comme Wojnarowski, il passerait de Yahoo Sports à ESPN. Mais contrairement à la référence, il dispose d’expériences antérieures très très intéressantes, puisqu’il a déjà travaillé pour Sports Illustrated et Bleacher Report. Sa plume est même appréciée, avec un ouvrage signé « Built to Lose: How the NBA’s Tanking Era Changed the League Forever. » qui trouvé un public outre-Atlantique. Son réseau reste plus incertain que les autres, à voir si le successeur de Woj bénéficiera de son carnet d’adresses, auquel cas son déficit serait vite effacé.
Une suite difficile à prendre
Plusieurs noms pourraient donc profiter du désistement de Woj pour prendre une place dominante, si tant est qu’un dévouement à la profession peut être conçu par ceux-ci.
Adrian Wojnarowski avait considéré d’énormes sacrifices de temps de travail, qui empiétait sur sa vie de famille, pour avoir des informations en premier, avant même que les principaux concernés ne soient au courant. Boulimique d’information devenu obsédé par son travail, Wojnarowski a poussé sa profession dans des extrêmes, que ses potentiels successeurs ne sont pas prêts à rejoindre.
Zach Lowe, potentiel repreneur du poste de ESPN, racontait ses limites dans l’exercice, et son incapacité à faire « du Wojnarowski ». Il avait par exemple obtenu une exclu sur une info – laissée par Wojnarowski d’ailleurs – qu’une franchise voulait lui faire sortir dans un timing précis. Mais cette tranche horaire correspondait au moment où Lowe devait conduire sa fille à un anniversaire. Contrairement à Woj qui pouvait faire rater des avions à sa famille pour le bien de son travail, Lowe n’a pas reconsidéré la possibilité d’emmener sa fille et a donc laissé passer l’opportunité de sortir une exclu.
On se dirige potentiellement donc vers un marché monopolistique si Charania hérite du costume chez ESPN, ou alors un marché de l’information atomisé, avec de nombreux sprinteurs dans la course à l’information. Une chose est certaine : nul ne poussera l’exercice de sa fonction au même point que Adrian Wojnarowski.