Les Jeux Olympiques de 1972 à Munich ont marqué une étape cruciale dans l’histoire du basketball, un événement à la fois exaltant et controversé. La compétition fut intense, avec des performances remarquables, mais c’est la finale dramatique entre les États-Unis et l’URSS qui restera à jamais gravée dans les mémoires.
Contexte historique
Les Jeux de Munich en 1972 se déroulèrent dans une atmosphère de tensions politiques et sociales. Le gouvernement ouest-allemand tenait à ce que les Jeux olympiques de Munich présentent au monde une Allemagne démocratique et optimiste, comme en témoigne la devise officielle des Jeux, « Die Heiteren Spiele », ou « les Jeux joyeux ».
Le contexte de la Guerre froide rend la compétition entre les États-Unis et l’URSS particulièrement intense. De plus, ces Jeux furent marqués par la tragédie du massacre de Munich, où 11 membres de l’équipe olympique israélienne furent pris en otage et tués par un groupe terroriste palestinien. Ce sombre événement jeta une ombre sur les Jeux, mais la compétition sportive se poursuivit, le basketball offrant un spectacle particulièrement mémorable.
La compétition de 1972
Le tournoi de basket-ball se déroula du 27 août au 9 septembre 1972, avec la participation de 16 équipes représentant différents continents. Les matchs eurent lieu au Olympische Basketballhalle, une arène moderne offrant des conditions idéales pour des performances de haut niveau.
Les qualifications automatiques ont été accordées au pays hôte et aux quatre premières places du tournoi précédent. Les places supplémentaires étaient déterminées par divers tournois continentaux organisés par la FIBA, ainsi que par un tournoi préolympique supplémentaire qui accordait deux places en plus.
Les États-Unis, invaincus en basketball olympique depuis l’introduction du sport aux Jeux de 1936, arrivent en 1972 avec une équipe talentueuse, composée de joueurs universitaires comme Doug Collins, futur quadruple All-Star et Tom Henderson, futur champion NBA. Cela dit, des joueurs manquent à l’appel.
Bill Walton, de l’UCLA, était sans conteste le meilleur joueur universitaire américain, ayant mené les Bruins à un bilan de 30-0 et au titre NCAA de 1972. Mais Walton avait plusieurs raisons de ne pas vouloir représenter les États-Unis aux Jeux. Tout d’abord, Walton s’opposait fermement à la guerre du Viêt Nam en cours, il a été arrêté lors d’une manifestation contre la guerre en mai 1972. De plus, Walton avait eu une mauvaise expérience lors des championnats du monde de 1970, déclarant à ESPN en 2004 :
« Pour la première fois de ma vie, j’ai été exposé à un entraînement négatif, aux réprimandes des joueurs, au langage grossier et aux menaces contre les personnes qui n’étaient pas performantes. »
L’URSS, médaillée de bronze en 1968 ainsi qu’au Championnat du Monde 1970, et octuple championne d’Europe en titre, compte retourner en finale après avoir ratée celle à Mexico. Pour cela, les soviétiques peuvent compter sur Sergei Belov, MVP de l’EuroBasket 1969 et du Championnat du Monde 1970, et Modestas Paulauskas, nommé dans l’équipe du tournoi 70. Les deux furent également dans l’équipe du tournoi de l’EuroBasket 1971.
Une équipe plus expérimentée que les américains, les soviets croyaient pleinement à leurs chances. Les Américains étaient une équipe talentueuse, dominée par les universités, avec peu d’expérience dans le jeu international, tandis que les Soviétiques avaient un total de 739 matchs internationaux parmi les cinq titulaires avant les Jeux de 1972, contre seulement sept matchs pour les Américains.
« Lorsque les Soviétiques ont vu qui faisait partie de l’équipe américaine et qui n’en faisait pas partie, » a expliqué Robert Edelman, historien du sport russe, à ESPN, « c’est là qu’ils ont commencé à penser qu’ils avaient une chance. »
La Yougoslavie, médaillée d’argent au Mexique et championne du monde en 70, compte retourner sur le podium en 1972 eux aussi. Hélas, cela se fera sans Radivoj Korać, décédé dans un accident de voiture en juin 1969, à l’âge de 30 ans. Sans lui, la star de l’équipe est Krešimir Ćosić, nommé dans l’équipe du tournoi 1970 organisé à domicile et de l’EuroBasket l’année suivante. Ivo Daneu, nommé dans l’équipe de l’EuroBasket 69 lui fait office de lieutenant. Le Brésil, 4e en 68, médaillé d’argent en 70 et champion d’Amérique du Sud en 71, veut regagner une médaille. Pour cela, Ubiratan Pereira Maciel, nommé dans l’équipe du tournoi de 70, va jouer un rôle très important.
Enfin, l’Italie, médaillée de bronze au dernier EuroBasket, fait office d’outsider durant ce tournoi de 1972. Renzo Bariviera, âgé de 23 ans, s’est imposé comme l’option principale en attaque lors du dernier EuroBasket. Il est également accompagné d’un jeune Dino Meneghin, alors âgé de 21 ans.
Les moments clés
La compétition fut marquée par des matchs intenses et iconiques. Les États-Unis, sous la direction de l’entraîneur Henry Iba, dominèrent la phase de groupes avec une défense rigoureuse. Les USA ont abordé cette finale en ayant remporté leurs 63 matchs olympiques précédents et à Munich, seul le Brésil a su inquiéter les Américains avec un match qui s’est clôturé avec le score de 61-54 durant la phase de groupe.
L’URSS, menée par des joueurs expérimentés comme Sergei, mais aussi Alexander Belov (pas de lien de famille), qui fut le meilleur marqueur pour son équipe durant le tournoi, montra également une performance impressionnante avec un jeu à rythme rapide, préparant le terrain pour une finale de 1972 épique. Les Soviétiques ont également réussi un parcours idéal, ressortent vainqueurs de leurs huit matchs avant la finale. Cela dit, ils ont aussi été testé par la Yougoslavie en phase de groupe, dans un match qu’ils ont gagné 74-67, puis en demi-finale par la surprise de la compétition: Cuba.
8e en 1970, peu de monde voyait l’île des Caraïbes avoir un impact en 1972. Pourtant, après 6 victoires et une défaite contre les États-Unis, la nation s’est retrouvée dans une demi-finale 100% communiste face à l’URSS. Leur phase de groupe a vu notamment une victoire sur le fil face au Brésil, 64-63, lors de la dernière journée de pour s’assurer la 2e place. Emmené par le duo des meilleurs marqueurs Pedro Chappe et Alejandro Urgelles, Cuba pouvait maintenant rêver de médailles.
Chappe a réalisé le match de sa vie, avec 20 points et 7 rebonds. Hélas, ce fut insuffisant face au duo des Belov qui ont combiné pour 30 points, menant l’Union à une victoire 67-61. Malgré tout, avec 14 points de Ruperto Herrera et de Chappe s’emparé de la médaille de bronze 1972 grâce à son succès 66-65 contre l’Italie.
Fin cruelle pour la jeune génération italienne après un tournoi 1972 excitant. Gli Azzurri avait commencé avec une défaite contre la Yougoslavie, puis plus tard face à l’URSS, mais ils se sont rattrapés et ont réussi à passer grâce à une victoire 101-80 face aux Philippines et les 26 points et 12 rebonds d’Ivan Bisson, ainsi qu’à la différence de points dans les rencontres directes avec la Yougoslavie et Porto Rico pour glisser jusqu’en demi, où les américains leur ont délivré une démonstration de basket-ball. Une leçon dont ils se souviendront pour les années à suivre.
La finale, disputée le 9 septembre 1972, oppose les États-Unis à l’URSS. Ce match restera à jamais gravé dans l’histoire du basketball olympique pour ses dernières secondes controversées. Mais il n’y avait pas que la fin du match qui était source de controverses à l’époque. Comme mentionné plus tôt, le massacre de Munich a jeté une ombre sur l’événement de 1972. L’Égypte s’est retirée du tournoi à la suite des événements du massacre et a refusé de jouer les matchs de classement. Dans un éditorial publié à la suite du massacre de Munich, le New York Times a plaidé en faveur d’un report des compétitions olympiques, écrivant:
« Munich menace de devenir un symbole d’insensibilité tout à fait répugnant pour l’idéal olympique. Pour des millions de personnes à travers le monde, cette hâte indécente de la part du Comité international olympique de revenir aux jeux et aux plaisirs est inacceptable. »
Mais la compétition a repris après seulement 34 heures de suspension. Avery Brundage, président du Comité international olympique, a déclaré : « Les Jeux doivent continuer ». C’était une position familière pour Brundage. Quatre décennies plus tôt, en tant que président du Comité olympique américain, il avait fait pression avec force et succès pour que les États-Unis participent aux derniers Jeux olympiques organisés en Allemagne, les tristement célèbres « Jeux olympiques d’Hitler » de 1936 à Berlin.
Le jeu rapide de l’URSS avait surpris le sélectionneur Iba, qui avait perdu le contact avec un jeu en constante évolution, adoptant une défense disciplinée. Les Américains étaient très athlétiques, mais ils se contentaient de l’être et ne l’utilisaient pas. À 10 minutes de la fin, les Soviétiques avaient une avance de 10 points, et à ce moment-là, Kevin Joyce et quelques autres joueurs sont sortis d’eux-mêmes du plan de jeu, ont commencé à courir et ont vraiment repris le match en main.
Alors que le temps était compté et que les Soviétiques menaient d’un point, Doug Collins a volé le ballon pour les Américains et s’est dirigé vers le panier, où un défenseur soviétique a commis une faute sur lui. À trois secondes de la fin, Doug Collins réussit deux lancers francs pour donner aux États-Unis une avance de 50-49.
Une règle de la FIBA de l’époque ne permettait pas de demander un temps mort après un deuxième lancer franc, de sorte que les Soviétiques ont dû se précipiter sur le terrain et, lorsqu’un joueur soviétique a dribblé le ballon à mi-terrain, il semblait que les Américains allaient gagner le match. Mais les entraîneurs soviétiques se sont plaints qu’un temps mort qu’ils avaient demandé entre les lancers francs de Collins n’avait pas été accordé, et comme ils perturbent la table des marqueurs, un arbitre a arrêté l’action à une seconde de la fin. C’est alors que Renato William Jones, chef britannique et cofondateur de la FIBA, ordonne de remettre le chronomètre à trois secondes.
Les Soviétiques reprennent donc le ballon sous leur propre panier, la passe des Soviétiques s’égare et ils ne parviennent pas à marquer alors que le temps est écoulé. Les joueurs américains se précipitent sur le terrain pour fêter l’événement. Le score final est de 50 pour les Etats-Unis et 49 pour l’URSS. Les Américains remportent les Jeux de 1972… mais. Il s’est avéré qu’au début de la partie, le chronomètre indiquait 50 secondes et non trois secondes. Les Soviétiques se voient donc offrir une nouvelle chance.
Alors que le joueur soviétique Ivan Edeshko s’apprêtait à recevoir le ballon, Tom McMillen le défendait le long de la ligne de fond, mais une barrière linguistique a permis à Edeshko de bénéficier d’un couloir de passage dégagé.
« Il y avait un arbitre qui me pointait les jambes, et il était roumain. Il ne parlait pas anglais », se souvient McMillen. « Selon les règles internationales, tant que le joueur [entrant] peut reculer, vous n’avez pas besoin de sortir de la ligne. C’est à lui de reculer s’il veut plus d’espace. Mais l’arbitre montre mes pieds – je suis derrière la ligne. Je n’enfreins aucune règle. Pourquoi me montre-t-il du doigt mes pieds ? Je pensais qu’il me disait de quitter la ligne, et la dernière chose que je veux, c’est qu’on m’appelle pour une faute technique à ce moment-là. C’est pourquoi j’ai reculé. C’était un problème de langue. »
De l’autre côté du terrain se tenait l’ailier soviétique Aleksander Belov, à qui Edeshko a fait une passe parfaite de type « Ave Maria ». Alors que deux joueurs le protègent, Belov saute, retombe pendant que les Américains perdent leur position, puis réalise un layup incontesté qui marque la fin du match. Victoire 51-50, l’URSS remporte les Jeux de 1972 et pour la première fois, les Américains sont vaincus sur la scène olympique. Le rapport de la CIA, qui ressemble à un texte rédigé par des fans en goguette, mentionne les fautes non sifflées commises par les Soviétiques: « Belov s’est rendu coupable d’une faute sur deux Américains lors de son action pour le panier [gagnant]. »
Le chaos s’ensuit. Iba se précipite à nouveau vers la table des marqueurs, James Forbes pleure sans retenue, les photographes, les journalistes et les supporters en colère envahissent le terrain. Après le match, l’arbitre brésilien Renato Righeppo refuse de signer la feuille de match certifiant la victoire des Soviétiques en 1972. Un deuxième officiel, le Bulgare Artenik Arababjan, la signe en disant : « Je ne suis qu’un arbitre. Ce n’est pas mon rôle de déposer une réclamation ».
Un jury d’appel de la FIBA, l’instance dirigeante de ce sport, a rejeté l’appel des Américains contre cette défaite. Dans une déclaration que certains ont interprétée comme un parti pris anti-américain, le Britannique R. William Jones a déclaré aux médias en 1972 : « Les Américains doivent apprendre à perdre, même s’ils pensent avoir raison. »
Impact et héritage
La finale de 1972 fut l’un des moments les plus controversés de l’histoire olympique. Les États-Unis protestèrent officiellement contre le résultat, mais leur appel est rejeté, et l’URSS reçoit la médaille d’or. Cet événement marqua un tournant dans le basketball olympique, signalant la fin de la domination américaine et l’ascension de nouvelles puissances, avec une finale qui restera dans les mémoires, surtout pour les observateurs des deux pays concernés.
Cette finale dramatique eut un impact durable sur le basketball mondial. Elle démontra que la compétition était devenue véritablement globale, avec des équipes de plusieurs continents capables de rivaliser au plus haut niveau. L’événement de 1972 fut également la démonstration d’une nouvelle ère du basket dans son style de jeu, un style plus rapide, plus intense.
Le basketball aux Jeux Olympiques de 1972 à Munich représente un moment crucial dans l’histoire du sport. Il symbolise non seulement la fin d’une ère de domination américaine mais aussi l’émergence de nouvelles puissances dans le monde du basketball. Les performances et la controverse de cette édition ont laissé une empreinte indélébile, rappelant que le sport peut être aussi passionnant que complexe, reflétant souvent les tensions et les espoirs de l’époque.
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