Le tir à trois points s’est imposé comme une arme incontournable des attaques NBA, représentant entre un tiers et la moitié des tirs pris la saison dernière. Aléatoire par nature, quel est l’impact de cette variance sur la manière dont nous percevons la qualité des défenses NBA ?
Cet article a été écrit par Dismael
C’est quoi la Jedi Defense ?
Expression bien connue des auditeurs du Basket Lab en cette période de bilans, et inventée par Seth Partnow, analyste NBA notamment passé par les Bucks à la fin des années 2010, la Jedi Defense renvoie à l’idée qu’à l’échelle d’une saison, une équipe n’a que très peu d’influence sur la réussite des tirs à trois points pris par l’adversaire. Une équipe dont les adversaires affichent une faible réussite sur la saison bénéficierait donc plus d’une « jedi defense » que de schémas ou de joueurs permettant d’affecter cette réussite. En d’autres termes, la chance, la variance, les Pacers contre les Cavs en PO 2025.
Cette théorie repose sur plusieurs éléments :
- Plus un tir est pris loin du panier, plus il sera soumis à de la variance, quelle que soit la qualité du joueur. Il est fréquent de voir des joueurs en surchauffe ou en manque de réussite à l’échelle d’une saison sur les tirs à trois points ou les longs tirs à mi-distance. Et pour cause, lancer une sphère de cuir dans un cercle de 45 centimètres de diamètre situé à 7 mètres de distance, en plein milieu d’un effort physique intense et face à des athlètes d’élite décidés à vous compliquer la tâche n’est pas une science exacte. Si de nombreux analystes se sont attelés à la tâche de disséquer la boite noire du tir, les raisons derrière la réussite ou l’échec d’un tir en particulier restent non élucidées. Certains peuvent y voir du mental, d’autres de la chance, dans tous les cas des éléments non quantifiables.
- Cette variance n’empêche pas une analyse statistique, mais plus elle est forte, plus l’échantillon observé doit être grand. À l’échelle d’un joueur, le consensus sur la taille de l’échantillon permettant de juger le niveau de tir extérieur est autour des 800-1000 tirs. A l’échelle collective sur une saison, cet échantillon n’est absolument pas suffisant : en moyenne, les équipes ont subi un peu plus de 3000 tirs à trois points sur la saison 2024-2025, mais de la part de plus de 400 joueurs différents.
- Surtout, les tirs subis par chaque équipe sont pris par quasiment les mêmes joueurs, la totalité de la ligue déduction faite du roster. Dans un monde sans variance, on pourrait s’attendre à des résultats proches les uns des autres, a minima sur les tirs ouverts.
Assez rapidement, plusieurs questions se posent en découvrant cette théorie : les schémas, les stratégies défensives employées par les équipes et la qualité des joueurs alignés n’auraient pas d’impact sur cet aspect du jeu ? Prendre un close-out par Herbert Jones ou TJ McConnell ne serait pas différent pour la probabilité de réussite du tir ? Les trois points pris par dépit, par le pire shooter abandonné par la défense adverse quand l’attaque n’arrive pas à créer quoi que ce soit, n’auraient-il pas un impact sur la réussite adverse concédée ?
Pour essayer d’apporter une première réponse à ces questions, il faut d’abord entrer un peu plus dans le détail de l’impact de la variance adverse à trois points sur les performances défensives quantitatives de chaque équipe.
Les chiffres pour la saison 2025
Au global, la réussite des tirs à trois points sur la saison 2024-2015 a été de 36,2%. En regardant de plus près la réussite par zone, elle est en réalité de 38,6% dans le corner gauche, 39% dans le corner droit, et 35,3% pour les autres tirs dits « above the break ».
A partir des stats disponibles sur nba.com, on observe déjà d’importants écarts dans la réussite adverse sur chacune de ces trois zones :

Mais quel est vraiment l’impact de ces écarts sur le nombre de points encaissés ? En appliquant la réussite moyenne de la ligue sur les tirs concédés dans chacune des trois zones par chaque équipe, leur total de points encaissés évolue de la façon suivante :

En résumé, OKC aurait encaissé 180 points de plus si ses adversaires avaient eu une réussite à trois points moyenne la saison dernière. A contrario, les Kings en auraient encaissé 186 de moins.
En comparant ces nombres au total de points encaissés par chaque équipe, on peut calculer l’échelle de valeur de l’impact de la « jedi defense » sur le rendement défensif en 2025 :

Nous trouvons donc une échelle de valeur allant de -2% à +2% : en appliquant la réussite moyenne aux tirs concédés par les équipes, certaines auraient subi une hausse des points encaissés allant jusqu’à +2%, avec une évolution de même ampleur pour les équipes en négatif.
Le chiffre peut paraitre faible, mais les échelles de valeur sont étroites en NBA. Concernant le defensive rating, avec une moyenne NBA de 113,7 la saison dernière, la défense d’OKC, numéro 1 avec 106,6 n’est inférieure que de 6,2% à cette moyenne. De l’autre côté, le pire defensive rating n’est supérieur à la moyenne que de 5%, pour s’établir à 119,4 du côté du Jazz.
En appliquant le taux d’évolution du nombre de points encaissés en normalisant la réussite adverse au defensive rating des équipes, on observe les évolutions suivantes :

Première conclusion : pour la plupart des équipes, l’impact de la Jedi Defense sur les performances défensives semble marginal. Elles restent en effet dans la même zone du classement au defensive rating. Pour OKC, qui présente le taux de midi-chloriens le plus élevé (+2% de points encaissés avec une réussite normalisée), la défense reste d’élite même après normalisation. On remarque cependant plusieurs anomalies, réservées à une poignée d’équipes :
- Les Hawks, les Kings et les 76ers semblent avoir particulièrement souffert d’une surchauffe de leurs adversaires à trois points, et leur défense aurait statistiquement paru bien meilleure avec une réussite normale.
- À l’inverse, les Bulls, les Raptors et les Pacers ont eu bénéficié d’une faible réussite adverse, et leur classement au defensive rating aurait fortement chuté avec une réussite normale.
À première vue, si l’impact de la variance de la réussite adverse à trois points sur le niveau de defensive rating semble donc assez faible pour la plupart des équipes, certaines d’entre elles semblent donc particulièrement affectées par une surchauffe ou un manque de réussite adverse. Pour essayer de comprendre d’où peuvent venir ces anomalies, commençons par jeter un œil aux tirs concédés considérés comme ouverts.
Et les tirs ouverts dans tout ça
Les statistiques de nba.com nous communiquent également des informations sur le volume, la fréquence et la réussite des tirs à trois points grands ouverts. Il est choisi ici de privilégier l’analyse au prisme du volume plutôt que de la fréquence, dans la continuité de l’approche quantitative utilisée jusqu’ici pour le nombre de points encaissés. Un tir est considéré comme « grand ouvert » quand le défenseur le plus proche se situe à au moins 6 pieds du tireur.

La défense du Thunder 2025 peut déjà être considérée comme une des toutes meilleures de l’histoire. Des aides agressives sur le porteur de balle pour boucher la raquette, de la protection de cercle primaire et secondaire, tout ça mis en œuvre par des joueurs d’élite sur presque tous les postes. De quoi étouffer les porteurs de balle adverses, et absorber rapidement tout décalage subi. Cette forte pression appliquée au ballon et les efforts pour empêcher l’accès au cercle ont cependant un prix : OKC est dans le dernier tiers des équipes qui concèdent le plus de tirs à trois points grands ouverts, 23ème sur 30 équipes.
Et de façon tout à fait fortuite, les équipes ont eu le pire pourcentage sur les 3 points grands ouverts contre OKC. On peut y voir une conséquence indirecte de la qualité des schémas défensifs déployés, avec une équipe qui n’hésite absolument pas à abandonner les moins bons tireurs adverses pour aider sur les drives. On peut alors estimer qu’une bonne partie de ces tirs ont été concédés sur des mauvais tireurs, non défendus, qui n’ont d’autre choix que de prendre le tir ou de s’empaler sur des défenseurs d’élite regroupés dans la raquette.
Attention toutefois au risque de rationalisation a posteriori : avec une réussite concédée de 37%, à qui n’est que légèrement supérieure à la moyenne de la ligue sur l’ensemble des tirs extérieurs (intégrant les tirs défendus, les pullups, …), une importante part de chance est tout de même à attribuer à ce résultat. Malgré tout, comme décrit précédemment, même avec une réussite adverse normalisée à la moyenne, le defensive rating d’OKC resterait exceptionnel : 108,8 points encaissés par 100 possessions, deuxième de NBA d’un cheveu derrière Orlando (108,7).
Changement d’ambiance quand on se dirige à Chicago. Si l’équipe a pu proposer des choses intéressantes la saison dernière avec un jeu rapide qui a grandement facilité la vie de ses jeunes porteurs de balle, la défense n’a pas dû faire très plaisir aux nostalgiques des années 90 ou du début des années 2010. Rien de très surprenant avec un roster dont le pivot titulaire est Nikola Vucevic en 2025, que vos arrières titulaires sont Coby White et Josh Giddey, et que vos ailiers sont un rookie et Patrick Williams qui nous rappellent tous les jours que les prospects athlétiques ne deviennent pas systématiquement Kawhi Leonard.
L’équipe affiche cependant le 18ème defensive rating de la ligue, devant des équipes comme Dallas ou Denver. Nous avons probablement ici un très bon exemple de la jedi defense : alors que l’équipe concède un très important volume de tirs grands ouverts, les adversaires ne les ont convertis avec une réussite de seulement à 37,6%. En normalisant la réussite à la moyenne de la ligue sur ces tirs ouverts, les Bulls auraient encaissé 62 points de plus. Ces points représentent plus de 40% des 150 points supplémentaires qu’aurait encaissé Chicago sur la saison 2025 en normalisant la réussite adverse sur l’intégralité des tirs à trois points. Dans ce scénario, le defensive rating des Bulls passerait de 114,8 à 116,6, soit de la 18ème place à la 27ème.
Le cas de Boston est intéressant. Si au global, l’équipe semble bénéficier d’une Jedi Defense plutôt chanceuse, elle concède un volume assez important de tirs grands ouverts que ses adversaires convertissent pourtant avec une réussite supérieure à la moyenne. De ce point de vue, la chance ne semble donc pas particulièrement de leur côté. L’équipe se démarque donc par une très faible réussite adverse sur les tirs à trois points contestés.
Là où les choses deviennent intéressantes, c’est que les Celtics sont coutumiers du fait. Déjà sous Brad Stevens, les équipes adverses affichaient une faible réussite à trois points, tendance confirmée sous Ime Udoka puis Joe Mazzula. On remarque que sur l’intégralité de la période, toutes les équipes ne disposaient pas nécessairement de défenseurs d’élite comme cela a pu être le cas ces dernières années. Alors, public particulièrement bruyant perturbant les tireurs, impact visuel du parquet mosaïque unique en son genre, leprechaun enterré sous le TD Garden, les interprétations d’une telle anomalie statistique sur une période aussi longue restent ouvertes. Pour l’année 2025, on pourrait avancer que le manque de réussite des adversaires sur les tirs à trois points défendus ne doit pas être complètement étranger aux qualités défensives sur l’homme des Jrue Holiday, Derrick White, Jason Tatum et consorts.
Le cas des Pacers semble assez similaire à celui des Bulls, malgré une équipe plus compétente. L’équipe concède assez peu de tirs ouverts (8ème plus faible total de la ligue), mais bénéficie d’une très faible réussite adverse. Si Indiana a affiché une plutôt bonne défense sur la deuxième partie de saison, avec des schémas dynamiques, cette impression reste amplifiée par une réussite de seulement 37,3% adverse à trois points, sans pouvoir s’appuyer sur une escouade défensive du niveau de Boston ou d’OKC. En résumé, la défense d’Indiana est globalement dans la moyenne, mais est apparue comme un peu supérieure grâce à cette faible réussite adverse.
À l’inverse, les équipes qui ont subi un surplus d’efficacité sur les tirs à trois points adverses ont les profils suivants :

Ces équipes présentent un dénominateur commun évident : leurs adversaires ont été particulièrement en réussite sur leurs tirs grands ouverts, avec les 3 plus hautes efficacités concédées de la ligue, et aucune équipe ne dépassant le 25ème centile. Parmi elles, on retrouve des organisations défensives assez variées, avec des volumes de tirs à trois points ouverts concédés assez différents. On peut cependant remarquer qu’aucune d’entre elles ne dispose d’un protecteur de cercle de haut niveau à gros minutage sur la saison dernière, et qu’il s’agit dans l’ensemble de défenses inférieures à la moyenne dans leur globalité.
Toutefois, il existe également d’autres défenses moyennes ou mauvaises qui ne subissent pas une telle réussite adverse. On peut alors considérer qu’une importante part de malchance reste à attribuer au résultat final. Ces équipes étaient donc probablement des défenses légèrement meilleures que leur defensive rating de 2025 pouvait le laisser penser, et se sont simplement trouvées du mauvais côté de la variance inhérente aux tirs extérieurs.
Que retenir de tout cela ?
Le premier mot venant en tête après ces recherches est « prudence » : ce n’est pas avec une analyse rapide des données 2025 au niveau macro que l’on pourra résoudre la boîte noire du tir, et attribuer aux surchauffes ou manques de réussite de cet échantillon une responsabilité précise de la variance naturelle des tirs extérieurs et de la performance défensive.
On arrive cependant à dégager certaines tendances :
- Au global, cette variance n’a qu’un impact marginal sur le rendement défensif de la plupart des équipes.
- Pour les équipes qui ont bénéficié d’un manque de réussite adverse, celle-ci semble pouvoir s’expliquer partiellement et dans certains cas par la qualité du personnel défensif et des schémas, même si une importante part de chance demeure.
- Pour les équipes qui ont subi une importante réussite adverse, celle-ci semble principalement s’expliquer par un manque de chance, même si les équipes concernées sont des défenses au mieux moyennes qui ne disposent pas de protecteur de panier de haut niveau.
Ainsi, la lecture d’un defensive rating peut être nuancée par la « jedi defense » uniquement dans certains cas : les équipes ayant subi des scores anormalement élevés sur les tirs ouverts sont probablement un peu meilleures défensivement que leur rating pourrait le laisser penser. Les Kings ont un defensive rating de mauvaise défense, alors qu’elle semble plus se rapprocher de la moyenne. À l’inverse, le defensive rating des Bulls peut laisser supposer une défense moyenne, alors qu’il aurait été dans les cinq pires de la ligue avec une réussite adverse normalisée.
Pour confirmer ces tendances et approfondir l’analyse, il faudrait étendre la base de données à plus d’une saison dans un premier temps pour l’aspect quantitatif. Mais surtout, passer des centaines d’heures à regarder les possessions ayant généré un tir à trois points adverse pour analyser à chaque fois l’impact de la défense sur le résultat du tir : tir accepté par la défense car pris par un joueur peu compétent, ou généré par une attaque ayant cassé le dispositif défensif pour libérer son meilleur tireur, qualité des close-out, état de forme du tireur, … La tâche est herculéenne, la Jedi Defense gardera donc sa part de mystère aujourd’hui.