Fin août dernier, Willie Cauley-Stein, ex-joueur des Golden State Warriors ou encore des Sacramento Kings, se livrait quant à son addiction au fentanyl. Une addiction à cet opiacé loin d’être marginale, qui en dit beaucoup sur l’état de la société américaine.
« Je pourrais très bien être mort ». Les mots de Willie Cauley-Stein à The Athletic sont forts mais témoignent de la dangerosité de l’usage de fentanyl.
Cette substance créée de toute pièce par l’humain dans les années 1950 est classée comme un opioïde. Un psychotrope censé calmé la douleur, de la même famille de la morphine qu’un médecin peut prescrire. À la différence que le fentanyl est 100 fois plus puissant que cette dernière. Donc 100 fois plus dangereux que la morphine qu’il faut déjà manipuler avec beaucoup de précaution.
« Ils mouraient d’une seule pilule. J’en ai pris des centaines »
Willie Cauley-Stein est tombé dans l’addiction à cette drogue un peu par hasard, comme il l’explique à The Athletic. Le pivot vivait une transition dans sa vie, à la fois professionnelle avec une signature à Golden State, mais aussi personnelle.
Plusieurs amis du pivot sont morts fusillés chez le joueur à Sacramento, alors que celui-ci était à San Francisco. Sa femme tombe enceinte dans la même période, et le voilà dans des montagnes russes émotionnelles, tout proche du burn-out si ce n’est dedans. Il commence à prendre des médicaments « pour s’échapper du monde réel ».
Lui pensait consommer de l’oxycodone, un stupéfiant déjà puissant que l’on peut prescrire pour des douleurs très sévères, dans des cas de cancer ou encore de post opération, bien que plus rare. Cette molécule est parfois alliée à du paracétamol, rendant le « traitement » plus doux. Nul ne sait s’il pensait avoir des cachets de la première ou deuxième option, toujours est-il qu’il n’en était rien.
Il ingérait en réalité de fausses pilules, qui contenaient du fentanyl à dose complètement irrégulière.
Un pays gangréné par les trafics
Des pilules issues en grande partie d’un trafic qui gangrène l’Amérique, en provenance du Mexique. Ce trafic se hisse aujourd’hui comme la première source de revenus des cartels mexicains, qui se sont rués sur la défaillance du système médical américain.
En effet, les 30 dernières années ont été marquées par l’apogée d’un « système médical à but lucratif », comme le déplorait Eric Reinhart, médecin à la Northwestern University, dans le New York Times l’an dernier.
De nombreux praticiens auraient visé le profit et non le soin pendant des années. Dans ce sens, des milliers d’ordonnances de fentanyl ont été prescrites, sans compter que cette molécule possède un fort pouvoir de dépendance. Des patients, devenus toxicomanes à leur insu, revenaient faire des ordonnances, alimentant l’économie de la médecine, jusqu’à ce que celles-ci soient régulées – les autorités s’étant rendu compte un peu tard de la dangerosité du produit.
Mais le ver était déjà dans le fruit, avec cette addiction croissante chez des nombreux Étasuniens. Ne pouvant plus s’en procurer légalement, les malades se sont tournés vers le narcotrafic mexicain, qui produit les faux cachets de manière clandestine, dans des conditions sanitaires tout aussi douteuses que le dosage de la molécule.
Pourtant un autre poison significatif dans la société américaine, le trafic d’armes de la mafia mexicaine est devenue une activité de seconde zone, tant l’addiction au produit est plus facile à nourrir. Le dosage en fentanyl de chaque cachet n’est pas mesuré précisément, mais il est dilué au chlore et à la propanone, avant d’être importé rapidement sur le sol américain.
Willie Cauley-Stein n’est donc pas le seul dupé ou drogué, à son insu ou non. Selon les autorités américaines, près de 3/4 des pilules saisies sont aujourd’hui létales. Ces mêmes sources indiquent qu’en 2022, plus de 50 millions de comprimés de la sorte ont été saisis.
Conscient de la dangerosité de la substance, les gouverneurs américains a donc tenté de prévenir les risques avec des mobilisations. En août 2023, l’Université de San Diego aux États-Unis a participé à une campagne de prévention – la première à l’époque – face aux dangers de la consommation de fentanyl. Les basketteurs de l’Université sont mis à contribution et racontent les risques, tout en expliquant que des solutions existent. Une molécule – le narcan – est susceptible de contrer rapidement la létalité des opioïdes.
Le sujet s’est même invité sur la scène internationale lors du G20 en 2022 à Bali. La Chine s’est exprimé en premier lieu, car elle est le berceau du fentanyl utilisé par les délinquants mexicains pour produire leurs « médicaments ». Xi Jinping avait indiqué vouloir prendre des mesures pour réduire la fourniture déviante de fentanyl.
Joe Biden et Andrés Manuel López Obrador, les présidents américains et mexicains, avaient aussi statué une entente de lutte contre le trafic.
Le combat d’un homme, d’un pays, du monde
Le combat victorieux mené par Willie Cauley-Stein est donc loin d’être marginal, bien que les issues ne soient pas toujours favorables. En 2022, 110 000 personnes sont mortes d’une overdose de fentanyl. Passé le G20, ce chiffre s’est élevé en 2023 à 107 000. Les résultats sont donc pour le moment peu fructueux. D’autant que l’addiction à l’opiacé est aussi devenue la première cause de décès chez les jeunes aux États-Unis. Ces risques ne touchent d’ailleurs pas que les classes populaires ou des inconnus.
À peine deux mois après la campagne de prévention à San Diego, Reggie Chaney décède. Grand espoir du basket américain, il joue pour la fac de Houston jusqu’au 13 novembre 2023. Date à laquelle l’ailier fort succombe à une overdose de fentanyl, selon les analyses du médecin légiste. L’ex prodige du basket est retrouvé inconscient chez lui, quelques semaines après avoir bouclé une saison ponctué du titre de sixième homme de la conférence AAC.
L’industrie de la musique a elle aussi été fauchée de nombreux talents. C’est le cas de Mac Miller, le rappeur de Pittsburgh dont la vie a été ôtée après une overdose accidentelle. Quelques jours avant sa mort en Californie, l’artiste qui luttait contre sa toxicomanie avait demandé une ordonnance de xanax (anti anxiété, stress, épilepsie…), de l’oxycodone et de la cocaïne. Il lui avait été fourni, sans qu’il le sache, du fentanyl qui, mélangé à de l’alcool et de la cocaïne, lui a été mortel.
Les exemples sont nombreux, comme Prince qui s’est éteint dans sa demeure d’une overdose au fentanyl. Son décès avait lui aussi suscité une vague d’hommages, notamment de la communauté basket et plus précisément dans le Minnesota, l’état dont il est originaire. Les Timberwolves avaient alors sorti par la suite un maillot violet et noir, tout un symbole en souvenir du chanteur de « Purple Rain » et pour prévenir encore une fois des risques.
Témoignant de l’impuissance face au fléau fentanyl, c’est le rappeur Coolio qui a succombé aux démons de l’addiction, il y a un peu plus d’un an…