Bien avant Stephen Curry, Daryl Morey est celui qui a bouleversé le monde du basketball en faisant du tir à trois points une arme majeure. Crédit : Thomas Shea

Daryl Morey, le visionnaire derrière la révolution du tir à trois points ?

Depuis près de dix ans, le tir à 3 points règne en maître sur la NBA, souvent associé à l’influence de Stephen Curry. Pourtant, si le meneur des Warriors a incarné cette révolution sur le parquet, c’est bien Daryl Morey, General Manager visionnaire, qui l’a théorisée et popularisée en coulisses. De ses expérimentations en G-League avec les Vipers à la transformation radicale des Rockets, retour sur le parcours de celui qui a profondément changé le visage du basket moderne.

Le laboratoire des Valley Vipers

Avant de bouleverser la NBA, Daryl Morey est d’abord un obsédé de statistiques. Diplômé du MIT, il fonde en 2006 la MIT Sloan Sports Analytics Conference (SSAC). Un événement annuel majeur consacré à l’analyse de données dans le sport, avant de rejoindre un an plus tard les Houston Rockets en tant que GM. 

Il commence tout d’abord par expérimenter en G-League, aux Rio Grande Valley Vipers, l’équipe affiliée aux Houston Rockets. Il part d’une constatation simple : 1/3 à trois points = 1/2 à deux points. De part cette remarque, il décide donc de baser son jeu uniquement sur les tirs de loin ainsi que des layups, finis les shoots mi-distance. 

Lors de la saison 2013-2014, il met en place ce nouveau système de jeu révolutionnaire pour l’époque, loin des projecteurs. A ce moment-là, les Vipers tirent absurdement à trois points, passant de 27.1 tirs longue distance tenté la saison précédente 2012-2013 à 45.4 lors de cette saison. L’équipe de G-League est passée de 9.6 à 16 trois points mis en moyenne par match.

Les zones de tirs utilisés par les Valley Vipers en 2013-2014, aujourd’hui la norme en NBA. Crédit : @kirkgoldsberry sur X.

Ce choix tactique orchestré par Morey, dicté par les statistiques avancées, vise à augmenter l’efficacité offensive globale est c’est réussi. L’équipe est la meilleure attaque de toute la ligue avec une moyenne de 123.1 points par match, un record pour l’époque. 

Bien que l’équipe ait révolutionné le jeu grâce à ce système, elle en avait déjà les capacités. Pour que ce style de jeu fonctionne, il faut remplir une condition majeure : avoir des joueurs capables de shooter. Et pour cela, c’était le cas des Rio Grande Valley Vipers : l’équipe finissait systématiquement dans le top 3 des équipes avec le plus de tirs longue distance effectués et mis depuis la saison 2009-2010. 

Les succès des Vipers valident la méthode et ouvrent la voie à une généralisation de ces principes dans la NBA. Cette approche scientifique, surnommée “Moreyball”, repose sur l’idée que chaque décision sur le terrain doit être guidée par la probabilité de réussite et la valeur attendue du tir. Cette équipe, sous la direction de Daryl Morey, un peu passée inaperçue du grand public, va pourtant amorcer une révolution qui va transformer durablement le jeu.

L’ère Houston Rockets et la généralisation du modèle “Moreyball”

De retour en NBA à Houston, Daryl Morey est bien décidé à appliquer sa méthode révolutionnaire sous les projecteurs cette fois-ci. Fort du succès des Vipers en G-League, il impose aux Rockets une philosophie offensive radicale. L’équipe maximise les tirs à 3 points et près du cercle, tout en bannissant le tir à mi-distance comme il l’a fait auparavant dans la ligue mineure. Rapidement, Houston devient la première équipe à systématiser cette approche, transformant le visage de la franchise.

Au même moment, la NBA est secouée par la montée en puissance des Golden State Warriors, portés par le duo infernal Stephen Curry et Klay Thompson. Leur domination, basée sur une adresse extérieure exceptionnelle, prouve que le tir à 3 points peut mener au sommet avec leur titre de champion obtenu en 2015. 

Inspiré, mais aussi en concurrence directe, Morey veut rivaliser avec sa propre arme secrète : James Harden, parfait prototype du joueur moderne, capable d’exceller dans ce système : “Une page entière pourrait être dédiée à James. Il a transformé ma vie, mais il a aussi révolutionné le basket et il continue de le faire, comme pratiquement personne ne l’a jamais fait avant luiraconte le GM après son départ de Houston en 2020. 

Daryl Morey et son protégé, James Harden, à l’entrainement en 2015. Les deux se retrouveront aux 76ers quelques années plus tard. Crédit : James Nielsen/Houston Chronicle via Getty Images

De 2015 à 2020, James Harden finissait systématiquement dans le top 3 des joueurs avec le plus de points inscrits au cours de la saison régulière (2382 de moyenne lors de ces cinq saisons) en étant également dans le top 3 des joueurs avec le plus de tirs longue distance tentés (760 tentatives en moyenne par saison lors de cette période). 

Sous l’impulsion de leur GM, les Rockets explosent les records de shoots longue distance. Le 16 décembre 2016, Houston établit, pour l’époque, le record NBA de tirs à 3 points tentés (61) et réussis (24) dans un match, battu depuis. Ils adaptent leur effectif pour coller à cette philosophie. Le jeu devient plus rapide, axé sur le pick-and-roll, l’isolation et le spacing, avec des joueurs spécialisés dans le shoot longue distance. 

Lors de la saison 2017-2018, six joueurs de leur effectif tentaient au moins 5 tirs de loin à chaque match avec au moins 36% de réussite chacun. L’équipe mise tout sur l’offensive et les adversaires ne peuvent que subir l’avalanche de tirs à 3 points qui arrivent de tous les côtés. 

Daryl Morey a emmené les Rockets à un niveau compétitif élevé grâce à sa méthode, la fans attendaient ce retour au plus haut depuis les années 90. Crédit :  Bill Baptist/NBA via Getty Images

Les résultats suivent : Houston s’impose comme l’une des meilleures attaques de la ligue, atteint régulièrement les sommets de la Conférence Ouest, et force les autres franchises à revoir leur système de jeu. En 2017-18, ils réalisent la meilleure saison régulière de l’histoire de la franchise pour 65 victoires pour 17 défaites. James Harden est même nommé MVP.

Malgré le fait que l’équipe n’ait pas remporté de titre durant le période de management de Daryl Morey, elle reste l’une des plus associées à l’efficacité offensive offerte par ce système de jeu. Pour preuve, depuis les années 2010, James Harden, pierre angulaire du projet, a réalisé les deux saisons avec les plus grandes moyennes de points (2018-2019 et 2019-2020).

Les conséquences aujourd’hui : héritage, débats et remise en question

L’influence de Daryl Morey a largement dépassé les frontières de Houston. Sous sa direction, les Rockets ont affiché le deuxième meilleur bilan de la NBA entre 2006 et 2020, derrière les Spurs. 

Aujourd’hui, quasiment toutes les franchises privilégient le volume de tirs longue distance, et les statistiques avancées sont au cœur de la prise de décision sportive. Même les équipes qui n’avaient pas cette culture ont adopté ce modèle, poussant la NBA vers une homogénéisation offensive inédite.

Les audiences baissent car on regarde tous la même chose. Tout le monde fait les mêmes actions. […] Toutes les équipes ne sont pas des équipes de 3 points, alors pourquoi tout le monde a la même stratégie ? Cela rend le jeu ennuyant.

Shaquille O’Neal via The Big Podcast with Shaq

Et oui, comment rivaliser avec votre adversaire s’il vous plante près de 14 tirs longue distance à chaque match aujourd’hui ? Vous êtes obligé de faire pareil pour coller au niveau des points, au détriment d’autres styles de jeu, car c’est le plus efficace.   

L’actuel président des Sixers a bien compris que l’influence de sa pensée s’est diffusée dans la ligue toute entière, et même au-delà. Mais selon lui, il a simplement fait son travail :  « Je ne pense pas que ce soit la faute des équipes ou des analystes, car leur travail est simplement de gagner, mais pour moi, le fond du problème, c’est que le tir à 3 points a été ajouté il y a de nombreuses années et qu’il vaut 50% de plus que les autres tirs. C’est tout simplement trop. Cela casse le jeu. » explique t-il pour Heavy

L’évolution des choix de tirs en NBA de la saison 1965-1966 en haut à gauche, jusqu’eu la saison 2019-2020 en bas à droite .Crédit : @_jphwang sur X.

Cette révolution a aussi transformé le profil des joueurs recherchés, favorisant les shooteurs polyvalents et les intérieurs capables de s’écarter. Aujourd’hui, si un joueur n’est pas capable de tirer à 3 points, il intéresse beaucoup moins de franchises malgré les autres qualités qu’il pourrait avoir. 

Pour être compétitif dans cette nouvelle ère, il faut quasiment avoir cinq majeurs constitué uniquement de snipers. Pour preuve, les Boston Celtics, champions 2024, ont tenté 42.5 tirs longue distance en moyenne par match lors de cette année, bien loin des 27 par les Warriors en 2014-2015. Lors de la cette même saison, seuls 5 joueurs ont tenté au moins 500 shoots du parking contre 24 cette année

Dans une NBA où le tir à 3 points est devenu la norme, la question n’est plus de savoir si le jeu doit changer, mais jusqu’où il peut aller sans se dénaturer. Daryl Morey a simplement poussé la logique de l’efficacité à son extrême, révélant les failles d’un système qui récompense la rentabilité plus que la créativité. 

Le spectacle s’en retrouve transformé au détriment de la diversité et de l’imprévu qui faisaient le charme du basket de l’époque. Il appartient désormais à la ligue, aux coachs et aux joueurs de décider si cette révolution doit être freinée, ou si elle n’est qu’une étape vers une nouvelle identité du jeu. 

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