Les 76ers du début des années 80 sont une des plus grandes équipes de tous les temps. Avec un effectif contenant pas moins de 4 futurs Hall of Famers. Néanmoins, un des meilleurs joueurs de cet effectif est souvent oublié. En effet, Andrew Toney était peut-être le meilleur attaquant de ce splendide roster. Et il avait la très bonne habitude d’hausser son niveau de jeu en playoffs, en particulier face aux Celtics de Larry Bird…
Des débuts prometteurs
Andrew Toney fait ses classes à l’Université de SouthWestern Louisiana (aujourd’hui : University of Louisiana à Lafayette). Il y dispute 3 saisons lors desquelles il est à chaque fois le meilleur joueur de son équipe. Lors de son année senior (la 3e), il tourne à 26 points, 4 rebonds et 4 passes de moyenne. Une ligne de stats alléchante, qui commence à susciter l’attention des franchises NBA.
Toney décide alors de se présenter à la Draft 1980, et quitte les Ragin’ Cajuns en tant que vraie légende de l’équipe. Effectivement, avec ses 2253 points marqués en 3 ans, l’arrière est le marqueur le plus prolifique de l’histoire de son université. C’est, par exemple, plus de points que Michael Jordan à North Carolina, en autant de temps passé en NCAA.
Le profil d’Andrew Toney est celui d’un joueur bien en avance sur son temps. Pas mauvais défenseur, c’est surtout sa capacité à scorer insatiablement qui crève les yeux. C’était un excellent shooteur à mi-distance, mais qui n’hésitait pas non plus à dégainer à 3 points. Mais il était aussi capable de driver et de créer ses propres tirs. En plus de cela, il était doté d’une très bonne vision pour un arrière. Ce qui lui permettait de mettre ses copains dans les bonnes conditions.
A l’aube de la draft, les 76ers viennent de perdre les finales NBA 1980 face aux Lakers. Leur choix de draft est donc en fin de 1er tour. Heureusement pour eux, quatre ans plus tôt, en 1976, les 76ers avaient récupéré Mel Bennett de la tout juste disparue ABA, et l’avaient échangé directement aux Pacers contre un premier tour de 1980. Ce dernier s’avère être le 8e choix de cette draft, celui avec lequel Philadelphie choisit Andrew Toney. Le jeune arrière est privilégié par le front office. En plus d’être talentueux, il est drafté au sein d’un effectif déjà bien rodé et compétitif.
L’équipe contient des joueurs de légendes comme les Hall of Famers Julius Erving à l’aile, Maurice Cheeks à la mène, et Bobby Jones en sortie de banc. Le All-Star Doug Collins et l’explosif Darryl Dawkins complétaient cet effectif qui avait tout pour réussir. Lors de sa saison rookie, Toney alterne entre un rôle de starter et de remplaçant. Il tourne à 13 points et 4 passes de moyenne au sein d’un collectif léché. Ce qui lui permet d’être classé 7e pour le trophée de Rookie de l’année. Les 76ers réalisent une excellente saison régulière et affichent un bilan de 62 victoires pour 20 défaites.
Le rookie aura donc l’opportunité de montrer l’étendue de son talent en play-offs ! Indiana est maîtrisé lors du premier tour. A l’inverse, il a fallu 7 matchs pour venir à bout des Bucks. Et Philadelphie se retrouve en finale de conférence face à leurs rivaux : les Boston Celtics !
En NBA, Boston a une fanbase qui se fait beaucoup d’ennemis, à tel point qu’on dirait qu’ils aiment ça. De Magic Johnson à Stephen Curry, en passant par LeBron ou Bill Laimbeer, personne n’est vraiment apprécié à Boston. L’atmosphère y est hostile en toute occasion, surtout dans les années 80. Et ce n’est pas une situation confortable de s’y déplacer, même en saison régulière. Alors imaginez pour des finales de conférence.
Le jeune rookie n’est pas intimidé. Il score 26 puis 35 points dans les deux premiers matchs de la série. Et ce, devant le public bouillant du Garden. Ses performances permettent au 76ers d’être à 1-1 dans la série. Et après avoir remporté leurs deux matchs à domicile, Philadelphie va s’effondrer. Dans le sillage d’un Larry Bird inarrêtable, les Celtics remontent. Ils remportent les 3 derniers matchs de la série. L’écart ne dépasse jamais les deux points. Et c’est Boston qui accède aux Finales NBA au bout du 7e match de la série.
Après avoir démarré la série sur les chapeaux de roue, Toney s’écroule. Il marque moins de 10 points lors des deux derniers matchs de la série. Premier gros coup de massue sur la tête du rookie.
La naissance d’une légende
Alors que la saison sophomore d’Andrew Toney est sur le point de démarrer, l’arrière titulaire des 76ers, Doug Collins, prend sa retraite à la suite de nombreuses blessures. Ce qui propulse Toney en tant que 6e homme, et lui offre davantage d’opportunités. Cela se reflète à travers ses statistiques : 16 points et 4 passes par soirée. Un rôle de plus en plus important lui est confié au sein d’une équipe qui reste parmi les meilleures à l’Est. Pour la deuxième année consécutive, Philadelphie se hisse à la 3e place de sa conférence.
Les Hawks au premier tour ? Un jeu d’enfants pour les Sixers qui s’en vont défier des Bucks revanchards au second tour. Mais les hommes de la légende Billy Cunningham peuvent compter sur un Andrew Toney qui a appris, qui a progressé. Il est le deuxième marqueur de son équipe sur la série et avoisine les 20 points par match. La série est pliée en 6 matchs.
En finale de conférence, c’est au tour des 76ers d’avoir soif de revanche. Ils affrontent encore une fois des Boston Celtics en quête de back-to-back. Le premier match est une vraie boucherie. Andrew Toney, Julius Erving et consort se font massacrer et perdent de 40 points dans un Garden en feu.
Mais Philadelphie peut, encore et toujours, s’en remettre à son génial sophomore. En particulier lorsqu’ils affrontent Boston. Toney porte les siens lors des matchs 2 et 4. Où il inscrit respectivement 30 et 39 points ! Lui et ses coéquipiers se retrouvent, comme l’année précédente, avec une avance de 3-1 sur les C’s.
Les 76ers se sont bien repris après un premier match catastrophique. Il s’agit maintenant de ne pas reproduire le scénario de 1981. Mais ils sont une nouvelle fois frappés par la peur de gagner. Ils perdent les deux matchs suivants, dont un match 6 pour plier la série à la maison. Philadelphie va devoir se rendre au Garden, et l’emporter pour espérer rallier les Finales NBA. Ils savent néanmoins, qu’ils peuvent toujours faire confiance à leur sophomore de 24 ans. Comme en témoigne le meneur de l’équipe :
« A chaque fois qu’on se déplaçait au Garden, on savait qu’Andrew allait sortit un grand match »
Maurice Cheeks
Mo ne croit pas si bien dire. Dans un match à couteaux tirés, Toney inscrit la bagatelle de 34 points. Cette performance majuscule permet aux 76ers de rallier les Finales. Et mène à la naissance d’un nouveau surnom de légende : « l’Étrangleur de Boston ». Ce pseudonyme est loin d’être usurpé. Il est même criant de vérité tant Toney faisait peur aux coéquipiers de Larry Legend.
« J’avais plus peur d’Andrew Toney que de Michael Jordan »
Danny Ainge
The Boston Strangler.
Andrew Toney, y’all… pic.twitter.com/LiYz5lyA33— Rex Chapman🏇🏼 (@RexChapman) September 25, 2018
En Finales, le jeune arrière sera énorme, une fois de plus. Dans la série, Toney tourne à 26 points et 8 passes de moyenne. Il est notamment meilleur marqueur lors de 3 des 6 rencontres. Malheureusement, les Lakers de Magic Johnson sont bien trop forts et l’emportent sans trop de complications. Malgré la défaite, Toney a montré à toute la ligue qu’il peut rivaliser avec les plus grands. Et même les surpasser ! Mais collectivement, il manque encore un petit quelque chose pour rendre les 76ers intraitables…
1983 : sur le toit du monde
Philadelphie était tout proche de remporter le titre. Oui mais tout proche, ça reste quand même trop loin pour le front office. Qui va donc s’activer et faire venir la légende vivante Moses Malone, triple MVP et futur Hall of Famer. Le pivot court encore derrière une bague, et à 27 ans, il est en plein dans son prime. C’est la pièce qu’il manquait et qui propulse les 76ers au rang de grands favoris.
Andrew Toney est comme un poisson dans l’eau au sein de ce collectif ultra dense. Il continue à étouffer ses adversaires et améliore encore davantage ses moyennes. 20 points et 5 passes tous les soirs. Des performances en hausse qui lui valent une première sélection pour le All-Star Game.
Collectivement, Philadelphie répond aux attentes. 65 victoires, 17 défaites et la première place à l’Est. Ce qui leur permet d’aborder les play-offs en confiance, et d’obtenir un bye au premier tour : c’est-à-dire qu’ils n’ont pas à jouer lors de celui-ci, et sont directement qualifiés pour les demi-finales de conférence. Ils vont alors sweeper les Knicks de Bernard King. Puis rencontrer les Bucks, pour la troisième année d’affilée, en finale de conférence.
On commence à en avoir l’habitude, mais Toney va hausser son niveau de jeu sur la série. Il contribue largement à la nouvelle qualification des siens pour les Finales NBA. Et en profite pour laisser une trace indélébile dans l’esprit de Sidney Moncrief, deux fois défenseur de l’année en NBA :
« Quand les joueurs sont capables de très bien faire plusieurs choses en attaque, ça les rend indéfendables. Andrew Toney était comme ça, il était indéfendable. […] Lui et MJ étaient les deux joueurs que j’ai eu le plus de mal à défendre dans ma carrière. »
Sidney Moncrief
Les Lakers sont une nouvelle fois bien présents pour se dresser sur la route des 76ers. Mais cette fois-ci, la série sera à sens unique. La bande à Toney atomise Los Angeles. Il reste dans ses standards habituels en post-season pendant que Moses marche sur l’eau. Ce dernier est logiquement élu MVP des finales à la suite d’un coup de balai retentissant.
Les 76ers l’ont fait ! Ils sont champions NBA, le front office avait raison, et a assemblé une des équipes les plus dominante de l’histoire. En effet, Philadelphie ne perd qu’un match sur les 3 séries de play-offs disputées ! Cette équipe est considérée comme l’une des plus dominantes de l’histoire de la Ligue. Et ce dans l’esprit de beaucoup de gens, ce qui ne serait pas le cas sans la présence d’un arrière pas comme les autres.
Justement, en parlant de lui, Andrew Toney est sur un nuage suite à son sacre. Il est champion après seulement 3 saisons dans la grande ligue. En plus d’avoir joué un rôle majeur pour son équipe. Son coéquipier Earl Cureton lui demande ce qu’il a ressenti au moment où le buzzer final a retenti :
« Honnêtement, je ne me rappelais même plus que j’avais des pieds. »
Andrew Toney
Malheureusement, l’Étrangleur va vite se rappeler qu’il a bel et bien des pieds. Ce sont d’ailleurs eux qui vont mettre à mal une carrière pourtant si bien débutée…
La chute
La saison suivante, Philadelphie sous-performe et est éliminée dès le premier tour par les Nets, et ce malgré une nouvelle saison où Toney progresse, étant encore sélectionné au All-Star Game. Les dirigeants décident de ne pas s’alarmer et offrent un contrat long terme à leur arrière. Ils ont aussi la chance de mettre la main sur Charles Barkley lors de la superbe Draft 1984.
L’équipe se renforce, bien que sa colonne vertébrale devienne de plus en plus vieillissante. De son côté, Andrew Toney commence à ressentir des douleurs vives aux pieds. Les médecins de l’équipe sont incapables d’en déduire la provenance, ce qui encourage le propriétaire Harold Katz à forcer Toney de jouer, malgré la douleur, le soupçonnant de dramatiser la situation maintenant qu’il avait signé son gros contrat. Mais il n’en était rien. Toney souffrait bel et bien et ne faisait pas semblant.
Malgré cela, l’Étrangleur reste professionnel et dispute 70 rencontres lors de l’exercice. Mais ses moyennes sont en baisse au scoring, on ressent qu’il n’est pas à 100%. Surtout en play-offs, où il ne performe pas comme il en avait l’habitude. Son impact baisse et les 76ers sortent en finales de conférence face aux Celtics en 5 matchs.
Les douleurs s’intensifient pour Toney, mais les médecins de l’équipe ne trouvent toujours pas leurs origines. C’est un de leurs collègues de l’université de Pennsylvanie qui va découvrir une fracture de stress dans le pied droit de l’arrière des 76ers. C’est-à-dire que l’os de son pied est fissuré à la suite d’un trop grand nombre de pressions répétitives. Les docteurs décident alors de comparer avec le pied gauche, où ils découvriront qu’il est atteint d’exactement la même chose.
Le manque de confiance du staff et du front office des 76ers à son égard n’ont fait qu’empirer la blessure. Andrew Toney ne jouera que 6 matchs cette saison-là, avec des moyennes faméliques de 4 points et 2 passes.
Il tente de revenir la saison suivante mais il n’y a rien à faire, la douleur est trop forte. Il n’est pas capable d’enchaîner les matchs et n’en joue que 52. Il sort du banc et son impact est drastiquement inférieur à celui qu’il avait seulement 3 ans auparavant. L’Étrangleur décide quand même de tout tenter pour jouer, et aider son équipe à être compétitive. Mais rien n’y fait, et la saison 87-88 sera sa dernière en NBA. Il participe à 29 rencontres cette année-là, et manque les play-offs pour la seule et unique fois de sa carrière, qui fût bien trop courte.
Ces 8 années passées sur les parquets NBA ne sont néanmoins pas passées inaperçues auprès de tout le monde. Sur sa carrière, il tourna à 16 points et 4 passes, tout en tirant à 50% de réussite. Performance plus qu’honorable puisqu’il tirait essentiellement en dehors de la raquette. Son héritage est d’ailleurs toujours présent, tant chez ses anciens coéquipiers :
« Andrew Toney est le meilleur joueur avec lequel j’ai joué, il était inarrêtable. »
Charles Barkley
Que chez les joueurs qui l’ont idolâtré :
« Je pense qu’en regardant en arrière, de tous les joueurs auxquels je voulais ressembler. Je ressemble plus à Andrew Toney. »
Cuttino Mobley
Bref, parmi les meilleures équipes de tous les temps, on retrouve les 76ers de Julius Erving, Maurice Cheeks, Moses Malone… et Andrew Toney ! Un joueur en avance sur son temps qui n’avait déjà pas peur de dégainer à 3 points si l‘occasion se présentait. Lui que les blessures ont écarté trop tôt des parquets NBA… mais lui qui a quand même réussit à traumatiser une fanbase entière et des légendes absolues du jeu en seulement 8 petites saisons.
Andrew Toney était bien plus qu’un simple joueur, c’était l’homme qui faisait trembler Larry Bird. C’était l’Étrangleur de Boston.