La Stark Arena : le temple du basket serbe

Même quand les lumières de la Stark Arena se tamisent, le vacarme lui, ne faiblit jamais. Dans les tribunes, c’est une marée noire et blanche qui ondule, tenant de longs drapeaux levés vers le ciel, et déployant d’énormes tifos accrochés aux câbles de la Stark Arena. Des fumigènes éclairent ce noir et ce blanc qui sont en fait les visages d’hommes plus déterminés les uns que les autres. Ces hommes, ce sont les « Grobari », les fossoyeurs de Belgrade, prêts à ensevelir l’adversaire sous un déluge de chants et de sifflets.

Connus pour leur ferveur sans faille et leur présence massive, ils donnent au Partizan l’une des ambiances les plus redoutées d’Europe. Entre fierté locale, passion sportive et rivalités explosives, la Stark Arena et les Grobari forment un duo indissociable dans l’histoire du basket serbe. Nous revenons aujourd’hui sur les moments mythiques que cette salle a vécus et sur l’impact des Grobari dans la culture serbe.

Stark Arena : un chantier au rythme de l’histoire serbe

Le Partizan a pu réutilisé la Stark Arena en 2019 après l’obtention d’une wild card pour participer à l’Euroleague cette m^me année. Crédit : Basket Europe

La Stark Arena, alors appelée Belgrade Arena, est née d’une ambition : accueillir la Coupe du monde de basket 1994. À la fin des années 1980, la FIBA impose à la Yougoslavie de disposer d’une salle de 20 000 places pour organiser la compétition. Belgrade lance donc un concours d’architecture en 1989, et le chantier démarre officiellement en 1992, sur le site du Blok 25, dans le nouveau Belgrade, un quartier choisi pour sa modernité.

Mais la décennie suivante est marquée par la guerre en ex-Yougoslavie, les sanctions internationales et l’effondrement économique rendent impossible l’achat de matériaux, et la FIBA retire l’organisation du Mondial 1994 à Belgrade. Les travaux s’arrêtent totalement en 1995, laissant une immense bâtisse inachevée dans le paysage urbain. Une reprise a lieu en 1998, cette fois en vue du championnat du monde de tennis de table de 1999, mais le bombardement de l’OTAN en pleine guerre du Kosovo met de nouveau fin au projet.

Et cette arène devient malgré elle, le symbole des difficultés politiques et économiques du pays. Il faut attendre la chute du régime de Slobodan Milošević en 2000 pour que le chantier reprenne sérieusement. Dans un contexte de réouverture internationale, la Serbie veut se montrer sous un nouveau visage. L’État investit massivement pour achever cette salle destinée à accueillir concerts et événements sportifs.

Finalement, en 2004, la Stark Arena est inaugurée lors d’un match de gala entre la Serbie et le Monténégro puis contre les États-Unis. Un an plus tard, elle accueille déjà un premier grand rendez-vous, à savoir l’EuroBasket 2005. Après une attente interminable, la Serbie tient une véritable arme sportive. Avec une surface de 33 000 m² répartis sur six niveaux, la salle peut accueillir entre 18 000 et 25 000 spectateurs selon la configuration. Son acoustique et ses pentes raides en font une caisse de résonance idéal pour le Partizan.

Les Grobari : une passion noire et blanche qui dépasse parfois le sport

Nés en 1970 dans les tribunes du FK Partizan, les Grobari se sont d’abord imposés comme un groupe ultra lié au football. Mais dès les années 1980, ils ont investi la salle de basket, suivant l’essor d’un club qui devenait une référence en Yougoslavie. Leur présence s’est largement intensifiée dans les années 90 quand le club de la capitale serbe a conquis l’Euroleague 1992 face au Joventut Badalone (71-70). À la Pionir Arena, petite enceinte surchauffée de Belgrade, les Grobari ont forgé une réputation d’ultras capables de transformer une salle en véritable chaudron.

Au fil des années 2000, alors que le football du Partizan perdait en compétitivité internationale, le basket est devenu la vitrine du club et la tribune idéale pour exprimer leur ferveur. Et aujourd’hui, la Stark Arena y perpétue la tradition de cette ferveur serbe, un héritage direct de ce transfert d’identité des stades aux parquets. Mais derrière cette passion se cache aussi une dimension politique marquée. Les Grobari ont longtemps utilisé les matchs du Partizan comme une tribune à revendication pour y exprimer des positions en la faveur du nationalisme serbe.

Lors d’un match de la saison 1995/1996 de la ligue ABA qui opposait le Partizan et le Spartak Office, les Grobari ont été lourdés de la salle de leur opposant. La raison ? Des chants nationalistes faisant l’apogée d’un passé récent et très peu glorieux, avec des banderoles « Noz, zica, Srebrenica », comprenez « Le couteau, le barbelé, Srebrenica » pour glorifier le terrible génocide bosniaque survenu quelques mois plus tôt.

Les « Commandos » qui sont la branche la plus contreversé des Grobaris. Sur la droite de l’image, ils arborent d’ailleurs une image de Ratko Mladić « le boucher de Belgrade. Crédit : Grobari.net

Le tout en acclamant Ratko Mladic, surnommé « le boucher Balcan », condamné plus tard pour génocide et crime contre l’humanité (il est notamment connu pour avoir dirigé le siège de Sarajevo et le massacre de Srebrenica). Cette tendance a perduré dans les années 2000 et jusqu’à aujourd’hui. Car oui, plus récemment lors d’un match face au Maccabi Tel-Aviv en 2025. Des banderoles hostiles au président Aleksandar Vučić et à certaines de ses décisions gouvernementales ont été brandies, tandis que des chants en faveur de la Russie ou sur la question du Kosovo ont été chantés.

Des exemples qui montrent que les tribunes des Grobari ne sont pas que de simples gradins et que la Stark Arena a parfois dépassé le cadre du basket en devenant alors une incarnation des fractures de la société serbe. Cette culture ambiguë laisse une trace assez contrastée. D’un côté, les Grobari incarnent la passion brute, une ferveur qui a permis au Partizan de se hisser parmi les grands européens mais ils rappellent aussi des fractures politiques et sociales importantes qui traversent la Serbie et le monde contemporain.

Belgrade – Tel Aviv 2010 : une qualification gravée dans les murs de la Stark Arena

Pourtant, au-delà de ces tensions et de ces fractures, l’histoire des Grobari s’écrit aussi et surtout à travers des moments de communion purement sportive. Car si leurs tribunes ont souvent dépassé le cadre du basket, elles ont aussi accompagné les plus grands exploits du Partizan. Et moi j’ai choisi de revenir sur l’un d’entre eux, le match 4 des quarts de finale de l’EuroLeague 2009-2010 face au Maccabi Tel-Aviv, et ce n’est pas seulement parce que le Partizan Belgrade s’y est qualifié pour le Final Four après 12 ans d’absence.

C’est aussi parce que cette soirée-là à la Stark Arena symbolise tout ce que représentent les Grobari et l’identité du club : une ferveur sans limite, une équipe en mission et une atmosphère devenue légendaire. Cette saison-là, le Partizan domine sur l’échelon nationale: champion de Serbie en titre et vainqueur de la Ligue Adriatique, il est le porte-drapeau du basket serbe au tournant des années 2010.

Mais sur la scène européenne, le Partizan part de loin. Le club n’a pas les moyens financiers des grandes puissances, recrute des joueurs souvent jeunes ou en quête de rebond, et mise sur une alchimie collective forgée par l’ambiance unique de Belgrade. L’effectif repose sur un duo que tout oppose, Bo McCalebb, un combo guard américain (et futur macédonien) explosif qui possède un style de jeu très imprégné du street basket et qui sort d’un long cursus universitaire à la Nouvelle-Orléans, et Aleksandr Maric, l’imposant pivot serbo-australien avec ses 2 mètres 11 qui sort également de 3 années universitaires au Nebraska.

Entouré par le fidèle shooteur Dusan Kecman, l’ancien joueur de Memphis, Lawrence Roberts et le très jeune Jan Vesely, le Partizan formait un collectif aussi inattendu que redoutable. Une équipe sans star planétaire, mais façonnée par la rigueur et la discipline imposées par son entraîneur Dusko Vujosevic. Connu pour son exigence extrême et son goût du travail défensif, Vujosevic avait bâti une équipe qui ne lâchait jamais, capable d’étouffer leurs adversaires par le défi physique qu’elle imposait.

Et c’est ce qu’ils vont directement imposer au Maccabi. Alors que l’entre-deux est remporté par D’or Fischer, le poste 5 de l’équipe israélienne, Bo McCalebb pique après 5 petites secondes le ballon dans les mains d’Andrew Wisniewski. Il enchaine une passe en transition pour Dusan Kecman (grand artisan de la victoire au game 1 avec 29 points) qui finit tranquillement sous le cercle. Une action plus tard, Jan Vesely intercepte un nouveau ballon et vient claquer un dunk sur la contre-attaque. Il n’en fallait pas plus pour aller la mèche dans les tribunes. La Stark Arena est déjà bouillante.

Dans le milieu du premier quart, le Maccabi prend l’avantage (11-16) grâce à l’efficacité de Cheick Eidson sur la ligne et celle d’Andrew Wisniewski à longue distance. Heureusement le Partizan fait un run dans la dernière minute de ce quart-temps avec un 3 point de Petar Bozic et Bo McCalebb qui profite toujours aussi bien des pertes de balles du Maccabi pour traverser le terrain et finir au cercle. Le Partizan mène 18-16 à la fin du 1er quart-temps.

Dans le début du 2ème quart, les deux équipes ferment leur raquette si bien que le jeu parait de plus en plus laborieux. D’un côté c’est D’or Fischer qui permet au club de Tel-Aviv de sortir la tête de l’eau sur des claquettes ou des shoots à mi-distance et de l’autre c’est l’excès d’engagement défensif des joueurs du Maccabi et les coups de sifflets parfois généreux des arbitres qui permettent au Partizan de rester au contact des Israéliens (23-24).

La fin de quart-temps est plus rythmée, les deux équipes retrouvent leur efficacité à 3 points (Andrew Wisniewski et Aleksandar Rasic entre autres), si bien que les raquettes vont se rouvrir. Cela va profiter à Slavko Vranes, trouvé 2 fois dans les deux dernières minutes de cette mi-temps en tête de raquette, pour redonner l’avantage au Partizan 38-35.

3ème quart-temps bis répétita, le jeu n’est pas très reluisant, l’efficacité n’est pas présente et les joueurs des deux équipes ont débranché leur cerveau pour donner leur corps en défense. Après 4 minutes les deux équipes sont déjà dans la pénalité et vous l’aurez compris la fin de l’histoire de ce quart-temps va encore se jouer sur la ligne des lancers francs (55-52 à la fin du 3ème quart). Alors qu’aucune équipe n’avait réussi à prendre un réel avantage jusque-là, le début de ce dernier quart signe l’envol du Partizan.

Bo McCalebb prend complètement feu enchainant un and-one et un shoot à 3 points, Lawrence Roberts fait stop défensif après stop défensif et Slavko Vranes écrase la raquette du Maccabi de 2 dunks puissants. Il ne reste plus que 6 minutes et les Serbes semblent avoir le plus dur en ayant créé le premier gros écart de la rencontre (67-54). La fin de ce match est sans encombre et bien gérée puisque le Partizan l’emporte de 9 points (76-67) en ayant toujours gardé au moins 3 possessions d’avance.

La victoire du Partizan face au Maccabi lors du game 4. Crédit : Marko Metlas

Dès le buzzer final, les 20 000 spectateurs explosent dans un vacarme assourdissant. Les Grobari, massés derrière les paniers, transforment la salle en un véritable brasier et scandent des chants à la gloire du Partizan. La place de la République de Belgrade rappelait des célébrations similaires lorsque l’équipe nationale (Yougoslavie) avait remporté des honneurs majeurs lors du Championnat du monde de 2002 à Indianapolis où ils avaient battu une très belle équipe américaine en route vers la médaille d’or. 

Après cette victoire, le Final Four à Paris a été plus compliqué, puisqu’ils sont tombés les armes à la fin par deux fois. Deux défaites en prolongation d’abord face à l’Olympiakos en demi-finale, puis contre le CSKA Moscou dans le match pour la troisième place. Les hommes de Vujošević n’ont jamais semblé écrasés par l’événement, mais le manque d’expérience a pesé dans les moments chauds. Et on ne peut s’empêcher de se demander : et si ce Final 4 avait eu lieu à Belgrade…