Le basket libanais renait toujours de ses cendres

Le Liban avait le basket dans le sang avant même de s’en rendre compte. Il y a des pays où le basket est une distraction, une option. D’autres où il devient un refuge. Le Liban, lui, en a fait un cri. Une manière de s’élever au-dessus du vacarme des bombes, des coupures d’électricité, des silences trop longs dans les gradins. Ici, le basket n’a jamais été un simple sport. Il est mémoire, résistance et joie.

On a dit de Sagesse et de Riyadi qu’ils étaient des clubs rivaux. C’est vrai. Mais ils sont surtout les deux visages d’un pays qui n’a jamais cessé de vouloir briller, même quand tout vacille autour.

Des débuts feutrés entre deux guerres (1920-1975)

On ne sait pas exactement quand la première balle de basket a rebondi sur un terrain libanais. Mais on sait que l’Université Américaine de Beyrouth (AUB) en a été l’un des premiers temples. Là, dans un pays sous mandat français, on courait déjà derrière la balle orange à une époque où d’autres découvraient à peine le sport collectif.

Le Liban organise ses premiers championnats dans les années 1950. L’élite est alors très localisée : les clubs se concentrent à Beyrouth et dans sa périphérie. Mais c’est encore un basket amateur, éducatif, de salons universitaires et de gymnases en bois.

Puis vint 1975. La guerre civile. Quinze ans d’interruption, de terrain vide et de générations sacrifiées. Le silence s’installe dans les salles.

1992 – la renaissance professionnelle

Riyadi vs Sagesse en WASL 2024 crédit : FIBA

La guerre s’éteint, mais le pays n’a pas vraiment guéri. Alors on reconstruit, avec ce qu’on peut. Le basket devient un pilier de la reconstruction. En 1992, le championnat professionnel est relancé. Très vite, il devient le championnat le plus spectaculaire du Moyen-Orient.

Deux monstres émergent :
– Sagesse (Hekmeh), soutenu par l’Église maronite, prend racine dans les quartiers populaires d’Achrafieh.
– Al Riyadi, “le Château Jaune”, plus ancien, plus institutionnel, ancré dans les quartiers sunnites de Beyrouth-Ouest.

La rivalité n’est pas que sportive. Elle est sociale, politique, presque théologique. Mais sur le parquet, elle devient sublime.

Entre 1997 et 2004, Sagesse entre dans une ère dorée : trois Coupes d’Asie, un titre arabe, un public incandescent. On parle d’eux jusqu’en Chine. Le Liban est sur la carte.

 Fadi El Khatib, ou le rêve incarné

Dans les gradins, un nom se transmet comme un mot de passe : Fadi El Khatib. L’ailier fort, le Tiger, le Lion du Levant, peu importe le surnom, il est la légende.

Triple MVP d’Asie, leader à 18 ans, Fadi est ce que Tony Parker a été pour la France ou Dirk Nowitzki pour l’Allemagne : une anomalie. Un phénomène. Il a joué en Russie, en Chine, partout, mais il a toujours gardé le Liban sur son maillot, même quand le pays brûlait. Fadi, c’est un shoot à 5 secondes de la fin. Une nuque trempée. Un regard qui dit « rien n’est fini ».

La sélection nationale, reflet d’un peuple debout

L’équipe du Liban est sélectionnée pour la Coupe du Monde FIBA en 2002, 2006, 2010. Une rareté pour un pays de 6 millions d’habitants. En 2006, elle bat la France de Parker (74-73), l’un des plus grands exploits de son histoire.

À cette époque, la sélection fait jeu égal avec la Chine, l’Iran, la Jordanie, les Philippines. Toujours en outsider, jamais sans ambition.

Et même quand le chaos revient (comme en 2013 avec une suspension de la FIBA pour raisons politiques), le Liban retrouve toujours sa place. En 2022, il perd d’un souffle la finale de la Coupe d’Asie face à l’Australie (75-73). Un nouveau héros est né : Wael Arakji, élu MVP.

 

Un sport, mille crises

Le basket libanais, c’est aussi les affaires de coulisses, les présidents de fédérations qui se disputent, les clubs à deux doigts de la faillite, les joueurs non payés, les derbys interrompus, les ministres dans les tribunes.

Mais c’est surtout des salles pleines. Toujours. Qu’il pleuve, qu’il y ait pénurie de fuel ou de télé, on vient voir Riyadi vs Sagesse. On hurle, on chante, on pleure. Chaque match est une cérémonie. Un uppercut à la morosité.

 Aujourd’hui, demain, toujours

En 2025, le basket libanais est toujours vivant. Mieux : il est essentiel.
L’arrivée de jeunes talents comme Karim Zeinoun ou Sergio El Darwich, les coachs locaux formés à l’étranger, les académies privées qui poussent, tout annonce une nouvelle ère.

Le rêve olympique est dans un coin de la tête. Mais ce n’est pas le plus important. L’important, c’est ce que représente ce sport. Un filet qui tient encore, même quand tout le reste s’effondre.

 Elles dribblaient dans l’ombre, mais jamais dans le silence

Il y a au Liban une passion pour le basket qui brûle comme une mèche courte. On parle souvent des derbys en feu, des lions de Riyadi, des légendes comme Fadi El Khatib. Mais ce serait une erreur de croire que l’histoire s’est écrite au masculin.

Parce qu’au Liban, pendant que les projecteurs filmaient les hommes, les femmes jouaient. Pas pour les caméras. Pour la dignité. Pour exister. Pour continuer.

Rebecca Akl crédit : FIBA

Des pionnières en baskets (années 1950 à 1975)

Dans les années 50 déjà, dans les écoles chrétiennes de la montagne, les lycées de Beyrouth ou les campus américains, des jeunes filles s’essayent au basket. Le jeu est éducatif, sobre, presque codifié. Mais il plaît. Et les premières compétitions apparaissent dès les années 60.

Puis la guerre vient, encore. Une pause longue de quinze ans. Le terrain se vide, les carrières s’évanouissent avant même d’avoir commencé. Les clubs féminins survivent à peine.

La reconstruction, version elles (1990–2000)

Quand le championnat masculin renaît en 1992, les femmes aussi reprennent le ballon. Elles sont moins médiatisées, moins aidées, souvent moins considérées. Mais elles sont là.

Antranik SC, club d’Antélias, devient un nom respecté : multiple champion de la ligue féminine, double vainqueur de la FIBA Asia Champions Cup féminine (2006, 2007).

C’est un exploit rare, un sommet jamais atteint par aucun autre club féminin arabe à ce moment-là. Derrière elles, des clubs comme Homenetmen, Riyadi, Hoops, Beirut First (section féminine) maintiennent la flamme.

Antranik SC crédit : flbb.com

Le combat dans le silence

On parle d’un championnat féminin semi-professionnel. Comprendre : les joueuses s’entraînent comme des pros, mais sont souvent payées comme des bénévoles. Elles jonglent avec les études, les petits boulots, les heures d’embouteillage pour aller jouer dans des salles peu éclairées.

Mais elles continuent.

Pourquoi ?

Parce que chaque tir marqué est une victoire sur les stéréotypes. Parce qu’être une joueuse au Liban, c’est refuser l’effacement.

Une sélection qui rêve grand

L’équipe nationale féminine du Liban n’a jamais eu les projecteurs de son équivalent masculin. Mais en silence, elle a gravi les échelons.

En 2021, le Liban bat la Jordanie pour remonter en Division A de la FIBA Asia Cup. En 2023 et 2025, elle y reste. Une performance rare pour un pays arabe. Elles y affrontent la Chine, l’Australie, la Corée du Sud. Et ne baissent jamais les yeux.

Crédit : FIBA

Aujourd’hui, elles ne demandent plus l’autorisation

Les nouvelles générations arrivent avec moins de complexes. Plus de colère aussi. Des filles comme Daniella Fayad, Amar Mansour ou Maygen Naassan veulent tout : la reconnaissance, les sponsors, la télé, l’égalité salariale. Elles ne s’excusent plus de jouer. Elles réclament leur place. Et elles l’obtiendront.

Au Liban, on n’a pas toujours l’électricité, mais on aura toujours un ballon de basket. »