Bernard Faure, Directeur du Pôle France. Crédit : FIBA

Interview Bernard Faure, directeur du Pôle France : “Ceux qui pensent que le talent suffit se trompent”

Depuis l’année dernière, Bernard Faure dirige le Pôle France Basket, un centre de formation d’élite à l’INSEP, où les jeunes talents se préparent physiquement et mentalement pour exceller sur la scène internationale. Le Roster a pu le rencontrer dans son bureau à l’INSEP pour mieux comprendre les coulisses de la formation à la française. Une plongée au cœur d’un lieu unique, où l’on prépare les talents de demain.

Mattéo : Bonjour Monsieur Faure, merci de nous recevoir ici pour Le Roster. Vous êtes à la tête du Pôle France depuis maintenant quasiment un an. Comment s’est passée la transmission avec votre prédécesseur Gilles Thomas ? Et surtout, comment avez-vous été choisi pour diriger ce Pôle France ?

Bernard Faure : Alors, la transition a été progressive. Effectivement, j’ai pris mon poste officiellement en début de saison dernière, donc au mois de septembre. J’avais travaillé un petit peu sur la fin de saison précédente avec Gilles, pour qu’il me tienne au courant des dossiers en cours. Ce qui m’a amené à ce poste, c’est le fait que je travaille au Pôle France depuis 2005, en tant que coach, et aussi dans les équipes de France jeunes.

Le DTN a fait appel à moi sur la fin de carrière, on va dire, pour quitter le terrain et essayer de faire un lien important entre le terrain, le ressenti, les besoins des coachs, et la fonction de directeur, qui est censée faciliter le travail de tout le monde. Que ce soit en mettant du lien avec tous les services de la Fédération, car le Pôle France fait partie du Pôle Haut Niveau de la Fédération, mais aussi en lien avec l’INSEP.

C’est une grande maison avec 27 Pôles, donc il faut créer beaucoup de connexions avec tous les services de l’INSEP. Le fait que je sois déjà connu ici, puisque je travaille au Pôle France depuis 2005, je pense que ça a beaucoup aidé dans la décision de m’amener à ce poste.

Mattéo : Vous l’avez dit, vous avez été coach des équipes de France jeunes, notamment ici au Pôle France. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu votre parcours avant d’arriver ici ?

Bernard Faure : Mon parcours a été assez simple dans le basket. J’ai commencé le basket à 13 ans, j’ai fait une carrière de basketteur. Je n’ai jamais été professionnel, parce que c’était une autre époque, mais j’ai joué à un niveau intermédiaire,  équivalent à la Nationale 1 ou la Pro B aujourd’hui. C’était une période où on pouvait encore travailler à côté tout en jouant à bon niveau.

Mon métier principal, c’était professeur d’éducation physique. Ce poste me laissait du temps pour m’entraîner. J’ai été prof d’EPS dans des lycées professionnels jusqu’en 2005, année où j’ai intégré le Pôle France. J’avais aussi entraîné des équipes seniors, garçons et filles, en fin de carrière.

Quand je suis arrivé ici, ça a été une découverte. On s’occupe de jeunes de 15 à 18 ans, que je n’avais jamais entraînés, mais je connaissais bien cette tranche d’âge pour les avoir eus en cours d’EPS. Donc ce n’était pas une totale nouveauté. J’ai été recruté par le DTN de l’époque, Monsieur Jean-Pierre De Vincenzi, qui m’a proposé de venir ici en septembre 2005, dans ce Pôle France que beaucoup nous envient.

Mattéo : Justement, pour vous, quelles sont aujourd’hui les missions principales du Pôle France ? Et qu’est-ce que vous souhaitez transmettre aux jeunes qui passent par là et qui repartiront ensuite dans les clubs professionnels ?

Bernard Faure : Le Pôle France est un des chemins qui mènent vers le haut niveau, que ce soit chez les garçons ou chez les filles. Il y a évidemment d’autres structures, comme les centres de formation. Je pense qu’on fait un travail complémentaire avec tous les centres de formation en France, pour amener chaque joueur et chaque joueuse par le meilleur chemin, au meilleur endroit, vers le plus haut niveau possible, que ce soit l’Équipe de France A, l’EuroLeague, la NBA, le basket mondial. Notre mission, c’est de former les jeunes et de les aider à concrétiser leurs rêves. Ça passe par beaucoup de travail.

Une des missions principales du Pôle France, c’est d’abord la détection. Et à mon poste de directeur, j’ai gardé un peu de travail de terrain, notamment sur la détection. Donc tout ce qui se passe en amont du Pôle France, à partir de 13 ans, on commence à évaluer les garçons et les filles susceptibles d’intégrer le Pôle. Sur la dernière année U15, juste avant leur arrivée ici, on a mis en place un parcours de formation, avec des étapes régionales, interzones, nationales, des semaines de détection… pour au final sélectionner entre 10 et 12 joueurs et joueuses par génération.

Mattéo : Justement, par rapport à ça, quels sont pour vous les critères pour intégrer le Pôle France ? Qu’est-ce que vous cherchez chez un jeune joueur ou une jeune joueuse pour qu’il ou elle arrive ici ?

Bernard Faure : Le plus difficile, et c’est pour ça qu’on est nombreux autour des terrains pour faire ces évaluations, ce n’est pas de détecter les plus performants à l’instant T, mais ceux qui seront les joueurs de haut niveau de demain. En fait, notre travail, c’est de détecter les garçons et les filles qui pourraient devenir des joueurs et des joueuses de l’équipe de France A. C’est notre première mission.

La deuxième, c’est d’assurer le renouvellement de l’élite : la Pro A chez les garçons, la Ligue Féminine chez les filles. On forme pour alimenter les clubs professionnels, mais aussi les équipes de France. C’est une mission de service public de la performance.

Mattéo : De manière générale, combien de jeunes vous observez chaque année ?

Bernard Faure : Pour la première phase de détection en U15, on voit 72 garçons et 72 filles. Au final, on va en retenir une dizaine dans chaque catégorie à la rentrée suivante. Ici, au total, on a 52 athlètes : 26 garçons, 26 filles, répartis sur trois années. On est censés les accompagner sur l’ensemble de ce cycle de trois ans.

Mattéo : Et une fois qu’ils sont ici, comment se structure une saison type au Pôle France ?

Bernard Faure : Les joueurs et joueuses sont répartis dans des groupes, et on définit deux équipes. Chez les filles, les plus jeunes jouent en Nationale 1 (le 3e niveau français), les plus expérimentées en LF2 (2ème division).
Chez les garçons, les premières années jouent en U18 Élite, et les deuxièmes et troisièmes années en Nationale 1. Ces championnats sont importants pour leur développement. Même si le résultat n’est pas une priorité, la compétition permet de grandir.

Autour de ces championnats, on structure toute la préparation : physique, technique, tactique. On y ajoute un accompagnement humain : préparation mentale, suivi individuel… et là, être à l’INSEP est un énorme avantage. On bénéficie des services spécialisés sur place.

Mattéo : Justement, vous avez parlé de la Nationale 1 et de la LF2… À quel point c’est un avantage, ou un défi, pour ces jeunes de jouer aussi tôt contre des adultes qui sont tous professionnels, ou presque ?

Bernard Faure : C’est clairement un avantage. Ils progressent plus vite, car ils sont confrontés à une adversité plus forte. C’est une forme de mise en difficulté, et on observe leur capacité d’adaptation. On perd plus souvent qu’on ne gagne, mais on leur explique que ce n’est pas l’essentiel. L’objectif, c’est qu’ils progressent individuellement, qu’ils apprennent à gérer la frustration, à garder le cap.

Ce qui est intéressant, c’est que lorsqu’ils reviennent dans leur catégorie d’âge, que ce soit en tournoi junior ou en équipe de France jeunes, ils sont souvent leaders, plus matures. On le voit à l’ANGT (EuroLeague U18), où on performe régulièrement. 

Bernard Faure a pendant longtemps été le coach des équipes masculines du Pôle France, qui jouent en U18 Elite et en Nationale 1. Crédit : INSEP

Mattéo : Vous avez évoqué tout à l’heure l’INSEP. Quelles sont, selon vous, les spécificités du travail de formation ici, par rapport à un centre de formation classique ?

Bernard Faure : Le principal avantage, c’est que tout est sur place. Un jeune en centre de formation doit souvent faire des allers-retours entre son internat, l’école, la salle… Ici, il dort, mange, s’entraîne, étudie, est soigné, tout au même endroit.

Les journées sont très denses, mais il n’y a pas de perte de temps ni de fatigue liée aux transports. Cette proximité avec tous les services fait de l’INSEP un lieu unique. Les centres de formation font du bon travail, on est complémentaires, mais cette unité de lieu est un atout énorme.

Mattéo : Est-ce que le fait d’être mélangé à d’autres disciplines sportives est aussi un enrichissement pour eux ?

Bernard Faure : certainement parce que le fait qu’ils soient un petit peu en « vase clos », c’est des choses qu’on peut nous reprocher aussi, de dire « mais ils ne sont pas dans la vraie vie, ils ne se rendent pas compte ce qui se passe à l’extérieur, si ce n’est quand ils vont jouer en compétition ». Même s’ils ont peu de temps pour échanger, ils peuvent observer des athlètes d’autres sports s’entraîner, parfois partager des ateliers. Rien que le fait de côtoyer les jeunes d’autres disciplines, des sportifs plus confirmés parce qu’il y a des pôles qui s’adressent à des professionnels ici, ne serait-ce que d’aller voir des athlètes s’entraîner, c’est intéressant pour eux.

Par exemple, à la fin de saison, quand les championnats sont terminés, certains vont faire du water-polo, de la boxe, de l’athlétisme avec des spécialistes. On fait aussi intervenir des préparateurs physiques d’autres disciplines. Tout cela nourrit leur développement.

On fait quelquefois aussi pendant la saison venir des préparateurs physiques, des athlètes notamment, pour vraiment compléter ce qu’on fait, me si nous on a des spécialistes physique aujourd’hui évidemment. Sur tout le travail de pieds et de vitesse notamment, ça nous aide vraiment. Si on était pas à l’INSEP on aurait pas accès a ça, ou en tout cas moins facilement. 

Mattéo : C’est sûr, ce serait plus compliqué en tout cas. Comme la plupart des joueurs sont mineurs, comment est organisé l’encadrement hors terrain ? Les jeunes sont-ils encadrés, surveillés ? 

Bernard Faure : Tous les jeunes sont logés à l’internat. Et donc, quand ils sont là-bas, sur cette unité-là, ils sont pris en charge par des gens qui sont responsables. Il y a des surveillants la nuit, des référents de vie, des animateurs. On essaie aussi de créer une vraie vie en dehors du sport : ateliers cuisine, musique, discussions… Il y a un vrai encadrement, avec des professionnels qualifiés. On veut qu’ils s’épanouissent, pas qu’ils soient simplement des sportifs en pension.

Mattéo : En parlant du cadre ici de l’INSEP hors entraînement, vous m’avez parlé de la scolarité. Comment ça se passe pour les basketteurs ?  Quels aménagements sont mis au place pour qu’ils puissent concilier, études, entraînement ?

Bernard Faure : C’est un point central, et on y travaille main dans la main avec l’équipe éducative. L’objectif est qu’ils réussissent scolairement tout en s’épanouissant dans leur vie de jeune.

Les cours ont lieu deux fois par jour : de 8h à 10h30 le matin, et de 14h30 à 16h15 l’après-midi. Il y a aussi des devoirs sur table le mercredi après-midi. Le vendredi matin est particulier puisque pour ne pas les couper de la vie extérieure, ils prennent un bus à l’intérieur de l’INSEP qui les emmène sur les lycées, qui sont en fait les lycées supports de nos classes ici, parce qu’autant sur les autres jours ce sont des profs des lycées qui se déplacent pour faire la scolarité à l’intérieur même des murs de l’INSEP.

Le vendredi matin, c’est l’inverse, ils vont dans leur lycée support à Saint-Maur, à Vincennes, ils sont tout à côté, et ils sont remis dans une classe « normale » avec des lycéens « lambda », et il y a cette proximité, cet échange qui se fait aussi avec des jeunes qui sont un petit peu différents d’eux, mais pas tant que ça finalement, parce que nous on oublie souvent que ça reste que des jeunes ado. 

Mattéo : Ils arrivent très jeunes ici. Est-ce que l’éloignement familial est difficile à gérer pour eux ?

Bernard Faure : Oui, forcément. Certains étaient déjà dans un Pôle Espoir avant, donc ils ont quitté la maison très tôt. Mais ici, on fait en sorte qu’ils soient bien accompagnés. Être coach ici, ce n’est pas juste entraîner, c’est aussi les accompagner dans leur vie d’adolescent, les rassurer, prendre le relais de la famille.
Et ça, on le fait aussi en lien avec les familles.

Mattéo : Vous avez justement des contacts réguliers avec les familles ?

Bernard Faure : Oui, et de plus en plus. Quand j’étais coach, j’en avais déjà beaucoup. En tant que directeur, c’est même une de mes missions principales. Il faut faire passer des messages, expliquer que leur enfant n’est pas le seul, qu’on en accompagne une cinquantaine d’autres. Il faut aussi tempérer les rêves.

Tout le monde rêve de haut niveau, mais la réalité, c’est que très peu y arrivent. En revanche, on est à 100 % de réussite au bac depuis plus de dix ans, et ça, c’est une vraie plus-value. Donc on explique, on écoute, on remet les choses en perspective sans briser les espoirs. C’est un dialogue constant avec les familles.

Mattéo : On sait que la question de la santé mentale est primordiale aujourd’hui dans le sport. Notamment avec la pression et les grosses attentes qui peuvent peser sur ces jeunes joueurs à la sortie de l’INSEP. Est-ce que le Pôle France travaille sur l’accompagnement psychologique, avec des préparateurs mentaux par exemple ?

Bernard Faure : Alors, il y a ce qu’on fait de base, c’est-à-dire le suivi normal pour tout athlète dans une structure comme l’INSEP. Les psychologues de l’INSEP font des entretiens réguliers avec chacun d’eux. Et on est en train de développer des choses. Certaines ont déjà commencé et on va les renforcer l’an prochain, et dans les années à venir, avec des collègues, ou même des basketteurs ou anciens basketteurs, qui ont suivi des formations spécifiques, en anglais notamment. Ils ont obtenu des diplômes et vont venir en appui.

On aura un référent par collectif, quatre personnes en tout, qui viendront régulièrement, deux jours par mois, pour voir et échanger avec tous les athlètes du Pôle. Ça nous permettra aussi d’avoir un regard complémentaire à celui des coachs, qui sont sur le terrain au quotidien et peuvent parfois manquer de recul. L’objectif, c’est de vraiment individualiser cet accompagnement mental, qui est devenu essentiel.

Mattéo : Aujourd’hui, les centres de formation français font face à une fuite de talents vers les universités américaines, notamment pour jouer en NCAA. Est-ce que vous êtes concernés par ce phénomène ? Est-ce que ça vous inquiète ?

Bernard Faure : Oui, bien sûr. On est logés à la même enseigne que les clubs : on vit cette fuite. Aujourd’hui, on arrive à recruter les joueurs et les joueuses qu’on souhaite, à l’issue de la semaine de détection. Mais on sent bien, surtout chez les garçons, qu’ils veulent sortir avant la fin du cursus, parce qu’ils se sentent prêts à passer pro, ou attirés par les États-Unis. Avec les chiffres qu’on entend, c’est dur de lutter.

On essaie d’en parler avec les familles : oui, l’argent est un argument, mais les meilleurs endroits pour progresser au basket et peut-être gagner plus dans le futur, ce n’est pas forcément là-bas. Finir sa formation ici et partir jouer en Pro B, puis dans une équipe de Pro a, avant de partir éventuellement à l’étranger, notamment en NBA, c’est souvent plus formateur. Mais si on ne mutualise pas nos ressources, on ne pourra pas lutter longtemps.

La FIBA y travaille, la Fédération aussi, mais on reste face à un système partculier dans le basket avec la NBA, qui est omniprésente. Dans d’autres sports, en tout cas d’autres sports européens, ça n’existe pas. Donc il faut qu’on trouve des réponses collectives.

Mattéo : Est-ce que les joueurs sont “libres” de partir quand ils veulent ? Ou est-ce qu’ils doivent rester trois ans au Pôle France ?

Bernard Faure : Ils signent une convention imposée par le ministère, qui encadre les droits et devoirs de chaque partie. Nous, on s’engage à leur fournir les meilleures conditions pour progresser. En retour, ils s’engagent à suivre la scolarité, participer aux entraînements et aux compétitions.

Mais dans les faits, certains veulent sortir avant. On ne peut pas les retenir contre leur gré. Donc on discute avec eux, on leur propose un projet, on voit s’il est préférable de sortir au bout de deux ans, parfois oui. C’est arrivé avec Evan Fournier qui a fait deux ans, Noah Penda récemment a fait deux ans.

Mais parfois, certains veulent partir contre l’avis de la Fédération. Dans ces cas-là, le DTN peut intervenir. Et si la Fédération estime qu’elle a engagé des frais pour former ce joueur, elle peut demander une compensation. Ça reste rare, car on sait qu’on ne peut pas aller contre la volonté du jeune. En échange, on exige au moins que ces joueurs là reviennent en sélection quand on les appelle. C’est la moindre des choses.

Pour l’instant, ça se passe plutôt bien. C’est pour ça qu’il faut mettre de la proximité aussi avec les familles. La relation de confiance, c’est important pour nous.

Bernard Faure a côtoyé la grande majorité des meilleurs joueurs français, que ce soit au Pôle France ou dans les Equipes de France jeunes. Crédit : FIBA

Mattéo : Selon vous, qu’est-ce qu’un passage réussi ici, au Pôle France ?

Bernard Faure : Un passage réussi, c’est quelqu’un qui a exploité son potentiel, qui a progressé, qui est devenu un jeune homme ou une jeune femme. Ils arrivent ici en étant encore des adolescents, et l’idée, c’est qu’ils repartent grandis. Et donc, la preuve de ce que j’avance, c’est qu’est-ce qui fait quand il sort ? Est-ce qu’il devient un professionnel ? Alors, je n’ai pas de statistique, mais la majeure partie des joueurs qui sont passés chez nous, sont devenus professionnels. Donc, quelque part, c’est une réussite

Maintenant, si ils n’étaient pas passés par chez nous, ils auraient peut-être eu la même réussite. Certains jeunes, notamment chez les filles, même en passant chez nous, on privilégié des études de haut niveau, donc on laissait un peu le basket de côté. Et certaines sont devenues médecins, on en au une qui est partie aux États-Unis pour être dans une franchise NBA en tant que responsable des data, par exemple. Donc, je pense que c’est une réussite aussi

Donc oui, c’est une réussite. Peut-être que pour certains, finalement, le basket n’était pas leur priorité. Mais ils se sont épanouis ici, ils ont compris des choses. C’est ça qu’on veut. 

Mattéo : Avec toutes les contraintes du haut niveau, il y en a sûrement certains qui se rendent compte en cours de route que ce n’est pas pour eux ?

Bernard Faure : Bien sûr. Les rêves qu’on a à 14-15 ans ne sont pas toujours les mêmes à 18-19. L’essentiel, c’est d’être bien dans sa peau et de trouver sa voie. Certains arrêtent, d’autres continuent différemment. Mais s’ils sont heureux dans leur parcours scolaire ou professionnel, alors c’est une réussite aussi.

Mattéo : Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vous tromper complètement sur un profil ? De recruter un joueur ou une joueuse qui, finalement, ne correspondait pas du tout ?

Bernard Faure : Oui, ça peut arriver. En général, à la fin de la première année, on réoriente 2 ou 3 jeunes vers les centres de formation. D’abord parce qu’on n’a pas de place pour tout le monde, car on en prend entre 10 et 12 chaque année, pour un maximum de 26 par catégorie. Ensuite, parce que parfois, sportivement, ça n’avance pas aussi vite qu’on l’espérait.

Chez les garçons, la marche entre la première et la deuxième année est haute : on passe de U18 à la Nationale 1. Il faut tenir physiquement, mentalement. La plupart des garçons qui nous quittent au bout d’un an, au bout de 3 jours, ils vont trouver un centre de formation et ils s’épanouissent à leur vitesse dans des championnats moins exigeants, et au final, la plupart d’entre eux arrivent à être des joueurs professionnels. Chez les filles, c’est un peu pareil, même si la densité est un peu moindre.

Mais globalement, ce sont rarement des échecs. Quelques profils, à la marge, ne s’adaptent pas au fonctionnement du Pôle France, ici à l’INSEP, à cette vie “enfermée” entre quatre murs. Et puis, quelques fois, mais vraiment, vraiment, vraiment à la marge, on se rend compte que oui, ça n’avance pas assez vite et que finalement, peut-être on s’est trompé en faisant confiance à quelqu’un parce que ça reste de l’humain et ça reste des jeunes. 

Mattéo : Et pour ceux qui ne sont pas retenus à l’entrée, c’est une grande déception ?

Bernard Faure : Oui, forcément. Beaucoup rêvent de venir ici au Pôle France. Quand on leur dit non, c’est dur à entendre. Mais souvent, ils rebondissent dans les centres de formation, et on les retrouve en équipe de France jeunes. Les parcours sont différents, mais au final, c’est cette complémentarité qui fait la force du système français. Et aujourd’hui, tout le monde nous envie cette formation.

Mattéo : Quels sont, selon vous, les axes de progression prioritaires du Pôle France pour les années à venir ?

Bernard Faure : Tout ce qui tourne autour de l’accompagnement humain. On est encore au début de ce travail-là, mais je pense que dans les prochaines années, ça va nous faire changer de catégorie. Ensuite, il y a le renforcement des équipes qui encadrent au quotidien : plus d’entraîneurs, plus de préparateurs physiques, plus de spécialistes pour individualiser encore davantage le travail.

Côté médical, on est déjà très bien suivis, l’INSEP est un mini-hôpital, mais on peut toujours faire mieux. Et puis il nous faudrait un terrain supplémentaire. Aujourd’hui, on a deux terrains pour quatre équipes. On a aussi la bulle de 3×3 qui nous aide beaucoup, mais un troisième terrain permettrait d’adapter encore mieux les horaires, les volumes, les besoins individuels.

Mattéo : Justement, vous avez parlé des terrains de 3×3. Est-ce que le 3×3 fait partie des chantiers du Pôle France ? Est-ce qu’il a sa place ici ?

Bernard Faure : Avant les JO de Paris, il avait été question d’installer un Pôle 3×3 à l’INSEP, mais pas dans le Pôle France Basket, plutôt à côté, avec des profils différents. Ça ne s’est pas fait, pour des raisons budgétaires et parce que le timing était un peu court. Aujourd’hui, le Pôle 3×3 n’existe pas encore, mais l’idée reste dans les cartons de la Fédération. Peut-être que ça se fera à l’approche des JO de Los Angeles.
Nous, en tout cas, on utilise déjà le 3×3 comme outil pédagogique, comme outil de développement. Mais cette discipline a ses spécificités. À terme, il faudrait un Pôle dédié.

Mattéo : Plus personnellement maintenant, quel est votre plus beau souvenir ici, au Pôle France ?

Bernard Faure : L’un de mes meilleurs souvenirs, c’est le jour où on m’a proposé de venir ici. Je tournais un peu en rond dans mon métier de prof, je me demandais de quoi l’avenir serait fait. Et pour moi, venir à l’INSEP, au Pôle France, c’était quelque chose d’extraordinaire. Tout le monde en parle avec admiration, et c’est justifié.
Après, bien sûr, il y a eu les titres avec les équipes de France jeunes : champions d’Europe avec les U16, les U17… Ce sont des moments très forts. Dix ans après, quand je recroise ces joueurs, il y a une histoire entre nous.

Et aujourd’hui, en tant que directeur, je retiens surtout les échanges avec les familles. Moi même je suis père de famille d’un garçon qui est dans le basket, qui a fait une filière aussi de sportif jeune de bon niveau, qui est est entraîneur aujourd’hui, donc je sais de quoi je parle, en tant que parent aussi, c’est souvent ce que je leur dis. Je peux savoir ce que vous éprouvez quand on dit à votre enfant, non, l’INSEP, ça sera trop dur pour toi, tu peux pas y aller, c’est ce que j’ai dit à mon fils.

C’est un des arguments que je mets en avant, je sais ce qu’on peut éprouver, et ce qu’il faut c’est accompagner votre fils, votre fille quand c’est un échec, pour grandir et puis pour se servir de l’échec. On dit souvent que les échecs font grandir, je pense que oui. Donc quand je dis ça aux parents, j’explique un petit peu mon histoire, comme ça, en leur disant que je peux comprendre ce qu’ils vivent, mais si vous, les parents, vous lâchez votre enfant, c’est fini. Donc à vous de trouver les mots, les arguments, nous on peut vous accompagner, mais vous, vous êtes les parents.

Mattéo : C’est sûr que c’est essentiel. Et dix ou quinze ans après, vous voyez encore des anciens du Pôle jouer en Pro A, en Europe…? 

Bernard Faure : Bien sûr. Aujourd’hui, dans chaque équipe de Nationale 1 ou de LFB qu’on affronte, il y a un ou deux anciens du Pôle France. Certains ont une belle carrière, d’autres vivent juste du basket à un niveau correct. Mais ils vivent de leur passion. Et ça, c’est déjà une réussite.

Bernard Faure a été le coach de la majorité des réussite des EDF Jeunes ces dernières années. Ici médaillé d’argent de l’euro U16 en 2019, avec notamment Victor Wembanyama, Ousmane Dieng, Armel Traoré ou encore Maxime Raynaud. Crédit : Basket Europe

Mattéo : Depuis que vous êtes là, depuis 2005, quels sont les joueurs qui vous ont le plus impressionné ?

Bernard Faure : C’est une question difficile… Je vais surtout parler des garçons, parce que c’est ceux dont je me suis principalement occupé. Il y en a deux qui m’ont vraiment marqué, mais pour des raisons différentes.
Le premier, c’est Geoffrey Lauvergne. Il est né en 1991, donc c’est une des premières générations que j’ai eu ici. Il a passé quasiment ses deux premières années blessé, mais il m’a impressionné par sa capacité à rebondir à chaque fois, par sa résilience.


Le deuxième, c’est Evan Fournier. Ce qui m’a marqué chez lui, c’est son éthique de travail. Il est arrivé ici en sachant qu’il voulait faire du haut niveau. Et il s’est donné les moyens d’y parvenir. Aujourd’hui, beaucoup disent vouloir faire du haut niveau, mais ne réalisent pas ce que ça implique vraiment.
Evan, lui, il savait pourquoi il était là. Il avait des objectifs clairs, et il a mis en place tout ce qu’il fallait pour y arriver. Ça, ça m’a marqué.

Mattéo : Aujourd’hui, tous les jeunes parlent de la NBA. C’était déjà le cas à l’époque ?

Bernard Faure : Non. À l’époque, même pour Evan, on ne parlait pas encore de NBA. Il a fait une grande carrière, mais ce n’était pas aussi omniprésent qu’aujourd’hui. Maintenant, tous les jeunes qui rentrent ici disent vouloir aller en NBA. Même ceux qui ne le disent pas, on sent que c’est dans un coin de leur tête.

Mattéo : Et cette année encore, plusieurs anciens du Pôle France sont les plus gros prospects français. Nolan Traoré, Noa Essengue, Noah Penda. Même Maxime Raynaud, qui n’est pas passé par l’INSEP mais que vous avez coaché en jeunes.  Vous pouvez un peu nous parler d’eux ?

Bernard Faure : Oui, tous ces garçons là, je les ai eus très tôt, en U16. Quand je les vois aujourd’hui à la porte de la draft, je mesure le chemin qu’ils ont parcouru.

Ce que les gens oublient souvent, c’est comment ils étaient à 15 ans. Moi-même, parfois, j’oublie. Je me souviens de Victor Wembanyama quand je l’ai eu en Equipe de France jeune, il avait 15 ans. Ce n’était pas le même qu’aujourd’hui. Bien sûr, il avait des qualités extraordinaires, mais il n’était pas encore dominant.

Pareil pour Maxime Reynaud. Quand il a fait l’Euro U16 avec moi, il était 12e joueur, au bout du banc. Il était encore à Charenton, il s’entraînait deux ou trois fois par semaine. Il a fallu lui expliquer pourquoi il jouait peu, en parler avec ses parents.
Cette équipe là avait un potentiel incroyable. Je crois même que c’était la plus grande équipe jamais alignée par la France chez les jeunes. On a perdu en finale, mais on savait que plusieurs de ces joueurs iraient très haut.

Noah Penda, je l’ai eu au Mondial à Malaga. On a fini 3e. Avec lui, avec Zaccharie Risacher , on avait une génération incroyable. Mais encore une fois, on peut avoir les meilleurs profils sur le papier, il faut quand même jouer, gagner, gérer la concurrence. Et parfois, l’adversaire est juste plus fort. Les Américains, les Espagnols chez eux… c’était le cas.

Zaccharie, on savait qu’il avait du potentiel, mais ce qu’il fait aujourd’hui, honnêtement, je suis bluffé. Et c’est ça qu’il faut qu’on arrive à trouver chez les joueurs en détectioncelui qui va progresser plus vite que les autres. Qui voit, qui comprend, qui s’entraîne plus dur c’est cela qu’il faut chercher.  Ce n’est pas le joueur qui est performant en U15, qui va tout allure, qui court partout, qui fait tout. Ce n’est pas celui qu’il faut trouver.

Mattéo : Justement, quel conseil vous donneriez à un jeune joueur qui rêverait de venir ici, au Pôle France, à l’INSEP ?

Bernard Faure : La première chose qu’il faut qu’il ait en tête, c’est qu’il faut qu’il travaille dur. Parce que tous les joueurs, tous les plus forts, ce sont ceux qui travaillent le plus. LeBron James, s’il joue encore à 41 ans… Steph Curry, 36 ans… Kevin Durant… Ce sont eux qui travaillent le plus. Donc un jeune joueur qui commence à performer dans son équipe, dans son championnat, pense souvent “je gère, je suis déjà bon, je n’ai pas besoin d’en faire plus”. C’est faux. Il faut travailler.

Et une fois qu’on a dit ça, il faut aussi savoir gérer la concurrence. On revient aux aspects mentaux. Si vous n’êtes pas fort dans votre tête, vous n’y arriverez pas. Tout le monde veut prendre votre place. La NBA, tous les gens dont on vient de parler, ils sont là depuis combien d’années ? Combien sont juste passés ? Combien ne font même pas un an ?

Le vrai joueur NBA, c’est celui qui dure 4 ou 5 ans. On ne parle même pas des stars qui restent dix ans. Alors vouloir y aller pour six mois… je ne sais pas si ça vaut le coup. Peut-être financièrement, oui.
Mais pour y rester, il faut du travail, de la dureté mentale, accepter la concurrence. Parce que des joueurs, il y en a partout.

Nous, ce qu’on essaie de dire à nos joueurs, c’est que chaque jour à l’entraînement, il faut essayer de faire mieux que la veille. Mais c’est dur, parce qu’ils sortent de l’école, il faut qu’ils switchent tout de suite, donc on leur demande énormément. Il faut qu’ils soient vraiment préparés à ça, et que progressivement, sur les trois années qu’ils passent ici, on les sente monter en compétence.

Et j’ai envie de dire : ceux qui échouent, ce n’est pas le bon mot, mais ceux qui ne vont pas aussi haut qu’on l’aurait espéré, c’est souvent pour ces raisons-là. Soit c’est quelqu’un qui a pensé que le talent suffisait. Soit c’est quelqu’un qui n’a pas su gérer la concurrence, ni la frustration quand un autre lui passe devant. Gérer la frustration, gérer ses émotions, gérer le stress. Parce que ça, la compétition va l’amener. La concurrence va l’amener.

Mattéo : Dans ce sens, j’imagine qu’à ce niveau-là, il n’y a que des très, très bons joueurs, et que ça se joue plus dans la tête que sur le terrain, non ?
Bernard Faure : Oui. Et parfois, on se sépare de certains joueurs au bout d’une année, justement parce qu’ils dominaient dans leur Pôle Espoir. Puis ils arrivent ici, et ils se retrouvent face à des gens aussi bons, voire meilleurs… et ils n’arrivent pas à le gérer.

Alors il faut qu’ils retrouvent une autre structure, où ils seront peut-être un peu plus… “confortables”, même si dans le sport, on ne l’est jamais. Mais où ils pourront redevenir dominants dans leur équipe pour avancer à leur rythme.
Ça prendra peut-être plus de temps. Et peut-être qu’ils n’iront pas jusqu’au très haut niveau. Mais en tout cas, ce sont des choses qu’on constate encore cette année.

Mattéo : Et enfin, dernière question, un peu plus légère : dans la promotion actuelle du Pôle France, est-ce qu’il y a un joueur ou une joueuse dont il faudrait vraiment retenir le nom ?

Bernard Faure : Chez les filles, je pense à Mademoiselle Sarah Cissé, qui va jouer l’année prochaine à Montpellier. Ce sera une très forte joueuse. Je ne serais pas surpris que dans un futur assez proche, elle soit pas loin de l’équipe de France.

Chez les garçons, en partant, je citerais Hugo Yimga Moukouri, un 2008 qui aurait pu rester chez nous encore un an, mais qui a souhaité sortir. On a jugé qu’il était prêt. Il va jouer à Nanterre l’année prochaine, et je suis sûr que le coach va le faire jouer. On peut penser que lui aussi, même si chez les garçons le processus est parfois un peu plus long, ira très loin.

Je mettrais aussi une petite pièce sur Nathan Soliman, qui reste encore avec nous l’année prochaine. Il est 2009, et il a tous les atouts pour être un joueur exceptionnel.
Et puis Cameroun Houindo, pareil : lui aussi est 2008, il aurait pu rester encore un an, mais il a souhaité partir. Il a tout pour être un joueur de très haut niveau.

Dans cette génération-là, je pense vraiment qu’on va avoir de vraies satisfactions. Je pourrais en citer d’autres, mais ceux-là valent le coup d’œil. Ce sont des noms qu’on reverra, je pense.

Merci à Bernard Faure, directeur du Pôle France basket de l’INSEP, pour son temps et ses réponses !

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