Sandrine Gruda. Crédit : Icon Sport

Sandrine Gruda, une légende sous les radars

Il existe des carrières sportives dont le palmarès est indéniable, mais dont la reconnaissance médiatique demeure en deçà de l’exploit réalisé. Sandrine Gruda est l’exemple parfait : une icône du basket féminin européen dont le parcours, de ses débuts en France aux compétitions internationales, s’étend jusqu’à une aventure en WNBA.

La star européenne

Sandrine Gruda s’est révélée très tôt comme un talent majeur du basket féminin français et européen. Née en 1987 à Cannes, elle débute sa carrière professionnelle à seulement 18 ans, en 2005, au sein de l’US Valenciennes Olympic. Ce club est à l’époque un pilier du basket français, avec une réputation établie en Europe, notamment grâce à son titre d’Euroligue en 2002. Intégrer une équipe aussi prestigieuse à cet âge témoigne déjà de la confiance placée en elle.

Rapidement, Gruda impose son gabarit et ses qualités techniques. À 1,93 m, elle possède l’envergure idéale pour le poste 5, mais ce qui la distingue est sa polyvalence : capable de tirer à mi-distance, de se déplacer avec fluidité, elle dépasse le simple rôle de pivot traditionnel. Ses statistiques en EuroLeague Women confirment cette évolution. Lors de la saison 2012-2013, elle tourne à 14,3 points et 6,4 rebonds par match, avec une adresse remarquable de 54,5 % aux tirs, faisant d’elle l’une des joueuses les plus efficaces du circuit.

J’ai toujours su que je voulais mettre toute mon énergie dans le basket. » – Sandrine Gruda, interview pour ÀBLOCK!, avril 2022, évoquant sa passion héritée de son père Ulysse Gruda, ancien international français

En 2007, elle quitte la France pour rejoindre l’UMMC Ekaterinbourg, club russe qui règne en maître sur le basket féminin européen. Là, elle s’impose sur la scène continentale en remportant trois titres d’EuroLeague (2013, 2016, 2018) et neuf championnats nationaux, un palmarès qui la place parmi les joueuses européennes les plus titrées de son époque. Ce succès collectif s’accompagne d’une reconnaissance individuelle : Gruda est régulièrement désignée dans les meilleures équipes de la compétition, et son nom revient dans les discussions autour des meilleures pivots d’Europe.

Sandrine Gruda à porté pendant 9 ans le maillot du club russe d’Ekaterinbourg, où elle s’est faite remarquée au plus haut niveau européen. Crédit : Stéphanie Para

Parallèlement à sa carrière en club, son rôle dans l’équipe de France est central. Elle est l’une des piliers de la « génération dorée » (Parker, Dumerc,…) qui transforme les Bleues en une équipe redoutable sur la scène internationale. Ses 3 128 points en 219 sélections en font la meilleure marqueuse historique des Bleues. Elle est l’une des patronnes du parcours lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, où la France décroche la médaille d’argent. Sur ce tournoi, elle maintient une moyenne de 14,3 points et 6,3 rebonds par match.

Son palmarès international inclut également une longue liste de médailles, notamment une deuxième médaille Olympique avec le bronze obtenu lors des JO 2020 de Tokyo. Elle est multiple récompensée à l’EuroBasket, avec un titre en 2009, des argents en 2013, 2015, 2019, 2021, et le bronze en 2019 et 2021. Cette constance démontre non seulement son talent, mais aussi son endurance et sa capacité à performer sur plus de dix ans au plus haut niveau.

Malgré son immense parcours et son statut de meilleure marqueuse de l’histoire des Bleues, Sandrine Gruda n’a pas été retenue pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. Cette décision, annoncée en mai 2024 par le sélectionneur Jean-Aimé Toupane, a surpris et touché profondément la joueuse, qui envisageait de conclure sa carrière internationale sur cette ultime compétition à domicile. Dans une interview, Gruda a confié avoir été « choquée » par cette non-sélection, regrettant de ne pas pouvoir porter une dernière fois le maillot bleu face au public français.

La tentative américaine : l’expérience WNBA

La transition vers la WNBA, souvent perçue comme l’ultime étape pour les meilleures joueuses mondiales, a été pour Sandrine Gruda un défi à double tranchant. Draftée en 2007 en 13e position par le Connecticut Sun, elle n’intègre la ligue américaine qu’en 2008, après plusieurs saisons réussies en Europe. Elle reste toutefois en contrat avec Ekaterinbourg puis d’autres clubs européens, la saison WNBA se déroulant durant l’été, quand les autres championnats sont terminés. Ce retard s’explique en partie par le calendrier compliqué entre les saisons européennes et américaines, mais aussi par une stratégie personnelle privilégiant d’abord la stabilité en club et en équipe nationale.

Sa carrière en WNBA s’étale sur plusieurs saisons non consécutives, principalement entre 2008 et 2017, au sein du Connecticut Sun puis des Los Angeles Sparks. En tout, elle dispute 143 matchs de saison régulière, avec des statistiques moyennes de 6,9 points et 4,4 rebonds en 17 minutes de jeu. Ses meilleures performances sont enregistrées en 2010, avec 11,5 points et 5,1 rebonds de moyenne. Au total, elle inscrit 1008 points, faisant d’elle la française la plus prolifique de la ligue américaine. 

Jouer (là-bas) m’a permis de progresser à tous les niveaux, que ce soit dans le jeu défensif ou offensif, dans la récupération, etc. Je suis devenue meilleure et j’ai appris à prendre de la hauteur sur tout. » – Sandrine Gruda pour L’Equipe

Si Gruda n’a jamais été une star de la ligue, elle s’est affirmée comme une joueuse fiable et polyvalente, capable de contribuer dans des rotations d’équipes souvent très compétitives. En 2016, elle fait partie de l’effectif des Los Angeles Sparks sacrées championnes WNBA, devenant ainsi la seule Française à avoir remporté ce titre prestigieux. Son rôle est toutefois extrêmement limité, ne jouant seulement 17 minutes pour un petit point marqué sur les 9 matchs de Playoffs. 

J’ai ressenti beaucoup de joie parce que je joue en WNBA depuis 2008 et gagner un titre dans cette ligue a toujours été un objectif. […] Je suis également très fière de pouvoir ouvrir la voie à d’autres jeunes, à d’autres joueuses qui pourraient avoir envie de faire carrière aux États-Unis et de gagner un titre là-bas. » – Sandrine Gruda pour WomenSport.

La difficulté pour les joueuses européennes à pleinement s’imposer dans la WNBA est une réalité. La courte durée de la saison américaine (une dizaine de semaines pour à peine 40 matchs) combinée à l’intensité physique extrême rend la transition difficile, surtout quand il faut enchaîner avec une saison européenne longue et des obligations internationales. Gruda l’a souvent expliqué dans ses interviews : « La WNBA, c’est intense, court, et très physique. Quand on sort d’une saison russe à 50 matchs et qu’on enchaîne, c’est très dur », expliquait-t-elle dans L’Équipe en 2017.

Ce choix de privilégier la carrière européenne et l’équipe de France a peut-être limité sa visibilité outre-Atlantique, mais il lui a permis de construire une carrière solide et équilibrée, en phase avec ses valeurs et ses objectifs.

Sandrine Gruda est la seule française championne WNBA, sous les couleurs des Los Angeles Sparks, mais elle n’aura jamais vraiment su s’y imposer. Crédit : Basket Europe

Entre reconnaissance et invisibilité

Avec l’annonce de sa retraite en avril 2024, après les JO de Paris, Sandrine Gruda tourne la page d’une carrière d’exception, riche de titres et de records. Pourtant, malgré son palmarès impressionnant et son rôle majeur dans le succès du basket féminin français, elle reste une figure relativement discrète, souvent sous-estimée dans l’imaginaire collectif du sport national. Comment expliquer ce manque de visibilité, alors que son impact est indéniable ?

Gruda, ce n’est pas seulement la meilleure marqueuse de l’histoire de l’équipe de France féminine. C’est aussi une athlète qui a su s’imposer durablement dans un sport en pleine évolution, incarnant la transition entre l’ancienne génération et celle d’aujourd’hui. Sa longévité au plus haut niveau, sa constance dans les performances, ainsi que sa capacité à porter plusieurs équipes européennes vers les sommets (notamment Ekaterinbourg, avec qui elle a remporté trois EuroLeague) témoignent d’une résilience rare.

Pourtant, son parcours est marqué par une relative absence des projecteurs. La médiatisation du basket féminin en France reste globalement faible, avec une couverture souvent limitée aux grands événements comme les Jeux Olympiques ou les championnats d’Europe. Cette situation a été renforcée par le fait que Gruda n’a jamais cherché à se transformer en figure médiatique ou à alimenter une image de star à tout prix. Plutôt que de briller par des déclarations ou des coups d’éclat, elle a choisi la stabilité et la fidélité à ses équipes, dans un univers où le storytelling et la visibilité comptent parfois plus que les résultats sur le terrain.

J’ai marqué l’histoire du basket et je pars l’esprit tranquille. » – Sandrine Gruda pour Ouest-France

Dans cette logique, sa carrière en WNBA, bien que respectable, n’a jamais été au centre de son récit. Préférant la continuité en Europe et les engagements avec l’équipe de France, elle a fait un choix de carrière qui lui a peut-être coûté une reconnaissance plus large à l’international, mais qui a assuré sa place dans l’histoire du basket européen.

Le manque de reconnaissance en France trouve sans doute aussi son origine dans le fait qu’elle a très peu joué en France. la majeure partie de sa carrière, elle l’a passé loin des parquets de notre championnat. Que ce soit en Russie a Ekaterinbourg (9 saisons) ou en Italie dans le club du Familia Schio (4 saisons), elle a toujours  été loin. Et cette distance, dans des championnats très peu couverts en France, l’a éloignée des projecteurs de son pays quand elle n’étais pas en équipe nationale. 

Gruda à été une des taulières de l’Equipe de France pendant de nombreuses années. Crédit : Icon Sport

Aujourd’hui, à l’heure de sa retraite, le regard porté sur Sandrine Gruda évolue. Elle est reconnue par ses pairs, les coachs, et les spécialistes comme une pièce maîtresse du succès du basket féminin français. Jean-Aimé Toupane, sélectionneur des Bleues, résume bien ce sentiment : « Sandrine est un repère, une garante de notre identité. Son impact dépasse largement les chiffres et les titres. ».

Son héritage est là, immense. Gruda a pavé la voie pour les Marine Johannès, Gabby Williams ou Iliana Rupert. Elle incarne une génération de joueuses qui ont porté le basket féminin français au sommet sans en retirer les lauriers. Une légende de l’ombre, oui. Mais une légende, sans aucun doute.