Dans la tempête bretonne, un nouveau capitaine. Quand Thibault Wolicki a été nommé à la tête des Béliers de Kemper à l’été 2023, le club venait tout juste d’encaisser une douloureuse relégation en Nationale 1. Un coup dur pour un club qui sortait de cinq saisons dans l’antichambre de la Betlic Elite. Mais avec Wolicki, les dirigeants ont fait le choix d’un technicien jeune, ambitieux et qui a déjà connu l’expérience de la N1, puisque c’est lui-même qui avait mené l’ASLP au titre, lors de la saison 2022-2023.
Pourtant, au moment de relancer la machine en Nationale 1, le mot d’ordre du président Bernard Kervarec était clair, il ne faut pas précipiter les choses, et retrouver une dynamique saine, loin de la pression du résultat. Mais le coach nordiste nous a très vite fait comprendre qu’il était venu à Quimper pour que les Béliers jouent les premiers rôles que ce soit cette saison ou même déjà la saison passée. Quand d’autres coachs mettent plusieurs années à installer un projet de jeu autour d’une équipe, lui aura plié le travail en moins de 6 mois. Mais alors, c’est quoi la méthode Wolicki et pourquoi elle marche si bien ?
La défense : le point d’ordre du projet mené par le tacticien nordiste

Contrairement aux approches défensives plus conservatrices, Wolicki fait le choix de l’initiative et de la provocation. Il ne s’agit pas juste de « bien défendre » ou de se fixer un objectif de points à encaisser, son projet est bien plus radical, et on le sent dès que l’on observe les Quimpérois sur un parquet. Ils transforment chaque possession défensive en une phase de domination active.
Cela se traduit dès la remise en jeu, où l’on voit régulièrement le meneur Antoine Dudit exercer une pression intensive sur son homologue adverse. Dans le cas du match face au TSB Le Havre, si en effet cette pression réalisée sur l’expérimenté Thibault Desseignet n’avait pas produit un nombre de pertes de balle important, elle faisait perdre systématiquement entre 6 et 10 secondes de préparation aux Havrais lorsqu’elle était réalisée. Des secondes toujours extrêmement importantes lorsqu’il s’agit de mettre en place un système.
Un autre grand principe de la défense quimpéroise sous Thibault Wolicki, c’est sa capacité à manipuler les choix offensifs adverses. L’objectif n’est pas simplement de stopper l’adversaire, mais de l’inciter à jouer avec ses pièces les moins menaçantes, en le piégeant dans ses propres faiblesses. Ne pensez pas qu’un meneur créatif ou qu’un bon combo guard aura des libertés sur le parquet. Le plan de jeu visera systématiquement à le faire déjouer en le faisant déclencher dans les pires conditions.
Cela se traduit donc tout d’abord par une prise en chasse dès la remise en jeu. Ensuite le premier écran est contesté très, très haut et ça provoque un switch presque instantané pour casser une deuxième fois le rythme de l’attaque. Derrière les situations de mistmatch sont très bien gérées également. Quand un intérieur se retrouve sur un poste 1, il garde une certaine distance avec ce dernier.
Pendant ce temps, les postes 3 et 4, qui sont bien souvent des joueurs réputés pour leur défense, sont extrêmement mobiles, ils sont tout aussi prêts à fermer en cas de pénétration du guard, qu’à effectuer une prise à deux, si l’intérieur qui a le mistmatch reçoit le ballon près de la raquette, que de contester leur vis-à-vis direct sur les passes latérales de leur meneur. Au final aucune solution n’est vraiment la bonne et ce guard va prendre des shoots dans des positions assez inconfortables et va se retrouver avec une adresse beaucoup plus basse qu’ordinairement.
Les récents exemples notables de cette perturbation ont concerné une nouvelle fois Le Havre et son meneur Thibault Desseignet qui a terminé la partie à seulement 2 petits points avec un pourcentage inférieur à 15%, lui qui tourne ordinairement à 9,9 points. La performance la plus marquante avait été celle face à Jazzmar Ferguson, en effet le combo guard de Saint-Vallier, meilleur réalisateur de la N1 cette année, avec 17,8 unités de moyenne avait réalisé un match absolument catastrophique devant son public, avec seulement 5 points et 20% au shoot.
Mais bien évidemment, ce ne sont pas les seuls qui ont vu leur adresse s’écrouler lors d’un rendez-vous face aux Quimpérois. Parmi les gros noms de la N1, on peut retrouver Yanik Blanc (3/10), l’explosif Darhius Nunn (1 point à 0/9), ou encore, pour revenir un peu plus tôt dans la saison, le Tourangeau Hugo Bequignon (3/10). Ce système isole les joueurs et perturbe tout enchainement et plus généralement la simple circulation du ballon.
Si nous restons dans les grandes lignes, le dernier grand principe de Thibault Wolicki est l’utilisation de la zone 2-3. Elle a les mêmes impacts qu’une zone classique. La priorité étant de renforcer la peinture, car elle leur permet d’être déjà en position d’aide au lieu de devoir constamment permuter. Les joueurs sont déjà là où ils doivent être. Autre point fort de cette zone, c’est qu’elle ralentit considérablement le jeu. Face à des équipes qui aiment le jeu de transition, cela va les obliger à jouer sur un demi-terrain, et à construire plus pour trouver une bonne situation de shoot, ce qui va réduire le nombre de possessions par la même occasion.
Mais en réalité, la zone de Thibault Wolicki est particulière car elle ne s’applique pas à des situations précises, elle s’applique presque à tous les matchs et à des périodes régulières, à la fin des 1ers, 2èmes et parfois 3èmes quarts-temps. Pourquoi cette utilisation ? C’est vraisemblablement pour éviter la perte de rythme sur les rotations de fin de quarts-temps, tout simplement. La zone c’est avant tout une défense très active qu’on ne peut pas appliquer durant tout un match. Mais pendant ces périodes, cela va littéralement réduire le risque d’encrassement défensif.
Le pari de la liberté offensive : une approche très rare en Europe

Les équipes professionnelles européennes sont souvent vues comme très structurées et rigides tactiquement. Les coachs misent souvent sur des systèmes précis et appliqués à la lettre pendant chaque match. Chaque possession est pensée comme une séquence codifiée, où le rôle de chaque joueur est millimétré. Le coach quimpérois aurait pu choisir cette sécurité et cette rigidité dès son arrivée.
Mais dans un contexte où le club venait tout juste de descendre en N1, avec un effectif à reconstruire et une identité à redéfinir, Thibault Wolicki a préféré poser d’autres bases. Plutôt que d’imposer un cadre figé, il a choisi de responsabiliser ses joueurs en leur laissant une part importante de liberté offensive. Une stratégie qui n’est pas simple à mettre en place, car il faut un effectif stable, où un joueur ne se sent pas au-dessus du collectif, tout en gardant une réelle cohésion de groupe.
Le premier principe offensif commence dans la tête. La priorité passe par la compréhension du jeu et donc par son meneur. Il faut dire que cette année, Antoine Dudit s’est mué en véritable chef d’orchestre de cette équipe. Sa lecture de jeu et sa gestion du tempo ont été de lourds atouts sur lesquels les Béliers ont pu compter toute la saison, pour évoluer dans un climat de confiance.
Cette lecture de jeu d’Antoine Dudit et plus globalement de l’ensemble du groupe quimpérois est alimentée par une utilisation de la vidéo très minutieuse. Bien que ce travail soit réalisé dans l’ombre de tous, leur jeu nous permet de dire qu’ils étudient avec une grande précision quelques points faibles de toutes les équipes adverses. Après… ils forcent dessus tant que ça marche en essayant de faire craquer leur adversaire le plus rapidement possible. Il peut s’agir de joueurs moins dissuasifs sur les closes-outs, ce que l’on avait pu vérifier lors des deux matchs face à Tarbes-Lourdes, où Fabien Ateba et Tom Wiscart Goetz avaient été largement en difficulté.
Cela avait notamment profité au meilleur réalisateur quimpérois de la saison, Jamar Abrams auteur respectivement de 21 et 18 points face à cette équipe. On les a également vu cibler des intérieurs moins mobiles sur des pick & pop ou sur du simple spacing, et quel meilleur exemple que le match de Lucas Thévenard face à Tours. Il avait marché sur les pauvres Fabien Paschal et Abdel Kader Silla avec une performance à 31 points, 9 rebonds et 3 contres, peut-être la meilleure performance individuelle en N1 cette saison.
Mais les Quimpérois ont également pris l’habitude de cibler les mauvaises habitudes collectives, parmi elles, l’entraide excessive que les hommes de Thibault Wolicki avaient exploitée lors d’un derby face au CEP de Lorient, dans la 2ème partie de la 1ère phase. Des balles qui ont d’abord fusé vers les extérieurs vers les Noah Burrell ou les Hugo Dumortier, avant que ces derniers profitent des contre-temps de la défense lorientaise pour retrouver le géant Antoine Wallez , auteur de 26 points ce soir-là.
2ème précepte des offensives quimpéroises, le spacing, ou l’art de l’occupation du demi-terrain. L’utilisation de ce principe simple mais loin d’être inefficace nous permet de comprendre cette volonté de simplicité et de liberté offensive donnée par Thibault Wolicki. Parfois une simple et petite pénétration crée un décalage, s’en suit un jeu de passes rapides où l’on retrouve bien souvent les postes 3 en bout de chaines.
Cela peut paraitre anodin, mais il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour que les Quimpérois malmènent Saint-Vallier lors du match aller où pas moins de 18 tirs à longue distance étaient venus effleurer les ficelles du panier. Les postes 2/3 avaient excellé dans le corner, avec notamment le capitaine Noah Burrell (5/6 à trois points) ainsi que Jamar Abrams et Hugo Dumortier à respectivement 3/6 et 3/5 dans l’exercice.
L’arme du shoot longue distance est ce qui est recherché en premier dans les attaques quimpéroises et on le retrouve sur quelques systèmes plus ou moins utilisés comme le pick and pop et les différentes variantes de l’exit screen, pour libérer des options de catch-and-shoot rapide ou forcer un switch mal géré. Pour finir, les Béliers ont aussi leur lot de joueurs de 1 contre 1, des guards vifs et explosifs capables d’emballer des matchs mais aussi de prendre leurs responsabilités en fin de possession.
Nadyr Labouize est le premier nom qui vient en tête, un vrai feu follet qui est toujours compliqué à canaliser et à contenir sur un terrain. En sortie de banc, il apporte beaucoup d’énergie et utilise son premier pas foudroyant pour faire des différences. Et le deuxième nom, c’est bien entendu Benoit Injai, joueur du 5 majeur, il a une approche plus posée et peut-être plus cérébrale aussi. Il lit dans son vis-à-vis comme dans un livre ouvert et a peut-être également une plus grande panoplie en ce qui concerne ces choix de tirs. Pull-up, step-back, finition près du cercle… Il est certes parfois plus maladroit au shoot mais possède un véritable arsenal de guerre.
En repensant les fondations du jeu quimpérois, Thibault Wolicki a su créer bien plus qu’une équipe performante. Il façonne depuis 2 ans une identité forte et exigeante pour une équipe qui prend des initiatives, provoque, cible, et surtout qui ne subit jamais. Cette philosophie, mêlant rigueur défensive et adaptabilité offensive, va ramener le club en Pro B la saison prochaine, et qui sait, peut-être leur offrir le titre de champion de France de N1 Masculine...