Cette série s’ambitionne en excavatrice des décombres des décennies 80 et 90 : l’antichambre de la NBA à la lumière des soutiers et besogneux des temps anciens. Aujourd’hui, cinquième coup de pelle avec Danny Schayes.
Fils de l’une des premières vedettes de la NBA, Danny Schayes aura dignement perpétué cette filiation, non par les succès individuels ou collectifs, mais par une longévité sans pareille au point de figurer parmi les 1% des joueurs avec le plus grand nombre de matchs joués dans l’histoire de la NBA. Portrait d’un pivot intemporel ayant affronté à la fois Elvin Hayes et Artis Gilmore, tout comme Jermaine O’Neal et Marcus Camby.
Le fils de son père
C’est un premier sujet : le père. Dolph Schayes, de son véritable prénom Adolph, est né en 1928 à New York, de parents immigrés roumains, n’est autre que l’une des toutes premières vedettes NBA des années 50 : Hall of Famer, 12 fois All-Star, champion en 1955 avec Syracuse et l’un des meilleurs rebondeurs de son temps.
Une carrière des plus riches qu’il se puisse, si tant et si bien qu’au delà de son intronisation au Hall of Fame en 1972, il sera choisi en 2021 pour figurer dans le top 75 de la NBA. Et cela vaut ce que cela vaut, mais la revue The Athletic le plaça à la 61ème place des plus grands joueurs de la Ligue, lors de cet anniversaire des 75 ans. Un classement évidemment totalement arbitraire et peu pertinent (comme tous les classements / top machins de ce type), mais qui permet aux néophytes de placer le patriarche Schayes dans la hiérarchie des joueurs importants.
Dolph est encore à ce jour le joueur de la franchise des 76ers (anciennement Syracuse Nationals) avec le win shares le plus élevé (142), largement devant Julius Erving et Charles Barkley (106).
La filiation naturelle Dolph – Danny va au-delà de la simple pratique du basketball professionnel. Le choix du prénom, Danny, est un hommage direct à Danny Biasone, le propriétaire et fondateur des Nationals de Syracuse, la franchise de Dolph.
Et le numéro privilégié de Danny au cours de sa carrière, le #24 (porté au Jazz, aux Bucks, aux Suns, au Heat et au Magic) est quant à lui un hommage à la fameuse règle des 24 secondes, initiée par Leo Ferris, et appliquée par ce même Danny Biasone en 1955, pour ce qui est communément admis comme étant le changement de règle le plus important de l’histoire du basket-ball. Léo Ferris dont il sera prochainement question en ces lieux.
J’aimerai tant voir Syracuse
Pour le choix de son université, Danny Schayes n’a pas coupé les cheveux en quatre : ce sera l’évidence Syracuse, et rien d’autre. En plein cœur de l’État de New York, la ville a été associé pendant 14 ans aux Nats de papa Dolph, avant le déménagement à Philly. C’est sa ville, et son père y déambule comme le parrain de la mafia, selon ses dires.
La voie royale pour Danny, qui bénéficiait déjà des camps d’été organisés chaque année par son père, où il faisait venir des joueurs et entraîneurs pros pour encadrer les jeunes, et bénéficiant lui, de son propre aveu, de tous les à côtés (cours spéciaux en un en contre un avec des grands joueurs, des cours particuliers avec de grands coachs universitaires etc.).
Danny est du genre vantard, manque d’humilité et est très premier degré sur sa carrière, alors on va gentiment lui rappeler que malgré tous ces privilèges il n’est pas devenu Wilt Chamberlain non plus.
Mais quoiqu’il en soit, après 3 premières années universitaires moyennes, il explose sur son année senior, où il devient le titulaire au poste de pivot, au point d’être nommé All-American, dans une conférence Big East qui commençait déjà à prendre de l’ampleur. Ticket pour la NBA validé.
Drafté par le Jazz en 1981, juif en terre mormone
La draft 1981 est l’une de ces belles petites cuvées parfois oubliée, mais avec de sacrés morceaux : Isiah Thomas (seul Hall of Famer de la bande), Mark Aguirre, Tom Chambers, Kelly Tripucka, Larry Nance, Buck Williams, Rolando Blackman, Danny Ainge, Steve Johnson… des joueurs majeurs de la décennie 80, tous All-Star.
Ce qui ne sera pas le cas pour Danny Schayes, bien qu’il ait été choisi assez haut lors du premier tour.
Alors qu’il pensait être recruté par Jack Ramsey et ses Trail Blazers (choix 15) ou bien par les Lakers (choix 19), suite à des entretiens préalables, c’est Utah qui le sélectionne avec leur treizième choix, alors qu’il n’a eu aucun contact en amont avec la franchise de Frank Layden. Un déménagement surprise à Salt Lake City pour Schayes :
C’était un choc culturel assez brutal : un gamin juif de New York qui débarque dans l’Utah du début des années 80, c’était comme déménager sur la Lune. J’ai raté un match de pré-saison car il tombait pendant le Yom Kippour, et c’est devenu un vrai sujet dans les journaux locaux, personne ne connaissait cette fête juive là-bas. Mais cela n’a jamais été un problème : je n’ai jamais eu une seule remarque antisémite de toute ma carrière, bien que j’ai été la majorité du temps le seul joueur juif de la Ligue.
Schayes arrive dans une faible équipe du Jazz, débarquée à Salt Lake City depuis 3 saisons suite au déménagement de la Nouvelle-Orléans, et qui malgré la présence de Rickey Green, Adrian Dantley et Darrell Griffith, joue sans vergogne la carte du tanking. Objectif atteint lors de cette saison 1981-82 avec seulement 25 victoires au compteur. Point positif pour le rookie Schayes, le pivot titulaire, Jeff Wilkins, n’est pas un foudre de guerre, et Danny se voit donner pas mal de temps de jeu jusqu’à devenir starter, et l’un des rares joueurs de l’équipe à montrer de l’entrain sur le terrain.
Malgré tout, ce n’est pas l’amour fou avec le public du Jazz : lors de la draft 81, ils auraient préféré recruter l’ailier fort d’Ohio State, Herb Williams, qui partira finalement au choix suivant direction Indiana. Et lors de la première confrontation Jazz / Pacers suivant cette draft, c’est Herb Williams qui rentrera le panier de la gagne, à Utah, sur la tête de… notre Danny Schayes. Un désamour irrationnel, à base de hués systématiques, même lors de premier match de retour à Salt Lake City avec le maillot des Nuggets !
Il conservera malgré tout sa place de titulaire lors de son année sophomore, le temps de 50 matchs et de solides prestations (11 points et 8 rebonds en à peine 28 minutes par matchs) : la montée en puissance du rookie Mark Eaton, montrant déjà des capacités défensives hors du commun (3,4 contres en à peine 19 minutes sur le terrain !), malgré des mains pleines de pouces, amènera Layden à transférer Danny Schayes à Denver contre le sevenfooter Rich Kelley, ancien de la maison Jazz, période Nouvelle-Orléans. Gagnant-gagnant.
Denver, les plus belles années
D’une équipe moribonde, Danny Schayes passe avec Denver à une solide équipe habituée des playoffs, menée par un entraîneur obnubilé par l’attaque, Doug Moe. Un coach qu’il aura pendant 8 ans, là où il en verra passer 14 différents sur ses 10 autres années en NBA ! Mais pas des moindres. Entre son père au lycée, Jim Boeheim et Rick Pitino à l’université, puis en NBA Pat Riley, Chuck Daly, Doug Moe, Del Harris, Mike Dunleavy, Paul Westphal… que des pointures.
Quoiqu’il en soit, c’est avec le maillot des Nuggets que Danny passera la partie la plus importante de sa carrière : 8 saisons, 536 matchs (la moitié en tant que titulaire) et surtout 7 campagnes de playoffs, dans une belle équipe très offensive, où se succéderont Dan Issel, Kiki Vandeweghe, Alex English, Calvin Natt, Fat Lever, Michael Adams ou Walter Davis : que du beau linge, avec en point d’orgue une finale de conférence en 1985, perdue face aux Lakers futurs champions.
De cette épopée, Danny Schayes sera souvent titulaire au poste de pivot, place qu’il gagnera petit à petit, essentiellement en concurrence avec Wayne Cooper.
Entre 1987 et 1990, il propose probablement son meilleur basket, avec un pic lors de la saison 1987-88 (54 victoires et une demi-finale de conférence), 14 points – 8 rebonds – 54% aux tirs – 84% aux lancers-francs (c’est l’une des grandes fiertés de Schayes, sa fiabilité sur la ligne, un des fondamentaux sur lequel son père ne transigeait pas), le tout en à peine 27 minutes sur le parquet.
Danny « Foul Trouble » Schayes
Car Danny Schayes est du genre à faire des fautes assez rapidement. Pas le plus grand foudre de guerre lorsqu’il s’agit de protéger le cercle, il s’est très vite retrouvé ciblé par les équipes adverses. Une statistique éloquente : sur l’ensemble de sa carrière, rapporté à un temps de jeu moyen de 36 minutes, ce bon Danny approche les 6 fautes par rencontre. 7,5 pour 100 possessions. L’un des pires ratios des années 80 !
Comme le résume bien plus bas la petite bio issu du Complete Handbook of Pro Basket-ball de 1992, Schayes est un pivot de 211cm, mais au delà de cette bonne taille de pivot, n’a pas de grandes qualités athlétiques, le tout dans une NBA où la qualité et la densité des intérieurs de l’époque est sans commune mesure. Les adversaires directs de Schayes se nomment ainsi Hakeem Olajuwon, Mark Eaton, Kareem Abdul-Jabbar, Artis Gilmore… Ces 4 exemples figurent parmi les opposants les plus fréquents du pivot de Syracuse au cours de sa longue carrière !
Le début des années 90, début du déclin
Transféré à l’été 1990 contre Terry Mills, Danny Schayes quitte le Colorado pour le Wisconsin, Del Harris et les Milwaukee Bucks. À 31 ans, c’est un nouveau départ après 8 ans passés à Denver. Sa première saison est très bonne, bénéficiant des pépins physiques du futur retraité Hall of Famer Jack Sikma, Schayes jouera l’intégralité de la saison, et près de la moitié comme titulaire. Dans une défense bien mieux structurée qu’aux Nuggets, il fait même moins de fautes qu’à l’accoutumée. Lors du premier tour face aux Sixers, Milwaukee est annoncé favori de la série, après une bonne saison régulière à 48 victoires : ils se feront ouvrir 3-0 par le duo Barkley – Hawkins, pour un désastre collectif total.
La suite de son parcours aux Bucks marquera le début d’un déclassement notable. Avec l’arrivée du vieux Moses Malone, 36 ans mais toujours très bon, Danny redevient un pivot remplaçant, mais désormais d’une équipe très faible que ces Bucks début 90. Il y restera tout de même jusqu’en février 1994, après plus de 200 matchs joués, jusqu’à être envoyé aux Lakers dans un deal de salary cap lors de sa dernière année de contrat.
Des Lakers à la ramasse, entraînés quelques semaines par … Magic Johnson lui-même. Un Magic en retraite forcée après sa séropositivité, mais qui met branlée sur branlée à l’entraînement aux jeunes insolents Lakers, préférant la vie nocturne et les filles faciles que d’être sérieux sur le terrain. Van Exel n’en fait qu’à sa tête, Divac fume clope sur clope et arrive la plupart du temps à la bourre aux entraînements… Schayes, comme Magic, a bien du mal à saisir l’état d’esprit désinvolte de ses coéquipiers, et s’isole avec les deux autres vieux de l’équipe, James Edwards et Kurt Rambis. Inutile de préciser que ces Lakers 1994 ne feront pas les playoffs.
À 35 ans et sortant de trois saisons avec un temps de jeu en baisse et dans des équipes en perte de vitesse, il est légitime de s’attendre à voir Dan se ranger des voitures. Mais son sérieux et son intelligence de jeu lui permettront de prolonger l’aventure, lui qui est désormais considéré comme un journeyman de la Ligue.
À Phoenix tout d’abord, le signant agent libre pour un petit contrat d’un an, le temps d’une saison remplaçant de Joe Kleine, dans une équipe des Suns encore très forte avec ses Barkley, Kevin Johnson, Majerle et A.C. Green, mais éliminée en sept manches par les Rockets futurs champions en demi-finale de conférence. Un contrat obtenu à l’audace : Danny Schayes était en visite chez son beau-frère à Phoenix, lui proposant d’acheter la maison de son ancien voisin : il en profite passer un coup de fil à Bryan Colangelo, à la recherche d’un pivot. Appel qui découle sur un essai, concluant.
Il fera un passage éclair en Floride chez le Heat qui le signe en décembre 95 jusqu’à la fin de la saison, faisant face à une cascade de blessure dans la raquette dont celle de Zo Mourning.
Le chant du cygne se fera toujours en Floride, mais à Orlando. Agent libre à l’été 96, et alors âgé de 37 ans, il signe pour 3 ans avec le Magic, orphelin du Shaq, et devient back-up de Rony Seikaly, ancien de la maison Syracuse tout comme lui. Des dernières saisons de pur role player dans un Magic en reconstruction. Un apport qui ne s’est pas limité à l’expérience sur le terrain : « C’était un gars respecté de tous, sur le terrain et dans le vestiaire. Il nous a beaucoup apporté sur et en dehors du terrain lors de ses 3 ans chez nous » John Gabriel, GM du Magic de 1995 à 2004.
Avec 1138 matchs disputés en saison régulière (plus 69 en playoffs), Danny Schayes met derrière lui 99% des joueurs ayant mis un pied en NBA, un statut lui permettant d’être dans le top 70 des joueurs avec le plus grand nombre de matchs joués en carrière, et dont les leaders bien connus sont Robert Parish (1611) et Kareem Abdul-Jabbar (1560). Un role player intelligent maîtrisant les fondamentaux, sans grandes qualités athlétiques (hormis sa taille), mais dont le professionnalisme et la connaissance du poste lui a permis de faire une sacrée carrière, à une période où les raquettes NBA ressemblaient davantage à la bataille du Chemin des Dames qu’à un spacing fer à cheval de planqués.