À l’occasion de la sortie de son livre « Mes secrets de coach », Alain Weisz s’est confié sur sa vision du basket actuelle. Il présente les difficultés de gérer un groupe professionnel, revient sur son aventure avec l’équipe de France en 2000 et donne ses pronostics pour la compétition à venir. Il exprime également son avis sur la disparition de Boulogne-Levallois, lui qui a été directeur des opérations sportives jusqu’à l’été 2023.
L’évolution du basket professionnel
Vous avez vu le basket évoluer. Quelle est votre appréciation de cette évolution ?
Il y a beaucoup de choses qui ont changé. J’ai commencé à être coach professionnel à partir de 1985 jusqu’en 2016 à Nancy. J’ai vu évoluer de nombreuses générations, et effectivement les choses ont changé. Sur le terrain, les joueurs et les joueuses sont devenus plus athlétiques (ce qui) a changé le jeu. Et pour les coachs, je dirais que jusqu’à la fin des années 90, un coach était une personne qui donnait des ordres et les joueurs obéissaient. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les rapports entre joueurs et coachs ont beaucoup changé. On ne peut plus faire ce qu’on faisait à l’époque, c’est-à-dire « je commande et tu obéis ». Aujourd’hui ce n’est pas possible. Il faut une agilité relationnelle beaucoup plus importante, car les joueurs ont beaucoup progressé sur le plan tactique. Il n’y a pas que le coach qui connaît le jeu, les joueurs et joueuses le connaissent très bien. Et puis les joueurs ont pris beaucoup d’importance médiatique. Aujourd’hui il y a même des clubs, je le vois en NBA, où certains de joueurs sont beaucoup plus importants que les coachs. Je dirais que ce sont même eux qui décident. C’est quelque chose qui s’est répandu dans tout le basket international, et donc il faut tenir compte des nouveaux rapports relationnels. On ne peut pas faire en 2024 ce que l’on faisait il y a 30 ans.
Il y a également l’évolution de la technologie. Les staffs se sont élargis et l’utilisation de la data s’est démocratisée. Que pensez-vous de cela ?
Le basket a toujours utilisé les datas. Dès 1948, lorsque l’ancêtre de la NBA existait, il y avait des statistiques. On a vécu avec et il n’y a aucun problème. Aujourd’hui, il faut faire attention à ne pas avoir une exagération de l’utilisation des data parce que je sais qu’en NBA, il y a des compositions de cinq qui sont déterminés par les data. C’est-à-dire qu’il y a des cinq qui fonctionnent mieux que d’autres, etc. Mais tout cela est très mécanique, car si on s’en tient à la data, alors il n’y a pas besoin d’entraîneur. Il suffit d’avoir un bon ingénieur informatique et vous constituez des équipes. C’est pour ça que je veux défendre (le fait) qu’il y ait des entraîneurs, mais je leur dis également « faites attention ». Il y en a qui revendiquent être utilisateurs de data, qu’aujourd’hui c’est une forme de supériorité. Mais je leur dis « attention vous êtes en train de tuer votre métier. N’importe qui pourra faire ce que vous faites s’il suffit juste de regarder des chiffres pour constituer des équipes ». C’est une vigilance, car on sait que l’apparition des data va supprimer beaucoup de métiers. Or le métier de joueurs et le métier d’entraineur, c’est plus une activité artistique que scientifique. Je dirais même que le public vient voir les matchs pour soutenir leur équipe, mais pas simplement (car) ils veulent voir du talent. Les joueurs qui ont du talent ont souvent comme adversaire l’entraîneur, car c’est quelqu’un qui veut mettre les choses en équation, dans un cadre, etc. Et donc il faut savoir se méfier de nous-mêmes parce qu’autant les joueurs sont de plus en plus importants médiatiquement, mais ils le sont également sur le terrain par leur style. Et les gens viennent voir le talent.
Quel est votre avis concernant la situation de Boulogne-Levallois ? Et même plus globalement quel est votre avis sur la situation de la Ligue française quand on voit ce que Limoges vit actuellement ?
Je ne sais pas si la Ligue est responsable des problèmes que rencontrent Limoges et Boulogne-Levallois. Je pense que pour Limoges, cela va s’arranger, car quel que soit le président — ici une présidente — elle ne peut pas prendre la responsabilité de tuer un club. Quant aux Mets, je crois que malheureusement, ils ont eu ce qu’ils méritaient. À partir du moment où on arrête d’être professionnel dans le management et qu’on ne remplace pas les gens qui partent — je ne parle pas que de moi — […] Cela pose problème. Il y a Victor Wembanyama qui a embelli notre saison, mais vous savez que c’est quelque chose d’extraordinaire. La plupart du temps, tous les présidents se battent pour maintenir leur club, ou le faire monter […] Je n’ai jamais vu une gouvernance qui joue aux pauvres alors qu’elle n’est pas pauvre. C’est le cas de Boulogne-Billancourt. C’est vraiment une grande déception, car pendant 5 ans on s’est battue pour changer de niveaux. On était bon même avant l’arrivée de Victor Wembanyama. Là, voir ce qu’il s’est passé cette année avec la méconnaissance des règlements, des joueurs, des entraîneurs (c’est) une catastrophe.
La vision du coaching d’Alain Weisz
Comment gère-t-on les individualités dans un collectif ?
Je dirais qu’il faut savoir le gérer. Je dirais qu’il faut que le coach traite surtout tout le monde de la même façon. Dans une équipe, il y en a qui sont plus forts que d’autres (et) il ne faut pas le nier. Il y en a qui sont plus importants que d’autres, et il ne faut pas le nier non plus. Mais tout le monde à son rôle. C’est un petit peu comme dans un film où Brad Pitt est en vedette, mais il lui faut des seconds rôles aussi. Une équipe fonctionne quand les seconds rôles sont aussi valorisés. (Il faut) beaucoup d’honnêteté dans le traitement des joueurs, et toujours beaucoup de respect. Quant aux réseaux sociaux, j’ai vécu sans et avec les réseaux sociaux, et je ne regardais plus car ce qui me gêne est l’anonymat. À partir du moment où je ne sais pas qui m’écrit et qui pense ça de moi, cela n’a pas de valeur. Franchement, les réseaux sociaux sont une poubelle. Les gens se défoulent (sur les réseaux sociaux), et encore le basket est un peu épargné par ça, mais au foot c’est une horreur. Je crois qu’il faut absolument prévenir les joueurs et les coachs que le basket est un sport qui consiste à être vu et critiqué. Mais il ne faut pas insulter.
Est-ce que vous pouvez parler du rapport psychologique qu’il peut y avoir entre un entraîneur et ses joueurs ?
En tant qu’entraîneur, c’est très facile de sanctionner. Le problème du coach est de faire en sorte de récupérer tout le monde, car il y a des frustrations tout au long de l’année. Le rôle d’un entraîneur est d’avoir son équipe en bonne santé physique et mentale tout le temps. Il y a des conflits et il ne faut pas le cacher. Mais le coach n’est pas là pour mettre de l’huile sur le feu. Son rôle est d’empêcher que les conflits prennent trop d’importance. Et pour cela, il faut savoir abandonner de temps en temps son statut d’entraîneur et jouer sur l’authenticité. Récupérer tout le monde pour faire en sorte que l’équipe soit la meilleure possible. Ce n’est pas facile parce que lorsque l’on est face à un joueur qui manifeste son mécontentement […] il faut faire pauvre d’agilité relationnelle. Mais il faut reconnaître que quelques fois on doit avaler des couleuvres.
Est-ce que le coaching vous manque ?
Non ça ne me manque pas parce que pour être entraîneur il faut une énergie, mais à un moment donné on ne l’a plus. Ça me permet de regarder les matchs en toute décontractions et de pouvoir critiquer (rire) […] On a le même problème à Monaco (chez les hommes) que celui que l’on a en Équipe de France Féminine. Il y a Mike James, et c’est problématique pour un coach, car il peut faire des choses extraordinaires (mais) il faut que tout le monde accepte sa façon de jouer. Monaco est amoureux de Mike James, car les gens viennent voir du talent, et ça, il ne faut pas l’oublier. Je suppose qu’à un moment donné le coach de Monaco a dû se poser des questions pour l’utiliser. Mais quand on voit le Game 1 contre Paris (ndlr : 31 points), il a montré qui était le patron. Je tire mon chapeau à Saša Obradovic qui est l’entraîneur parce que Mike James est le contraire de sa conception. Mais malgré tout, il utilise Mike James comme on le connaît.
Comment faites-vous pour tirer le meilleur de chaque membre d’une équipe ?
Ce n’est pas facile, et c’est l’essence même du métier d’entraîneur. Je pense qu’il faut avoir des joueurs qu’on a choisis, et avoir beaucoup de considérations pour eux. On peut tout casser en tant qu’entraîneur, et il faut avoir cette largeur d’esprit pour ne pas restreindre les joueurs dans leurs capacités. Et on s’aperçoit que dans les tournois internationaux, ce sont les joueurs qui ne sont pas forcément majeurs au départ qui font la différence au final.
Est-ce que ce qui se passe dans le vestiaire doit rester dans le vestiaire ?
Il y a beaucoup de choses qui sortent, on le retrouve beaucoup dans les réseaux sociaux, mais il y a des acteurs qui doivent le garder pour eux. Les gens pensent que s’il y a eu des problèmes dans le vestiaire l’équipe est en catastrophe. Non. C’est la vie d’une équipe. Il y a beaucoup de choses qui se passent mal dans le vestiaire, mais ce n’est pas définitif. Le sport se fait dans l’agressivité. Quand vous sortez du terrain et que vous avez perdu et/ou que vous avez mal joué, vous n’êtes pas content. Donc il y a des réactions qui doivent rester à l’intérieur du vestiaire, car les gens ne comprendraient pas qu’on mette sur le devant de la scène les problèmes d’une équipe. Et il y a toujours des problèmes.
Son ressenti sur les JO de 2000 et ses pronostics pour cet été
Vous avez vécu les JO de 2000 à Sydney, comment prépare-t-on son équipe pour une une telle compétition ?
Je dirais qu’il faut arriver à faire abstraction de toute la pression qu’il y a sur les joueurs, encore plus cette année, car c’est à Paris. Tout le monde attend que les filles, qui ont été médaillées de bronze à Tokyo, défient les USA en finale. Pour les garçons c’est un petit peu pareil. Il ne faut pas faire en sorte de jouer les Jeux Olympiques avant qu’il ne soit joué. Il faut faire son travail dans la préparation, être le mieux armé tactiquement. Il y a un problème de sélection à un moment donné, car par exemple, les garçons sont 19, et il faudra n’en garder que 12 au final (ndlr : 18 sélectionnés pour 12 places concernant l’EDF féminine). Et puis après il ne faut pas réfléchir. Il faut prendre les matchs les uns après les autres. Dans une compétition comme les JO, on peut très bien faire un mauvais match, (mais) la grande équipe est celle qui se relève de cela. À l’image de ce qu’est le sport de compétition, il faut savoir rebondir. On n’a pas le temps de faire le deuil du match perdu. Donc il faut tirer de bonnes conclusions du match sur le plan tactique, sur l’engagement. Mais il ne faut surtout pas perdre son enthousiasme. Et ça, c’est très difficile […] La première des qualités d’un coach, au-delà de ses connaissances techniques, est de garder son enthousiasme, car c’est communicatif. Et la sinistrose aussi est communicative. Pour faire une performance, il faut être heureux avant de jouer le match, il ne faut pas le joueur avec la peur.
Qu’est-ce que vous pensez des deux équipes de France ?
Je trouve que pour les deux il y a un épouvantail qui est les États-Unis. Que ce soit pour les garçons ou pour les filles, ils (les USA) envoient une dream team. C’est Paris, c’est prestigieux, c’est dans l’esprit de tout le monde. Ils ne viennent pas là pour faire du tourisme (mais) pour gagner. Si les garçons ou les filles arrivent à jouer une équipe américaine en finale, ce serait des Jeux Olympiques pleinement réussis.
Que pensez-vous de l’apport de Victor Wembanyama ?
Bien évidemment Victor Wembanyama est un phénomène. Vous savez aux États-Unis le meilleur défenseur, c’est le meilleur conteur. Lui et Rudy Gobert sont les deux meilleurs conteurs de la NBA (ndlr : Wembanyama est 1er et Gobert est 6e) donc c’est un avantage énorme. Mais le jeu FIBA est très tactique. Il ne faut pas croire qu’il suffit de rentrer sur le terrain (pour) les voir contrer cinq fois par match. Les adversaires vont leur poser des problèmes en s’écartant, en jouant vite. Il y a beaucoup de choses à penser. C’est vrai que l’Équipe de France a raté sa coupe du monde l’été dernier, mais ce n’est pas le niveau de cette équipe. Avec l’apport de Victor Wembanyama, je pense que c’est une équipe qui peut atteindre la finale.
Et l’Équipe de France féminine ?
La seule chose que je souhaite pour cette équipe, qui peut sans doute atteindre la finale, est que les joueuses puissent exprimer leurs talents. Il y a du talent dans cette équipe (mais) il ne faut pas que tout le monde soit au même niveau. Les joueuses talentueuses doivent pouvoir exprimer leurs talents.
Est-ce que vous pensiez qu’en 2000 l’Équipe de France avait une chance de remporter les JO ?
Pour être honnête, en 2000 on n’avait aucune chance de remporter le titre. Il s’est trouvé qu’à la mi-temps du dernier match entre le Canada et la Yougoslavie, la Yougoslavie avait 14 points d’avance. Et les joueurs yougoslaves n’ont rien trouvé de mieux que de se battre dans les vestiaires. Ils sont revenus sur le terrain et il n’y avait plus d’équipe. Sauf qu’en face, il y avait Steve Nash qui a battu presque à lui tout seul la Yougoslavie. Et nous on était quatrième de poule. Au lieu de jouer la Yougoslavie — qui nous avais battus de trente points (ndlr : 64 à 89 pour la Yougoslavie) deux jours avant de rentrer au village (olympique) — on a joué le Canada. Et dans l’esprit des joueurs, tout a changé. Ils se sont dit que « Le Canada n’est pas plus fort que nous ». Je pense que si on avait joué la Yougoslavie, on n’aurait eu aucune chance. Il faut remercier l’agressivité des Yougoslaves dans le vestiaire qui nous ont permis d’aller en finale. On a battu le Canada en quart de finale. L’Australie était à domicile, mais ils avaient deux joueurs ayant plus de trente-six ans et ils avaient battu la veille l’Italie après prolongation donc ils étaient épuisés. On les bat facilement et on se retrouve en finale contre les USA qui ne nous connaissent pas (même si) ils nous ont joués en poule. On joue mieux que lors du premier match, et à trois minutes de la fin on est à 72-68. C’est-à-dire que le coach Rudy Tomjanovich est obligé de prendre un temps mort, ce qui est un succès. Et puis ils font un 10-0 et on perd 85-75 si je ne me trompe pas. Les chances étaient quasi nulles avant les Jeux. À Tokyo ils ont fait des exploits, mais c’était des Jeux un peu particuliers, car il n’y avait pas de spectateurs. Je pense que c’est cette année que la France a le plus de chance d’aller en finale parce que jouer à domicile au basket est un gros avantage. Et surtout l’équipe est forte !
(Propos recueillis sur place)