Il y a environ une quinzaine d’années, l’immense révolution du spacing et du tir à 3 points venait chambouler toutes nos habitudes, à nous les humbles suiveurs de NBA. Aujourd’hui, en 2024, la révolution du spacing semble terminée. Mais si c’était vraiment le cas, n’existerait il pas une nouvelle révolution juste sous nos yeux, qui semblerait être sur le point d’arriver ? Ou même peut-être plusieurs ? Bienvenue, à la croisée des chemins entre analyse et basket fiction.
Préambule : tout comprendre à la vraie révolution du tir à 3 points
“La NBA est devenue un concours de shoots”, “les analytics ont tué le jeu”… tant de poncifs vus et revus sur notre chère NBA et son évolution qui pourtant ne s’attardent que très peu sur le “pourquoi” ou s’arrêtent à un simple “3>2”. Pour la suite de l’article, il est donc nécessaire de faire un petit rappel de pourquoi cette évolution a eu lieu pour les moins initiés. Et oui, on l’oublie parfois mais certains fans n’ont connu la NBA qu’à travers sa forme actuelle.
Commençons donc avec le symbole de ce mouvement : Stephen Curry. Et démontons de suite une première idée reçue : il n’est pas vraiment ce symbole. Ou du moins, il n’est pas l’exemple qui a été suivi et qui a changé le plus le jeu. Il n’est pas, et n’a jamais été le “modèle à suivre”. Et ce n’est pas du tout contre lui que je dis ça, mais au contraire, en sa faveur. Si l’on prend la définition littérale de modèle : ce qui est amené pour servir de référence, de type, pour être reproduit. Et justement, Stephen Curry n’est pas reproductible.
On ne peut pas refaire du Steph. On ne peut pas se baser sur un joueur qui rentre 45% de ses 3 pts sur 11 tentatives/match soit près de la moitié de ses tirs et prendre ce joueur comme modèle. Ce n’est pas réaliste pour le commun des mortels, ce serait comme vouloir voler et s’inspirer de Superman, ça ne fait pas sens.
Alors oui, Steph a été l’emblème, la source d’inspiration des plus jeunes, la superstar du shoot primé mise en avant par la NBA tant il a poussé l’exercice dans des stratosphères hallucinantes mais si ce n’est pas lui dont se sont inspirées les franchises, qui a été ce précurseur ? Ce modèle durable qu’ont tenté de copier les autres équipes ?
Si on prend la définition dans son sens le plus littéral, c’est sans doute Daryl Morey qui a été l’instigateur de toute cette histoire. Ah, ça y est, je viens de perdre une partie de l’audience avec ce nom blasphématoire et pourtant celui qui a “ruiné le jeu avec ses analytics” est sans doute l’un des personnages avec le plus d’influence récente sur l’évolution du jeu.
En réalité, le savant fou est un pur pragmatique. En remplaçant les catch & shoot à mi-distance de ses rôles players par des C&S à 3 points, les Rockets avaient alors mis le doigt sur quelque chose d’incroyablement puissant : un avantage structurel. Avantage qu’ils pousseront jusqu’à bannir le mi-distance pour leurs stars, chose qui est toujours présente dans la NBA actuelle, avantage structurel qui influencera toute la ligue malgré tout.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Houston n’était pas une équipe élite à 3pts en qualité. Même plutôt moyenne (dans le sens “dans la moyenne”) puisque les Rockets 2015/16 – 16/17 et 17/18 étaient respectivement 19e, 15e et 14e en termes de % à 3 points. Et pourtant ils étaient 7e, 2e et 1er offensive rating ces années-là. Le secret était qu’il suffisait de prendre plus de tirs lointains que les autres, sans forcément être génialissime en termes d’adresse et vous aviez une bonne attaque. Il y avait une corrélation entre le volume à 3 points et l’offensive rating. Un avantage structurel en dépit de la qualité pure des joueurs. Un bug dans la matrice, un cheatcode des analytics.
Forcément, comme la formule magique marchait, tout le monde s’est mis à l’utiliser et donc forcément, si tout le monde fait la même chose, plus d’avantage structurel. Nous ne sommes plus dans cette NBA là depuis quelques années et le bon exemple serait sans doute les Celtics 2024 qui, certes, prennent énormément de 3 pts (1ère fréquence) mais qui sont surtout 2e en % de réussite. Et si on remplace leur réussite (39%) par une réussite moyenne (36.5%), leur offensive rating passerait du 1er O-Rating au 10e environ. On voit donc clairement (et c’est même un peu inquiétant) que la dépendance n’est plus au volume mais à la réussite à 3pts.
Mais justement c’est là tout le but de l’article. Si cet avantage n’est plus, n’existe-t-il pas une nouvelle ‘formule magique’, une nouvelle recette qui permettrait aux équipes de dominer par un simple principe jusqu’alors oublié par le reste ? Existe-t-il une nouvelle (ou plusieurs nouvelles) révolution(s) en NBA ?
Chapitre I : le risque de la qualité individuelle
Rappelons simplement le constat fait : tout le monde prend plus ou moins le même nombre de tirs à 3pts. C’est pour cela que le volume est devenu un non facteur. Un premier constat qui pourrait être fait est celui de la ‘make or miss league’, à savoir celui qui mettra ses tirs remportera le match. Et même au-delà du 3pts puisque si on regarde le top 10 des O-Rating en 2024 : 8 sont dans le top 10 à l’eFG%, l’adresse au tir sans compter les lancers francs.
Autrement dit, il semble y avoir une vraie corrélation entre adresse et efficacité. Et ça peut sembler bateau de dire que l’équipe la plus adroite va gagner dans un sport d’adresse mais je trouve qu’au contraire, ça montre bien la puissance de la révolution passée mais aussi la complexité du basket-ball.
Et si nous étions passés dans une “ligue des talents” donc ? En allant un peu plus loin que l’eFG, on trouve que les 4 meilleures attaques de NBA sont dans l’ordre : Boston, OKC, Indiana et les Clippers. Respectivement 1er, 2e, (9e) et 3e adresses à 3pts. Donc les 3 meilleures adresses sont dans le top 4 des meilleures attaques globales. Suffisant pour dire que ça y est, la prochaine évolution est juste d’avoir les joueurs les plus adroits ?
Selon certains points de vue, cette théorie du talent est vraie. Puisque si on regarde un autre play réservé à l’élite individuelle, les isolations, on remarque là encore un fait intéressant. Quelles équipes jouent le plus d’isolation en NBA ? Voici le top 4 (en omettant Philly dont la saison est tronquée par la blessure d’Embiid) : Clippers, Mavs, Boston, Thunder. Le même top 3 et Dallas : 6e attaque.
Donc c’est ça l’évolution ultime d’un siècle de recherche théorique sur ce sport : il suffit d’avoir les meilleurs joueurs et rien ne sert de développer un playbook ? C’est vrai que ce play toujours caricatural est en fait toujours une source sûre d’attaque puisque les meilleurs joueurs sont toujours dans des 〜1.15 pts/possession… là où les meilleures attaques de mi-terrain sont à 1.06 pts/poss. (Et oui, au contraire des 3pts qui peuvent être pris en transition il faut bien s’intéresser là au demi terrain et donc supprimer cette transition de l’équation.)
Mais l’isolation est aussi l’action la plus simple… à défendre en fin de match… et aussi en playoffs, face théoriquement aux meilleures défenses. Et une stat, loin d’être parfaite, qui traduit un peu la gestion des fins de match : ce sont les expected wins. Et plus particulièrement la différence avec les wins réelles. Pour nos amis footeux la comparaison est simple : un joueur qui surperforme ses expected goals est un buteur efficace, qui finit bien. Et bien au basket, c’est pareil.
Une équipe qui surperforme est une équipe qui finit bien (ses matchs). Un exemple d’équipe qui surperformait tous les ans ? Les Blazers d’un certain Damian Lillard. Mais du coup, pourquoi parler de cette stat ? Et bien précisément parce que 9 équipes parmi les 11 qui jouent le plus d’isolations sous-performent, et gèrent donc mal leurs fins de match. Seuls les Mavs de Luka Doncic et Kyrie Irving et les Bucks d’un certain… Damian Lillard résistent. Même les Clippers de Kawhi Leonard, même les Celtics de Jayson Tatum, même le Thunder de Shai Gilgeous-Alexander galèrent. C’est dire à quel point il faut être bon. L’élite de l’élite de l’élite.
Et pourquoi je fais ce chapitre avec les 3 points ? Parce que le pari d’être une équipe ultra adroite apporte un autre paramètre plutôt négatif dans une vision play-offs : de la variance. Peut-être que variance n’est pas le bon mot, mais le mot juste serait dépendance. Et oui, être dépendant non pas du volume mais de sa réussite est une tactique ultra risquée. Comme expliqué au-dessus, une adresse moyenne ferait passer Boston d’excellent à moyen. On ne parle pas de devenir mauvais, mais juste moyen.
Et parier sur quelque chose qui apporte autant d’incertitudes sur de faibles échantillons de matchs, comme une série de PO, c’est… couillu. Combien de séries avons-nous vues où le shoot ne rentre pas pour une équipe ? Celtics 2023 contre le Heat justement ? 30%(vs 38% en SR)). Clippers 2020 contre Denver ? 33% (vs 39% en SR). Heat 2022 contre ces mêmes Celtics ? 30% (contre 38% en SR). Tant d’exemples de désillusions collectives qui sont les symboles d’équipes dont le plan de jeu reposait sur une forte adresse.
Et cet effet est encore plus décuplé lorsque le volume est grand. Boston représente donc le candidat parfait à une immense désillusion offensive. Petite parenthèse mais c’est sans doute la défense des C’s qui portera cette équipe si elle va loin.
Donc résumons ce chapitre de la qualité. Isolation + bons joueurs = bonne attaque de régulière mais avec des limites structurelles. Beaucoup de 3 points avec grosse adresse = bonne attaque sur un gros échantillon comme la régulière mais risqué sur une campagne de PO.
Et puis, dire qu’il faut juste avoir les meilleurs joueurs et prendre beaucoup de 3 points, est-ce qu’on peut vraiment appeler ça une révolution ? Est-ce un modèle reproductible à grande échelle ? Non, c’est exactement le même point qu’avec Stephen Curry : les meilleurs joueurs feront toujours les bonnes attaques, mais c’est là un constat de tous temps. On est loin, très loin d’une révolution qui offrirait un avantage structurel à une équipe.
Pourtant si certaines bonnes attaques partagent cette structure isolation/grosse adresse, d’autres arrivent à tirer leur épingle du jeu avec des principes bien différents…
Chapitre II : et s’il existait un nouvel eldorado ?
Un petit résumé d’où on essaie d’aller s’impose peut-être. Nous recherchons un potentiel avantage qu’une équipe aurait sur le reste de par sa façon de jouer et non par la qualité pure de ses joueurs. La question à se poser est assez simple : quelle action/tir, si on augmente son utilisation, peut apporter un boost offensif ? Plusieurs options s’ouvrent à nous.
Premier postulat : se dire que si tout le monde prend plus ou moins les mêmes tirs, une façon beaucoup plus stable d’atteindre des hauts scores n’est pas forcément de miser sur la réussite mais plutôt sur le volume de tirs global. Si deux équipes prennent exactement le même nombre de tirs, dans les mêmes localisations, la plus adroite gagne. Mais que se passe-t-il si l’une des 2 en prend simplement un plus gros nombre ? Une équipe s’essaie à ce pari depuis quelques années : les New-York Knicks de Tom Thibodeau. Souvenez-vous plus haut, 8 des 10 meilleures attaques sont aussi dans le top 10 à l’eFG% (l’efficacité sur les tirs de champ).
Et pourtant les Knicks 9e attaque ne sont que… 20e à cette statistique. Étrange certes, mais exemple plus que parfait de comment New-York gagne ses matchs sur autre chose que l’adresse. Première équipe au rebond offensif (et 4e au rebond défensif), New-York possède une espèce de solution miracle pour booster son niveau de talent réel. Les hommes de Tom Thibodeau s’octroient une seconde chance sur 32.5% de leurs tirs, là où le 2e de NBA le Jazz n’est qu’à 30.7%. Un écart colossal qui se dégage vraiment du reste mais qui pose une question essentielle : est-ce un plan de jeu sur lequel on peut se baser réellement ?
Je pense que la réponse n’est pas si simple et est propre à la perception de chacun, mais le rebond est quand même un aspect facilement “contrable” pour une défense, bien plus que le volume à 3pts des Rockets de l’époque puisque précisément la défense peut lutter au rebond. A l’inverse d’un tir à 3pts qui sera pris quoi qu’il arrive, le match-up est ultra important. Contre les Cavs chez qui le rebond est une faiblesse, ça passe (35% de rebond off). Contre le Heat qui s’adapte, ça chute et ça entraîne toute l’attaque vers le bas (27% de rebond off).
Alors qu’est-ce qu’on en fait de tout ça ? Et bien, je pense qu’on peut classer cet aspect dans le tiroir gadget, qui peut être plus ou moins utile selon le match-up tout en offrant un plancher minimum contre à peu près n’importe qui. En effet, l’outil peut être complètement game changer (cf Knicks/Cavs 2023) et n’a pas la volatilité du 3 points. Vous n’allez pas perdre complètement votre capacité au rebond d’un jour à l’autre et j’en veux pour exemple ces mêmes Knicks puisque les 27% face au Heat restent un bon score.
Sans être un plan de jeu à part entière, on ne peut pas tout baser sur la prise de rebonds, on vient de trouver une facette du jeu qui peut départager deux équipes de même qualité intrinsèque et qui, pour la première fois de l’article, est plutôt stable.
Et ce mot est très important pour la deuxième partie de ce chapitre : aujourd’hui peut-être que dans un système de play-offs, il ne suffit plus de chercher les meilleurs tirs, peut-être qu’il faut aussi chercher le régime le plus stable. Et oui, si on prend l’attaque comme un modèle de probabilités, l’objectif est d’avoir le meilleur score possible, mais aussi d’avoir le plus de chances d’atteindre ce score régulièrement.
Dans cette approche là, on comprend bien que sur un format au meilleur des 7, avec la volatilité de l’adresse qui ne suit aucune règle, plus on est dépendant de cette même adresse, plus on possède un risque élevé de ne pas la trouver et donc d’atteindre un score faible. Autrement dit, plus la probabilité d’avoir un trou d’air est grande.
Dans cette recherche très théorique de l’équilibre parfait entre rendement et sûreté, un tir se dégage : le tir au panier. Et oui, quand la moyenne d’un tir est de 66.5% de réussite et qu’en plus il est celui le plus propice à déclencher des fautes et donc des lancers francs, le lien est vite fait. En augmenter la fréquence et donc le volume est sans doute le moyen le plus sûr de booster son attaque. On comprend par la même occasion pourquoi les protecteurs de cercle sont les défenseurs avec le plus d’impact, c’est mécanique.
En plus, ce qui semble magique avec ce tir, c’est que la moins bonne réussite de la ligue est en fait à : 60% de réussite ! L’équivalent de 40% à 3pts en termes de pts/tir ! On semble donc complètement avoir cette assurance minimale et donc on atténue au maximum cette fameuse variance en favorisant le plus possible ce tir au cercle, non ? C’est le jackpot ? Et bien oui, et non. Des limites sont à poser avant de continuer.
Un peu comme pour le rebond, la défense adverse peut avoir un impact direct sur ce tir. En effet, surcharger la raquette et y en empêcher l’accès est possible, là où empêcher une attaque d’aller dans ses spots derrière l’arc est presque mission impossible. Vous me sentez peut-être venir avec mes gros sabots mais en effet, le meilleur moyen d’avoir de l’espace pour attaquer le cercle est d’avoir… un bon spacing. En réalité, cette recherche du tir au panier n’est que la conséquence logique de la révolution à 3 points.
Même en allant plus loin, cette révolution a été vitale pour cette quête secondaire et quelque part, les deux ont toujours été liées. En écartant le terrain, j’augmente forcément les espaces entre les défenseurs et donc ma réussite en dessous du panier, et c’est en comprenant cela que l’on comprend aussi pourquoi il n’y a pas de hausse du volume global de tirs au cercle depuis quelques années, au contraire.
Si on regarde concrètement les chiffres, la fréquence de tirs au panier est passée de 36% en 2018 à 33% en 2024, pendant que la réussite est passée de 63% (et même 60% en 2012) à 66% ! Ce résultat bien que peu instinctif est complètement logique : plus d’espace et donc plus de réussite sur les tirs au cercle. Mais la réalité à comprendre est ailleurs, les défenses se sont elles déjà adaptées. On a compris que ce tir était le nerf de la guerre et on a même inventé un rôle spécifique pour ça : le roamer. Vous savez, ce joueur qui flotte côté faible pour venir protéger son cercle. Les Giannis, JJJ et consorts…
Et ce rôle est précisément révolutionnaire parce qu’il permet d’influer en quantité et en qualité sur le tir le plus recherché. Mais alors, pourquoi parler de révolution pour un tir auquel les défenses se sont déjà adaptées ? Parce que précisément, c’est le nerf de la guerre. Et que cette évolution, au contraire du 3 points, n’est pas que offensive.
Boston et Minnesota l’ont bien compris, elles sont les deux seules équipes dans le top10 fréquence et réussite autorisée. Résultat ? Les 2 meilleures défenses NBA. Mais reconcentrons-nous, la théorie est simple : augmenter le nombre de tirs au panier augmente mon O-Rating. Mais comme expliqué précédemment, des prérequis sont nécessaires et notamment du spacing, sans quoi l’espace sera bouché et toute la théorie s’effondre. Mais si le spacing est bon et que j’ai du bon personnel pour finir au panier, c’est l’effet boule de neige en théorie. Et c’est un peu ça en fait. Le tir au panier est dur à dompter, nécessite certaines conditions, mais une fois maîtrisé il est redoutable.
Et si on parlait en exemples concrets ? En 2022-23, une équipe a réussi l’exploit, et j’insiste sur ce mot, à avoir un meilleur Offensive Rating en Play-offs qu’en saison régulière, face théoriquement aux meilleures défenses de la ligue. Et figurez-vous que cette équipe avait la 22e fréquence de tirs à 3pts et la 15e (sur 16) en playoffs. Pas du tout moderne à première vue. Ou au contraire justement, tellement moderne qu’en avance sur son temps. Cette équipe était 2e en efficacité au cercle sur la régulière et 6e en fréquence. La seule autre équipe dans le top 10 des deux catégories à elle été jusqu’en finale de conférence.
Cette équipe était celle qui inscrivait le plus de pts dans la raquette et immensément loin devant le 2ème. 26.9 pts/m dans la raquette contre 23.9. 3pts d’écart c’est autant qu’entre le 2e et le …11e ! Cette équipe était celle qui inscrivait le plus de points à chaque fois qu’elle touchait la raquette. Autrement dit, le spacing était tellement bon que presque à chaque fois que l’équipe touchait le cercle c’était pour tenter un tir, et un très bon tir. Et cette équipe, c’est : les Denver Nuggets.
C’est peut-être l’équipe avec l’évolution la plus poussée du spacing, celle qui arrive à l’utiliser non pas pour le shoot, mais pour les tirs sous le panier. Incroyable stabilité et performance mais je vous entend déjà : “c’était qu’une seule saison !”. Alors oui, mais non puisque depuis que Nikola Jokic a posé un pied en playoffs, Denver surpasse son O-Rating de saison régulière en playoffs tous les ans. TOUTES. LES. ANNÉES.
Et le plus dingue dans tout ça, c’est qu’il n’y a jamais de surchauffe à 3 points réelle. Toujours les mêmes % qu’en régulière. Et c’est aussi permis par tout un tas de X’s and O’s comme le fait que Jamal Murray a parfaitement géré les couvertures plus agressives du Heat, la possibilité de Jokic de jouer du roll ou du pop, d’avoir Aaron Gordon initiateur au besoin d’impliquer certains défenseurs ou plus dans le dunker spot… Mais l’aspect central qu’il faut retenir selon moi porte un nom : Nikola Jokic.
De par son ultra efficacité au scoring, Niko force les défenses à mettre un fort défenseur sur lui sous peine de sanction immédiate. Et de par sa taille, c’est bien souvent le protecteur de cercle et elle est là l’incroyable valeur du scoring de Jokic. Le casse-tête permanent que tout le monde affronte. Jokic n’est peut-être pas celui qui met le plus de pts/m mais il est indéniablement celui dont le scoring a la plus grande valeur structurelle tant elle débloque des choses.
Et là je vous entend encore “mais tout le monde n’a pas Jokic”. Et en un sens c’est vrai, Nikola Jokic est l’élément principal de cette évolution et tout comme Curry il n’est pas reproductible dans la performance. Mais dans l’utilisation beaucoup plus. Et est-ce une coïncidence si l’on voit de plus en plus de pivot utiliser de la sorte en hub offensif comme Isaiah Hartenstein, Domantas Sabonis, Alperen Sengun, Jarrett Allen ou même Kelly Olynyk en début de saison ?
Et dans la même lignée, est-ce un hasard si de plus en plus développent un spacing “vertical” en jouant leur P&R plus haut ou même parfois en délaissant la ligne de fond ? La question se pose, et n’oublions pas le centre du propos : la recherche des tirs au panier et tout ce qui en découle. Jokic est une manière d’y arriver mais peut-être en existe-t-il d’autres ? Peut-être que les drives à outrance et les P&R inversés du Thunder de SGA en sont une. Peut-être le mouvement perpétuel du Jazz ou des Pacers l’est aussi (2e et 3e équipes en pts dans la raquette).
Peut-être que l’ultra spacing qualitatif des Celtics DEVRAIT l’être. Et peut-être que Boston va gagner le titre, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Mais le mot à retenir est stabilité. Le régime de tirs de ces Nuggets est bien plus stable.
Chapitre III : à la recherche des tirs délaissés
Au cours de cet article, nous avons beaucoup parlé de la localisation des tirs, mais finalement que très peu de la façon dont prendre les tirs. On a commencé à toucher du doigt le sujet avec les Nuggets de Jokic mais finalement sans trop en discuter.
Les 3 points sont à 36% en moyenne, mais est-ce que tous les 3 pointssont les mêmes ? Est-ce que tous les tirs au panier se valent ? La réponse semble évidente : non. Globalement un cut vaut bien plus qu’un drive (1.30 pts/tir vs 1.05 pts/tir). Un catch-and-shoot à peu près pour n’importe quel joueur est plus efficace qu’un pull-up. Et même un tir après un démarquage sera plus efficace qu’un tir contesté. Et tout ceci est plutôt facile à prouver comme cet article de 82games qui résume bien l’affaire : le moins longtemps on touche la balle et le moins de dribble on réalise avant un tir, le meilleur on sera.
Mais alors, si on prend un peu de recul, pourquoi ne pas prendre plus ce genre de tirs ? La réponse est que ce sont des tirs qu’il faut créer et surtout qu’historiquement ce ne sont pas des tirs de stars. La star doit jouer de l’isolation, doit prendre des tirs compliqués. Et c’est sans doute une facette du jeu inamovible tant certains systèmes de jeu seront toujours bien défendus et que certaines possessions se finiront fatalement par une isolation.
Mais la part de ce genre d’action ne peut-elle pas être réduite ? Réduite qu’à une solution de repli occasionnelle plutôt qu’à un fond de jeu. Et pour moi, il y a une vraie attache au passé avec ces actions. Parce que oui, comme vu précédemment, certains joueurs sont tellement élites qu’une isolation de leur part tire l’équipe vers le haut . Mais s’ils sont justement si forts sur ces actions, ne seraient-il pas encore meilleurs sur des actions mieux amenées, qui les mettent encore plus en valeur ? À mon sens, il y a un vrai manque à gagner sur la façon de jouer en NBA.
Amener du mouvement n’apporterait que du positif. Démarquer les shooteurs les amène à être encore plus en réussite et ne fait que renforcer leur gravité et donc créer des décalages dans la défenses, du chaos. Impliquer plusieurs joueurs sur un P&R décuple les issues et ramène donc encore plus de difficulté pour une défense. Développer un jeu à 2 côté faible impliquera les défenseurs et réduira énormément la possibilité d’aide. Les possibilités sont grandes et dur de mettre des mots dessus mais un principe résume tout : le mouvement.
Et c’est sans doute ça l’évolution du spacing, créer de l’espace de par le mouvement. Il faudra toujours une qualité minimum de shoot dans une équipe mais on se rend compte que l’on peut vraiment maximiser cet espace en y amenant du chaos, de l’imprévisibilité. Et ce même mouvement amènera aussi des incompréhensions défensives, ouvrira des cuts et forcera des switch pas forcément souhaités… pour jouer des isolations !
La théorie semble cohérente mais dure à prouver. Comment mesurer le ‘mouvement’ d’une équipe ? Compliqué mais arrivé ici, je ne pouvais pas ne pas faire mes recherches et voici ce que l’on trouve. Si on considère les playtypes suivants : cut, handoff (main à main) et off-screens, voici les 4 équipes qui en jouent le plus, et de très loin : les Nuggets, les Warriors, les Kings et le Jazz. Pas si impressionnant à première vue. Mais on parle des champions en titre en Denver de 1.
De 2, les Warriors ne sont plus ceux d’antan mais c’est avant tout la qualité qui baisse : Klay Thompson qui vieillit, Wiggins en deçà, la déception Poole, les défenses qui s’adaptent aux lineups à 2 non shooteurs et on se retrouve face au problème qualitatif. Les Warriors ne passent plus le premier critère qui permet de débloquer le suivant, mais ont toujours ce mouvement qui est supposé venir sublimer ce spacing.
Et ce cas est aussi intéressant parce qu’en un sens la dynastie Warriors était basée sur ce théorème spacing + mouvement et forcé de constater que ça a superbement marché. Ils étaient vraiment en avance sur leur temps, littéralement avant de se faire rattraper par les soucis d’effectif. Les Kings quant à eux sont un bon exemple aussi et ont possédé la meilleure attaque de NBA l’année passée de par ce principe de mouvement à outrance. Et le Jazz, peut-être qu’il faut garder un œil dessus…
Donc finalement c’est même plutôt une réussite cette affaire non ? Un dernier bon exemple de la puissance potentielle du mouvement serait les 76ers de notre ami Joel Embiid. En perdant Harden, les 76ers ont littéralement le même rating offensif que lorsque Joël est sur le terrain. Et la vraie raison n’est pas la progression de Tyrese Maxey. Non, la vraie raison c’est que Nick Nurse a remplacé la création individuelle de James Harden par de la création collective de par le mouvement.
Le constat est frappant, sur ces mêmes actions “de mouvement”, Nurse a augmenté leur part de près de 5% dans l’attaque globale. Ridicule ? Pas vraiment puisqu’en passant de 10% à 16%, cela représente une augmentation de 60% en fait. Et encore, cela ne traduit que l’aspect finition et ne prend pas en compte tout le mouvement réel d’une attaque.
Ce dernier chapitre est bien plus compliqué à prouver de par les stats mais semble dans la théorie cohérent. Et semble également offrir une certaine stabilité puisque les deux derniers champions sont deux équipes parmi celles qui basent le plus leur jeu sur ce principe. Et peut-être qu’au-delà du spacing, au-delà des titres et bagues, au-delà des records à 3 points pour l’un ou d’efficacité pour l’autre, peut-être qu’il est là le vrai héritage de Stephen Curry et Nikola Jokic.