Walt Bellamy

Walt Bellamy, l’énigme

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Walt Bellamy est considéré en son temps comme le compromis parfait entre Wilt Chamberlain et Bill Russell. Il est capable d’attaquer presque aussi bien que le premier et défendre presque aussi bien que le second. Malgré cela, il est loin d’avoir laissé autant de traces dans l’histoire que ses deux contemporains. On déniche peu de photos, d’images ou d’articles le concernant. Pourtant, le peu que l’on trouve à son sujet est sans doute l’explication de cette intrigante absence. 

Le problème Bellamy

La saison 1961/62 de NBA connaît une expansion, rien de spectaculaire puisqu’on passe de huit franchises à neuf. Les nouveaux venus se nomment les Chicago Packers, ce sont les ancêtres des Washington Wizards. La ligue offre aux Packers le premier choix de la draft avec lequel ils sélectionnent logiquement Walt Bellamy. Le pivot issu de l’université d’Indiana vient de remporter la médaille d’or aux jeux olympique de Rome avec l’équipe nationale en compagnie de Bill Russell et Oscar Robertson. Personne dans cette loterie de 1961 ne peut rivaliser de talent avec cet intérieur de 2m11, solide et athlétique.

Ses débuts sont fracassants, il s’installe aussitôt dans la hiérarchie des gros noms de la ligue. Avec 31 points et 19 rebonds de moyenne, le trophée de rookie de l’année lui revient logiquement. Ce sont les meilleurs chiffres de sa carrière. Comme quelques autres joueurs de cette période, il réalise ses plus belles lignes statistiques lors de cette saison 1961/62. Rien de plus normal, c’est celle où il se joue le plus de possessions de l’histoire. Le niveau de jeu global est également plus faible en ce début de décennie. Une NBA majoritairement blanche, peu athlétique, avec toujours un fort goût des 50’s.

Certains disent encore de nos jours que c’est une des plus grandes saisons rookie de l’histoire, si ce n’est la meilleure. Cependant, quand on aligne cela sur 75 possessions, nous sommes sur un rendement de 22 points et 13 rebonds de moyenne. Cela reste très fort pour un joueur de première année, mais d’autres très bons intérieurs effectueront la même chose par la suite. Ils sont une petite quinzaine à réussir une campagne de ce type.

Les Packers demeurent toutefois une équipe d’expansion faite de bric et de broc. Ils ne remportent que 18 petites victoires. Le nom et l’identité de la franchise changent dès la saison suivante pour devenir les Chicago Zephyrs. Bien que ses stats brutes montrent une baisse de régime, on observe que sur 75 possessions son rendement reste le même. Le tempo de la ligue s’est quelque peu ralenti, il ne peut alors plus reproduire les stats de l’année passée. Collectivement, avec 25 victoires, on constate un progrès est cela est déjà un bon signe.

Au revoir Chicago et les Zephyrs, sa franchise s’installe à Baltimore pour devenir les Bullets. L’équipe s’étoffe avec de nouveaux talents. Bellamy score un peu moins, mais reste très efficace. La saison s’achève avec un bilan de 31 victoires, puis 37 pour la campagne suivante. Les Bullets monte en régime est pourtant ils décident de se séparer de leur phénomène. Car au-delà de ses aptitudes et de ses chiffres, Walt Bellamy pose problème.

S’il est un monstre des raquettes, athlétiquement en avance sur son temps, il n’a pas manqué de faire péter un câble à tous ses entraîneurs. Il en a déjà connu trois en quatre saisons et tous se sont sentis déconcertés par celui qui a désormais une réputation de traînard. On le voit comme un joueur apathique qui oscille entre le grandiose et le moyen. Il ne loupe quasiment aucune rencontre, mais il brille par son absence. Son manque d’engagement donne de l’urticaire au staff des Bullets.

Son entraîneur et ancien partenaire Slick Leonard a voulu le jeter de la fenêtre d’un hôtel avant de certainement se raviser devant la force de Bellamy. Il lui inflige à la place une amende de 400 dollars pour son je-m’en-foutisme. Jack McMahon, coach des Zephyrs l’avait en horreur et son successeur Buddy Jeanette a pendant longtemps levé les yeux au ciel à la simple évocation de son nom. L’indolence de Bellamy use son entourage et il n’y pas que cela.

L’équipe c’est sensiblement améliorée avec de bonnes recrues. Il y a désormais pour l’épauler, Wali Jones, Don Ohl, Kevin Loughery, Bailey Howell, Wayne Hightower et Gus Johnson. Avec ce dernier, ils commencent à se plaindre de ne plus assez toucher de ballons. Les deux se muent en véritables trous noirs. Leur donner la gonfle signifie ne plus la revoir. De plus, les deux hommes ont de l’ego et poussent le bouchon jusqu’à ne plus se passer la balle entre eux. C’est en fin de compte son nouveau et son cinquième coach Paul Seymour qui craque et met un terme à son parcours avec les Bullets. Un premier signe du ras le bol ambiant, Walt voit son salaire être révisé à la baisse avant le début de saison, passant de 30 000 à 25 000 dollars l’année.

Paul Seymour est un ancien joueur qui a une solide réputation de compétiteur. Son effectif vient de perdre un match contre les San Francisco Warriors. Walt Bellamy a été plus que moyen avec 10 points et 9 rebonds. Seymour rumine la défaite et ses hommes sont conscients du malaise. Tout à coup, Walt débarque dans le vestiaire en sifflotant tranquillement. Son entraîneur explose et commence à lui crier dessus. Bellamy n’en est pas un seul instant perturbé. Le regard vide, indifférent, il ne réagit même pas. S’en est trop pour Paul Seymour et son ancien coach Buddy Jeanette qui est toujours membre du staff.

Paul Seymour décrit Walt Bellamy comme quelqu’un ayant avalé une ciguë maltée. Une plante qui rend celui qui l’ingère léthargique. Le désamour et la haine sont palpables. Il est envoyé seulement quatre matchs plus tard chez les New York Knicks contre le modeste Jim Barnes. Il est un intérieur bien moins talentueux, et la maigre contre partie d’un transfert fait à la hâte. Les Baltimore Bullets se débarrassent de Bellamy, sans que personne ne regrette son départ.

Les Baltimore Bullets de Walt Bellamy à l'entre deux face aux Detroit Pistons de Bailey Howell (18). Photo de Lee Balterman /Sports Illustrated via Getty Images
Les Baltimore Bullets de Walt Bellamy à l’entre deux face aux Detroit Pistons de Bailey Howell (18). Photo de Lee Balterman /Sports Illustrated via Getty Images

Du mieux à New York ?

Walt Bellamy se retrouve à New York. Il est désormais associé à un jeune rookie prometteur qui répond au nom de Willis Reed. Les Knicks ne sont pas encore une équipe de haut de tableau comme en témoigne leur bilan de 30 victoires en cette saison 1965/66. Bellamy reste très efficace même si sa production est en baisse. Son temps de jeu est moindre, et la NBA monte progressivement de niveau. Il est dorénavant sur un rendement de 15 points et 10 rebonds sur 75 possessions.

Les Knicks s’améliorent de saison en saison, ils jouent les playoffs chaque année, mais ils décident de se séparer de lui malgré cela. On l’envoie à Detroit avec comme contre partie Dave DeBusschere. Ce dernier rend hommage à Bellamy des années plus tard dans une lettre qui salue ces prestations avec les New York Knicks avant son transfert. Il souligne son importance dans le processus de développement de la franchise. Est-ce une vraie reconnaissance ou un apaisement diplomatique pour un courrier publié avant l’intronisation de Bellamy au Hall of Fame ? Cela est difficile à savoir, car côté new yorkais beaucoup ne partagent pas cette impression.

Le plus virulent est sans aucun doute Phil Jackson qui a maintes reprises a évoqué le problème Bellamy et son désormais légendaire détachement. Il lui reproche de ne pas s’être plus engagé sur le terrain. Quand on connaît l’esprit combatif des Knicks à cette époque, on peut comprendre que cela agace. Jackson n’a toujours pas encaissé de voir Bellamy ne pas prendre part à une bagarre avec les Hawks. Il l’accuse de s’être mis à l’écart du groupe « psychiquement » . Avec pour unique cause, un différend avec la direction du club.

L’ancien entraîneur des Bulls explique aussi que Bellamy est un joueur difficile à coacher et qui exaspère Willis Reed à force de le voir ne pas jouer dur. Chose que confirme le Captain en disant ceci avec plus de gentillesse :

« Quand il se réveil, il est formidable, mais il en faut beaucoup pour le faire se réveiller. »

On ne trouve pas beaucoup de traces de son passage chez les Pistons. Il joue 109 rencontres avec Detroit avant d’être transféré contre John Arthurs. Un anonyme 73éme choix de draft qui ne joue que 11 matchs en NBA. Il semble bien qu’on se soit également vite lassé de Bellamy dans le Michigan, au point de le céder pour rien aux Atlanta Hawks.

Walt Bellamy à la lutte avec Bill Russell. Photo de Dick Raphael/NBAE via Getty Images
Walt Bellamy à la lutte avec Bill Russell. Photo de Dick Raphael/NBAE via Getty Images

Role Player, rôle parfait

Finalement, c’est à Atlanta que Walt Bellamy a certainement été le plus apprécié. Il a désormais trente ans, il est toujours ce joueur en dilettante irrégulier dans l’effort, mais on ne le juge pas pour cela. Car s’il est bon, l’équipe est injouable. S’il est moyen,  Atlanta reste compétitif grâce à ses stars. Dorénavant, il est un role player et ceci lui convient à merveille. On le félicite  lorsqu’il est performant et on le pardonne lorsqu’il passe à côté d’un match. Avec lui, les Hawks arrivent jusqu’en finale de conférence, mais s’inclinent 4 à 0 face aux Los Angeles Lakers.

Son caractère effacé n’est plus une tare et devient même crucial au début de la saison 1970/71. Sans son légendaire flegme, un incident aurait pu éclater et faire grand bruit. Les Hawks viennent de recruter l’arrière de génie Pete Maravich en tant que troisième choix de loterie. Herb White, jeune joueur d’Atlanta invite Walt à faire la rencontre de Pistol Pete. Les trois hommes se retrouvent dans un bar à trois heures du matin. White et Bellamy tombent sur un Maravich complètement ivre.

Le rookie en provenance de LSU commence à hurler et à délirer avant de littéralement sauter sur Bellamy. Pete Maravich est un garçon torturé, mais il n’est pas raciste. Sous les effets de l’alcool, il se met pourtant à proférer les pires insultes à l’encontre de son futur partenaire dont le tristement célèbre N-word. Les mots sont violents et choquants. Cependant, Bellamy ne riposte pas. Il est un homme puissant et extrêmement fort, comme dit Herb White, il aurait pu briser Pistol en deux. Il s’est contenté de regarder Maravich avec dépit et pitié avant de dire « Ramenez cet enfoiré dans sa chambre ».

Imaginer un seul instant s’il avait décidé de répondre, de le frapper. Car comme beaucoup d’Afro-Américains de cette époque, Walt Bellamy a connu la ségrégation, les insultes, la mise à l’écart. S’énerver aurait été légitime. Plutôt que cela, et comme à son habitude, il est resté détaché. Il empêche ainsi un incident diplomatique qui aurait pu ternir à jamais l’image de Pete Maravich et pourrir la saison de sa franchise. L’indolence de Bellamy a cette fois eu du bon.

Les saisons s’enchaînent, désormais il affiche un rendement de 13 points et 10 rebonds pour 75 possessions tout en étant toujours aussi adroit et efficace en attaque. Les Hawks sont irréguliers, ils signent une belle saison 1972/73 qui se solde malheureusement par une défaite au premier round contre les Celtics. Son passage à Atlanta est  à l’image de sa carrière, en dent de scie. Enfin, lors de la draft d’expansion de 1974 il est choisi par les New Orleans Jazz. Il ne désire pas jouer pour eux, il a maintenant 35 ans et ne souhaite pas faire la saison de trop. Finalement, il participe à une rencontre, pour six points en quinze minutes de jeu et se retire définitivement de la ligue.

Walt Bellamy surnommé Bells au rebond avec son partenaire Pete "Pistol" Maravich. Photo de Dick Raphael/NBAE via Getty Images
Walt Bellamy surnommé Bells, ici au rebond avec son partenaire Pete « Pistol » Maravich. Photo de Dick Raphael/NBAE via Getty Images

Sa place dans l’histoire

Le bilan de son parcours remis en contexte peut sembler peu flatteur. On y distingue plus de points négatifs que de points positifs. L’intention n’était pas de forcer le trait pour ne montrer que les aspects réducteurs de son chemin en NBA. Beaucoup sont d’ailleurs unanimes pour dire qu’il avait le talent pour être un des tout meilleurs. Walt Bellamy est une vraie bête physique. Ce qu’il fait en son temps resterait tout aussi impressionnant de nos jours. Entre ses dunks féroces et ses contres tonitruants, il est clairement de la classe des joueurs aux aptitudes intemporels.

Il est aussi un joueur incroyablement efficace. Alors qu’il ne lui est pas étranger de s’écarter du cercle pour prendre des tirs à mi-distance. C’est un intérieur complet en attaque et difficile à bouger en défense lorsqu’il est dans un bons jours. C’est cela tout le problème, Bellamy choisissait ses moments en fonction de sa motivation. Si on cherche un point de comparaison avec quelqu’un de notre époque, la meilleure analogie serait Andre Drummond.

Lui aussi a tout en main pour être un All Star, mais comme Bellamy il est branché sur courant alternatif. Drummond est un monstre physique qui semble pécher lui aussi par manque d’envie. Walt Bellamy est bien un quadruple All Star, mais au début de son parcours uniquement. Produisant des statistiques énormes dans une équipe moribonde au sein d’une ligue au tempo surhumain. Cela a généré des chiffres tronquées qui ont trompé nombreux fans et observateurs. En carrière, on est plutôt sur 16 points et 10 rebonds par rencontre. C’est très bien, mais loin d’être incroyable. Ils sont une bonne trentaine à réussir pareil performance sur plus de 500 matchs joués.

Ses moyennes hors-normes ont masqués son manque cruel de dévouement, son individualisme forcé du début, et son irrégularité. Une nouvelle fois, comme cela fut le cas pour Jerry Lucas, les nombres ont supplanté la narration de son parcours. Ils sont beaucoup à le classer dans les 100 meilleurs joueurs de l’histoire. Leur principal argument ? Ses énormes lignes de stats. Il est pourtant au vu de sa carrière difficile de justifier sa place. Même son siège au Hall of Fame est plus que discutable. Survenu presque 20 ans après sa retraite, on peut considérer que c’est beaucoup d’honneur fait pour un athlète qui s’est si peu investi.

Walt Bellamy et Wilt Chamberlain à l'époque des Chicago Packers. Les deux monstres athlétiques de la saison 1961/62. Via Pinterest
Walt Bellamy et Wilt Chamberlain à l’époque des Chicago Packers. Les deux monstres athlétiques de la saison 1961/62. Via Pinterest

Conclusion

Walt Bellamy n’est pas le joueur qu’on imagine. Il n’est pas un pivot dominant. Il ne remporte que 42 % de ses matchs en carrière et ne participe qu’à 46 rencontres de playoffs. Son palmarès est vierge, sans grande saison, avec un petit run en tant que role player avec les Hawks, rien qui ne soit vraiment incroyable et significatif. Celui qui le décrit de la meilleure manière est sans doute Fred Schaus, ancien coach des Lakers.

« Walter n’était pas une superstar, mais s’il avait joué avec nous, nous aurions été une équipe différente. »

Walt Bellamy aurait dû être un ajout de choix pour une équipe composée de stars. C’est alors peu surprenant de voir que sa plus belle période est son passage chez les Hawks. Ses aptitudes ont poussé à croire qu’il pouvait être le fer de lance d’une franchise, mais c’était une erreur. Il lui manquait le mental nécessaire pour vouloir le devenir. Dans la longue histoire de la ligue, il est loin d’être le seul à s’être sabordé de la sorte. Il est par contre le seul à avoir un statut de légende malgré cela.

Je reste comme beaucoup sur ma faim en ce qui concerne Walt Bellamy. Pourquoi est-il si désengagé tout au long de sa carrière ? Est-ce qu’au même titre que Bill Russell, il avait la tête ailleurs à cause des problèmes sociaux de son pays lors de ces années 60 ? Après la NBA, il s’est beaucoup investi en politique à l’échelon locale. Il a participé à de nombreuses collectes de fonds pour diverses causes. Il a aussi prêché pour une meilleure éducation, insistant sur le fait qu’il est plus utile de bâtir des écoles et des programmes sains plutôt que de construire des prisons. Un homme engagé et bien plus combatif pour les sujets qui le touche qu’il ne l’a jamais était sur un terrain de basketball.

Est-ce qu’il était simplement que peu concerné ? Agissant tel un dandy cool sur qui la vie glisse comme de l’eau. Impossible pour moi de vous le dire. Il est un individu et un basketteur intriguant à la carrière des plus étranges. S’il n’est pas la superstar qu’on pense, il est assurément un cas extrêmement intéressant et qui pose question. Il est un exemple parfait de la manière dont nous avons construit des mythes autour des statistiques des joueurs de son ère.

Ce texte a pu voir le jour grâce à quelques articles du magazine Sports Illustrated et au travail du journaliste Harlan Schreiber sans qui je n’aurai pas eu grand-chose à vous raconter. Walt Bellamy laisse une empreinte sur sa période étrangement fantomatique, comme si son époque l’avait autant ignoré qu’il a lui-même ignoré le jeu et ses obligations. Son cas restera peut-être à jamais insondable, faisant de lui le joueur le plus mystérieux de son temps, une véritable énigme.

Richard DRIE

43 ans - Rédacteur - Contrairement à ce qui se raconte, je n'ai pas côtoyé George Mikan. Mais je m'efforce de raconter du mieux que je peux l'histoire de la NBA. Avec un gros penchant pour les années 60 et 70. Le bon vieux temps des moustaches et des shorts courts.

2 Comments

  1. […] Walt Bellamy, comme on a déjà pu le voir, est loin d’être la solution aux problèmes des Pistons. Dave Bing est sensiblement sur le même rendement que la saison passée. Sa moyenne est désormais de 23,4 points, mais elle est en réalité due à un Pace plus faible. Il est dans ses standards et cela ne suffit pas à faire décoller les performances de son club. Donnie Butcher est remercié en cours de route et c’est le teigneux Paul Seymour qui le remplace. Rien n’y fait, le bilan est de seulement 30 victoires. […]

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