Gros, imposant, obèse, ventripotent, bien en chair, autant de qualificatifs qui dans l’inconscient collectif n’évoquent pas le monde du sport professionnel. Pourtant, nombreux sont les athlètes en surpoids à se trouver une place au plus haut niveau. La NBA est reconnue comme une des ligues les plus exigeantes physiquement, mais malgré cela, elle ne fait pas exception. L’actualité récente le rappelle encore : être gros en NBA n’est pas anodin.

Le 2 février 2025, le nouveau General Manager des Dallas Mavericks, Nico Harrison, décide d’envoyer Luka Doncic à Los Angeles en échange d’Anthony Davis. C’est un transfert inimaginable qui retourne la communauté comme une crêpe, laissant tout le monde complètement abasourdi par la nouvelle. Très rapidement, cet échange est justifié par la mauvaise forme physique du petit génie slovène. Le staff des Mavericks déclare que Luka Doncic est accroc au sucre et qu’il affiche 270 livres sur la balance, soit environ 125 kilos.

Effectivement, avec un tel poids, il est possible de questionner l’hygiène de vie du meneur de Dallas. Cependant, il est compliqué de valider une telle décision sur ce simple constat. Luka est un talent générationnel et une organisation comme les Mavericks a normalement tout l’équipement pour remédier à ce problème. Après une saison 2023/24 éreintante, il peut se comprendre que Doncic lâche du lest et se séparer de lui pour cette raison semble aux yeux de tous excessive.

De mon côté cet épisode rocambolesque me rappelle au souvenir de joueurs dont le surpoids fut un obstacle au bon déroulement de leur carrière. Habituellement, lorsque je me penche sur un tel sujet, je parviens à remonter dans l’histoire de la grande ligue afin de trouver des exemples similaires au thème traité. Mais cette fois-ci, impossible de se raccrocher à de lointaines références.

Les joueurs NBA des années 50 et 60 ne sont pas les plus grands athlètes de l’histoire, mais aucun n’a marqué son temps à cause d’une surcharge pondérale. Leur hygiène de vie s’articule pour beaucoup autour du tabac et du houblon et beaucoup affichent un petit bidon sans pour autant que cela leur soit reproché. Le premier exemple qui me vient à l’esprit concerne l’ancien sixième homme de luxe des Celtics, Paul Silas.

Lorsqu’il rejoint les C’s en 1972, Silas prend conscience qu’il doit maigrir. Malheureusement pour lui, le temps n’est pas encore aux nutritionnistes et autres chefs privés. Pour arriver à ses fins, il se lance dans un régime qu’il effectue en compagnie de sa femme en participant à des réunions Weight Watchers. La méthode est improbable, mais elle s’avère efficace puisque l’ailier fort de Boston parvient à perdre pas loin de 15 kilos.

Cependant, à aucun moment cela ne lui a été imposé par son club, il s’agit d’une démarche personnelle réalisée par un athlète qui désire améliorer ses performances. Pour trouver notre premier exemple probant, il nous faut faire un saut dans le temps qui nous amène au milieu des années 80. Pour la première fois de son histoire, la NBA compte dans ses rangs un joueur suspendu par sa franchise à cause de son poids.

Le face à face Doncic/Harrison quelques jours seulement après le transfert. Sans aucun doute une des images les plus marquantes de la saison.

Le Poids des Maux

Lors de la draft de 1986, les Washington Bullets sélectionnent l’ailier de Louisiana State University, John Williams. Quand Williams est en High School, son profil polyvalent, altruiste ainsi que sa taille, font dire aux observateurs les plus enthousiastes qu’il est le prochain Magic Johnson. Les universités de tout le pays se l’arrachent et tous les moyens sont bons pour arriver à recruter la pépite originaire de Californie.

Le jeune homme subit une pression folle et permanente qui pousse son stress au maximum. Il souffre de cette situation au point de se retrouver le corps recouvert de boutons. Pour ne rien arranger, son environnement est des plus toxiques avec une mère bien décidée à vendre son fils au plus offrant. Entre pots-de-vin, corruptions, coups de pressions et autres mésaventures, John Williams finit par rejoindre LSU. Malgré de bonnes performances individuelles et collectives, son sombre passage par la case NCAA fait drastiquement baisser sa cote à la draft.

C’est un joueur de 20 ans au physique solide et affûté qui arrive en NBA aux Washington Bullets. L’équipe de la capitale recrute le Californien avec le douzième choix de la draft maudite de 1986. Du haut de ses 2m03, Williams est un combo ailier qui peut évoluer sur les postes 3 et 4. Après une saison rookie timide, il monte en puissance et se démarque comme un des meilleurs sixième homme de la ligue. Lors de sa quatrième année, il montre un rendement d’All Star avec 18 points, 8 rebonds et 5 passes de moyenne. Malheureusement, après seulement 18 rencontres, un choc avec Bernard King lui explose un genou et sa saison prend fin.

Malgré sa progression, John Williams a aussi évolué physiquement lors de ses quatre premières saisons en prenant beaucoup de poids. La blessure qu’il contracte n’arrange pas les choses et quand il fait son retour le staff de Washington est stupéfait, John Williams est littéralement devenu obèse. Les Bullets ne réussissent pas à régler la situation et emploient des méthodes… disons contestables de nos jours. Car ce dont souffre John Williams est intimement lié aux problèmes qu’il doit affronter au quotidien.

Son environnement toxique est plus que jamais présent et le jeune homme trouve son réconfort dans les sodas et la nourriture. Fin des années 80, la santé mentale des joueurs n’est pas une préoccupation pour les franchises, démunies face à la situation, les Bullets vont tout simplement le suspendre pour surpoids. John Williams devient alors le premier joueur de l’histoire à recevoir une telle sanction.

« Il fait partie de ces joueurs altruistes qui rendent les autres meilleurs, comme Magic Johnson, comme Larry Bird. » – Larry Brown

Un coach est lui sous le charme de ce Bibendum aux mains de velours, Larry Brown, l’entraîneur des Los Angeles Clippers. Il redonne sa chance à Williams, mais ce dernier devient de plus en plus imposant aux grands désarrois de son General Manager, Elgin Baylor. Larry Brown est congédié et la saison suivante, John Williams est suspendu une deuxième fois à cause de son poids. Les Clippers se séparent de lui et encore une fois c’est Larry Brown qui lui tend la main en faisant le forcing pour que sa nouvelle franchise, les Indiana Pacers, engage son protégé.

Une fois de plus c’est un échec cuisant pour celui qui se voit depuis des années affublées du surnom de John « Hot Plate » Williams, la plaque chauffante. Il se retrouve en Europe et devient une des attractions du championnat espagnol où il est encore aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs Américains que la Liga ACB ait connus. John Williams est aussi, le premier d’une longue liste de joueurs en surpoids qui peuplent la NBA des années 90 et 2000.

John Williams en compagnie de Mark Jackson. Ce dernier déclare un jour que Williams est le meilleur Big Men avec lequel il a joué. Copyright 1993 D. Bernstein – Getty Images

Super Size Me

Bien que les Étasuniens ne soient pas les inventeurs du fast-food, ils sont devenus avec le temps les ambassadeurs de ce mode de restauration qui a aujourd’hui envahi la planète entière. C’est une submersion qui prend de l’ampleur fin des années 80 à grand renfort de publicité. Les grands groupes développent leur business de façon exponentielle et les franchises des diverses marques poussent comme des champignons. En 1995, on recense près de 200 millions d’obèses dans le monde et le championnat de basketball nord-américain n’est pas épargné par cette tendance.

En NBA, un joueur symbolise à lui seul l’impact de la malbouffe. Les plus anciens se doutent de qui il s’agit, c’est bien entendu Oliver Miller qui arrive aux Phoenix Suns en 1992 en provenance de l’université d’Arkansas. Le pivot des Suns est annoncé à 125 kg lors de sa saison rookie, mais certains estiment qu’il se situe déjà bien au-delà de cette marque.

Comme John Williams, la corpulence de Miller contrebalance avec la grâce de son jeu. Celui qu’on surnomme « Big O » est doté d’une vision du jeu excellente, d’un toucher de balle soyeux et d’un bagage technique qui fait de lui un intérieur atypique. Cependant, il partage également les mêmes défauts que Williams en ne réussissant jamais à maintenir un semblant de forme. Pire, il devient au fil des ans de plus en plus gros.

Pourtant, lorsqu’il arrive à Phoenix, la star de son équipe est potentiellement quelqu’un qui peut le placer sur la bonne voie, puisque Charles Barkley a rencontré le même problème lors de ses débuts à Philadelphie. L’anecdote est connue, Barkley débarque en NBA avec une hygiène déplorable et il s’enfile des quantités astronomiques de pizza et de burgers. C’est son coéquipier et futur mentor, Moses Malone qui le met à l’amende avec une rudesse identique à celle qu’il applique sous les panneaux.

Je n’avais pas l’occasion de jouer ma première année en NBA et Moses Malone m’a pris à part. Il m’a dit que j’étais gros et paresseux et j’ai pleuré. Je ne vais même pas mentir. J’ai pleuré mais j’étais gros et paresseux et Moses m’a pris sous son aile et j’ai perdu 50 livres et je suis devenu un Hall of Famer. _ Charles Barkley 

Peut-être que Charles Barkley a voulu employer la même méthode que son illustre aîné pour lancer une prise de conscience dans l’esprit de son jeune rookie. Car lors d’un entraînement, il se moque ouvertement de son partenaire, affirmant que Miller ne peut dunker, si et seulement si un Burger est placé sur le cercle.

Charles Barkley n’est pas tendre, mais le Chuckster ne lâche pas Miller qu’il encourage à se prendre en main, car à Phoenix on est sous le charme de ce jeune pro à l’attitude irréprochable. Oliver joue le jeu et se donne enfin à fond bien aidé par le staff des Suns qui le met au régime sec avec un résultat probant, 25 kilos de moins.

Toute l’équipe a été importante mais c’est surtout Charles que je remercie. Il m’a aidé tout au long de l’année, sur tous les plans. C’était naturel de l’écouter sachant qu’il avait connu la même situation. Ce fut un peu mon modèle. _ Oliver Miller

Comme on dit, chassez le naturel, il revient au galop. Il s’avère que Miller est bel et bien accroc à la junkfood. Rien ne peut empêcher le Big O de s’en remettre aux saveurs d’un Big Mac et il reprend rapidement les kilos perdus. Les Suns jettent l’éponge et les scandales d’agression sexuelle et de violence domestique n’arrangent pas la situation. Miller commence à vagabonder de franchise en franchise avec à chaque fois le même constat. Le talent est bien présent, il peut même s’avérer être très utile. Cependant, personne ne veut d’un joueur qui accuse plus de 170 kilos sur la balance.

Début des années 2000, Miller se retrouve sans club. Il tente d’intégrer la troupe des Harlem Globe Trotters, mais son embonpoint est tel qu’il se fait renvoyer. Mannie Jackson, le propriétaire des Trotters à l’époque livre un constat rédhibitoire sur le manque de professionnalisme de Miller.

Je considère Oliver comme un ami et, sans aucun doute, un solide joueur de basket-ball. Malheureusement, il est l’un des rares athlètes qui, après deux mois, n’a montré aucune appréciation de ce qu’il faut mentalement et physiquement pour être un Harlem Globetrotter. – Mannie Jackson

Un come-back avec les Minnesota Timberwolves en 2003 ne change rien. Miller est toujours aussi imposant et a 33 ans, il est trop âgé pour oser espérer la moindre évolution. Oliver Miller est aujourd’hui reconnu comme le joueur le plus lourd de l’histoire, mais il est aussi l’arbre qui cache une forêt. Pendant les 90’s, de nombreux joueurs ont souffert du même problème. Parmi eux : Stanley Roberts, Elmore Spencer, Kevin Duckworth ou encore Thomas Hamilton.

Les grands gabarits sont les plus touchés, même si globalement c’est toute la NBA qui prend du volume. Seulement, là où beaucoup se forgent des physiques d’armoires à glace, comme Charles Oakley ou Anthony Mason des New York Knicks. D’autres, moins rigoureux à la salle, se laissent aller à faire du gras. La NBA prend de la masse et les journaux commencent à s’intéresser au sujet au milieu des années 2000. Cette fois, celui qu’on montre du doigt se nomme, Shaquille O’neal.

Richard Dumas qui enlace Oliver Miller, deux talents gâchés pour les Suns. Deux jeunes hommes à la carrière détruite par leurs addictions.

Une ligue de Gros ?

En mars 2005, l’Associated Press publie un article qui fait beaucoup parler de lui au même titre qu’un autre papier du même genre visant la NFL quelques jours plus tôt. Les calculatrices ont chauffé, puisque l’AP s’est amusée à calculer l’IMC de tous les joueurs de NFL et de NBA. Pour ceux qui l’ignorent, l’IMC (Indice de Masse Corporel) consiste à diviser la taille d’un individu par son poids. Le résultat permet alors d’identifier si une personne est obèse ou en surpoids.

Si votre rapport taille/poids est supérieur à 30, désolé pour vous, mais selon l’IMC vous êtes obèse. En 2005, ils sont cinq à être considérés de la sorte en NBA, et plus de 200 à être en surpoids. Les cinq joueurs en question sont Brandon Hunter, Clarence Weatherspoon, Rodney Rogers, Robert Traylor et Shaquille O’neal. Ce dernier fait depuis des années l’objet de nombreuses critiques. Sauf que manque de bol, il vient de rejoindre les Miami Heat, l’équipe la plus intransigeante avec la forme physique de ses joueurs.

Lorsque le Shaq débarque à Miami, il lui est ordonné de se conformer aux standards du club et de perdre 18 kilos. Malgré cela, le Big Aristote explose le compteur de l’IMC avec un rapport de 31,6. Le calcul est formel, passé 30 vous êtes obèse. Seulement voilà, selon les experts l’IMC seul ne suffit pas à déterminer la forme physique d’un individu, O’neal en est la preuve vivante car son pourcentage de graisse corporelle n’est que de 13 %.

J’ai lu la formule, mais en tant qu’athlète je suis considéré comme phénoménal. Vous pouvez le vérifier. – Shaquille O’neal

Effectivement, l’IMC de Shaq crève le plafond mais cette donnée est trop imparfaite pour démontrer quoi que ce soit dans le milieu du sport. Deux personnes avec un IMC similaire peuvent avoir deux morphologies complètement différentes. En 2022, une étude se penche sur le sujet et décide de passer au peigne fin plus de 4000 joueurs (nationaux, internationaux et régionaux). Elle utilise plusieurs outils aux noms barbares comme l’absorptiométrie, l’analyse d’impédance bioélectrique, la méthode des plis cutanés ou encore la pléthysmographie par déplacement d’air.

Ces techniques vont permettre de calculer le pourcentage de graisse corporelle moyenne d’un joueur de NBA. En 2022 il est d’environ 16 % et il monte même à 19 % chez les pivots. On peut alors donner raison à O’neal. Son physique est bien phénoménal quoiqu’en dise l’IMC. Les joueurs les plus remarquables en 2023 sont John Butler Jr (7,08 %), Ousmane Dieng (8,52 %), Ziaire Williams (8,65 %), Jaden McDaniels (8,78 %) et Bryce McGowen (9,16 %). Bien entendu, LeBron James se trouve tout au long de sa carrière au top avec 6 à 10 % de graisse corporel, un peu plus que le GOAT de la discipline Michael Jordan avec seulement 5 %.

Les « mauvais élèves » sont Ish Wainright (25,4 %), P.J Tucker (25,7 %), David Roddy (26,8 %), Kenneth Lofton Jr (27,8 %) et enfin Zion Williamson (29,7 %). Cependant, l’étude précise qu’un indice de graisse important ne signifie pas qu’un joueur ne peut pas avoir une carrière réussie. Néanmoins, un résultat élevé peut influencer la performance, l’agilité et provoquer un risque accru de blessure. Bizarrement, il en est de même pour un athlète avec un faible pourcentage de graisse, plus sujet aux blessures musculaires.

Dans un cas comme dans l’autre, être aux extrémités du spectre est un facteur de risques. Cependant, personne n’a jamais entendu un mot à l’égard de Jaden McDaniels alors que Zion Williamson et Kenneth Lofton Jr ont tous deux eu droit à leur lot de critiques. Dans une NBA plus athlétique que jamais, les kilos en trop font mauvais genre. Pour être dans le moule, il faut alors gérer son taux de graisse corporel afin de mêler au mieux, agilité, performance et santé globale. C’est un cocktail qui peut s’avérer être déterminant pour une franchise qui investit des millions de dollars dans ses joueurs.

Alors non, la NBA n’est pas une ligue de gros, mais être gros en NBA peut devenir un frein pour une carrière, le surpoids augmente le facteur bénéfice/risque et peut refroidir de nombreux managers ou propriétaire. Loin de moi l’idée de trouver des circonstances atténuantes à Nico Harrison, mais la science à tendance à donner raison à ses craintes vis-à-vis de Luka Doncic. Cependant, il reste compliqué d’approuver son choix qui tient peut-être ses racines dans quelque chose de moins solide scientifiquement.

Toute sa carrière on a entendu que Shaq est gros. Alors que son taux de masse graisseuse en fait un des intérieurs les plus athlétique de sa génération.
Shaquille O’neal, plus affûté que jamais retrouve son physique de jeune rookie avec Miama. Copyright :Andrew D. Bernstein – Getty Images

Le Caractère Discriminant du Surpoids

Il ne faut pas se le cacher et comme pour le racisme, il existe une grossophobie systémique en NBA comme dans le sport en général. Récemment médaillée d’or aux Jeux Olympiques de Paris, Romane Dicko la judokate française témoigne de sa situation après avoir subi plusieurs campagnes de harcèlements.

Je suis sportive de haut niveau, donc je m’entraîne deux fois par jour. Parce que je ne suis pas sèche, je n’ai pas le physique de quelqu’un qui s’entraîne ? C’est fou comme le sport est associé à la perte de poids. Il est associé à un physique, un gabarit, alors que pas du tout. – Romane Dicko

Lorsqu’on est gros, pour beaucoup de gens cela signifie être négligé et manquer de volonté. En quelque sorte, on est responsable de son physique et coupable de laxismes. Revenons un instant sur le cas de John Williams. Les Washington Bullets décident de le punir en ne versant pas son salaire, il le reçoit à une condition, réussir cinq pesées consécutives à 115 kilos. Les deux premières sont des échecs, il ne se présente ensuite à aucune des trois autres.

Il en est déduit que Williams n’a pas l’envie suffisante d’avancer et de résoudre ses problèmes. Il est alors considéré comme un joueur fainéant qui préfère se complaire dans des orgies de poulets frits et de sodas, plutôt que de lutter pour le bien de sa carrière. Il devient le sujet de moqueries et encore aujourd’hui, certains s’amusent à raconter son parcours par ce prisme réducteur.

La réalité est plus complexe, John Williams s’inquiète évidemment pour sa carrière et comme il est de nature anxieuse, ce stress le pousse à s’enfoncer encore plus dans ses addictions. La spirale est infernale, la honte est tellement grande qu’il n’ose se présenter aux pesées que lui demande son club. John Williams est en dépression depuis plusieurs années, il n’est pas fainéant, mais malade. Les maux ne se soignent pas avec un pistolet posé sur la tempe, c’est pourtant le traitement qu’on donne à John Williams fin des années 80.

Bien sûr, il existe des cas dans lesquels les joueurs ne font aucun effort et les exigences du monde professionnel les amènent à lâcher prise. D’un autre côté, on ne doit pas nier le caractère discriminant du surpoids et la façon dont le monde du sport, les observateurs et les fans regardent ces athlètes aux courbes généreuses. Comme le rappelle Lucie Inland dans son blog : « un gros n’est pas quelqu’un qui a échoué à devenir ou rester mince ». Malheureusement, beaucoup ne cessent de leur dire et souvent avec violence.

Les spécialistes du genre se trouvent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Coach en développement personnel, en séduction, ou fanatique de musculation, tous cultivent une parole discriminante envers les personnes en surpoids. Le youtubeur Tibo InShape qui en 2022 se fend d’un tweet grossophobe n’arrive pas ensuite à comprendre pourquoi sa déclaration est problématique..

Non, dire à un obèse qu’il n’est pas en bonne santé et qu’il doit se reprendre en main pour éviter de graves problèmes de coeur, de diabète, ou d’hypertension, de libido … ce n’est pas grossophobe, c’est vouloir l’aider.

Résumer l’obésité à un problème de volonté c’est nier tous les facteurs qui en sont la cause et croire qu’une personne en surpoids est en mauvaise santé, un cliché encore trop répandu. C’est ainsi que les vidéastes et autres influenceurs pour qui un corps sain est un corps musclé tournent en dérisions des phénomènes comme les « Fit Fat Girl ». Dans leur logiciel, les mots Fit et Fat ne peuvent coexister. De plus, c’est un mouvement porté par des femmes, l’occasion est trop belle de montrer qu’on est également sexiste.

Quel est le point commun de tous ces vidéastes ? Ils sont exclusivement de droite, voire d’extrême droite. On mange de la viande, on soulève des poids, on exprime sa puissance et sa domination en exposant aux yeux de tous un corps sculpté. Ceux qui sont trop gros, ou trop maigres, sont alors jugé comme des feignasses aux corps de lâches. Cette logique primitive a malheureusement depuis quelques années pris son aise sur l’internet.

Avec eux le sport devient plus discriminant que jamais et il se pose de fait en discipline élitiste ou la beauté du corps et normée. Tout physique situé hors de ces standards est alors considéré comme malade et laid. Pour rappel, une personne sur cinq a déjà été victime de grossophobie en France. Que ce soit à l’école, à l’hôpital, sur son lieu de travail, avec ses amis ou sa famille, la grossophobie fait des ravages. La société dans son ensemble ne peut s’empêcher de pathologiser et de discriminer les personnes en surpoids et les influenceurs droitardés en sont actuellement le relais le plus visible et stupéfiant.

Romane Dicko championne Olympique de Judo a également subit une campagne d'harcèlement sur les réseaux sociaux à cause de son poids.
La grande championne Romane Dicko a été victime de campagnes de harcèlements sur les réseaux sociaux à cause de son physique. [Photo via MaxPPP]

Cultiver la Différence

Victor Wembanyama serait-il un joueur aussi spécial si on lui enlevait 15 centimètres ? Certainement que non. Sa taille fait de lui un joueur atypique qu’il magnifie par la polyvalence de son jeu. Boris Diaw devient-il un meilleur joueur avec 15 kilos de moins sur la balance ? Son passage remarqué et remarquable avec les San Antonio Spurs nous montre que cela n’était pas utile.

Bien sûr, on ne peut pas nier que pour survivre au mieux en NBA il est plus optimal de le faire avec un corps adapté aux exigences du haut niveau. Cependant, est-il pertinent de vouloir ôter à un joueur ce qui fait sa singularité ? Zion Williamson est en surpoids, mais cela est aussi une de ses forces. Le fait est qu’il est sujet aux blessures, mais faire de lui un athlète mince et léger le prive de ce qui est une de ses principales armes.

Le parallèle avec un géant comme Wemby peut sembler tiré par les cheveux, mais il ouvre un questionnement sur comment peut-on gérer un physique atypique dans le basketball professionnel ? Un exemple que j’aime beaucoup est la gestion des Indiana Pacers du géant Rik Smits. Avec ses 2m24 il est hors normes et il est loin d’être une brindille. Pour ne rien arranger, il est embêté tout au long de son parcours par des blessures récurrentes aux pieds. Malgré cela, il termine sa carrière après 12 saisons et 792 rencontres.

Les Pacers n’ont jamais tiré sur la corde, ils auraient très bien pu le faire, car le géant hollandais ne manquait pas de talent. Mais comme le dit le vieil adage, qui veut voyager loin, ménage sa monture. Lors de sa carrière, Rik Smits a un temps de jeu moyen de 27 minutes et cela ne l’a pas empêché d’être All Star et de participer à une finale NBA.

C’est un management contrôlé que les Houston Rockets ont négligé en leur temps avec un autre géant, Yao Ming. Le Chinois a un temps de jeu bien supérieur à Smits et il grimpe même à 37 minutes en 2008 alors que le pivot de 2m29 a déjà montré des signes de fatigue. Le résultat est sans appel, seulement sept saisons et 486 rencontres en carrière pour la muraille de Chine.

Je ne dis pas que la solution absolue est de limiter le temps de jeu des joueurs en surpoids. Toutefois, cette approche a le mérite de ne pas les stigmatiser en les écartant du groupe et d’attendre que ces derniers entrent dans la norme. C’est la philosophie aujourd’hui adoptée par les New Orleans Pelicans avec Zion Williamson. L’ailier des Pelicans à fait des efforts sur son poids, mais son club a décidé de limiter ses minutes (28 minutes en moyenne) et le dispense des back to back. Son rendement est malgré un temps de jeu réduit extraordinaire et on commence même à saluer son engagement en défense.

Comme le rappelle Romane Dicko, être en surpoids n’a rien à voir avec le fait d’être en forme. Montrer du doigt un athlète avec des kilos en trop et le juger pour cela est stupide. Dans le cas de Zion, le moindre de ses faits et gestes lui a été jeté au visage comme des preuves de manque de sérieux. La réalité est que nous ne savons rien de lui et que les quolibets n’ont qu’une finalité, aggraver sa situation. La grossophobie est aussi grave que n’importe quelle discrimination, et Zion a trop souvent été la cible de la plèbe comme d’autres dans son cas avant lui.

Les explications de Nico Harrison suite au transfert de Luka Doncic s’inscrivent alors dans cette lignée de grossophobie systématique et stigmatisante. Parce que Luka a grossi, c’est qu’il est fainéant et qu’il ne se donne pas à fond. Parce qu’il a grossi, il ne peut être performant sur le terrain. Le fait qu’il ait pris du poids est le signe que son club ne peut espérer remporter un titre avec lui.

Le seul problème est qu’aujourd’hui Luka enchaîne les victoires avec les Lakers et que Dallas compte dix joueurs à l’infirmerie. Pourtant, aucun de ses joueurs n’a un taux de graisse corporel supérieur à celui de Luka Doncic. Si les explications données par Nico Harrison sur son choix d’échanger Luka sont exactes, voilà l’exemple parfait de comment la grossophobie systémique du monde du sport a peut-être engendré une des pires décisions de l’histoire de la NBA.