Les Géants ont une place particulière dans l’histoire de la NBA et dans le cœur des fans. Fréquemment, les destins de ces grands échassiers sont des trajectoires de vie aussi hors norme que leurs dimensions. Pourtant, Swede Halbrook demeure un illustre inconnu. Voici, pour vous, le portrait du premier géant de l’histoire de NBA.
Le Suédois
Harvey Wade Halbrook est né en 1933 à Dresden de parents allemands. En réalité, il est né à Dresden dans le Tennessee et non pas en Allemagne. Ses parents ont des ancêtres allemands et néerlandais, aucun rapport avec la Suède. C’est la consonance avec son prénom Wade et son type très Nord européen qui lui vaut le sobriquet de Swede, un pseudonyme qui ne le quittera plus.
Sa famille passe un temps par l’Arkansas, mais c’est dans l’Oregon que grandit Wade. Grandir, il le fait de manière spectaculaire puisqu’à l’âge de seize ans il mesure déjà 2m12. Depuis son enfance, il toise le monde qui l’entoure sans jamais être gêné par qui que ce soit. Cependant, il lui est également difficile de passer inaperçu.
Grand, maigre, avec des vêtements toujours trop courts pour lui, il devient celui dont on aime se moquer. Le géant n’est pas à l’aise en société. Il développe alors un caractère introverti et se referme sur lui-même. Le jeune homme rêve de discrétion et d’être un lambda. C’est là que commence sa vie de basketteur. Celui qui désire être tranquille est en passe d’être l’attraction de son lycée.
Swede Halbrook et la Swedemania
Swede Halbrook incorpore le lycée de Lincoln HighSchool. C’est dans cet établissement qu’il y apprend à jouer au basketball. C’est sous la houlette du coach Jimmy Partlow que le jeune géant se familiarise avec la balle orange. Bien évidemment, avec ses mensurations vertigineuses, il est rapidement un joueur très efficace.
Rien ni personne ne peut contenir cet adolescent qui flirte avec les 2m20. En 1951, il mène les Cardinals au titre d’état au terme d’une saison où il est une véritable star dans son lycée. Avec 38,3 points de moyenne, il est un ogre injouable pour ses adversaires.
Cette notoriété pousse Swede dans ses retranchements. Alors qu’il désire plus que tout être discret, le voilà au centre de l’attention. Des inconnus le salut, et les foules lui réservent des standings ovations à la fin des rencontres. Bien qu’il soit mal à l’aise avec la situation, il se laisse prendre au jeu et veut bien croire que le basketball peut en valoir la peine.
Cependant, il ne faut pas s’y tromper, Swede a encore des problèmes avec le monde qui l’entoure. Son entraîneur passe autant de temps à lui enseigner les rudiments de la balle orange que de lui expliquer comment gérer ses émotions.
Désormais il est un phénomène national et c’est 75 universités qui tentent de le recruter. C’est pour l’époque un véritable record, les plus gros programmes s’arrachent ses services. Swede ne veux pas prendre de risque en s’éloignant de ses bases. Il décide de rester dans l’Oregon et s’engage avec l’université d’état.
Les années Oregon State
Lorsque Swede Halbrook rejoint le programme d’Oregon State, il rencontre son nouvel entraîneur Slats Gill. C’est un homme rigoureux et extrêmement exigeant. De quoi perturber Swede qui n’est pas habitué à cette rigueur. De plus, il est maintenant dans un environnement encore plus exposé que celui de Lincoln HighSchool. Le challenge semble énorme et il tente de prendre la fuite.
Il se met en quête d’une nouvelle université plus modeste, mais finie par se raviser. Halbrook travaille sa technique, utilise à présent ses deux mains et se façonne un petit shoot. Il est le joueur le plus adroit de son équipe avec 45 % de réussite aux tirs. Il est aussi le meilleur scoreur et rebondeur avec 21 points et 12 rebonds de moyenne.
Tout semble se passer au mieux niveau basket, mais la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Swede traîne son mal-être sur le campus et cela est visible. Nombreux sont ceux qui témoignent de ne l’avoir jamais vu avec le sourire. Sa notoriété le pèse, il n’aime pas ça et il commence à s’échapper on ne sait où.
« Il aurait pu avoir une carrière intéressante s’il avait pris soin de lui-même. Quand il était en deuxième année, il a disparu pendant une semaine et il a fallu appeler la police. Croyez-le ou non, ils n’ont pas réussi à trouver un type mesurant plus de 2,13 m ! Finalement, il est réapparu tout seul, mais il ne m’a jamais dit où il était allé. »
Slats Gill
Swede prend pour habitude de disparaître sans donner de nouvelles, des escapades qui durent plusieurs jours et qui rendent furieux son entraîneur. Car Oregon State a fait beaucoup pour mettre Swede dans ses petits souliers. Notamment, en lui faisant fabriquer un lit de 2m32 et en adaptant des wagons couchettes à sa taille pour les déplacements.
Néanmoins, coach Gill ne peut plus fermer les yeux sur les fugues de Swede. Lors de sa deuxième saison et alors que l’équipe vient de signer quatre succès consécutifs, Gill suspend Halbrook. La nouvelle arrive aux oreilles des Seattle Buchan Bakers qui lui propose un emploi en plus d’une place dans l’effectif.
Swede ne se présente pas au rendez-vous et décide de retourner vers Slats Gill en avouant ses erreurs sans pour autant confesser pourquoi il disparaît sans cesse. Toutefois, il ne réintègre pas le collectif immédiatement. Gill a dans l’idée de mettre Swede face à ses manquements avant de le renvoyer dans le cinq de départ.
La leçon semble avoir porté ses fruits et les castors de l’Oregon finissent l’année avec un bilan de 22 victoires pour 8 défaites. C’est l’université de San Francisco des légendes Bill Russell et K.C Jones qui élimine Oregon State lors de la finale du tournoi régional sur une victoire 57 à 56. Bill Russell signe 29 points et 16 rebonds quand Swede Halbrook termine la rencontre avec 18 points et 10 rebonds.
C’est ainsi que le parcours de Swede avec Oregon State s’achève, avec un bilan de 41 victoires pour 18 défaites, 21 points et 13 rebonds de moyenne, deux fois All-American et recordman de sa fac pour les lancers francs tentés et le nombre de rebonds sur un match avec 36. Des records encore d’actualité de nos jours.
Carrière amateur
Désormais, il a 22 ans et une carrière professionnelle lui tend les bras. Cependant, ce n’est pas vers la NBA que Swede se dirige. Il décide de quitter son Oregon pour se rendre dans le Kansas et de signer en NIBL avec les Wichita Vickers au sein d’une compétition amateur.
Ce choix peut sembler particulier, mais il ne l’est pas tant que cela. La NIBL, National Industrial Basketball League, offre des salaires identiques à ceux pratiqués en NBA. De plus, les joueurs ont un job, car comme son nom l’indique, la NIBL est une ligue où les franchises appartiennent à des entreprises, de quoi proposer un train de vie confortable et une sécurité financière. Les saisons sont également moins longues avec seulement 30 matchs.
Il est difficile de savoir quel est l’impact de Swede dans ce championnat. Pour sa première saison, il affiche une moyenne de 20 rebonds par rencontre et c’est la seule trace statistique de son passage. Difficile aussi de jauger le niveau de la NIBL par rapport à la NBA. Une dizaine de joueurs passés par là on finit All Star en NBA, comme Gus Johnson ou encore Clyde Lovelette, il y a aussi beaucoup de membre de la sélection nationale.
Une fois de plus, Swede y est une attraction à cause de sa taille. Toutefois, il partage son fardeau avec son partenaire Don Boldebuck qui est mesuré à 2m13. Les images de ces deux géants ravissent les fans et photographes friands de ces spécimens.
Swede Halbrook passe 5 saisons sous le maillot des Vickers. Le point culminant de sa carrière dans le Kansas est en 1958 quand il remporte avec Wichita le titre national AAU de la Amateur Athletic Association. Un trophée qui peut sembler dérisoire, mais qui a une grande importance dans les années 50, puisqu’il est la vitrine des futurs potentiels membres de la sélection américaine.
Enfin, il s’engage une année avec les Akron Goodyear Wingfoots. Mais une fois de plus, il est compliqué de savoir quel est son apport dans cet effectif. Après six années de basketball amateur, il est temps de passer à l’échelon supérieur.
Swede Halbrook et la NBA
Saison NBA 1959/60, les Syracuse Nationals de Dolph Schayes chutent en playoff face aux Philadelphia Warriors d’un certain Wilt Chamberlain. Ce dernier roule sur les Nats avec 39 points et 22 rebonds de moyenne pour l’emporter en trois rencontres. Le duo de pivot composé par Connie Dierking et surtout Red Kerr n’a pas suffi pour contenir la bête.
C’est alors que Syracuse décide de renforcer sa raquette avec la signature du colosse Swede Halbrook présenté comme le plus grand joueur du monde. Avec ses 2m21, il est le seul en NBA capable de littéralement faire de l’ombre à Chamberlain. Désormais il a 27 ans, et si vieillir pour un géant est toujours compliqué de nos jours, il est évident que cela l’est encore plus dans les années 60.
Swede Halbrook n’a plus ses jambes d’antan, ni ses mains d’ailleurs et que dire de sa condition physique. Néanmoins, il arrive à surprendre ses partenaires grâce notamment à son goût prononcé pour le tricot. Dès qu’il a un instant de libre, Swede sort les aiguilles et enchaîne les mailles à l’endroit et les mailles à l’envers, de quoi être moqué par tous ses coéquipiers.
En réalité, quand on mesure 2m21 il est compliqué de s’habiller et Swede garde le souvenir douloureux d’une enfance passée à être vêtue avec des tenues trop courtes pour lui. Les taquineries le poussent à réserver ce passe-temps qu’il affectionne à l’intimité de sa chambre d’hôtel lors des déplacements. Par contre, Swede agace autant qu’il fascine.
Le statut de « plus grand joueur du monde » suscite la curiosité et il se voit être le sujet de nombreux articles de magazines renommés comme LIFE. Ce qui intéresse les journalistes c’est la possibilité de faire un papier sensationnaliste accompagné de clichés marquant pour le lecteur. Car ce ne sont pas ses prouesses sur les parquets qui font de lui une célébrité à ce moment-là.
Swede Halbrook, c’est 5 points et 7 rebonds de moyenne en 14 minutes de jeu, et c’est aussi beaucoup de contrariété pour son entraîneur Alex Hannum. Puisque comme à son habitude, Swede disparaît sans jamais donner de signe de vie pour revenir comme si de rien été. La rumeur court, Swede serait alcoolique.
Le géant n’a pas changé, timide, introverti et peu loquace, il est quelqu’un de marginale dans une ligue où tous les joueurs se côtoient et aiment passer du temps ensemble. C’est une attitude qui dénote trop fortement de la norme du moment et qui donne des boutons au staff des Nationals. Pourtant, Hannum connaît bien Swede, qu’il entraîne lors du titre AAU de 1958.
La Némésis de Wilt ?
Swede Halbrook est un « what if », car il ne faut pas s’imaginer une grande tige lente et sans aptitudes se reposant uniquement sur sa taille. C’est un athlète musclé, très bon en saut en hauteur, mobile et capable de courir. Pour sa première saison, il a encore de beaux restes et quand il est en forme il prouve qu’il aurait pu être un des meilleurs joueurs du monde. C’est d’ailleurs en ces termes que Wilt Chamberlain évoque son ancien rival.
Malgré sa fâcheuse tendance à sortir des radars, Swede n’est pas un pari complètement raté puisqu’il est selon certains journalistes celui qui inquiète le grand Wilt. Bien sûr, il ne peut pas rivaliser avec le « Stilt » en le confrontant pendant 48 minutes non-stop. Néanmoins, s’il est dans un bon jour et sur un temps de jeu réduit, il peut être très efficace.
Swede peut être totalement absent des débats, jouant peu, ou tout simplement être surclassé par Wilt. Cependant, il peut tout autant capter 20 rebonds en 25 minutes ou finir en double-double à 15 points et 15 rebonds. Ce sont des passages éclairs qui peuvent apporter énormément aux Nationals et mettre du poil à gratter dans la routine dominatrice de Chamberlain.
C’est de cette manière qu’il réalise lors de la saison 1960/61 de bonnes minutes lors du premier round des playoffs en finissant à 11 points et 13 rebonds de moyenne sur des temps de jeu court. Grâce à cet apport, les Nats viennent à bout des Warriors et de l’ogre de Philadelphie.
Malheureusement Swede s’empêtre dans ses travers, ne participe qu’à 64 rencontres l’année suivante et n’est pas sollicité une minute lors des playoffs. L’agacement à atteint son paroxysme et il est jugé comme un homme paresseux et sans envie. Sa carrière professionnelle se termine ainsi pour les mêmes raisons qui avaient déjà failli lui coûter son cursus universitaire.
Conclusion
Swede Halbrook est sans doute arrivé bien trop tard en NBA. On peut se demander ce qu’il aurait pu produire dans cette NBA de la moitié des années 50. Imaginons qu’il aligne une ou deux saisons à 20 points et 20 rebonds, une performance certainement dans ses cordes à cette époque. Son nom serait assurément aujourd’hui plus connu qu’il ne l’est.
Car malgré ses errances et son manque de renommée sur le terrain, il y a une véritable hype Halbrook partout où il passe. Les géants font fantasmer et c’est bien sûr déjà de circonstance dans les 50’s. Par contre, on est également conscient de ses problèmes de comportements et de son mal-être.
S’il est un pionnier dans le gigantisme, il est aussi un des premiers cas connus de trouble de santé mentale. Swede a porté en lui des choses sombres tout le long de son parcours basketballistique. Une fois sa carrière terminée, il s’en retourne dans l’Oregon. Il cumule plusieurs emplois, comme couvreur, barman, agent de sécurité et dans le bâtiment.
Mais le métier le plus bizarre exercé par Swede est celui de clown dans un cirque. Lui qui est pourtant si peu enclin à se donner en spectacle se retrouve au centre de la piste aux étoiles avec le titre de « plus grands clowns du monde ».
Impossible de savoir s’il trouve enfin la paix à un moment de sa vie, lui qu’on décrit dans son entourage comme quelqu’un de gentil, mais de solitaire. Swede Halbrook décède en 1988 à l’âge de 55 ans d’une crise cardiaque, il emporte avec lui les mystères de ses douleurs et jamais on ne saura où il aimait se réfugier lors de ses célèbres absences. Néanmoins, il demeure à jamais l’étrange premier géant de l’histoire de NBA.