On a presque cru que les Portland Trail Blazers allaient accrocher une place au play-in cette saison, pourtant les analystes ne prédisaient pas mieux qu’une 13e place à l’Ouest. Chauncey Billups a trouvé ses repères en tant que coach, Toumani Camara se place parmi les meilleurs défenseurs de la ligue, Deni Avdija explose, Donovan Clingan protège la raquette… Et à côté d’eux, un arrière bondissant de 21 ans, Shaedon Sharpe, qui pourrait devenir le second couteau d’une équipe qui vise les sommets.
Situation contractuelle
La franchise de l’Oregon a jusqu’au début de la saison prochaine pour lui proposer une extension rookie, faute de quoi il deviendra restricted free agent à l’été 2026. Les négociations s’annoncent délicates. Après une saison 2024-25 solide (18,5 points, 4,5 rebonds et 2,8 passes en 72 matchs), Sharpe n’a pas encore convaincu qu’il mérite un contrat max.
Les montants évoqués oscillent entre le pactole de Jalen Suggs (150 millions sur cinq ans) et celui de Trey Murphy (112 millions sur quatre). À titre de comparaison, Cade Cunningham ou Scottie Barnes ont décroché des extensions à 224 millions sur cinq ans. La balle est dans son camp : Sharpe pourrait parier sur lui-même en refusant une extension prématurée, quitte à viser plus haut l’été prochain.
Une machine à highlights
Après seulement trois saisons en NBA, Sharpe a posé un bon nombre de classique en terme de destruction d’arceaux. Depuis qu’il est arrivé dans l’Oregon, il a toujours eu un dunk dans le Top 10 de la saison de la NBA, avec la première place cette année.
S’il n’atteint pas les deux mètres, son envergure de 2m10 et sa capacité à mettre sa tête au niveau du cercle sans difficultés sont impressionnantes. On dirait que le Canadien est monté sur ressorts. Ça fait de lui un excellent joueur pour récupérer des alley-oops, en témoignent ses 65 dunks cette saison. Soit deux de plus qu’Aaron Gordon et trois de moins que Zach LaVine. Il est donc parmi les arrières les plus adroits au cercle, avec 71% de réussite. Lorsque l’on regarde les autres joueurs à son poste, seul Amen Thompson fait mieux à volume équivalent.
Ses tirs au cercle représentent 30% de ses shoots, et en plus d’être très adroit dans cette zone, il est un bon provocateur de fautes. Sur 10% de ses tirs il obtient une faute, et il transforme 28% de celles-ci en and one. C’est aussi un joueur agressif, qui ne se contente pas seulement récupérer les lobs de ses coéquipiers. Avec 9 drives par match, il sait aussi se frayer un chemin tout seul pour aller au cercle.
Il doit par contre devenir un meilleur tireur de lancers francs. On a vu qu’il obtenait beaucoup de faute, mais si ces dernières ne sont pas synonyme de deux points systématiques, ses adversaires lui découperont juste les bras plutôt que d’encaisser un lay-up. Avec une adresse de 78,5% sur la ligne, il est loin d’être mauvais, mais il se doit de devenir létal.
Un shooteur en devenir
Lors de sa dernière année de lycée, Sharpe affichait une adresse de 43% de loin. Mais depuis qu’il est en NBA, c’est une tout autre affaire. 36% en saison rookie, 33% en sophomore, et 31% cette saison. Ce qui peut expliquer la perte d’adresse, c’est que le volume a largement augmenté (de 3,5 tentatives à 6,6). Ce ne sont pas des chiffres glorieux, pourtant le numéro 17 pourrait devenir un shooteur respectable dans le futur. Déjà, il est beaucoup plus utilisé avec la balle en main, un domaine où il s’est largement amélioré cette saison d’ailleurs. Donc s’il a plus le ballon, il attend moins les kick-outs dans les corners.

À son entrée dans la ligue, 35% des trois points de Sharpe provenaient des corners, contre 18% cette saison. Si l’on dit que le tir à trois points des corners est le tir le plus rentable, Shaedon n’en est pas l’exception : il prend plus sa chance above the break et son adresse régresse. Devoir tirer face au panier ou à 45 degrés, ça veut aussi dire devoir créer d’avantage son shoot. Aujourd’hui, c’est plus d’un tiers de ses tirs à trois points qui sont pris après deux dribbles ou plus. Alors qu’en saison rookie, c’était moins d’un quart.
Ce qui est encourageant, c’est qu’il est un excellent shooteur à mi-distance. Son pull-up est propre, donc pas d’inquiétude sur la mécanique. Il faut maintenant que cela se transpose avec quelques mètres de distance en plus.
Sharpe a lui-même déclaré en interview de fin de saison qu’il devait travailler son tir à longue distance. Venant d’un joueur qui a avoué préférer aller chez le dentiste plutôt qu’en conférence de presse, il ne faut pas s’attendre à de grandes tirades. Mais le principal est là, il veut gagner en régularité sur son shoot cet été. Outre son tir à trois points, il a aussi mentionné vouloir devenir un meilleur ball handler.
Shaedon Sharpe veut travailler son playmaking
En plus de sa régularité de loin et son maniement de ballon, Sharpe a aussi notifié vouloir être capable de faire plus de passes. Avec un ratio Ast:Usg de 0,56, c’est l’un des pires arrières en termes de playmaking. Au moins, il y a peu de déchets, il ne perd pas souvent le ballon. Mais quand on crée peu d’occasions de panier, forcément, les pertes sont réduites. Sharpe l’a souligné : il veut impliquer ses coéquipiers, et sa motivation est palpable. Il a fini la saison avec des statistiques de mammouth : 29 points, 7 rebonds, et près de 5 passes sur les cinq derniers matchs !
Alors oui, les derniers matchs ne sont pas forcément représentatifs, vu que certaines équipes n’ont plus rien à jouer. Cependant, si on remonte plus loin, et que l’on regarde ses statistiques à partir du All-Star break, c’est plus de 3 passes décisives que le Canadien affiche sur la feuille de marque. C’est vraiment à partir du mois de mars que l’on a pu observer son évolution, comme si son passage sur le banc quelques semaines plus tôt avait réveillé quelque chose en lui, et pas seulement à la passe.
Une défense à peaufiner
La défense a toujours été un point noir dans le jeu de Shaedon Sharpe, pourtant, au vu de ses qualités athlétiques, il devrait pouvoir être excellent. Néanmoins, on ressent un manque d’engagement de sa part. Il fait peu de hustle plays, il ne conteste que 3 tirs par match, quand les meilleurs défenseurs sur les lignes arrières sont à plus de 7. Mais l’émergence de Toumani Camara lui a sûrement donné envie d’être applaudi aussi, donc après un passage en sortie de banc en janvier, Sharpe s’est impliqué en défense, de quoi ravir les fans de Portland.
Il y a encore du travail pour le jeune Canadien, mais il peut devenir un bon défenseur, il ne lui manque que la lucidité et la lecture de jeu. Avec une détente aussi grande, il ne contre pas beaucoup ses adversaires, en revanche son envergure lui permet de voler des ballons. Avec sa vitesse et sa capacité à finir au cercle, devenir un meilleur intercepteur ferait de lui une menace redoutable en transition.
Qu’attendre de Sharpe la saison prochaine ?
La saison à venir sera décisive. Sharpe doit prouver qu’il peut franchir un palier, notamment en matière de constance et de leadership. S’il explose, Portland accélérera sa reconstruction. Dans le cas contraire, il risquerait d’être cantonné au rôle de bon complément, utile mais pas transcendant. Les Blazers, en pleine phase de transition post-Lillard, ont besoin d’un second souffle. Sharpe en détient une partie, mais la clé réside dans sa capacité à devenir plus qu’un espoir.
Le potentiel All-Star est présent, mais il n’est pas certain qu’il devienne la tête d’affiche des Blazers à l’avenir. Deni Avdija semble mieux bâti pour ce rôle. Le Canadien serait sûrement une excellente seconde option. Il pourrait viser un rôle similaire à celui de Jaylen Brown aux Celtics : All-Star, mais pas franchise player. Sa personnalité calme, certainement introvertie comme on peut le percevoir en interview, pourrait poser problème quant à son leadership.
À voir ce que fera Joe Cronin à l’intersaison, mais il ne serait pas surprenant de voir Portland accrocher le play-in la saison prochaine. Avec un effectif de plus en plus riche en talent, la reconstruction post-Lillard est enfin en marche dans l’Oregon, et le meilleur reste à venir pour Rip City.