Au début des années 1990, la Ligue Nationale de Basket (LNB) entreprend une véritable transformation du championnat professionnel français, imposant une structuration désormais plus rigoureuse, que ce soit sur le plan financier ou sportif, marquant la fin progressive de l’amateurisme dans les clubs. Cette professionnalisation attire de nouveaux acteurs économiques régionaux qui perçoivent le basket comme un sport en expansion capable de fidéliser un large public.
Si la LNB ne dispose pas encore de sponsor titre comme aujourd’hui, son modèle repose largement sur les ressources mobilisées localement par les clubs. Dans ce contexte l’ASVEL devient l’une des locomotives du basket français. Ce renouveau s’accompagne aussi d’un tournant médiatique : la Pro A bénéficie de retransmissions plus régulières grâce à Canal+, dans un climat où l’intérêt pour le sport à la télévision progresse grâce aux exploits de certains clubs français sur la scène européenne (Limoges en 1993 et l’ASVEL en 1997).
Parallèlement l’influence NBA fait aussi son effet. Elle est amplifiée par la Dream Team de 1992 qui contribue à changer le style de jeu de la PRO A, plus physique et spectaculaire, poussant l’arrivée de nombreux joueurs américains à rejoindre notre championnat. L’ASVEL de 1997 incarne donc parfaitement cette dynamique. Portée par une gestion modernisée, un effectif mêlant talents français et références américaines, ainsi qu’un véritable ancrage local à Villeurbanne, l’équipe réalise un exploit extraordinaire en Euroleague, devenant à son tour un symbole du renouveau du basket français.
Une professionnalisation qui commence à se structurer dans les années 90s

Jusqu’à la fin des années 1980, l’ASVEL était encore dirigée selon un modèle très ancien et typique des clubs français : un président entouré de bénévoles, souvent issus du tissu local (anciens joueurs, figures politiques locales…). Dans les années 90, à la suite du départ de Raphaël de Barros (1988) et d’Alain Gilles (1989), l’ASVEL s’est rapidement retrouvée au bord du dépôt de bilan. C’est dans cette perspective que le club, avec le soutien de la mairie de Villeurbanne, fit appel à Marc Lefebvre mais surtout à Francis Allimant, une personne reconnue dans le monde économique et dans le redressement financier.
Ces derniers présentent finalement un plan de sauvetage financier en dernière instance, pour sauver le club lyonnais. Leur arrivée marque aussi un nouvel objectif qui se développe de plus en plus dans le basket français, professionnaliser le poste de président et la direction pour assainir les comptes, fiabiliser la gestion quotidienne et poser les bases d’un développement durable. Au-delà du club, l’ASVEL veut devenir une marque sportive. Dans cette perspective, le club fait rapidement appel à des personnes compétentes en marketing.
Et qui de mieux que Jean-Louis Cazemajou, ancien joueur du centre de formation de l’ASVEL pendant ses jeunes années pour mener à bien cette mission. Possédant déjà un bagage en tant que commercial dans une marque sportive, il devient dès la saison 1991, le commercial du groupe GMO qui gère la partie sponsoring et marketing de l’ASVEL. Un rôle déterminant car à cette époque les sociétés privées ne veulent pas entrer comme actionnaire dans des clubs à cause d’un cadre beaucoup restreint.
Avant la loi Buffet de 1999, ces sociétés ne peuvent obtenir un monopole sur le club car la majorité du capital doit obligatoirement être publique et les excédents sont directement réinvestis; il est impossible de toucher un quelconque dividende. Le commercial doit donc créer un soutien auprès des entreprises locales ou d’entreprises régionales qui pourraient être intéressées par la visibilité médiatique que leur offrirait le club villeurbannais.
Dernier pilier de la professionnalisation des clubs et qui a souvent été négligé par les autres clubs français dans les années 90, c’est la salle, l’outil de travail de chaque club. Jusque-là, le club évoluait dans la salle Raphaël-de-Barros, historique mais vétuste, et ne présentant qu’une capacité de 2000 places. C’est dans ce contexte que la construction de l’Astroballe est décidée, en partenariat avec la ville de Villeurbanne.
Inaugurée en 1995, cette nouvelle salle devient rapidement le symbole de la transformation du club : plus grande (5 600 places), moderne, elle permet une amélioration considérable de l’expérience spectateur, mais surtout elle ouvre de nouvelles perspectives économiques et confirme les ambitions européennes du club lyonnais.
Un effectif qui s’internationalise pour faire face aux exigences européennes

Au tournant des années 1990, le basket européen entre dans une nouvelle ère. Portés par une médiatisation croissante, l’explosion de l’Euroleague et l’arrivée de sponsors puissants, les grands clubs du continent amorcent une transformation en profondeur de leur modèle sportif. À l’image du Panathinaïkos, du Maccabi Tel-Aviv, de la Virtus Bologne ou encore du Real Madrid, ces clubs investissent massivement dans des joueurs étrangers, souvent américains ou issus de l’ex-Yougoslavie.
Face à cette montée en puissance des effectifs internationaux, les clubs français, longtemps structurés autour d’un noyau majoritairement local, doivent désormais revoir leurs stratégies. L’ASVEL s’ouvre quant à elle à ce marché en recrutant Ron Curry (1993-1995), jeune joueur universitaire américain, mais surtout Delaney Rudd, ancien meneur backup du Jazz et de l’exceptionnel John Stockton.
Doté d’un QI basket impressionnant, il a cette facilité à prendre feu offensivement, et devient donc logiquement la pierre angulaire du système de Greg Beugnot. Un autre Américain viendra remplacer Ron Curry après son départ, et ce n’est autre que Brian Howard, l’ancien ailier rookie des Dallas Mavericks. Moins flamboyant que son compatriote, il n’en reste pas moins essentiel.
Un joueur très à l’aise dans les shoots à 45 degrés, très régulier au shoot (54,6% au shoot, 44% à trois points), et faisant beaucoup de différences sur des closes-outs. Défensivement un défenseur sobre mais très fiable, pas très explosif, pas un intercepteur naturel, mais un ailier polyvalent qui va verrouiller un joueur avec son QI défensif. Ce duo américain forme le socle du collectif villeurbannais et incarne une internationalisation réfléchie.
Celle d’un club qui, pour rivaliser avec les meilleures écuries européennes, choisit de s’entourer de leaders étrangers, expérimentés et complémentaires des talents français déjà présents. Parmi eux, Jim Bilba, un ailier fort au sommet de sa carrière après neuf saisons passées dans le centre-ouest de la France (à Cholet puis Limoges), qui se distingue par une vivacité remarquable et une agilité supérieure à la moyenne pour un joueur de son poste.
On peut noter également, Alain Digbeu, véritable espoir du club, 21 ans à cette époque, qui sortira une saison à 11 points de moyenne, Georgy Adams, poste 2 expérimenté du championnat de France, ainsi que Jimmy Nebot et Rémi Rippert qui ont fait la paire dans la raquette lyonnaise. Et c’est donc sous la houlette du légendaire Greg Beugnot, que l’ASVEL version 1997 développe un jeu structuré, en croisant ses influences.
Euroleague 1997 : Une campagne d’histoire pour le basket français

L’exploit de 1997 reste, près de trois décennies plus tard, un sommet inégalé du basket français sur la scène européenne. En atteignant le Final Four de l’Euroleague, l’ASVEL devient après Berck et Limoges, le 3ème club français à se hisser dans le dernier carré de la plus prestigieuse compétition continentale. Un exploit qu’on ne reverra pas avant la Roca Team en 2023. Dans une époque où la France est encore largement sous-représentée en Europe, cette performance est un véritable tremblement de terre.
L’ASVEL a attaqué son tour préliminaire dans un groupe très relevé, rassemblant plusieurs figures du basket européen. Le Panathinaïkos tenant du titre de la compétition, Barcelone futur finaliste, l’Union Olimpija (club de la capitale slovène) futur 3ème, ainsi que Split club emblématique de l’Ex-Yougoslavie reconnu pour sa formation de talents, dont le plus connu étant Toni Kukoc qui a offert à son club formateur 3 Euroleagues consécutives en 1989, 1990 et 1991. Un seul adversaire apparaît nettement en dessous de l’ASVEL, les Allemands de Leverkusen qui commencent leur déclin continental et national.
Malgré ce contexte pour le moins compliqué, l’ASVEL s’en sortira avec 7 victoires sur 10 matchs, et une 3ème place acquise grâce à une gestion parfaite pendant les money times. Ils l’ont d’abord démontré face à l’Olimpija en remportant chez eux une victoire 70-69. Puis face à Barcelone, dans le mythique Palau Blaugrana où Delaney Rudd plantera 35 points à 6 sur 8 derrière l’arc pour permettre aux Villeurbannais de s’imposer 81-78. Il s’en suivra une grosse victoire en Grèce face au Panathinaïkos 72-66, et une autre face à Barcelone sur le match retour 90-91, avec un game winner de Rémi Rippert sur un shoot juste derrière la ligne des lancers francs.
Après un tour préliminaire proche de la perfection, l’ASVEL a déjà presque sécurisé sa place vers les phases finales. Pour autant les lyonnais ne relâcheront pas leur cadence, 5 victoires sur 6 dans cette 2ème phase, deux victoires acquises par 2 points d’écart face à leur plus grand rival de l’époque, Pau-Orthez (qu’ils éliminent par la même occasion), et un rendez-vous pour les 8ème de finales acquis pour retrouver l’Estudiantes Madrid.
L’ASVEL entame sa série de huitième de finale de la meilleure des manières face à l’Estudiantes Madrid, le 5 mars 1997 à l’Astroballe, en s’imposant avec autorité 97 à 74. Portés par un Alain Digbeu en feu (24 points à 8/10, 6 rebonds), les Villeurbannais maîtrisent totalement leur sujet. Mais à Madrid, le 11 mars, les Espagnols réagissent et égalisent dans la série, s’imposant 79-77. Harper Williams y réalise un double-double (17 points, 12 rebonds), tandis que Delaney Rudd, discret à l’aller, brille cette fois avec 25 points à 11/19… en vain.
Tout se joue donc sur un match d’appui, deux jours plus tard, toujours à Villeurbanne. Dans une Astroballe bouillante, l’ASVEL valide son billet pour les quarts grâce à une prestation collective très solide : Rudd (18 points, 7 rebonds, 7 passes), Digbeu (17 points, 5 rebonds, 5 passes), Howard (14 points, 4 rebonds) et Bilba (15 points, 10 rebonds) partagent les responsabilités pour conclure la série sur un succès 75-71.
En quart de finale de l’Euroligue 1997, l’ASVEL affronte l’Efes Pilsen Istanbul, un des favoris de la compétition. Le 27 mars, dans l’ambiance brûlante de la salle turque, les Villeurbannais s’inclinent logiquement 87-71, plombés par une première mi-temps compliquée (41-32). Le duo Petar Naumoski – Derrick Alston fait des ravages : le meneur macédonien enchaîne 23 points à 5/9 longue distance, pendant que l’intérieur américain compile 15 points et 9 rebonds. Malgré les 15 points d’Alain Digbeu et les 13 points, 7 passes de Delaney Rudd, la marche est trop haute.
De retour à l’Astroballe le 1er avril, l’ASVEL réagit parfaitement grâce à une performance majuscule de Jim Bilba : 19 points à 8/10, 14 rebonds et 5 passes. Une prestation dominante qui compense la soirée discrète de Rudd (4 points seulement). Victoire 80-70, un partout. Tout se joue alors le 3 avril à Istanbul. Et cette fois, Rudd se montre à la hauteur de l’événement : 20 points à 6/9 (dont 4/7 à trois points), 5 rebonds et 4 passes, bien secondé par Brian Howard (15 points, 5 rebonds) et Jim Bilba (13 points, 4 rebonds). Grâce à cette victoire 62-57, l’ASVEL crée l’exploit et se qualifie pour le Final Four de Rome.
Une performance majuscule de la « green team » qui rejoint donc le Final 4 de l’Euroleague et retrouve l’une des équipes qui lui a le plus réussi jusque-là dans cette campagne, les espagnols de Barcelone. Et c’est le 22 avril 1997, à Rome que l’ASVEL retrouve Barcelone, mais cette fois, le géant Espagnol est au complet et bien décidé à prendre sa revanche. Avec dans ses rangs Artūras Karnišovas, Roberto Dueñas, les expérimentés Andrés Jimenez et José Antonio Rivas, ainsi que le meneur star serbe Aleksandar Djordjevic, le Barça possède une équipe pour le moins redoutable.
Les Villeurbannais résistent bien en première mi-temps (38-36), mais l’absence sur blessure de Jim Bilba pèse lourd. L’ASVEL s’incline finalement 77-70 et peut regretter son manque de réussite sur la ligne des lancers francs. Djordjevic termine meilleur marqueur barcelonais avec 17 points et 5 passes, tandis que le duo Rudd–Howard porte une nouvelle fois les siens avec 20 points chacun. Le meneur ajoute 4 rebonds et 6 passes, et l’ailier capte 6 rebonds. L’ASVEL, malgré la défaite, s’apprête à disputer une petite finale face à un autre invité surprise au budget modeste, l’Union Olimpija Ljubljana qui a également tenu tête dans sa demi-finale face à l’Olympiakos.
Le 24 avril 1997, pour clore sa campagne européenne, l’ASVEL affronte l’Union Olimpija Ljubljana dans la petite finale du Final Four de Rome. Face à une équipe slovène bien rodée, victorieuse de la Coupe des Coupes, 2 ans plus tôt, les Villeurbannais doivent composer avec la fatigue accumulée et sans leur pilier Jim Bilba, toujours blessé. En face, l’Olimpija aligne une armada aussi jeune que talentueuse : Marko Milič, 20 ans, ailier ultra-athlétique promis à la NBA (où il deviendra le premier Slovène à jouer), fait équipe avec les robustes intérieurs Jurkovic et Kraljevic, pendant que la mène est assurée par l’américain Ariel McDonald.
L’ASVEL encaisse une entame de match catastrophique, subissant un -19 à la mi-temps. Malgré une révolte menée par Alain Digbeu (22 points, 5 rebonds) et Brian Howard (20 points à 7/10, 6 rebonds), les hommes de Greg Beugnot ne parviennent jamais à combler totalement l’écart. Score final : 86-79 pour Ljubljana. Milic a brillé par son efficacité (17 points à 5/7 en 20 minutes), et les Slovènes s’adjugent la 3e place, tandis que les lyonnais s’adjugent donc la 4ème place. Une fin frustrante et probablement pas représentative de leur campagne, mais l’exploit n’en reste pas moins historique pour le club rhodanien.
Cette épopée européenne de 1997 marque un tournant majeur dans l’histoire de l’ASVEL, symbole d’un club qui, en moins d’une décennie, est passé du bord du dépôt de bilan à l’élite continentale. Fruit d’une profonde transformation structurelle, économique et sportive, cette performance illustre la réussite d’un projet de professionnalisation inédit dans le paysage français de l’époque. En atteignant le Final Four de l’Euroleague, l’ASVEL a non seulement redoré le blason du basket tricolore, mais a également prouvé qu’un club français pouvait rivaliser avec les puissances européennes… Même si cet exploit ne s’est pas réitéré avant Monaco en 2023.