Créé il y a 21 ans, le Quai 54 est devenu l’un des rendez-vous incontournables du streetball dans le monde. Un retour aux sources pour les joueurs et les spectateurs qui continuent chaque année d’être toujours un peu plus nombreux. Reportage.
Dans les travées du stade Pierre de Coubertin, les mines sont déjà déconfites en ce matin du dimanche 23 juin. « Le Cartel », équipe française historique du Quai 54, vient de se faire éliminer dès les quarts de finale, malgré l’objectif annoncé d’aller chercher le titre. « Le Quai 54 c’est celui qui est le plus agressif qui gagne » explique Ron Mvouika, l’une des figures du « Cartel » après le match, assis, entouré par ses coéquipiers, dans la salle de repos. « On parle trop, tu joues et tu fermes ta bouche, vous savez où vous venez, c’est la bagarre ». Il enchérie,« c’est pareil pour toi Bobo, c’est toi qui joue au plus haut niveau, tu connais ce genre de situations, attends qu’on finisse le match pour dire des choses comme ça ».
Bobo, c’est Boris Dallo. L’arrière strasbourgeois est l’une des figures du « Cartel » cette année avec l’absence de Mathias Lessort, l’ex-star du Cartel.
« Le Quai c’est mythique, c’est important de le faire une fois. » indique-t-il, « Toute l’année on joue dans un système strict, c’est important de pouvoir y participer ». C’est aussi une manière de revenir aux tout premiers fondamentaux du basket, la rue. « On a tous commencé le basketball dehors, même si on vient d’endroits différents, ce qui nous rapproche, c’est la rue ».
Au dos de son maillot est inscrit son surnom, « Frenchknife ». « Sur le terrain je suis un couteau suisse donc j’ai remixé ce surnom que je trouvais cool ». Cet évènement permet aux joueurs professionnels de prendre du recul.
Boris Dallo n’est plus Boris Dallo mais Frenchknife, et c’est de cette manière qu’il est appelé sur le terrain ou par les commentateurs. « Le Quai 54, ça permet à tout le monde de trouver son identité, c’est une manière de s’affirmer. Chacun peut trouver son ADN »
De l’autre côté des gradins, Stéphane Morris, l’un des anciens du Cartel, est affalé. Son surnom : « Le daron ». « J’ai 38 ans, et puis j’appelais tout le monde « Fils » et tout le monde m’appelait « Père » ou « Daron » alors c’était assez logique. »
Lui aussi est joueur professionnel, du côté de la Belgique et appuie l’idée que le Quai 54 permet de s’affranchir de la rigidité du système des clubs. « Toute la saison on joue avec des directives. Tout est toujours très carré. On a l’impression d’être dans une boite. Alors quand on est ici, on en profite pour jouer un peu plus librement ».
L’esprit de la rue
Le basket de rue, ou le street basket tire ses inspirations des Etats-Unis. Et tout l’univers du Quai 54 s’inspire de la culture outre-atlantique. « C’est du show à l’américaine » détaille Yves Pons, qui a fait son université dans le Tennessee avant un bref passage en NBA, « C’est bien qu’on puisse voir ça en France , là-bas, aux Etats-Unis, c’est la routine ce genre d’événements. En France on n’en a pas des aussi importants. Ici, ça cross, ça dunk sur les autres, et puis t’as aussi le public qui apporte un max aussi ».
Le Quai 54 existe depuis 21 ans. « On y vient depuis qu’on est gamin et avant que ça devienne ce que c’était » explique Ron, « avant c’était Porte de Choisy, c’était un vrai tournoi de street et ça nous faisait rêver de voir des professionnels jouer contre des amateurs, puis c’était gratuit à l’époque ».
Il est l’une des premières têtes du « Cartel ». Un nom qui reflète la mentalité que voulaient insuffler ses membres, à l’origine de l’équipe. « On l’a appelé le Cartel parce que ça représentait bien la mentalité », indique-il, « y’a six ans, quand on a fondé l’équipe, on a voulu garder l’essence, cette mentalité avec laquelle on joue dehors. On s’en fout de où tu joues ou d’où tu viens, ici c’est la bagarre. On n’avait même pas dix pros, on amenait des gens du quartier qui n’avaient jamais connu cette atmosphère ou jouaient avec de vrais équipements. Ce nom, c’est quelque chose qui nous va bien. »
Cette intensité, ce côté rue, Issiaka, 14 ans, même perché au sommet du stade, la ressent. Plutôt habitué au football, c’est le côté intense du streetball qui le séduit. « Y’a plus de contacts, c’est vraiment intense ! » Au moment des demi-finales hommes, cette tension culmine jusqu’aux premières échauffourées entre l’équipe Hoodmix, menée par David Holston, et l’équipe de la BAL. Des accrochages qui reflètent bien l’esprit street que veut perpetuer le Quai 54.
À quelques mètres de là, aux côtés de Kadour Ziani, se trouve Elvis. Joueur espagnol venu participer pour la première fois au Quai 54. Malgré le fort attrait pour le basket en Espagne, l’approche du street sur le péninsule ibérique, n’a rien à voir avec ce qui se fait dans l’Hexagone. « C’est totalement différent » assume-t-il, « ici on sent une vraie culture pour la street. Y’a beaucoup plus de terrains dans la rue en France qu’en Espagne. »
Pourtant, depuis quelques années, le Quai 54 est devenu un événement mainstream, à l’inverse de ce qu’il prônait à ses débuts. La plupart des joueurs amateurs ont été remplacés par des joueurs professionnels. Une initiative qui déplait à Jordan, 28 ans, habillé de son maillot de LeBron, installé au sommet de la salle Coubertin.
« Moi je suis le Quai 54 depuis que j’ai 12 ans », souffle-t-il, « Je trouve ça un peu dommage qu’aujourd’hui on ait beaucoup plus de professionnels que de joueurs amateurs. Les joueurs professionnels ont déjà de la visibilité et ça laisse dans l’ombre les joueurs de streetball qui en font depuis des années. Pareil pour les joueurs amateurs, les gens pourraient mieux se reconnaître à travers ce genre de figures. »
Le streetball, c’est aussi des règles différentes du basket 5×5 traditionnel. Deux mi-temps de 15 minutes, une ligne à 4 points. Des différences qui se restreignent un peu plus chaque année, avec un arbitrage plus professionnel.
Un événement culturel
Tout au long du week-end, la musique accompagne l’événement. Plusieurs DJ se succèdent toute la journée pour faire vivre l’expérience la plus hip-hop possible. En plus de la musique qui résonne à travers toute l’enceinte de Coubertin, les spectateurs ont eu la chance d’assister à divers spectacles de danses et des showcases d’artistes référencés. « Le Quai 54 c’est plus qu’un simple tournoi de street, c’est un véritable événement culturel » commente Lukas Nicot qui fait parti des speakers du Quai 54, « C’est devenu une vraie marque mondiale et les gens viennent aussi pour tout ce qui est fait autour du tournoi ». Sa mission consiste aussi à accompagner le public néophyte. « Je suis un peu la caution sportive » s’amuse-t-il. « Mon rôle, c’est aussi de mettre en valeur les joueurs et les joueuses. Beaucoup de personnes ne savent pas qu’il s’agit de joueurs qui jouent dans les meilleurs divisions européennes. »
Dimanche, en fin de journée, la finale est sur le point de commencer. Les joueurs s’apprêtent à rentrer sur le terrain, encouragés par les milliers de spectateurs et accompagnés par de jeunes danseurs et danseuses d’un club local. « On travaille sur un show de 15 à 20 minutes » indique Chady, qui encadre la jeune troupe. « On répète le jour J avec les basketteurs. Chacun des enfants est associé à un joueur, ils répètent ensemble les pas. »
Le projet est en place depuis déjà 10 ans. « Il existe un vrai lien entre la danse et le basket, ça a toujours été lié ». Pendant une vingtaine de secondes, le parquet se mue en véritable piste de danse où joueurs et danseurs ne font plus qu’un, bien aidé par un public au rendez-vous.
Alors que les dernières minutes de la finale se jouent, les speakers n’hésitent pas à donner de la voix, à chambrer à coup de « Airball » ou « Ici c’est Paris ». Le chambrage, le trashtalk, en plus d’être à la base du basketball, c’est le béaba du streetball. « C’est ça l’ADN street » explique Lukas Nicot.
Et quand finalement l’équipe « Hoodmix » s’adjuge le titre, dix ans après son dernier sacre, les premiers mots de David Holston sont pour les milliers de personnes présentes à Coubertin. « C’était incroyable, le public était fou » exprime-t-il entre deux respirations, « je suis complètement mort mais je suis très heureux ».
C’est sous les yeux de quelques internationaux français que s’était jouée la finale. Certains sont à la base du projet, où ont aidé à accroître sa popularité, à l’instar de Mathias Lessort, vainqueur avec « le Cartel » en 2019 et auréolé du titre de MVP.
Pour Bilal Coulibaly, c’était une première en tant que spectateur mais ce dernier ne ferme pas la porte à une participation l’an prochain. « Bien sûr que le streetball c’est quelque chose qui me parle. C’est là qu’on a tous commencé à jouer au basket. Je suis en discussion pour rejoindre une équipe l’année prochaine, on verra bien ! » conclut-il.
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