Les biais cognitifs et la NBA, deux mondes que tout oppose aux premiers abords. Et pourtant, pour nous les fans il peut arriver qu’ils s’entremêlent étroitement et viennent altérer notre jugement. Dans cette mini série de trois épisodes, je vous propose de découvrir 3 biais qui nous touchent régulièrement, sans qu’on ne puisse réellement y remédier.
Pour ce premier épisode, partons à la découverte du biais du survivant dans le jugement des jeunes joueurs. Ne vous inquiétez pas, on ne va pas parler de Koh-Lanta. Laissez moi éclairer votre lanterne.
Le scouting : un exercice où il faut accepter l’échec
L’exercice du scouting est un des plus périlleux et compliqués qui existe dans le microcosme du basket-ball. Encore plus chez un jeune joueur. De quelle manière doit-on juger les qualités d’un jeune joueur et comment ces qualités vont-elles se retranscrire dans une nouvelle ligue plus exigeante comme la NBA ? Comment appréhender la notion si floue mais si tendance de “potentiel” ? Par quel moyen pouvons-nous nous projeter à long terme sur la progression future des jeunes pépites ?
Beaucoup de questions compliquées, voire impossibles à répondre. Et pourtant beaucoup de scouts s’y essaient chaque année, et avec plutôt pas mal de succès en France. En effet, petite parenthèse mais le monde du scouting pré-draft se porte plus que bien dans notre cher hexagone (et au-delà pour nos amis Belges, Québécois et autres…). Dans cet article, j’aimerai plus revenir sur l’avis du grand public que sur celui des meilleurs scouts qui se bouffent un nombre de films et de datas indénombrables.
Mais même dans leur cas, le risque de se tromper sur un joueur est immense et l’erreur de jugement sur le développement futur arrive de façon récurrente. Il faut accepter de vivre avec ce risque perpétuel. Mais alors, comment expliquer l’échec de certains joueurs unanimement annoncés comme crack au moment de leur draft ? Pourquoi Josh Jackson, Marvin Bagley ou Jabari Parker n’ont-ils pas répondu aux hautes attentes placées en eux ?
Entre intangibles et volonté d’y croire, un exercice périlleux
Évidemment, une partie de la réponse se trouve dans beaucoup de choses intangibles comme le mental, l’environnement et le facteur chance de ne pas être blessé par exemple.
Mais aussi peut-être et sans doute plaçons nous des attentes trop élevées en ces jeunes pousses. Premièrement, nous avons tendance à avoir le mot “générationnel” un peu trop rapide et à voir tous ces jeunes un peu plus beaux qu’ils ne le sont réellement. Combien de joueurs sont capables d’amener une franchise au titre dans la NBA actuelle ? En réalité, ce pôle de joueurs se comptent sur les doigts d’une main, ou au maximum de deux. Et pourtant nous avons tendance à croire chaque année que 2 à 3 joueurs par draft peuvent atteindre ce plafond. Nous avons une double mauvaise tendance : sur-évaluer le niveau réel mais aussi et surtout accorder une marge de progression, et donc un plafond maximum à ces jeunes, beaucoup trop importantes. Vous savez, c’est ce fameux potentiel. Et c’est précisément là qu’intervient notre biais.
La loi de la réussite.
Qu’est-ce que le biais du survivant ? Pour résumer en quelques mots ce biais fait partie de la famille des biais de “sélection” et vient gêner le bon jugement que l’on se fait d’un cas d’étude. Le biais du survivant est cette tendance que nous avons tous à ne retenir que les réussite d’une expérience. De par ce fait, nous ne prenons pas en compte le bon échantillon et les conclusions que nous avançons sont souvent erronées.
Par exemple, lorsque vous aimez les musiques de telle ou telle époque vous vous dites que les artistes de l’époque en question étaient particulièrement doués. Alors qu’au final, seule une fraction des musiques de cette décennie a « survécu », et est encore écoutée. De même lorsque des gens demandent des conseils pour un futur job, ils ne vont demander qu’à un échantillon de personnes déjà installés, en omettant bien souvent toutes ces personnes “cachées” pour qui l’expérience s’est mal passée.
Le lien avec notre NBA bien-aimée est bien plus proche que ce que l’on pense. En effet, dans les débats qui entourent les lacunes à travailler de nos futures stars, on cite souvent des exemples de “oui mais ça peut être travailler puisque untel l’a fait avant lui”. Prenons un exemple concret et d’actualité, celui des frères Thompson : Amen et Ausar. Nous ne sommes pas là pour juger s’ils vont réussir ou non et je ne fais pas une généralité de tous les scouts non plus. Cependant, chez un public moins alerte et averti, un argument qui revient souvent est : “il ne leur manque que le shoot et le shoot est une chose simple à travailler, regardez Jason Kidd y est arrivé”. L’exemple du shoot et de Kidd étant sans doute le plus parlant pour expliciter mon propos.
Quand l’exception devient exemple à suivre : une ineptie
Oui Jason Kidd est passé de non shooteur à bon shooteur mais à quel point représente-t-il une exception ? Pour un Jason Kidd, combien de Ben Simmons ? A une autre échelle, combien de Russell Westbrook qui ne sont jamais réellement devenus des shooteurs fiables (30% à 3-pts en carrière) ? Mais aussi, à quel point Kidd était un bien meilleur shooteur à l’époque qu’un Ben Simmons au même âge pour reprendre cet exemple ? Et finalement, ne sommes nous pas totalement dans le faux à prendre pour référence une exception en omettant la majeure partie de l’échantillon ?
Et cette tendance revient en réalité très souvent (et pour chez moi le premier) lorsque l’on essaie de se projeter sur un joueur. « Je pense que untel peut développer son playmaking comme Kawhi Leonard l’a fait », « Il peut développer son skillset offensif à la manière d’un Jimmy Butler » ou même « Wemby pourrait s’inspirer du développement physique d’un Giannis ». Tous ces arguments entendus et plus ou moins fondés mais qui en réalité relèvent plus de la fantaisie qu’autre chose.
En réalité beaucoup de facteurs rentrent en compte notamment des aspects impalpables une nouvelle fois comme l’éthique de travail et tous ces facteurs viennent souligner la complexité de l’exercice de scouting. Cet article n’est absolument pas une critique, mais plutôt une invitation à l’ouverture d’esprit au moment des jeunes. Oui, nous avons toujours envie de nous enflammer, de voir en ce jeune prometteur celui qui va redresser notre franchise, qui va réussir là où d’autres ont échoué, nous ont déçu. Toujours est-il que nous avons tous cette mémoire sélective au moment de parler de jeunes joueurs et qu’on ne s’en rend pas forcément compte. Si si, même vous cher lecteur de cet article, vous avez ce biais.
Et si vous pensez que vous l’avez moins que les autres, sachez que penser que les biais cognitifs touchent plus les autres que soi est aussi… un biais cognitif.
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