Adam Silver peut-il sérieusement envisager une expansion en Europe ? Crédit : NBC Sports

La NBA en Europe, une expansion crédible ?

Alors que l’expansion NBA sur le sol américain accapare l’attention de beaucoup, Adam Silver et Mark Tatum ne manquent également pas d’évoquer leurs rêves de développement européen. Dans un contexte sportif, économique et géopolitique complexe, doit-on vraiment prendre ces déclarations au sérieux ? A quoi ressemblerait une NBA aux couleurs de l’Europe ?

Les faits : des bruits de couloir de plus en plus consistants

Fantasme pour certains, cauchemar pour d’autres, ce n’est pas la première fois que l’idée d’une implantation américaine sur le Vieux Continent se murmure.

Si vous doutez encore de l’envie d’Adam et de sa bande de percer le marché européen … C’est certainement que vous vous mentez à vous-mêmes. Délocalisation de matchs de saison régulière en Europe depuis les premiers NBA London Games de 2011, de plus en plus de superstars européennes qui menacent l’hégémonie des locaux, les signes de la montée en puissance européenne ne manquent pas.

Plus récemment, c’est en mars dernier que le projet a fait parler de lui. Les investisseurs du board américain avaient alors fait appel à la banque d’investissement Raine Group pour chiffrer plus précisément les retombées d’un tel projet, et les résultats sont sans appels. Un potentiel revenu annuel autour des trois milliards de dollars, comparé aux quelques centaines de millions actuelles, on comprend mieux l’intérêt affiché par Adam Silver.

Car si aucun commentaire sur les liens avec Raine Group n’a été fait publiquement, il n’est pas difficile de trouver les appels du pieds des américains aux instances européennes.

« Je pense sans aucun doute qu’il existe une opportunité pour le basket-ball de continuer à se développer en Europe. […] Les discussions sont encore au début, mais nous avons des discussions avec notre partenaire, la FIBA.”

Mark Tatum, sous-commissaire de la NBA, à propos du basket européen

La NBA et la FIBA main dans la main pour des projets développant le basketball dans le monde, l’idée n’est là non plus pas nouvelle. En 2020, les fans ont d’ailleurs vu cette union donner naissance à la Basketball African League (BAL). Une ligue panafricaine, aux couleurs de sa maison mère qui a pour but d’apporter l’expertise américaine sous de nombreuses formes.

Développement des clubs, des infrastructures et des stratégies marketing, les prospects du continent doivent aussi en profiter pour utiliser la BAL comme une passerelle vers la Grande Ligue, une opportunité de visibilité maximum. Côté américain, c’est surtout l’opportunité d’atteindre un public sous-exploité en lui proposant des matchs estampillés NBA à horaires locaux, décuplant forcément les recettes et l’engagement africain.

Le président de la Ligue Africaine de Basketball et les Petroleos De Luanda, champions de la BAL 2024 en juin dernier. (via Getty Images)
Le président de la Ligue Africaine de Basketball, Amadou Fall, et les Petroleos De Luanda, champions de la BAL 2024 en juin dernier. Crédit : Getty Images

Si l’exemple de la BAL était important à présenter, c’est parce qu’il coche toutes les cases que les investisseurs américains rêvent de cocher en Europe. Le premier objectif est évidemment économique.

En créant une ligue sur le Vieux Continent, la NBA s’assure un petit pactole supplémentaire en billetterie, en merchandising et en droits TV en touchant une population qui n’aura plus besoin de se lever en pleine nuit pour regarder des matchs, une population qui pourra s’identifier à son équipe locale plutôt qu’à une franchise à 8 000 km de chez elle. Au-delà des retombées directes comme celles-ci, cette nouvelle ligue permettrait également de créer de nouveaux fans du sport, qui se tourneront forcément vers la Grande Ligue une fois un pied mis dans le basket.

Le second objectif est un petit peu plus sportif. Alors que la NCAA perd le monopole du développement des jeunes joueurs et que la G-League ne répond pas aux attentes, une implantation européenne permettrait de mettre la main sur une région produisant de plus en plus de prospects de très haut niveau depuis 15 ans. Adam Silver évoque même la possibilité de créer une équipe américaine en Europe, à la manière de la G-League Ignite, pour que les jeunes nord-américains puissent profiter de l’excellente formation européenne.

Un paysage européen fracturé

Les bénéfices qu’en retirerait la NBA sont donc clairs, mais qu’en est-il du point de vue européen ?

Il est important de noter que le paysage basket en Europe est bien plus complexe qu’aux Etats-Unis. Tout d’abord, il y a les ligues domestiques. Chaque équipe joue un match dans son championnat national le weekend, et cela semble aujourd’hui immuable. Pour les compétitions continentales, qui se jouent en semaine, c’est encore plus compliqué. Euroleague, Eurocup, Basketball Champions League (BCL) et Europe Cup, pas moins de quatre compétitions se partagent les parts du gâteau.

La compétition reine, l’Euroleague, et sa petite sœur l’Eurocup sont considérées aujourd’hui comme les deux plus relevées du quatuor et sont organisées par Euroleague Basketball, une entreprise privée et aucunement liée à la FIBA. La FIBA elle, voit ses deux compétitions, la BCL et l’Europe Cup, reléguées en fin de classement et occupées par des équipes moins clinquantes.

Si la hiérarchie entre les quatre compétitions est claire, il est évident qu’elle ne doit pas plaire à tout le monde. Il n’est pas difficile d’imaginer que la FIBA ne doit pas se satisfaire de ce rôle de second plan, et c’est certainement sur ce point-là qu’appuie la NBA pour amener la fédération internationale à la table des négociations. Un partenariat entre les deux sociétés permettrait à la FIBA de coorganiser une ligue qui serait la deuxième plus importante au Monde, de quoi repasser au premier plan.

La Basketball Champions League, organisé par la FIBA, n'est que la troisième compétition en Europe. (Crédit : FIBA)
La Basketball Champions League, organisé par la FIBA, n’est que la troisième compétition européenne. (Crédit : FIBA)

Du point de vue des clubs, l’attrait principal est financier. Si les enjeux de la NBA sont de croitre et d’augmenter les revenus, les équipes européennes sont plutôt dans une optique de survie. Le Real Madrid, le FC Barcelone et le Bayern Munich le font grandement grâce à la section football, Monaco, l’Olimpia Milan et l’Anadolu Efes par des mécènes qui n’ont pas peur des grosses pertes induites par le projet, et certains, comme pour les deux équipes de Belgrade par exemple, sont mêmes soutenues par leur gouvernement. Travailler avec la NBA, sa visibilité et ses ressources marketing permettraient de pérenniser des projets parfois assez instables.

Des différences culturelles à ne pas négliger

Si de nombreux partis semblent trouver leur compte dans un potentiel partenariat, il faudra toutefois beaucoup de finesse aux équipes de NBA Europe pour réussir une telle entrée sur un marché farouchement attaché à son basket.

Dans un environnement médiatique où NBA et Euroleague sont constamment opposés, comme si ces deux ligues étaient condamnées à n’être que des némésis, de nombreux fans européens semblent violemment opposés à ce type de projet. Pour beaucoup, le basket à l’européenne, le basket intelligent et collectif ne doit pas être pourri par le basket athlétique et d’isolation des Américains, qui ne savent de toute manière pas défendre. Le trait est évidemment grossi mais ressemble à la défiance que devra surmonter le projet s’il veut survivre et conquérir les fans.

Si vous doutez de l’importance que peuvent avoir les dits fans dans cette discussion, c’est notamment dû à notre vision française, où le basket est un sport important, mais loin de l’intouchable football. La passion que la balle orange créée ailleurs en Europe est bien autre, et il convient d’ouvrir les liens suivants si cette ferveur vous est inconnue. En quelques mois à peine, vous pouvez trouver des images de l’arrivée d’Evan Fournier à l’Olympiakos, d’un simple tournoi de pré-saison organisé par le Panathinaikos ou encore tout le pays lituanien vivant pour son équipe du Zalgiris Kaunas.

Pour convaincre les fans les plus rebutés, il faudra pour cela respecter les instances déjà en place. Le basket européen se joue selon les règles FIBA et uniquement les règles FIBA. Les playoffs européennes ne se joue pas sur sept matchs, mais bien sur un Final Four en un match sec, où chaque joueur laisse chaque once de sueur sur le parquet et où les renversements de situation sont légions. De plus, il conviendra d’arriver sur la scène européenne avec beaucoup d’humilité, dans des pays où l’image des Etats-Unis conquérants et se plaçant en sauveurs n’est clairement pas la bienvenue.

Enfin, la plus grosse erreur que pourrait faire la NBA serait de présenter cette nouvelle ligue comme une ligue de développement. Le basket européen est déjà développé, et si le projet ressemble à une G-League sur terres européennes, à une rampe de lancement pour une arrivée tonitruante en NBA, nombreux seront les voix qui s’allieront contre ces idées.

Et maintenant ?

Il est difficile d’imaginer à quoi correspondrait cette ligue européenne adossée à la NBA tant le projet est complexe. Il existe cependant deux pistes de réflexion qui semblent se démarquer ces derniers mois.

La première est celle du partenariat avec la FIBA. Cela permettrait à la ligue américaine de profiter de l’expérience de la fédération internationale sur le sol européen, surtout que la cohabitation avec l’instance semble bien se passer sur les quelques années de recul que nous avons avec la BAL.

La nouvelle ligue devrait alors grandement se rapprocher de ce que nous connaissons aujourd’hui. Il semble peu probable que la FIBA autorise une ligue fermée, ou bien que les clubs soient exemptés de compétitions nationales. On retrouverait alors une ligue proche de l’Euroleague actuelle, avec potentiellement plus d’équipes, dont une américaine, pour permettre de ratisser tous les pays du Continent, d’augmenter la visibilité du projet et les retombées financières en découlant.

La seconde option qui revient le plus est celle de discussions directes avec les clubs. Aucun intermédiaire comme la FIBA ou l’Euroleague, simplement la création d’une ligue 100% NBA, où les américains négocient directement avec les équipes européennes pour mettre en place les contours du projet. C’est à cet endroit que démarre la fiction tant les possibilités sont immenses : ligue fermée, relégations, salary cap, draft, conférences, pas d’obligation de jouer le championnat national … Les options sont très nombreuses et il est presque impossible d’envisager une version finale du projet.

Il est aujourd’hui trop tôt pour se prononcer sur la forme qu’aurait cette ligue ou sur la réussite ou non de celle-ci, mais il semble donc qu’une expansion NBA en Europe serait loin d’être dénuée de sens. Pour la croissance infini de la NBA, pour redorer l’image de la FIBA ou pour garantir la santé financière des clubs européens, beaucoup de raisons portent à croire qu’un tel projet pourrait un jour aboutir. La complexité du dossier devrait faire trainer les discussions pendant quelques temps avant qu’une quelconque annonce ne fasse surface mais qui sait, peut-être pourrons-nous bientôt, nous aussi, voir notre franchise préférée évoluer sous nos yeux.

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