Benjamin Moubèche s’est confié en exclusivité pour Le Roster sur son expérience unique. Correspondant à San Antonio, il nous parle de sa relation avec Victor Wembanyama, de sa vie à San Antonio ainsi que de ses projets autour de la NBA.
Sa relation avec Victor Wembanyama
Comment as-tu réagi la première fois que tu as vu Victor Wembanyama ?
Je vais être honnête et c’est quelque chose dont je ne suis pas fier. Mais vu qu’à l’époque la hype était énorme, ma première pensée sur Victor Wembanyama était de dire « je ne sais pas s’il sera si fort que cela ». J’essayais de trouver la petite bête, le petit point noir. Et avec Victor c’était compliqué parce qu’en effet il est exceptionnel ! On ne parle pas d’un prospect qui devait être drafté au second tour de draft (mais) d’un premier choix clair et net. J’étais vraiment un peu aigri. La première fois que j’ai vu Victor, j’ai essayé de ne pas être impressionné. Dans les faits j’ai été impressionné parce que c’est dur de faire autrement. Tu le vois faire ce qu’il fait sur un terrain et tu te dis « mais comment c’est possible ? ». C’est vrai qu’à l’époque je n’étais pas sous le choc ou sous le charme, je me disais juste que les gens qui portent cette hype ont raison et tant pis je ne pourrais pas faire l’aigri avec Victor Wembanyama.
La première fois que je l’ai vu en vrai était lors de son média day quand il était arrivé aux Mets. C’est là où tu prends la mesure de la chose. C’est quand tu le vois être obligé de baisser la tête pour passer sous le plafond. Le plafond n’est pas assez haut pour lui ! Même quand tu as l’habitude de voir des basketteurs, tu vois Victor et tu dis que c’est quand même autre chose. J’avais lu beaucoup de choses sur Victor, mais quand tu le vois parler en vrai, c’est là que tu prends une petite claque en te disant qu’il est vraiment mature. Aujourd’hui j’ai 23 ans, et toute ma vie on m’a dit que j’étais très mature et on continue de me le dire. Par contre je me sens comme un gamin devant Victor Wembanyama alors qu’il a trois ans de moins que moi.
La première fois que je l’ai vu jouer en vrai, c’était pour le premier match de la saison des Mets à domicile. Et là tu prends la mesure de la chose et tu te dis que c’est invraisemblable. Sur la télé, tu as l’habitude de voir beaucoup de fictions, et où Wembanyama est juste une autre fiction. Et quand tu le vois en vrai, tu te dis « attends il y a un problème, le mec de la télé fait ça pour de vrai ». Inconsciemment tu te dis que ce mec ne peut aller que loin quand tu le vois jouer. C’est évident, tout lui est dû. Il ne peut que réussir. C’est l’enfant prodige, c’est l’élu. Quand tu ressors de là, tu te dis « pardon je ne douterais plus jamais de la hype Victor Wembanyama ».
Quels sont les axes de progression que tu as pu observer depuis qu’il est arrivé à San Antonio ?
Ce qui m’a frappé, c’est que dès les premiers matchs de présaison il était vraiment prêt pour la NBA. Il y avait quand même des choses (à corriger) dans le sens où il était prêt pour la NBA autant qu’un rookie est prêt pour la NBA. Il était parfois un petit peu en retard sur des aides défensives ou sur sa sélection de tirs, car on voyait qu’il était un peu dans la précipitation. Mais ce qui me choque le plus est la progression défensive parce que lorsqu’il est arrivé il était déjà un excellent défenseur. Là on est à ce stade où quand je le vois jouer, il n’est plus jamais en retard. Il a tout compris.
C’est comme si en l’espace d’une demi-saison il avait fait un bond en avant de deux ou trois saisons. Il a énormément évolué dans la compréhension du jeu. Tu as l’impression qu’il a amassé des années d’expérience NBA en l’espace de quelques mois, et qu’il est maintenant l’un des meilleurs défenseurs de la NBA ! Mais de combien de rookies peut-on dire cela ? Avec le temps, il est passé de l’un des meilleurs rookies défenseurs de l’histoire de la NBA à un candidat au DPOY dès la saison prochaine. J’ai du mal à voir comment va-t-il progresser défensivement parlant parce qu’il a tout compris. Tu as l’impression qu’il peut devenir un défenseur parfait.
Et au-delà de cela, la compréhension du jeu et la manière dont il a évolué dans son playmaking, dans sa manière de se positionner, de couper etc… Tu le vois parfois placer ses coéquipiers sur le terrain, et j’ai rarement vu des rookies faire cela. C’est quelque chose que je n’attendais pas de la part de Victor Wembanyama dès sa première saison. Il a fait là-dessus un bond phénoménal à un degré qui me choque toujours.
Est-ce que en tant que journaliste français tu as pu nouer un lien avec lui ?
Je pense qu’à la différence de beaucoup de journalistes il voit qui je suis. Quand on se croise, on se dit bonjour. C’est une relation vraiment cordiale comme si on était deux employés de la même entreprise. En revanche c’est très distant parce qu’il y a des barrières monstrueuses. On n’a jamais pu parler à Victor en face-à-face et on ne peut jamais lui parler en dehors des conférences de presse. Les Spurs encadrent tout. Et donc nous on n’a accès à rien en dehors de ce cadre-là.
Évidement Victor est professionnel, carré, donc je n’ai vraiment aucun lien avec Victor Wembanyama. Il y en a un professionnel évidemment parce qu’il sait qui je suis. Je suis présent à tous les matchs et il a l’habitude de me voir. Je pense que pour lui je fais maintenant partie du paysage NBA parce que je suis dans ses habitudes. On se sait, on a conscience de l’existence de l’autre et c’est déjà quelque chose de pas mal.
Mais par contre il n’y a aucun lien derrière parce que tout est verrouillé et tout est fait pour que Victor ne dévoile pas ce qu’il ne veut pas dévoiler. On ne nous laisse pas la chance de saisir ces choses-là. Victor veut garder une part de secret, et c’est ce qu’il avait expliqué dans son interview pour Clique en début de saison. Garder une part pour lui est important. En tant que Français on le respecte donc on ne va pas chercher trop loin. Et au-delà de cela, les Spurs et ces agents mettent tout en place pour que ce soit possible. Donc fatalement, on a accès à Victor dans le cadre du basket, des conférences de presse, mais on n’a pas accès à la personne qu’il y a au-delà du basketteur.
"Go ahead, @BenjaminMoubech".
Ecoutez Victor Wembanyama et allez lire et regarder le travail de notre correspondant à San Antonio.
Son dernier article sur les Spurs : https://t.co/pFYtm1QVsy
Le dernier "Moub Deep", son podcast hebdomadaire : https://t.co/r7VYzSEG1S pic.twitter.com/8R7bIgrz1T
— REVERSE (@REVERSEMAGAZINE) December 14, 2023
On a vu une séquence tourner sur les réseaux sociaux où Victor t’appelle directement. Est-ce qu’on pourrait avoir un peu plus de contexte sur cette séquence, et sur ce que toi tu as pu ressentir à ce moment-là ?
C’était une conférence de presse d’après match, et toutes les conférences de presses avec lui se passent dans un premier temps en anglais, puis un membre de l’organisation des Spurs demande à passer en français. Donc à ce moment-là Maxime Aubain de L’Équipe lui pose une question en français sur ces partenariats. Il parle de Nike et des publicités HEB. Et du coup un journaliste américain fait signe au mec des Spurs pour poser une question sur HEB parce que pour les gens de San Antonio, les pubs de HEB sont un monument. Je n’ai pas tout vu, mais je pense que le mec des Spurs lui a fait un signe pour poser une question alors qu’en théorie c’est mon tour. Donc je commence à poser ma question, sauf que lui aussi en même temps. Et donc à ce moment-là Victor lui dit « Go ahead Benjamin Moubèche » pour dire que c’est mon tour de poser la question, et pas au journaliste américain.
La séquence se passe, l’américain continue et moi je suis confus. Je suis perturbé par le fait qu’il ait dit mon nom complet. Victor se tourne vers le mec des Spurs et lui explique qu’on est dans la partie française. Il s’avère que finalement le journaliste américain pose sa question parce que le responsable des Spurs est ok et Victor comprend la pertinence de la chose. Ce qui est « marrant », c’est qu’après je n’ai pas pu poser ma question ! Il a répondu à la question en anglais et après c’était la fin de la conférence de presse. On en a ensuite discuté avec le journaliste américain. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de problème et que je comprends qu’il ait voulu poser la question. Mais c’est vrai que j’étais un peu frustré sur le moment. D’un côté j’étais frustré, et de l’autre j’étais perturbé. Quand on me demande si Victor me connait, je répondais toujours de manière ironique qu’il n’y a pas beaucoup de journalistes français à San Antonio, et encore moins qui ont la coiffure de Willy Wonka. Je me suis dit qu’il a essayé de protéger ma question, donc c’était une belle attention.
Pour moi il y avait un peu une forme de reconnaissance de savoir que la personne pour qui j’ai déménagé à l’autre bout du monde sait qui je suis. Et au-delà de cela, il y avait vraiment l’impression que c’était une information importante, que Victor connaît mon nom, mais qu’il connaît probablement le nom des autres journalistes. Donc il prête une importance au jeu médiatique, mais également une importance personnelle aux personnes qui ont fait ce sacrifice de déménager pour le suivre. Ça correspond à la personne que semble être Victor Wembanyama. Ça m’a fait plaisir d’être la personne, mais je pense que cela aurait pu être n’importe qui d’autre. Mais il y a aussi ce côté où tu comprends mieux qui est Victor grâce à ce genre de petits moments parce que ce n’est pas prévu et que c’est en dehors du script.
C’était en plus à un moment où je travaillais beaucoup, j’étais dans le dur, et ça m’a donc redonné le moral. Et je ne savais pas comment gérer l’après. Je ne voulais pas mettre le clip sur Twitter, mais je voulais que les gens sachent que Victor est le genre de joueurs qui s’interpose en conférence de presse pour être sûr que le journaliste en face de lui puisse poser sa question. Dans le doute je n’ai rien fait, et j’en ai parlé à l’équipe de Reverse qui ont mis le clip en ligne. Oui j’étais content parce que je me sentais visible et j’étais content que le public puisse voir que Victor prête ce genre d’attentions.
Est-ce que tu ne crains pas que dans le futur on résume ta carrière sous le prisme de Victor Wembanyama ?
Franchement, ce serait un honneur qu’on se souvienne de moi comme la personne qui a suivi Victor Wembanyama à San Antonio. Je n’ai pas de prétentions particulières dans le monde du basket. Je ne sais pas comment les gens se souviendront de moi. Ce serait déjà un privilège s’ils se souviennent de moi. Victor Wembanyama est un joueur générationnel, mais en plus c’est une bonne personne, donc c’est super d’être attaché à ce joueur en particulier.
Je ne suis pas le mec qui a suivi Patrick Beverley ou Kevin Porter Jr. C’est être très haut dans la liste des personnes qui ont suivi quelqu’un que d’être celui qui a suivi Victor Wembanyama. Donc cela me va très bien. Et au-delà de cela, étant donné que je ne suis pas voué à faire toute ma carrière à San Antonio – désolé Victor – je pense qu’il y aura un après et les gens verront d’autres choses.
Certaines personnes capitalisent là-dessus et font leurs vies à partir de ce genre de moments, mais ce n’est pas mon style. Je suis à San Antonio, j’écris sur les Spurs, sur Wembanyama. Mais demain si je suis à Charlotte j’écrirais sur les Hornets et sur Lamelo Ball. Ça dépendra en fonction de comment j’évolue, mais je n’ai pas vocation à rester la personne qui a suivi Victor Wembanyama. Je fais mon truc, et il s’avère qu’en ce moment c’est de suivre Victor. Mais demain ce sera peut-être autre chose. On verra bien.
Sa vie à San Antonio
Quand et comment est venu cette idée de déménager aux États-Unis ?
C’est une idée que j’avais depuis longtemps parce qu’on sait que c’est différent d’être sur place. Être dans la salle, avoir l’énergie avec les fans, pouvoir parler avec les joueurs est une dimension supplémentaire de la couverture de la NBA, et je voulais faire partie de l’écosystème. Plus j’avançais, plus ce rêve devenait un projet. Je sortais d’études, donc je me disais que c’était l’occasion ou jamais car je n’avais pas de responsabilités. L’idée est que j’avais une page blanche, j’écris ce que je veux, et donc je vais commencer par cela. C’était moins stressant de partir maintenant. Mais en même temps je me disais que ce n’était pas cette année que ça se ferait parce que je n’étais pas assez confiant dans mon anglais et dans mon travail.
Mais quand les Spurs ont eu le first pick à la lottery, j’ai réalisé que je n’avais pas besoin de partir à New York comme je l’imaginais au début, mais que je pouvais partir dans une ville plus abordable. San Antonio était beaucoup plus réaliste que New York, donc je me suis dit « pourquoi pas ». Mais c’était quand même compliqué de franchir ce cap, mais aussi pour ma copine de se dire que j’allais partir pendant un an. Donc je me disais que même si c’était possible, je ne le ferais pas. Même si je me disais que ce serait bien !
Et puis il y a eu la draft. C’est vraiment le moment où tout a changé. Le voir en larmes avec son frère et sa sœur sous le coup de l’émotion est un moment qui m’a marqué. Moi aussi j’étais sous le coup de l’émotion du coup. Parce que je l’ai suivi en France toute la saison, je l’apprécie en tant que personne et j’ai de l’empathie qui s’est développée pour lui. Et donc quand il est annoncé en premier, j’ai les larmes aux yeux et je me dis que ce moment-là est fort. C’est d’ailleurs l’image qui illustre mon article. Je me dis que cette histoire est incroyable. On sait ce qu’il va devenir. On se dit que tout est déjà écrit pour lui parce qu’il a un potentiel incroyable. Mais d’un coup il sort du script. Il change l’histoire d’une certaine manière. Il m’a fait réaliser que Victor Wembanyama serait la meilleure histoire sur laquelle je pourrais écrire. Donc je me suis dit que je n’avais pas le choix.
Je suis revenu dans ma chambre, et je dis à ce moment-là à ma copine « je crois que je dois y aller, que je suis obligé ». J’étais obligé pour ma carrière, parce que c’est l’histoire qui s’écrit et que Victor est un sujet fascinant. C’est à ce moment-là que je me suis dit que c’est un vrai projet. Et c’était horrible parce qu’en trois mois j’ai dû tout faire. Je n’avais pas de passeport, je n’avais plus de carte d’identité et il fallait que je prépare mon visa et ma vie à San Antonio. C’était un enfer, mais cela s’est fait. J’ai eu une chance phénoménale – à savoir que mon passeport est arrivé au bout d’un mois -. Même si je ne crois pas au destin, j’ai envie de dire que c’est cette conjecture qui m’a amené à San Antonio.
Tu dis que San Antonio était une ville un peu plus abordable que New York, est-ce que tu pourrais nous présenter une particularité un peu méconnue du grand public sur la ville ?
Je ne sais pas quelle est l’opinion du grand public sur San Antonio, mais je pense que la ville est un ehpad géant. C’est une ville où tout va doucement. Les gens sont vieux, il n’y a pas grand-chose à faire, tu ne peux pas vraiment sortir. C’est un cimetière d’éléphants. Les gens doivent savoir que San Antonio c’est chiant.
Mais d’un autre côté c’est une ville merveilleuse dans le sens où les gens de San Antonio sont les meilleures personnes de la planète. Ils sont accueillants, viennent te parler souvent, t’aider dès que tu as besoin de quelque chose, s’intéressent réellement à toi et te font te sentir chez toi. Les meilleures personnes que j’ai rencontrées dans ma vie sont à San Antonio. Je tiens à ce que cela figure dans l’article, mais je suis un gros aigri, et je ne dirais jamais ça si ce n’était pas vrai !
Est-ce que tu as réussi à trouver ta place dans la ville ?
Après un mois je m’étais fait agresser en plein centre-ville et j’avais eu un accident de voiture. Autant dire que ce n’était pas la meilleure intégration possible ! Mais en réalité ces histoires m’ont fait rire sur le moment. Au début c’était tout de même un peu difficile, car j’étais confronté à une nouvelle culture qui est un peu hostile aux personnes véganes et qui ne conduisent pas.
Mais avec temps tu t’adaptes, tu survis. À ce stade-là de la saison, je me sens vraiment bien à San Antonio, c’est ma ville. Quand je vais dans d’autres villes aux États-Unis, j’ai la sensation d’être ailleurs. Alors que lorsque je reviens à San Antonio, je suis de retour à la maison. J’ai mes habitudes, mes petits restaurants, mon bar préféré dans lequel je peux m’asseoir et où le barman va directement me servir ma boisson si je lui fais un signe de tête.
Et c’est vraiment cool, car ça me correspond. J’aime bien être la seule personne qui va vite au milieu de plusieurs personnes qui vont au ralenti. La météo est également un gros avantage, car quand je vais à New York et qu’il neige je déteste. Cette ville, je l’aime comme ma seconde maison.
Quels sont tes relations avec les autres journalistes sur place, que ce soit avec les Français mais aussi avec les Américains ?
Il y a franchement une bonne alchimie entre les journalistes français à San Antonio. Ce n’est pas toujours facile parce qu’il y a une sorte de compétitions étant donné qu’on est en concurrence malgré le fait qu’on ne le souhaite pas. On s’entend néanmoins très bien, en particulier avec Vincent Pialat qui n’est pas basé à San Antonio, mais qui vient régulièrement et avec qui j’ai développé une très bonne relation. C’est un plaisir pour moi lorsque des gens sont de passage pendant une semaine pour un sujet télé de leur montrer mon « chez moi ».
Et les journalistes américains sont des crèmes. Leur accueil à notre égard a été exceptionnel. Je pense en particulier à Tom Orsborn du San Antonio Express News qui nous a accueillis comme des princes. Il nous a emmenés dans sa rédaction pour travailler, il a beaucoup fait le taxi et guide touristique pour nous. Cette personne nous a fait nous sentir chez nous. Et quand je partirais de San Antonio, je ne l’oublierais jamais.
Au-delà de lui, il y en a beaucoup qui sont incroyables. Ils nous ont fait comprendre que le fait qu’on soit là rajoute un peu de piment. Pour le mook sur les Spurs j’ai pu interviewer trois journalistes qui ont été super quand je leur demandais des anecdotes. Les relations sont vraiment tops. San Antonio n’est pas un gros marché où il y a plusieurs journalistes qui viennent et repartent. Les visages dans les salles de presse sont souvent les mêmes. Il y a donc un sentiment de communauté qui s’installe et qui fait qu’on a un lien inévitable qui s’est créé.
Justement en parlant des conférences de presse, comme cela se passe avec Gregg Popovich ?
Faire une conférence de presse avec Gregg Popovich est un sport de combat où il y a des règles et des techniques spéciales. C’est une expérience hors du temps. Quand Popovich rentre dans la salle de presse, tu ne sais pas à quoi t’attendre. Parce que parfois, il va rentrer après un match et juste rester debout, sortir une phrase pour ne pas prendre une amende de la NBA et repartir. Et d’autres fois, il va rentrer dans la salle en étant calme. Tu vas lui poser une question et même s’il a du mal à te comprendre avec ton accent, il va chercher à proposer une réponse construite. Il a vraiment deux visages et c’est une expérience.
Je pense que c’est quelque chose que tout jeune journaliste devrait vivre parce que cela fait vraiment évoluer. Tu te demandes vraiment si ta question est pertinente et si elle est bien formulée. Si ta question n’est pas parfaite, tu as une chance que Gregg Popovich te mange vivant. Et en plus, cela demande du courage parce qu’il est un peu intimidant. Quand il arrive en conférence de presse, il scanne tout le monde. Et il y a beaucoup de monde qui évite son regard. Mais la première chose que tu apprends est qu’il faut oser le regarder, oser lui poser une question. Et ce n’est pas évident parce que s’il te remballe il faut oser le relancer. C’est le prof parfait sans qu’il le fasse exprès. Je sais que plus rien ne me fera peur lorsque je reviendrai en France. J’ai regardé Gregg Popovich dans les yeux, donc je peux regarder qui je veux dans les yeux.
Entre Français on se dit tous que l’on s’est fait « popovicher » parce qu’il y a toujours des moments où l’on va lui poser une question que l’on pense pertinente, mais où il va nous remballer en se moquant de nous avec du sarcasme ou en répondant avec un seul mot. C’est quelque chose qui est inévitable. La première fois que ça arrive, tu ne te sens pas très bien. Mais après tu comprends que c’est juste le jeu et tu te dis « c’est cool je me suis fait popovicher aujourd’hui ».
En dehors de Wembanyama, est-ce qu’il y a un joueur qui t’a impressionné en conférence de presse ?
Ça fait mal de le dire, mais c’est Doug McDermott. C’est le joueur qu’on envoyait souvent après les défaites ou après les matchs compliqués. Il protégeait les jeunes en quelque sorte. Ça m’impressionne que ce soit lui qui vienne payer les pots cassés après une défaite de quarante points. C’était très plaisant à voir le fait qu’il prenne ses responsabilités en tant que vétéran. Et peu importe le sujet de la question, c’était l’un des deux joueurs avec Cedi Osman qui ne te rembarrait jamais. Il essayait toujours de donner une bonne réponse assez longue afin d’avoir de la matière pour nos articles. Il était vraiment très agréable avec les médias.
Ce niveau de professionnalisme et cette capacité à toujours chercher les mots justes, qui mettaient en valeur ses coéquipiers, son équipe et qui en plus expliquait souvent la situation afin de nous aider nous journalistes est quelque chose qui m’a beaucoup impressionné. Il était vraiment formidable avec les médias et il va sincèrement me manquer.
On a toujours Cedi Osman qui a ce profil de vétéran. Il va toujours donner les bonnes réponses et il a toujours le sourire avec la presse. Bien évidemment il a moins le côté « vétéran protecteur » du fait de son jeune âge, mais il est tout aussi cool avec la presse. On va dire que ce sera notre remplaçant.
Le mook Reverse
On sait également que chez Reverse, vous avez récemment publié votre dernier mook sur San Antonio (ndlr : à retrouver ici). Est-ce que tu pourrais tout d’abord nous parler de la genèse de ce livre ?
Le mook Spurs est une idée qui est arrivée début janvier. Personnellement je n’étais pas dans le processus de choix du sujet. Mais quand je suis parti à San Antonio, je me suis posé la question de « est-ce que j’aurais la chance de glisser ce que je fais ici dans un mook ? ». J’espérais vraiment que ça arriverait et qu’on ferait le mook sur les Spurs. On en a discuté avec mes rédacteurs en chef, et le fait que je sois à San Antonio était un argument dans cette décision parce qu’on savait que tôt ou tard on ferait un mook sur les Spurs.
C’est vrai qu’on a fait de grandes franchises avec les Celtics et les Lakers. Et les Spurs étaient une étape nécessaire dans les sujets du mook parce que c’est une franchise qui a plein d’histoires captivantes, qui a 22 saisons en playoffs, qui a beaucoup évolué et qui a des personnages qui sont fascinants. Donc c’est vrai que le sujet s’imposait à un moment ou un autre. Et le fait que je sois à San Antonio fait que c’était un bon moment et ça a participé à la décision de le faire. Il y avait aussi la volonté d’avoir un thème un peu plus concret après avoir fait les Loosers parce que tu ne te dis pas « Je suis fan des Loosers donc je vais m’acheter un mook sur les Loosers ». C’est moins compliqué de prendre la décision de qui va être dans le mook Spurs que de qui va être dans le mook Loosers.
Et donc pour toi, la plus grosse différence a été que tu sois à San Antonio ?
Pour moi c’est complètement différent d’écrire un truc sur les Loosers (que sur San Antonio) car les histoires de Loosers me fascinent. J’ai eu le privilège d’écrire sur Sam Hinkie dans le mook précédent, qui est l’un de mes héros. Mais là pour le coup écrire sur les Spurs c’est écrire sur des gens que je vais voir. J’ai écrit sur Victor Wembanyama, sur Gregg Popovich, sur le Coyote. Ce sont des gens que je croise tous les jours. Et le fait d’écrire cela et ensuite me retrouver face à la personne est quelque chose d’encore différent. Il y a une question de responsabilité également, car je sais que ce que je fais ne passe pas complètement inaperçu, et que les Spurs, la NBA, le camp de Victor peut-être surveillent ce qu’on fait. Donc il y avait cette pression-là supplémentaire.
Et puis même l’approche du sujet est différente. Dans le mook précédent, il y avait Sam Hinkie et Greg Oden, qui sont pour moi des figures presque mythologiques. Je les connais parce que j’ai lu leurs récits dans des livres, dans des articles, parce que j’ai regardé leurs matchs. Là pour le coup ce sont vraiment des personnes que j’ai côtoyées, que j’ai vues en vrai. Et c’est vrai que c’est différent d’écrire un portrait sur quelqu’un que tu voies pour de vrai parce que la perception est beaucoup plus personnelle. J’ai une perception de Victor que je suis probablement le seul à avoir parce que j’ai une relation à lui qui est particulière.
Et je pense aussi que les gens attendent plus du fait que je sois à San Antonio parce qu’ils savent que l’article est écrit depuis la ville. Donc c’est une pression supplémentaire. Même si je ne cache pas que le fait que je sois à San Antonio ne représente pas une plus-value incroyable pour raconter 28 ans de carrière de Popovich parce que je n’étais pas là les années précédentes. J’ai fait mon maximum et je me suis mis une pression supplémentaire. Pour moi c’était une expérience complètement différente car j’avais la sensation que je devais sortir ma masterpiece.
Est-ce que tu as une anecdote ou un témoignage lié à la rédaction de ce mook ?
Ce qui me fait beaucoup rire, c’est que j’ai pu interviewer beaucoup de joueurs NBA et de coachs. J’ai interviewé Nikola Vucevic, Robert Horry. Mais celle que j’ai préféré faire dans ma vie est celle avec Rob Wicall. Cette personne a été le coyote des Spurs pendant vingt ans et il m’a fait découvrir un nouvel univers.
Déjà quand tu vois une mascotte tu te dis rarement qu’il y a quelqu’un dans le costume. En l’occurrence j’ai essayé d’y penser, car je cherche toujours à trouver des angles un petit peu décalés. Mais c’est vrai que je n’avais pas conscience de la vie de cette personne. Ce métier demande le même mode de vie que celui d’un athlète professionnel, et on n’a pas conscience de ce que ressens et représente la mascotte pour une fan base. Discuter avec Wicall, qui est quelqu’un de très charismatique et vraiment passionné, a été une claque. J’ai vécu mon interview préféré avec une mascotte, et pas avec une star NBA, un Français qui est dans la ligue ou une légende qui a gagné plein de titres. Cette interview est mon kiffe sur ce mook.
À quoi ressemble la vie de mascotte ? J’ai pu le découvrir à travers le témoignage de Rob Wicall (@whycallrob), qui a incarné le Coyote pendant 20 ans avec une passion débordante.
L’une des interviews les plus prenantes qu’il m’a été donné de faire. Hâte que vous lisiez ça ! pic.twitter.com/D1PepHQm5B
— Benjamin Moubèche (@BenjaminMoubech) February 20, 2024
Dans la série de podcast que tu as fait avec The Free Agent, tu expliques à plusieurs reprises que c’est un rêve pour toi d’écrire dans le Mook Reverse. Pourquoi est-ce que c’était un rêve ?
J’ai découvert le basket tardivement quand j’avais 16 ans. Mais quand j’ai commencé, je m’y suis mis pour de vrai. Et donc se procurer les mooks Reverse était une étape dans le sens où c’était la première fois que j’avais un objet physique. J’ai toujours voulu avoir le papier entre les mains. Cela a toujours été quelque chose que j’apprécie. J’adorais les magazines, j’adorais lire et j’adore posséder des trucs. Et quand j’ai ouvert le mook Reverse, je me suis dit « ils prennent le temps ». Là où plein d’autres médias vont tout le temps écrire des news, eux prennent le temps. Ils font un mook tous les trois mois. Tu lis le truc, c’est super long. Certaines fois tu vas avoir ce privilège de t’arrêter dans l’article et de mettre un marque-page. Donc quand j’ai vu ça, je me suis dit qu’ils produisent ce que tous les fans de basket rêvent de lire, car c’est complet et tu en ressors grandi après la lecture. Tu es heureux de l’avoir ce mook, parce que visuellement il est aussi incroyable. Tout est super ! Et pour moi qui adore lire et qui aime les beaux objets, le mook m’a séduit.
Quand j’ai commencé à écrire sur le basket, j’ai réalisé que dans cette profession on est pressé. On doit écrire vite, parfois écrire des articles courts. Et à l’époque sur L’Analyste j’avais l’idée de faire des formats longs. Plus j’avançais et plus je me disais que ce que je faisais sur L’Analyste, je ne pourrais jamais le faire dans le monde du travail parce que personne ne me laissera ce temps-là. Et je savais aussi que le seul endroit où j’aurais ce temps-là était dans le mook. En tant que consommateur c’était le rêve de tenir ce livre entre les mains et donc je me suis dit que mon rêve c’était d’écrire là-dedans. Tu as plus de place qu’ailleurs parce que tu as un ou deux mois pour faire un article d’une vingtaine de pages. J’ai du mal à poser les mots là-dessus, mais ce projet correspond parfaitement à ce que je voulais faire dans ce métier. Il correspond parfaitement à ce que j’aimais avant de m’intéresser au basket. Et il correspond parfaitement à ce que je pense que le journalisme basket devrait être.
Écrire pour le mook a commencé à travers des interviews, ce qui était déjà un petit rêve accompli. Mettre ensuite ma plume dans le mook suivant, celui sur les Celtics avec John Havlicek, était encore une étape supplémentaire pour se rapprocher de ce rêve. Et là écrire un mook sur mon sujet de prédilection sur des personnages qui me fascine particulièrement est l’apogée. Popovich est ma personnalité basket préféré. Il est la personne qui me fascine le plus. Wembanyama est bien évidemment un joueur qui me fascine particulièrement et qui m’a fait bouger à l’autre bout du monde ! Donc écrire sur ces personnes est le rêve dans le rêve. Pour moi c’est l’accomplissement de tout ce que j’ai fait avant.
Les futurs projets de Benjamin Moubèche
Est-ce que tu envisages un retour en France, ou bien comptes-tu rester aux États-Unis ?
J’envisage un retour en France à très court terme. Il est possible que je ne revienne jamais (à San Antonio) à la fin de la saison des Spurs. Cela a toujours été un rêve de venir ici, mais ça a ses limites parce que la vie américaine n’est pas évidente et il y avait un intérêt pour Victor Wembanyama qui est rookie. J’ai réussi à trouver des choses cette année, mais je ne sais pas si l’intérêt du public sera le même pour la seconde saison.
Au-delà de cela, il y a l’aspect personnel qui rentre en compte. Ma copine vit en France toute seule et j’ai envie de revenir avec elle. C’est un challenge quasiment impossible pour elle de venir aux États-Unis. J’ai également des problèmes de santé qui font que le système américain n’est pas du tout adapté à moi. Je sais que je ne peux pas rester à long terme. Je pense qu’une partie de moi aimerait rester ici longtemps, mais je ne suis pas la personne adaptée à cet environnement pour rester. Il se pourrait que je rentre à la fin de la saison, ou bien il se pourrait que je fasse une deuxième saison. Mais je ne me vois pas aller au-delà de deux saisons.
As-tu d’autres projets dans le futur ?
Sans trop en dévoiler, il y a un livre en préparation sur la saison rookie de Victor Wembanyama, car quitte à être ici, je veux vraiment pouvoir donner toutes les informations que j’ai afin de pouvoir en faire à la fin le tableau le plus fidèle possible. Pour la deuxième partie de la saison, j’ai envie de revenir un peu plus vers l’analyse que je faisais avant et tendre un peu plus vers les sujets complexes que j’ai pu faire. Le All-Star Break marquera une différence dans mon traitement de Victor Wembanyama. Et pour la suite, il est possible que mes projets changent pour l’année prochaine, mais moi-même je n’en sais rien.
Retrouvez le mook numéro 14 de Reverse sur les San Antonio Spurs juste ici ainsi que le podcast « Moob Deep » de Benjamin Moubèche.