La NBA érige ses athlètes en idoles planétaires, célébrées pour leurs exploits sur le parquet, mais GQ choisit de déplacer le regard : au-delà du joueur, c’est l’homme et son style qui s’imposent, jusqu’à faire du vestiaire un prolongement du terrain.
Comme une vitrine, les façades des magazines attirent, intriguent et imposent un style. De Sports Illustrated à GQ, en passant par SLAM, « Face à la couv » retrace comment ces choix visuels ont façonné l’imaginaire NBA.
Une réponse au dress code
En novembre 2004, une violente bagarre éclate dans l’antre des Detroit Pistons contre les Indiana Pacers dans le Palace d’Auburn Hills. D’abord cantonnée aux joueurs, elle gagne les gradins lorsque Ron Artest se jette sur un spectateur. La situation dégénère, la NBA découvre son cauchemar en direct : pour la première fois, des joueurs et des fans en viennent aux mains.
Au lendemain de ce “Malice at the Palace”, David Stern réagit sans ménagement. Les sanctions sont historiques : Ron Artest est suspendu 86 matchs, Stephen Jackson 30, et l’affaire finit même devant les tribunaux. Mais au-delà des peines sportives, c’est l’image même de la ligue qui vacille. « La bagarre entre les Pistons et les Pacers a entraîné la plupart des médias à utiliser des termes comme ‘voyous’ et ‘débiles’ à propos des joueurs de notre ligue. Cela m’a rappelé le vocabulaire et la vision légèrement raciste que l’opinion publique avait de nous il y a un peu plus de dix ans », se souvient Stern.
La ligue était trop hip-hop
L’épisode réveille le spectre des années 70 et 80, quand la NBA était décrite comme une ligue violente et décadente, rythmée par les bagarres et la drogue. « Tout le monde a décidé de parler des choses négatives. Je pense que c’est pour cela que le dress code a été inventé », explique Jermaine O’Neal. « Car la ligue était ‘hors de contrôle’. Pour les analystes et les soi-disant journalistes, la ligue était trop hip-hop. » En 2005, Stern impose donc un “dress code” strict : costumes et chemises obligatoires.
D’abord moqué par des joueurs qui se présentent en costumes extra larges, ce code vestimentaire devient progressivement un terrain de jeu. La contrainte se transforme en opportunité, le vêtement en outil de distinction. De restriction, le costume devient affirmation de style. Peu à peu, les joueurs apprennent à maîtriser l’élégance, jusqu’à investir les sphères de la mode et en devenir des acteurs incontournables. C’est ainsi qu’ils passeront du tunnel d’entrée des arènes à la couverture de GQ, symbole ultime de cette métamorphose.
La couverture GQ, un rite culturel
Comment ne pas évoquer Pat Riley ? Peut-être pas joueur, mais indéniablement légende, l’artisan du Showtime des Lakers incarne le style sorti tout droit d’un film de Martin Scorsese. Fidèle aux chemises sur mesure de Savile Row et aux costumes Giorgio Armani, Riley a fait entrer dans la NBA l’élégance italienne des années 70 et 80. Si Richard Gere a offert son visage à Armani au cinéma avec American Gigolo, Riley en fut le prolongement dans le sport, une vitrine vivante que David Stern ne pouvait qu’apprécier.
Sa couverture pour GQ en 1988 illustre parfaitement ce personnage qu’on surnommait déjà The Godfather. Veste ample aux tons neutres, pantalon taille haute légèrement évasé, cravates audacieuses à rayures ou à motifs : chaque détail dessinait une silhouette de pouvoir. Même ses ceintures, parfois inspirées du spezzato italien, parfois proches d’un style western, ajoutaient une touche inattendue à l’ensemble. Riley savait manier la mode comme un langage.
« J’essayais de créer, non pas une marque, mais l’image d’un entraîneur sur le banc de touche. Et j’y suis parvenu », expliquait-il plus tard. Son aura était telle que ses propres joueurs le surnommèrent… GQ. « Dieu qu’il avait du style », se souvient Joan McLaughlin, directrice des ressources humaines des Lakers dans le livre « Showtime : Magic, Kareem, Riley, and the Los Angeles Lakers Dynasty of the 1980s ». « Il était toujours celui que les filles regardaient. »

Pat Riley incarnait une forme de raffinement intemporel, presque cinématographique, mais l’histoire de GQ avec la NBA ne s’est pas figée dans cette silhouette : elle a continué à évoluer, passant d’un style codifié à des expressions plus inventives, comme les défilés d’avant-match. Et les deux figures les plus flamboyantes de ce nouveau terrain d’expression sont Russell Westbrook et James Harden.
Dans la lignée d’Allen Iverson, les deux anciens coéquipiers revendiquent le droit de s’habiller comme ils l’entendent, en cultivant une extravagance qui n’est plus perçue comme une provocation mais comme une affirmation de style. Cette audace épouse parfaitement l’esthétique prônée par GQ, où l’excentricité s’exprime toujours à travers une idée de raffinement et d’élégance.
En mars 2020, le duo, alors réuni à Houston, se partage la couverture du magazine en recréant l’iconique pochette de Stankonia, l’album culte d’OutKast sorti en 2000. Derrière l’effet visuel, la Une raconte une histoire d’amitié née dans un centre de loisirs de Los Angeles, prolongée à Oklahoma City et transformée en trajectoire parallèle dans la mode.

Dans les colonnes de GQ, Harden confie : « Ce n’est pas pour être arrogant, mais nous ne sommes pas des athlètes comme les autres. Habituellement, lorsque nous sommes assis à une table, nous sommes ceux dont tout le monde parle. Mais lors de nos premiers dîners de mode, nous n’étions pas ceux dont on parlait. Ça vous rend humble. » Westbrook complète : « Quand j’ai commencé dans la mode, c’était nouveau. C’était une bonne expérience pour comprendre que tu es dans un espace différent maintenant. Nous devons toujours expliquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. »
Qu’est-ce que l’audace ? La question, digne d’une dissertation de philosophie, prend une tournure concrète avec la couverture “Seven Feet High And Rising” mettant en scène Joel Embiid en 2018. De l’audace, certes, mais aussi une collaboration commerciale assumée, la séance photo ayant été intégralement réalisée avec un Google Pixel 3, mentionné à plusieurs reprises.
Quoi qu’il en soit, GQ a voulu marquer le coup avec sa toute première couverture numérique. Ce virage digital illustre une transformation plus large : celle de l’athlète superstar en icône stylisée. En revanche, les articles du magazine qui lui sont consacrés ne s’attardent pas sur ses goûts vestimentaires, mais bien sur le sport. Comme quoi, une ligne éditoriale peut parfois tenir à un fil.

L’étape ultime de l’icône NBA
Contrairement à SLAM ou Sports Illustrated, qui racontent le sport par ses exploits et ses récits collectifs, GQ se tient volontairement à distance du jeu. Le magazine ne s’intéresse pas aux statistiques, aux résultats ou aux dynasties, mais à ce que les athlètes incarnent en dehors du terrain. Depuis plusieurs décennies, il propose une lecture esthétique et culturelle de la star NBA, façonnant une image où le basketteur devient avant tout un homme de style, un visage reconnu bien au-delà de la sphère sportive.
Dans cette logique, apparaître en couverture de GQ fonctionne comme une consécration : elle confirme une célébrité déjà établie et ouvre un espace nouveau, celui des podiums, des collaborations avec les marques de luxe et d’une influence médiatique qui dépasse le sport. Pour les joueurs, cette visibilité agit comme un tremplin, permettant de préparer l’après-carrière et de se réinventer en influenceur, en businessman ou en symbole générationnel.
En faisant dialoguer la culture basket avec celle de la mode et du lifestyle, GQ ne se contente pas d’accompagner une tendance, il contribue à inscrire durablement les basketteurs dans l’imaginaire collectif, à la croisée du sport, du style et de la culture populaire.