Clutch et zone

Clutch et Zone : la réalité derrière les grands moments

Les grands joueurs offensifs de l’histoire sont reconnaissables par de nombreuses caractéristiques qui, mises ensemble, font les légendes. Capacité à scorer à l’intérieur, à tirer de loin, servir les coéquipiers, bref. De Michael Jordan à Kevin Durant en passant par Allen Iverson et LeBron James, ils sont tous capables de faire ces choses-là. Mais une des grandes qualités de ces gens-là, c’est la capacité à être en feu et être fort dans les grands moments. Mais qu’est ce qui se cache derrière ces moments qui écrivent l’histoire ? Derrière les joueurs clutchs et les joueurs in the zone, que se cache-t-il ?

Définitions

Clutch, c’est un joueur qui, sous pression du résultat, fait une grande action pour permettre à son équipe de prendre l’avantage voire de gagner. Plusieurs exemples mythiques pour illustrer:

  • L’interception puis le tir de Michael Jordan lors des finales de 1998
  • Le contre surnommé « The Block » de LeBron James en 2016
  • Le « Coleman Play » de Bill Russell en 1957

Un joueur dit dans la zone, c’est différent. L’un n’empêche pas l’autre cependant, mais l’un n’induit pas l’autre non plus. Un joueur « dans la zone » ou « en feu », c’est un joueur qui rentre tous ses tirs, qui réussit tout dans un moment bien précis. L’exemple le plus fameux sont les 13 points en 35 secondes de Tracy McGrady, ou encore les 60 points en 3 quart-temps de Klay Thompson.

D’ailleurs, d’où vient ce concept de « zone » ?

Le modèle traditionnel du flow

Celui qui le décrit le mieux, c’est Ayrton Senna, légende de la Formule 1, suite à sa course légendaire à Monaco en 1988:

« J’étais déjà en pole position […] et je continuais. Tout à coup j’avais deux secondes d’avance sur tout le monde, même sur mon binôme qui avait la même voiture. Et j’ai réalisé soudainement que je ne conduisais plus la voiture consciemment. Je la conduisais comme instinctivement, mais j’étais dans une autre dimension. J’étais comme dans un tunnel. Pas seulement dans le tunnel sous l’hôtel : tout le circuit était un tunnel. Je continuais et continuais, encore et encore et encore et encore. J’avais largement dépassé la limite mais j’étais toujours capable de trouver plus. » – Ayrton Senna

Cependant, le flow n’est pas juste une sensation inexpliquée. Au contraire, c’est même un sujet très bien étudié depuis les années 70, avec les travaux de Csíkszentmihály. (A tes souhaits)

Le chercheur en psychologie étatsunio-hongrois, a défini le flow (ou flux en français) en 1975. Il décrit ça comme un état mental optimal centré sur la concentration. En réalité, il n’invente rien et certains religions orientales comme le bouddhisme ou le taoïsme avaient déjà conscience de ce genre de procédé. La différence, c’est que le psychologue a pu étudier rigoureusement le sujet et ne pas se satisfaire d’observations empiriques.

Avec les chercheuses Jeanne Nakamura puis Kendra Cherry, il a décrit les 9 composantes essentielles de l’état mental optimal :

  • Un juste équilibre entre les compétences et les demandes de la tâche à réaliser
  • La clarté de l’objectif fixé
  • L’union entre l’action et la conscience dans une immersion totale de l’activité
  • L’élasticité du temps et le changement de perception que le sujet s’en fait
  • La perte de conscience de soi
  • Des feedbacks clairs, précis et rapides
  • Concentration totale sur l’activité
  • Le sens du contrôle et de la capacité à tout maîtriser
  • L’expérience est autotélique, c’est-à-dire que l’expérience est auto-satisfaisante

On peut totalement retrouver ces 9 dimensions dans les propos d’Ayrton Senna que j’ai cité auparavant. Une capacité de maîtrise, de concentration et une perte de conscience personnelle qui mènent l’athlète à dépasser ses propres limites. C’est aussi ce que nous a décrit Kobe Bryant, légende de la NBA mais aussi un de ses disciples les plus assidus, véritable savant de ce sport.

Le « flow » est un état mental qui requiert un équilibre élevé entre le niveau de compétence (et donc de confiance en ses compétences) et le niveau de défi. Si le niveau de compétence n’est pas au niveau du défi, on tombe vite dans l’anxiété. Si le niveau de défi n’est pas au niveau des compétences, on finit dans l’ennui ou la relaxation. Ce schéma, qui représente différents états mentaux, montre bien la place du « Flow » dans les différents états mentaux.

Rapport entre le « flow » et le « clutch »

Si on résume en quelques mots l’état de « flow », on pourrait dire que c’est un mode d’urgence qui s’active dans le cerveau quand le défi est très élevé et que le sujet pense avoir les compétences pour le réussir. Finalement, n’est ce pas, dans un espace-temps souvent plus restreint, la définition aussi du « clutch » ? Le contre de LeBron James en 2016, n’était ce pas là un état de « flow » très restreint durant lequel son corps a poussé les limites de la course pour arriver à chasedown Iguodala ? Peut-être bien que si. Peut-être que non. Des chercheurs (Christian Swann, Lee Croute et Stewart A. Vella, des universités de Wollongong et Lincoln) ont travaillé sur le sujet de l’état mental optimal et les rapports avec l’état de « clutch ».

Schéma sur les différences entre les performances optimales de flow et les performances optimales clutch

La différence entre les deux est la conscience de soi. Si dans le premier cas, le sujet ne fait que très peu d’efforts, pour ainsi dire pas du tout, le deuxième en fait, et pas qu’un peu. On le voit d’ailleurs dans la dernière lignes « outcome ». En sortie de performance de flow, le sujet est plein d’énergie alors qu’en sortie de performance clutch, le sujet est épuisé.

Cependant, on voit aussi beaucoup de similarité:

  • La récompense intrinsèque de la réussite de la performance
  • Une énorme confiance en soi
  • Une grosse motivation de réussir
  • Des perceptions altérées etc etc

C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup de joueurs clutchs ont eu des moments « on fire », car il y a des vraies similitudes et surtout que les joueurs qui font ça ont beaucoup de talents. Cependant, un cas déroge à la règle.

Le cas Robert Horry

Robert Horry en terme de statistiques brutes, c’est ça :

A priori, rien de très fou. Un joueur qui ne transpire pas la domination, des statistiques de role player typique, qui font parti des grands collectifs et qui permettent de gagner des titres. Mais Robert n’est pas un banal role player. Déjà, il a 7 bagues de champion. Coup de chance ou corrélation réelle, il n’empêche qu’il est le joueur le plus bagué de l’histoire si on omet les membres des Celtics des 60s. La deuxième chose, c’est ce qu’on appelle « L’échelle de Horry ». L’échelle de Horry, ou Horry Scale en anglais, est une échelle sur 5 étoiles qui permet de juger le caractère décisif d’une action. Elle n’est pas au nom de Jordan, LeBron, Bird, Miller ou Allen. Elle est au nom de Robert Horry.

En effet, ce n’est pas du vol. Robert a tellement d’actions clutchs au compteur. Des gros tirs face aux Kings en 2002, face aux Pistons en 2005, face au Magic ou aux Spurs en 1995. Impossible de tous les citer tant il y en a.

Mais pourquoi parler de Robert Horry maintenant ? Parce que Robert est exactement ce qui définit la différence entre « clutch » et « flow ». Il est concentré, il est précis, toujours prêt à apporter et n’a pas peur de prendre les gros tirs. Cependant, il ne prend jamais feu, ne fera jamais de la performance XXL comme peuvent le faire les grosses stars. Jamais nous avons vu Robert Horry perdre sa conscience et shooter n’importe quoi comme un caillou dans l’océan. Robert Horry est la conception du joueur parfaitement clutch mais jamais dans la « zone ». La raison à cela ? Un manque de talent par rapport à des superstars ? Un manque d’occasions dû au fait qu’il jouait avec des superstars ? Un paramètre du modèle traditionnel qu’il n’avait pas, comme l’équilibre entre la conscience de ses compétences sur un certain niveau de défi ?

La part du storytelling dans les joueurs en feu

Avec l’explosion médiatique de la NBA d’un point de vue d’abord national puis international, avec l’arrivée d’Adam Silver et le coup marketing énorme avec la Dream Team de 1992, les gens ont de plus en plus de possibilités de voir de plus en plus de matchs. Aujourd’hui, quiconque le souhaitant (et ayant la motivation) pourrait regarder les 82 matchs de chaque équipe sans soucis. L’explosion des réseaux sociaux a aidé aussi à cela. Tout le monde peut voir des images et stats, tout le temps. Évidemment, le storytelling, déjà omniprésent auparavant, a grandi avec. Est-ce-que, parfois, lorsque l’on voit un joueur qui semble en feu, nous ne voyons pas simplement un joueur talentueux dans un bon soir ?

C’est le sujet des travaux de chercheurs comme Thomas Gilovich, Robert Vallon et Amos Tverski. Avec des analyses sur l’impact d’un tir rentré sur la réussite du tir suivant, ils en ont conclu que c’était une corrélation dite « illusoire » et que c’était plus du storytelling qu’autre chose.

D’autres chercheurs, comme Jonathan Koehler et Caryn Conley, ont travaillé aussi sur ces questions, en prenant les 3 Points Contest de 1994 à 1997. Les résultats sont les mêmes: la théorie de la main chaude est une corrélation illusoire.

Cependant, ces études ont plusieurs soucis. Le premier, c’est qu’elles sont un peu datées. Les études de Gilovich datent des années 80 et celles de Koehler des années 90. De plus, l’échantillon est faible et ne permet pas de vraiment doser le vrai du faux. L’autre soucis, c’est la « Croyance populaire » qui pensent à 84% que la théorie de la main chaude est vraie. En effet, énormément de gens sur Twitter emploient les expressions « take fire » ou « tel joueur est on fire », après quelques tirs rentrés d’affilée. Le soucis de cette croyance populaire, c’est aussi que de nombreux membres importants de la ligue, dont Red Auerbach, ont critiqué les travaux de Gilovich et autres.

Red Auerbach, c’est pas n’importe qui. C’est 9 titres en tant que coach et 11 en tant que GM. Red, c’est un personnage respecté de tous et qui a une voix qui porte ENORMEMENT dans le basketball, d’autant plus dans les années 80. Donc forcément, quand l’un des monsieurs les plus influents de la ligue critique ouvertement les travaux de Gilovich, c’est dur. Gilovich a les statistiques (mais un échantillon trop faible) et Auerbach a l’expérience (mais pas de preuves scientifiques).

Clutch et zone : conclusion

Qui croire dans tout ça ? Que penser ? Peut-on vraiment avoir des joueurs en feu et des joueurs clutchs ? Ou se sont juste les meilleurs qui mettent les tirs ? Finalement, on a pas de réponse claire sur ces questions et peut-être n’en aura-t-on jamais. Personnellement, je pense qu’il faut apprendre à doser et que tout est un peu vrai et un peu faux. Il faut apprendre à ne pas tweeter « KLAY THOMPSON EN FEU » dès qu’il a réussi 2 tirs d’affilée. Il faut apprendre à ne pas dire « Ouais c’est de la branlette médiatique » quand Lillard rate 1 tir après en avoir réussi 8 d’affilée du logo avec 3 défenseurs sur lui.

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