Ann Meyers lors de sa signature aux Pacers. Crédit : Bettmann

Ann Meyers, la femme qui s’est essayée aux parquets NBA

En 1979, Ann Meyers devient la première, et à ce jour, la seule, joueuse à signer un contrat avec une franchise NBA. Invitée au camp d’entraînement des Indiana Pacers, elle dispute sa chance au même titre que les hommes. Une tentative unique, restée sans lendemain, mais entrée dans l’histoire.

Bien avant que Mark Cuban ne promette de drafter Brittney Griner, ce qu’il n’a jamais fait, une femme a bel et bien signé un contrat de joueuse NBA. En septembre 1979, les Indiana Pacers traversent une passe difficile. Quatre saisons après la fusion ABA-NBA, la franchise pionnière du basket spectacle cherche une nouvelle identité. Les finances sont en berne, les résultats sont décevants, les fans se désintéressent. Les dirigeants sont même obligés d’organiser un téléthon pour sauver l’équipe.  Pour sortir de l’ombre et attirer l’attention, le général manager Dick Vertlieb tente un coup de poker : signer un contrat professionnel avec une femme. Pas une cheerleader, pas une mascotte. Une vraie basketteuse. Ann Meyers.

Quand la nouvelle tombe, le monde du basket ricane. Les titres sont moqueurs et les chroniqueurs sceptiques. L’Associated Press ironise : « Une femme en NBA ? Pourquoi pas un manchot en NFL ? « . Dans les coulisses, certains dirigeants de la ligue fulminent, estimant que la NBA ne peut se permettre ce genre de distractions. Pourtant, aucune règle n’empêche les franchises NBA de recruter et de faire jouer des femmes dans leur équipe. Ce contrat est donc bien réel, et Meyers touche 50 000 dollars. Elle est attendue au camp d’entraînement, au même titre que les autres recrues.

Avant Ann Meyers, deux femmes avaient déjà été brièvement associées à la NBA. En 1969, Denise Long est sélectionnée au 13e tour par les San Francisco Warriors, mais la ligue invalide la draft. En 1977, Lucia Harris, médaillée olympique, est draftée au 7e tour par les New Orleans Jazz, mais elle ne participera jamais au camp. Ces deux cas, largement symboliques, n’avaient débouché sur aucun essai concret. En 1979, l’essai d’Ann Meyers, lui, sera bien réel.

Ce n’est pas un coup de pub. Elle a le talent pour être testée. Si elle n’est pas au niveau, on le verra très vite. Mais elle mérite sa chance. » – Dick Vertlieb, général manager des Pacers en 1979.

L’annonce du recrutement de Meyers par les Pacers a été un vrai tremblement de terre dans le monde du basket. Crédit : YouTube.com

Ce que ne dit pas Vertlieb, c’est que la franchise est désespérée. La saison précédente, les Pacers ont terminé à 38 victoires pour 44 défaites. Ils n’ont ni superstar, ni identité claire. La perspective d’intégrer une joueuse de renom suscite au moins la curiosité. Et Meyers n’est pas n’importe qui.

Ann Meyers, un talent à part dans le paysage du basket

Ann Meyers, 24 ans en 1979, est déjà une icône dans le basket féminin américain. Dès le lycée, elle est nommée meilleure joueuse du pays par Parade Magazine. Issue d’une famille de sportifs (son père jouait en semi-pro, son frère David deviendra joueur en MLB), mais surtout composée de onze frères et sœurs, elle s’impose très jeune comme une meneuse née. À UCLA, elle entre dans l’histoire en devenant la première basketteuse universitaire à recevoir une bourse complète, ce qui ouvre la voie à des centaines d’autres après elle.

Sous les couleurs des Bruins, elle est quatre fois All-American, un exploit rarissime, et établit plus de 17 records individuels dans sa conférence. Elle compile plus de 1 600 points, 540 passes et 400 interceptions en carrière. En 1978, elle signe le tout premier quadruple-double de l’histoire de la NCAA, hommes et femmes confondus, avec 20 points, 14 rebonds, 10 passes et 10 interceptions. À ce jour, ce fait d’armes reste gravé dans les livres. En reconnaissance, UCLA fait retirer son maillot, un honneur qu’elle partage avec Kareem Abdul-Jabbar et Bill Walton. À l’époque, on parle d’elle comme l’équivalent féminin de Larry Bird. Elle représente l’élite absolue du basket universitaire.

À UCLA, Ann Meyers a marqué l’histoire du basket universitaire. Crédit : UCLA Athletics

Elle mène les Bruins au titre NCAA, enchaîne les sélections avec Team USA, et dispute les premiers Jeux olympiques ouverts aux femmes, en 1976 à Montréal, où elle remporte l’argent. Même dans un pays qui ignore encore le sport féminin, elle est reconnue. Elle signe un contrat publicitaire avec Adidas, donne des interviews, multiplie les conférences. Son nom commence à circuler au-delà du basket.

Cependant, le sport professionnel féminin américain reste embryonnaire. La Women’s Professional Basketball League (WBL), créée en 1978, est la première tentative sérieuse de ligue professionnelle féminine aux États-Unis. Elle compte huit équipes lors de sa première saison, réparties dans des villes comme Chicago, Houston ou New York. Les conditions sont précaires : les salaires tournent autour de 5 000 à 10 000 dollars par saison, bien loin des standards masculins, et les joueuses voyagent souvent en bus ou logent dans des motels. Malgré l’enthousiasme du lancement, l’instabilité financière, l’absence de couverture médiatique et les faibles affluences plombent rapidement la viabilité du projet.

La WBL ne durera que trois saisons, mais elle reste une étape symbolique, une première ébauche de ligue pour les femmes, 20 ans avant la création de la WNBA. Meyers y est draftée en première position et y joue une saison, au cours de laquelle elle est élue MVP de la ligue. Mais quand l’opportunité de tenter sa chance avec les Pacers se présente, elle n’hésite pas.

Je savais que les chances étaient faibles. Mais j’avais toujours joué contre des garçons. Je voulais me mesurer à ce niveau. Juste pour voir. » – Ann Meyers

À l’université déjà, il avait été question qu’elle rejoigne l’équipe masculine de UCLA. Elle avait même participé à la Summer League des garçons, mais avait renoncé à la saison régulière sous la pression de son entourage et des “on dit”.  » Quand les Pacers m’ont appelée, je me suis souvenue de ce moment. Je me suis dit : je ne vais pas laisser les autres me dissuader une seconde fois « , confiera-t-elle plus tard.

Trois jours pour exister

Le training camp des Pacers débute à l’Indianapolis Civic Center. L’ambiance est tendue et les journalistes nombreux. Meyers s’entraîne sérieusement, sans privilège. Elle passe les tests physiques, court les mêmes suicides que les autres, participe aux exercices collectifs. Mais dès le premier jour, l’ambiance est particulière. Certains joueurs, embarrassés ou prudents, refusent d’aller au contact avec elle.

Meyers racontera plus tard qu’un dirigeant a dû convoquer l’équipe pour rappeler aux joueurs qu’elle était là pour être traitée comme un professionnel, pas comme une mascotte. Lors d’une opposition, un rookie hésite à contester un de ses tirs, et se fait reprendre vertement par le coach. « Tu veux sa place ? Montre-lui », aurait-il lancé. Meyers, elle, reste concentrée, répond aux défis et joue dur. Un jour, elle intercepte une passe et envoie une contre-attaque éclair qui fait se lever les observateurs. Donnie Walsh dira plus tard :  « À ce moment-là, on a tous compris qu’elle ne bluffait pas. Elle savait vraiment jouer. ».

La Californienne est en effet là pour jouer. Elle veut être jugée pour ce qu’elle fait sur le terrain, pas pour ce qu’elle représente. Les témoins de l’époque, joueurs comme dirigeants, s’accordent : elle ne démérite pas. Mais au bout de trois jours, les Pacers annoncent qu’elle ne fera pas partie de l’effectif. Le test s’arrête là. Meyers encaisse la nouvelle avec calme :  « Je ne suis pas déçue. J’ai appris beaucoup. Et j’ai prouvé que j’avais le droit d’essayer. »

Elle avait une vraie présence sur le terrain. Une manière de penser le jeu qu’on ne voyait même pas chez certains rookies. Mais physiquement, c’était trop. Elle tenait une mi-temps, pas plus. » – Donnie Walsh, alors assistant général manager

Mais dans la presse, le ton est souvent méprisant. Certains traitent le sujet comme un spectacle, insistant sur le côté « curiosité » plutôt que sur la compétence. Un journaliste du Washington Post écrit : « Si elle échoue, les Pacers disent qu’elle restera “à un certain poste”… ce qui pourrait vouloir dire en cuisine.  » Sonny Werblin, propriétaire des Knicks, fustige la décision : « C’est une honte. Le Commissioner ne devrait pas tolérer ça. « . Même certains joueurs des Pacers, comme Mike Bantom, désapprouvent l’essai, y voyant un geste marketing sans impact sportif réel. 

Côté sponsors, les réactions sont ambivalentes. Adidas, qui soutient Meyers, saisit l’opportunité pour faire briller une athlète féminine dans un univers dominé par les hommes. Mais d’autres marques, plus conservatrices, redoutent que ce coup de projecteur tourne au ridicule et n’ait l’effet inverse : freiner l’essor du basket féminin. Le public, lui, reste mitigé. Certains applaudissent l’initiative. D’autres y voient une perte de temps, une tentative vaine. Dans la presse, on ironise encore. Mais dans les faits, Meyers est allée plus loin que n’importe quelle autre femme dans l’histoire du basket masculin. Elle n’a pas franchi la barrière. Mais elle l’a heurtée. Et cela a suffi à fissurer quelque chose.

Je ne voulais pas prouver que j’étais meilleure que les hommes. Je voulais juste qu’on sache qu’on peut essayer. Qu’on peut rêver. » – Ann Meyers

Cependant, l’essai NBA d’Ann Meyers n’était pas seulement un défi physique, c’était avant tout une épreuve mentale. Dans ses rares interviews et dans son autobiographie, elle revient sur la pression immense qu’elle a ressentie avant et pendant ces trois jours d’entraînement intensif. Malgré sa confiance en ses capacités techniques, la native de San Diego devait composer avec le poids des attentes, des moqueries, et un environnement qui n’était pas toujours bienveillant. Elle se souvient avoir parfois envisagé de renoncer, mais sa détermination à saisir cette chance unique l’a toujours ramenée sur le terrain.

Je savais que j’allais devoir prouver plus que n’importe quel autre joueur. Tout le monde regardait, certains attendaient que je fasse une erreur. Je ne pouvais pas me permettre de faiblir. » – Ann Meyers

Une trace invisible mais persistante

Après cet épisode, Ann Meyers ne disparaît pas. Elle devient une pionnière dans les médias sportifs : dès 1983, elle est la première femme à commenter un match de basket masculin en télévision nationale, puis en 1990, elle devient la première femme à officier au micro sur un match de saison régulière NBA en direct. Elle collabore avec ESPN, NBC, CBS ou encore ABC, couvrant aussi bien la NCAA que les Jeux Olympiques. Son ton, sa connaissance du jeu et son autorité naturelle imposent rapidement le respect.

Mais son influence ne se limite pas à la télévision. En 2007, elle est nommée General Manager du Phoenix Mercury, où elle bâtit une équipe autour de Diana Taurasi et Cappie Pondexter. La franchise remporte le titre WNBA dès sa première saison à ce poste, puis de nouveau en 2009. Elle devient ensuite vice-présidente des opérations basket, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui. Sous sa direction, le Mercury devient l’une des franchises les plus respectées et les plus stables de la ligue.

Parallèlement, son immense carrière est honorée par plusieurs distinctions : elle est intronisée au Women’s Basketball Hall of Fame dès sa création en 1999, puis au prestigieux Naismith Memorial Basketball Hall of Fame en 1993, où elle est l’une des premières femmes à y entrer. Ces reconnaissances consacrent une vie dédiée au basket, sur tous les terrains.

Meyers siège aussi au conseil d’administration du Women’s Basketball Hall of Fame et continue de s’investir dans des programmes de mentorat pour les jeunes joueuses et journalistes sportives. Son parcours post-Pacers, fait de constance, de vision et de convictions, lui a permis d’influencer le sport féminin bien au-delà de ses années sur le parquet. 

Et pourtant, son nom reste méconnu. Après l’essai, elle participe à des matchs d’exhibition avec des stars NBA comme Magic Johnson, Julius Erving ou Wilt Chamberlain. Elle n’est pas là pour la photo : elle joue vraiment, et bien. « Elle était meilleure que beaucoup de gars qu’on avait invités« , dira même Slick Leonard, son ancien coach aux Pacers. « Je l’ai coupée comme un joueur. Et j’étais fier d’elle.« 

Rares sont ceux qui connaissent son histoire. Comme si cette tentative NBA dérangeait. Parce qu’elle ne rentre dans aucune case. Ni victoire militante, ni succès sportif. Juste un moment suspendu, une anomalie que l’histoire ne sait pas trop où ranger. Son histoire, ce n’est pas celle d’un exploit, c’est plutôt celle d’une tentative. D’une incursion furtive dans un monde qui ne voulait pas d’elle, mais qui, pour quelques jours, n’a pas pu l’ignorer. Et comme le dira un jour Bill Russell, légende parmi les légendes : « Annie a été l’un des meilleurs joueurs de basket-ball de tous les temps. Je ne dis pas homme ou femme. Je dis de tous les temps. »

 

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